EXAMEN DES ARTICLES
Les trois propositions de loi soumises à l'examen de la commission sont structurées de manière assez similaire. Elles abordent chacune successivement quatre thématiques : la légalisation de l'aide active à mourir, les conditions de sa mise en oeuvre pour une personne consciente, celles de sa mise en oeuvre pour une personne incapable d'exprimer son consentement, les mécanismes de contrôle des procédures d'aide active à mourir. De ce fait, le nombre de leurs articles est quasi équivalent 9 ( * ) bien qu'ils soient organisés dans un ordre différent ce qui conduit à opérer un travail de rapprochement, de comparaison et d'analyse dans la perspective d'élaborer un texte unique.
LA RECONNAISSANCE D'UN DROIT À L'AIDE ACTIVE À MOURIR - Articles 1 et 2 des propositions de loi « Fouché » et « Fischer » Article 2 de la proposition de loi « Godefroy »
I - Les dispositifs proposés
La possibilité d'une aide à mourir constitue le coeur des propositions de loi soumises à l'examen de la commission. Elle vient compléter le dispositif de la loi « Leonetti » du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie, qui prévoit la possibilité pour le malade d'obtenir l'arrêt des traitements et de recourir aux soins palliatifs. On le sait, l'application de ces mesures peut avoir pour effet d'accélérer la mort de la personne, mais sans qu'un acte précis et délibéré en soit la cause.
Le double effet des soins palliatifs - soulager la douleur et anticiper la fin de vie - équivaut en réalité, aux yeux des auteurs des propositions de loi, à une euthanasie passive dont l'organisation continue à favoriser le secret des pratiques et la substitution de la volonté des médecins à celle des patients. Ils observent aussi que l'interruption des soins peut se traduire, dans les faits, par l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation du malade, ce qui conduira à son décès dans des délais variables et des conditions humainement difficiles pour son entourage. Ils proposent donc d'offrir à ceux qui ne voudront pas faire le choix d'une fin de vie accompagnée par les soins palliatifs de décider, en pleine connaissance de cause, du moment de leur mort et de lui faire face alors qu'ils sont encore conscients, et pour cela de bénéficier d'une aide active à mourir.
L'inscription du principe dans le code de la santé publique
La manière d'inscrire ce droit nouveau dans les textes et sa qualification même varient cependant selon les différentes propositions de loi. Les propositions de loi « Fouché » et « Fischer » proposent, dans leur article 1 er , d'inscrire le droit à l'aide active à mourir au sein de l'article L. 1110-2 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002 10 ( * ) relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui affirme que les personnes malades ont droit au respect de leur dignité. Le choix du rattachement à ce texte emblématique est justifié par la considération suivant laquelle la dignité des patients en fin de vie n'est pas pleinement garantie à l'heure actuelle, l'aide active à mourir devenant le moyen, pour certains malades, de la préserver.
L'article 1 er de la proposition de loi « Godefroy » opte, pour sa part, en faveur d'un complément à apporter à l'article L. 1110-9 du même code relatif à l'accès aux soins palliatifs pour marquer clairement que l'aide à mourir en constitue un complément et non la substitution.
La dénomination retenue pour ce droit nouveau
Les trois textes (article 1 er de la proposition de loi « Godefroy », articles 2 des propositions de loi « Fouché » et « Fischer ») modifient l'article L. 1110-9 du code de la santé publique, relatif au droit à l'accès aux soins palliatifs, pour y inscrire la possibilité de l'aide active à mourir qui devient ainsi une alternative offerte aux patients en fin de vie. Sa formulation est toutefois différente selon les cas. La proposition « Fischer » choisit la dénomination d'aide active « médicalisée » à mourir et précise qu'elle est appelée « euthanasie volontaire » . Les propositions « Fouché » et « Godefroy » retiennent principalement la désignation d'« aide active à mourir » mais utilisent aussi la formule d' « assistance médicalisée pour mourir » .
La précision selon laquelle l'aide, ou l'assistance, est « médicalisée » n'est pas fortuite : elle tend à distinguer l'aide active à mourir, telle que les trois propositions de loi envisagent de l'inscrire dans le code de la santé publique, des pratiques de suicide assisté qui existent en Suisse, où le produit létal est obtenu sur prescription mais administré non par un médecin mais par les membres d'associations constituées à cette fin. Elle souligne le fait que l'aide active à mourir est un acte spécifique différent tant de la décision individuelle de mettre fin à ses jours en dehors de toute pathologie, suicide qui ne peut être assisté, que du suicide assisté suisse.
La notion d'aide, ou d'assistance, médicalisée au suicide souligne que la décision est celle du patient, mais également que celui-ci bénéficie pour sa mise en oeuvre de la compétence médicale qui permettra une mort rapide et sans douleur.
II - La position du rapporteur
Le choix de l'insertion dans le code de la santé publique
Votre rapporteur partage pleinement l'objectif des propositions de loi. Toutefois, il considère que l'affirmation du droit à l'aide au suicide ne doit pas nécessairement figurer au sein de l'article L. 1110-2 du code de la santé publique. En effet, la juxtaposition de l'affirmation de la dignité du malade et du droit à l'aide active à mourir pourrait être source d'ambiguïtés juridiques. Si l'on considère, comme les auteurs des propositions de loi, que la possibilité d'obtenir une aide active participe de la dignité des patients, sa mention explicite à l'article L. 1110-2 appellerait celle de l'ensemble des autres éléments constitutifs de la dignité. A défaut, certains pourraient considérer que l'aide active à mourir constitue un pendant, ou une alternative, à la dignité des patients, ce qui n'est pas la volonté des auteurs des textes examinés. Dès lors, par souci de clarté, votre rapporteur considère qu'il est préférable de s'en tenir à l'inscription de l'aide active à mourir à l'article L. 1110-9 du même code. Cette inscription paraît d'autant plus indiquée que l'aide active à mourir vient ainsi explicitement compléter la possibilité d'accéder aux soins palliatifs.
Le choix de la dénomination du droit nouveau
Pour ce qui concerne la désignation de l'aide active à mourir, votre rapporteur considère que le choix des termes « aide » ou « assistance » à mourir est préférable à celui d'euthanasie. Ce mot, bien qu'il désignât la « bonne mort » dans la Grèce antique, paraît ici doublement inadéquat. D'une part, le terme d'euthanasie est devenu l'enjeu de débat éthiques importants, mais sans lien avec l'objet des propositions de loi, depuis le développement au XIX e siècle des politiques eugénistes. La proposition de loi « Fischer » évite toute possibilité de confusion sur ce point en utilisant la formule d' « euthanasie volontaire ». Cependant la notion même de « bonne mort » renvoie à une norme socialement déterminée de ce que doit être la fin de vie. Or c'est au contraire au renforcement de l'autonomie de l'individu et de sa capacité de choix, en dehors de toute pression sociale, que tendent les propositions de loi.
C'est précisément ce que recouvrent les notions d' « aide » et d' « assistance » qui marquent le fait que la décision est celle du malade et que celui-ci bénéficie de l'appui de l'équipe médicale. Devrait-on alors parler de « suicide » assisté ? Le terme semble impropre à votre rapporteur. En effet, si l'aide à mourir résulte de la volonté du patient de mettre fin à ses jours, l'acte lui-même n'a pas à être pratiqué par lui. Surtout, le principe de l'aide à mourir est de rompre avec la violence dont le suicide est porteur, à l'égard de soi-même et des autres. Elle vise au contraire à garantir que le terme de l'existence sera un instant paisible et si possible d'accompagnement familial, comme c'est le cas en Belgique. Enfin, utiliser le terme de suicide pourrait être porteur d'incertitudes juridiques quant aux conséquences du recours à une aide active à mourir, notamment pour les contrats d'assurance.
Votre rapporteur souligne à l'inverse l'intérêt de la mention retenue par les trois textes pour préciser que l'aide ou l'assistance pour mourir est « médicalisée » , ce qui apporte une clarification utile sur la nature du soutien apporté à la décision de la personne en fin de vie. Bien qu'il ne relève plus des soins, ce soutien se situe dans leur prolongement et appelle la compétence et l'encadrement des équipes médicales. Votre rapporteur propose d'ailleurs d'opter pour le terme d' « assistance » plutôt que de celui d' « aide » , qui traduit mieux, à son sens, le fait que l'acte médical sera conduit en application de la volonté expresse du malade qui la demande.
Il lui paraît également que le terme « active » n'est pas indispensable pour décrire l'assistance médicalisée pour mourir, à condition de proposer une définition de ce qu'est cette assistance. Or, les trois propositions de loi soumises à la commission n'en contiennent pas, considérant que la notion d'assistance à mourir est suffisamment explicite et le devient encore plus quand on précise qu'elle est médicalisée et active. Votre rapporteur estime cependant qu'il convient d'être encore plus précis. En effet, comme le lui a indiqué le docteur Anne Richard, présidente de la société française d'accompagnement et de soins palliatifs, on peut estimer que les soins palliatifs apportent déjà une aide active à mourir.
La proposition de loi « Fischer » propose une définition de l'aide active à mourir en visant, dans son article 4, « l'acte d'euthanasie » qui est pratiqué pour sa mise en oeuvre. Bien que réservé, on l'a dit, sur le recours au terme d'euthanasie pour les raisons précédemment évoquées, votre rapporteur considère que certains des éléments associés à ce terme peuvent permettre de définir avec plus de rigueur l'objet de l'assistance médicalisée pour mourir. Celle-ci consiste en un acte délibéré, pratiqué dans un contexte médical, et ayant pour but de provoquer une mort rapide et sans douleur . L'insertion de cette définition dans la loi future permettrait une plus grande clarté de la notion.
Pour l'ensemble de ces raisons, votre rapporteur propose de retenir, dans l'article 1 er d'un texte de compromis qui pourrait être celui de la commission, l'inscription à l'article L. 1110-9 du code de la santé publique de la possibilité pour une personne en fin de vie d'obtenir une assistance médicalisée pour mourir (conformément à l'article 2 de la proposition de loi « Fouché » et à l'article 1 er de la proposition de loi « Godefroy »). Dans le prolongement de la proposition de loi « Fischer », il suggère également de définir cette assistance médicalisée pour mourir comme un acte délibéré permettant une mort rapide et sans douleur .
III - La position de la commission
Sur la base des propositions ainsi décrites de son rapporteur, la commission a adopté l'article premier de la proposition de loi qu'elle soumet à l'examen du Sénat.
LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DE L'AIDE À LA DEMANDE D'UNE PERSONNE MALADE CONSCIENTE - Articles 1 et 2 de la proposition de loi « Godefroy » - Articles 2 et 4 des propositions de loi « Fouché » et « Fischer »
I - Les dispositifs proposés
Si les trois propositions de loi montrent une grande cohérence de vue sur les conditions d'accès et de mise en oeuvre de l'aide à mourir, certaines différences appellent des rapprochements pour concevoir un texte de compromis.
1) Les personnes susceptibles de bénéficier de l'aide à mourir
Une première différence entre les propositions de loi concerne les critères permettant de juger de l'autonomie de la volonté des personnes . La proposition de loi « Godefroy » retient comme critère celui de l'âge légal, puisque son article 1er vise uniquement les personnes majeures. Les deux autres retiennent, pour leur part, dans leurs articles 2, celui de la capacité, c'est-à-dire de l'aptitude légale à jouir de ses droits. Ces critères sont distincts en ce que la capacité ne dépend pas nécessairement de l'âge légal. Si toute personne majeure est réputée capable d'exercer ses droits, l'incapacité peut néanmoins être reconnue par les tribunaux. Les droits des majeurs incapables sont exercés par ou avec l'aide de leurs représentants légaux. Les propositions de loi « Fouché » et « Fischer » excluent donc les incapables majeurs du droit à l'assistance médicalisée pour mourir ; à l'inverse, les mineurs émancipés qui ont, au sens de la loi, le « gouvernement de leur personne » , pourraient y prétendre.
Une autre différence réside dans la situation des personnes susceptibles de demander une mort médicalement assistée . Les trois propositions de loi reprennent les critères, définis par l'article 6 de la loi Leonetti et figurant désormais à l'article L. 1111-10 du code de la santé publique, qui conditionnent la possibilité pour le malade de demander l'arrêt partiel ou total des traitements :
- la première condition est que la personne malade se trouve « en phase avancée ou terminale d'une pathologie grave et incurable » . La proposition de loi « Fischer » spécifie en outre qu'il s'agit de toute affection quelle qu'en soit la cause, tandis que la proposition de loi « Godefroy » vise les affections causées par un accident ou une maladie, ces précisions sémantiques ayant pour objectif de ne pas exclure du champ de l'assistance médicalisée pour mourir les victimes d'accident ;
- les propositions de loi « Fouché » et « Fischer » proposent également un critère alternatif à celui de la pathologie. Dans leurs articles 2, elles visent le fait, pour une personne, d'être placée « dans une situation de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité » . L'intention des auteurs est de permettre à ceux qui ne sont pas, du point de vue médical, en fin de vie mais ont devant eux la seule perspective d'une vie de dépendance, comme ce fut le cas de Vincent Humbert, de bénéficier d'une assistance à mourir ;
- la proposition de loi « Godefroy » ne retient pas ce critère alternatif, et impose, au contraire, un critère supplémentaire à celui de l'affection. Son article 1 er conditionne en effet la possibilité de demander une mort assistée au fait que l'affection dont souffre la personne lui inflige « une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu'elle juge insupportable » . Comme l'a souligné devant la commission le professeur Régis Aubry, président de l'observatoire de la fin de vie 11 ( * ) , la notion de souffrance et celle de douleur ne sont pas synonymes . La douleur physique est évaluable et, la plupart du temps, maîtrisable. La souffrance physique est celle qui est ressentie par le malade parfois indépendamment de tout symptôme. La souffrance psychique est encore plus personnelle, car elle peut difficilement être évaluée. Elle peut par exemple résulter, chez une personne en phase avancée d'une maladie grave et incurable mais n'éprouvant aucune douleur physique, de l'anticipation de son déclin. Le critère supplémentaire posé par la proposition de loi « Godefroy » renvoie donc, en fin de compte, à la perception qu'a la personne de sa propre situation, ce critère subjectif s'ajoutant au critère objectif de l'état d'avancement de son affection .
2) La procédure d'obtention de l'aide
L'article 2 de la proposition de loi « Godefroy » et les articles 4 des propositions « Fouché » et « Fischer » déterminent la procédure permettant d'obtenir l'aide à mourir.
Le médecin saisi de la demande
Les propositions « Fouché » et « Godefroy » disposent que la demande d'assistance doit être adressée par la personne à son médecin traitant . Il s'agit du médecin obligatoirement désigné mais librement choisi par chaque bénéficiaire de l'assurance maladie de plus de seize ans, depuis la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie 12 ( * ) , pour bénéficier du remboursement sans pénalités de ses dépenses de santé. Ce médecin, qui assure le suivi médical de la personne parfois depuis de nombreuses années et a pu construire avec elle une relation de confiance, dispose également de l'ensemble des informations médicales concernant son état. Il paraît donc le plus indiqué pour accueillir sa demande. La proposition de loi « Fischer » élargit même la possibilité d'adresser la demande d'assistance pour mourir à « tout médecin de premier recours » au sens de la loi HPST du 21 juillet 2009 13 ( * ) .
Les obligations incombant au médecin saisi de la demande
Les obligations du médecin saisi varient selon les propositions de loi. Les propositions de loi « Fouché » et « Fischer » lui imposent de saisir sans délai un confrère indépendant pour s'assurer avec lui de la situation du demandeur :
- la proposition de loi « Fouché » ajoute à cette obligation la faculté de faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer ;
- la proposition de loi « Godefroy » prévoit elle aussi cette faculté, mais elle impose au médecin des obligations plus larges. Elle dispose en effet qu'il doit saisir l'équipe soignante en charge de la personne malade ainsi qu'au moins deux autres praticiens. Ces contraintes supplémentaires répondent à une double motivation : d'une part, prévoir explicitement qu'un lien sera établi entre le médecin traitant et l'équipe médicale, le plus souvent hospitalière, en charge des soins courants de la personne ; d'autre part, en s'assurant qu'au moins trois médecins seront appelés à se pencher sur la demande, partager l'évaluation de la situation du malade et limiter la possibilité d'égalité des voix empêchant de statuer.
Les propositions de loi prévoient que les médecins saisis ont d'abord une mission d'information à l'égard du malade. Ils doivent lui présenter les possibilités de prise en charge qui lui sont offertes par les soins palliatifs. Cette information complète celle qui a déjà dû être donnée par les services aux personnes hospitalisées. Elle est destinée à s'assurer que ce n'est ni l'éventuelle absence locale d'équipe de soins palliatifs, ni la méconnaissance de la loi Leonetti qui sont la cause du non-recours aux soins palliatifs et de la demande d'assistance pour mourir.
Les médecins effectuent également un double contrôle : celui de la volonté de la personne , celui de son état médical . Le contrôle de la volonté est effectué deux fois : la première, au moment de la demande ; la seconde, en présence de la personne de confiance désignée par le demandeur, lors de la remise du rapport sur son état de santé. La volonté de bénéficier d'une assistance pour mourir doit être non seulement libre et éclairée, comme pour le consentement aux soins, mais également réfléchie. Ceci suppose que l'idée d'une mort volontaire ait été exprimée de longue date et soit argumentée. Le contrôle du caractère réfléchi de la demande doit permettre d'éviter de répondre à une demande de mort qui ne serait que le masque d'une demande d'une autre nature, d'écoute ou de réconfort par exemple.
A l'issue de ces examens de la volonté et de l'état médical du demandeur, les médecins rédigent un rapport qui doit statuer sur la conformité de la situation de la personne aux critères définis par le code pour bénéficier d'une assistance pour mourir et sur l'absence de perspective en termes d'amélioration de son état de santé et d'apaisement de sa souffrance. La proposition de loi « Fischer » précise que l'examen est conduit « au regard des données acquises de la science » . Ceci signifie, d'une part, que le rapport demandé aux médecins relève de leur compétence et non pas de leur subjectivité, d'autre part, que les perspectives offertes par un traitement expérimental ne peuvent prises en compte. Le rapport est remis dans un délai de huit jours après la rencontre des médecins saisis avec le demandeur.
Les délais proposés
Si le rapport constate la conformité de la situation de la personne aux critères fixés par les propositions de lois et qu'elle maintient sa demande d'assistance pour mourir, celle-ci doit lui être accordée. La proposition de loi « Godefroy » prévoit ensuite un délai minimal de deux jours entre le moment où l'on détermine qu'une personne doit bénéficier de l'aide à mourir et sa mise en oeuvre ; les deux autres propositions fixent pour leur part ce délai à quinze jours.
Cette différence résulte d'approches distinctes du problème. La proposition de loi « Godefroy » tend à prendre en compte les situations de fin de vie et vise à préserver la personne ayant pris sa décision d'éventuelles pressions tendant à la faire renoncer à l'assistance qu'elle a demandée. Les deux autres se préoccupent davantage de la situation des personnes en phase avancée mais non terminale d'une maladie, qui refusent d'emblée la perspective offerte par les soins palliatifs et souhaitent bénéficier d'une assistance pour mourir plutôt que leur mise en place.
Quoiqu'il en soit, les trois textes prévoient à la fois que la demande d'assistance pour mourir est révocable à tout moment , et que la personne peut demander à ce qu'elle soit mise en oeuvre avant l'expiration du délai prévu. L'acceptation par les médecins d'un délai plus court est conditionnée par les propositions « Fouché » et « Fischer » à leur appréciation de la dignité de la personne, mais par la proposition de loi « Godefroy » à leur appréciation de la dégradation de son état de santé.
L'aide effective et les obligations qui en découlent
La mise en oeuvre de l'assistance médicalisée elle-même est placée par les trois propositions de loi sous le contrôle du médecin qui a été initialement saisi.
Enfin, elles s'accordent aussi sur la procédure qui doit suivre la mise en oeuvre de l'assistance et sur l'obligation, pour le médecin, de rédiger un rapport sur les conditions du décès et de l'envoyer à une instance régionale spécifique de contrôle.
II - La position du rapporteur
Sur les critères
La définition des critères ouvrant la possibilité de mort assistée et la procédure aboutissant à cette assistance constituent le coeur même du débat souhaité par les auteurs des propositions de loi. Votre rapporteur considère que la mise en place d'un nouveau droit aussi important que celui à la mort assistée, nécessite, pour pouvoir être mis en oeuvre conformément à la volonté du législateur et prévenir toute dérive, l'encadrement le plus strict. Dès lors, il estime nécessaire de cumuler les critères contenus dans les différentes propositions de lois pour déterminer qui pourra choisir de demander une assistance pour mourir. Il propose donc de limiter cette possibilité aux personnes capables et majeures. De même, la notion de dépendance pouvant être interprétée de manière extrêmement large, jusqu'à englober la dépendance économique, il lui paraît préférable de limiter expressément la possibilité d'une assistance aux seuls cas d' affections ayant altéré la santé . Il lui semble cependant essentiel d'insister sur le fait que la pathologie peut avoir une cause médicale aussi bien qu'accidentelle, afin que les personnes accidentées ne se trouvent pas exclues du droit à la mort assistée. Cette préoccupation se retrouve tant dans la proposition de loi « Fischer » que dans la proposition de loi « Godefroy ».
Sur le rôle des médecins
La situation médicale de la personne sera déterminée selon des critères scientifiques, comme le précise la proposition de loi « Fischer ». Mais elle ne doit pas conditionner la possibilité d'une assistance pour mourir. Il faut que soit d'abord prise en compte la manière dont la personne ressent la situation dans laquelle elle se trouve et donc sa souffrance, tant physique que psychique . Ces deux aspects doivent être évalués dans le rapport remis par les médecins.
Dans le contrôle exercé par les médecins sur la demande d'assistance, votre rapporteur souligne l'importance de l'information concernant les soins palliatifs . Il suggère de la renforcer en prévoyant que les médecins à qui un demandeur d'assistance pour mourir montrera son intérêt pour les soins palliatifs devront s'assurer qu'il puisse effectivement y accéder. Ainsi, la mort assistée ne pourra jamais être la solution de ceux qui n'ont pas eu accès aux soins palliatifs. Elle doit résulter d'un choix véritablement libre, éclairé et réfléchi.
Votre rapporteur souhaite par ailleurs renforcer le contrôle médical sur l'acte d'assistance lui-même en prévoyant que celui-ci s'exerce non seulement sous le contrôle mais également en présence d'un médecin, comme c'est le cas en Belgique.
Enfin, la mise en place d'un contrôle externe a posteriori, sous la forme de l'envoi du rapport du médecin à une commission chargée du respect des dispositions légales concernant l'assistance pour mourir, paraît un élément utile de sécurisation accrue du dispositif.
Sur les délais
S'agissant enfin des délais prévus pour la mise en oeuvre de l'aide à mourir, la durée totale prévue par la proposition de loi « Godefroy » est de huit jours pour le rapport suivis de deux jours pour la mise en oeuvre de l'aide, soit un total de dix jours. Les deux autres retiennent pour leur part un délai de huit jours puis de quinze jours, soit un total de vingt-trois jours. Votre rapporteur est partagé sur cette proposition qui laisse la plus grande place à la réflexion, dès lors que le demandeur disposera par ailleurs de la possibilité d'exiger un délai plus court pour lequel il devra obtenir l'accord du médecin. Cependant, il ne faut pas qu'un délai trop long prive la demande de toute possibilité pratique d'être mise en oeuvre. C'est, ici encore, le respect de la volonté de la personne qui doit primer.
III - La position de la commission
Sur la base des propositions ainsi décrites de son rapporteur, la commission a adopté l'article 2 de la proposition de loi qu'elle soumet à l'examen du Sénat, en retenant finalement un délai de huit jours pour la mise en oeuvre de l'assistance médicalisée. Ce choix de la commission a entrainé une coordination rédactionnelle suggérée par Jean Desessard.
LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DE L'AIDE POUR UNE PERSONNE DEVENUE INCAPABLE D'EXPRIMER SA VOLONTÉ - Articles 3 et 4 de la proposition de loi « Godefroy » - Articles 5 et 6 des propositions de loi « Fouché » et « Fischer »
I - Les dispositifs proposés
Les directives anticipées
Les trois propositions de loi (article 3 de la proposition « Godefroy », article 5 des propositions « Fouché » et « Fischer ») complètent l'article L. 1111-11 du code de la santé publique issu de la loi Leonetti et relatif aux directives anticipées concernant la fin de vie pour y inclure la possibilité pour une personne majeure de laisser des directives concernant la circonstances dans lesquelles elle souhaite bénéficier d'une assistance pour mourir. Les propositions « Fouché » et « Godefroy » font de l'inscription de directives anticipées concernant l'aide à mourir une faculté, tandis que la proposition « Fischer » paraît en faire une obligation et dénomme le document « testament de vie » .
L'inscription de directives concernant l'aide à mourir impose la désignation d'une ou plusieurs personnes de confiance qui seront éventuellement chargées de faire la demande pour la personne devenue incapable de s'exprimer.
La durée de validité des directives anticipées varie selon les propositions de loi. Les propositions « Fouché » et « Fischer » leur accordent une validité de trois ans ; la proposition « Godefroy » une validité de cinq ans. Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé dont la tenue est confiée à la commission nationale de contrôle des pratiques instituée par les propositions de loi. Cependant, elles demeurent valides quelle que soit leur forme et même sans enregistrement auprès de cette commission.
Leur mise en oeuvre
La procédure relative à la mise en oeuvre de l'assistance pour mourir pour les personnes ayant laissé des directives anticipées en ce sens figure à l'article 4 de la proposition « Godefroy » et aux articles 6 des propositions « Fouché » et « Fischer ». Elle est, dans toute la mesure du possible, identique à celle suivie pour la prise en compte d'une demande émanant d'une personne consciente. Il incombe aux personnes de confiance désignées par les directives anticipées de saisir le médecin traitant de la personne en phase avancée ou terminale d'une maladie grave et incurable mais devenue incapable de s'exprimer, quand elles estiment que sa situation est celle dans laquelle elle a indiqué souhaiter bénéficier d'une mort assistée dans le cadre de directives anticipées. Le médecin saisit, selon les propositions de loi, un ou plusieurs de ses collègues et consulte l'équipe médicale ainsi que ceux qui s'occupent quotidiennement de la personne, dans un établissement d'accueil pour personnes âgées dépendantes par exemple.
L'examen conduit par les médecins concerne uniquement la situation médicale de la personne . Si celle-ci est effectivement au stade avancé ou terminal d'une maladie grave et incurable et a inscrit dans ses directives anticipées le souhait de bénéficier d'une assistance pour mourir dans ces circonstances, le rapport des médecins sera favorable à la mise en oeuvre de la procédure. Il appartiendra alors aux personnes de confiance de confirmer devant deux témoins indépendants que la personne a exprimé le souhait de bénéficier de l'assistance pour mourir lorsqu'elle était consciente.
Le délai de remise du rapport est de quinze jours dans les trois propositions de loi, mais la durée minimale avant la mise en oeuvre de l'aide varie sur le même schéma que celui retenu pour les personnes en état de conscience : deux jours dans la proposition de loi « Godefroy », quinze jours dans les deux autres.
II - La position du rapporteur
Votre rapporteur estime nécessaire que les directives anticipées des personnes majeures, régulièrement réaffirmées, sur les circonstances dans lesquelles elle souhaite bénéficier d'une assistance pour mourir soient respectées de la même façon que les directives concernant l'arrêt des traitements , déjà prévues par la loi Leonetti. Il considère suffisantes les garanties proposées par les propositions de loi. S'agissant du délai avant la mise en oeuvre de l'aide, un délai court, de deux jours, lui paraît le plus adapté en la circonstance, la volonté de la personne ayant déjà été confirmée par écrit, puis à deux reprises par les personnes de confiance.
III - La position de la commission
Sur la base des propositions ainsi décrites de son rapporteur, la commission a adopté les articles 3 et 4 de la proposition de loi qu'elle soumet à l'examen du Sénat.
LES MÉCANISMES DE CONTRÔLE DE L'AIDE À MOURIR ET LES DISPOSITIONS COMPLEMENTAIRES - Articles 4, 5, 6 et 7 de la proposition de loi « Godefroy » - Articles 7, 8 et 3 des propositions de loi « Fouché » et « Fischer »
I - Les dispositifs proposés
L'article 4 de la proposition de loi « Godefroy », l'article 6 de la proposition de loi « Fischer » et l'article 7 de la proposition de loi « Fouché » sont consacrés en tout ou partie au contrôle de la procédure d'aide à mourir. Ils mettent en place des commissions régionales de contrôle présidées par le préfet de région et une commission nationale chargée de gérer le fichier national des directives anticipées et d'examiner les dossiers transmis par les commissions régionales. Ces dernières reçoivent les dossiers transmis par les médecins après la mise en oeuvre d'une assistance pour mourir et contrôlent le respect des dispositions législatives. En cas de doute, elles saisissent la commission nationale, placée auprès du Garde des Sceaux qui, après examen, peut déférer au Procureur de la République les cas de non-respect des dispositions légales. Un décret en Conseil d'Etat déterminera les conditions de composition et de procédure des commissions.
L'article 5 de la proposition « Godefroy » et les articles 3 des deux autres propositions prévoient une clause de conscience pour les médecins ainsi que les autres professionnels de santé qui ne souhaitent pas pratiquer l'assistance pour mourir. Elle est conçue sur le modèle de la clause de conscience en matière d'interruption volontaire de grossesse (article L. 2212-8 du code de la santé publique) et prévoit qu'un médecin qui refuse de pratiquer l'assistance doit orienter le demandeur vers un confrère susceptible de l'aider.
Enfin, la proposition de loi « Godefroy » comporte deux dispositions complémentaires dans ses articles 6 et 7 : le premier complète l'article L. 1112-4 du code de la santé publique relatif à la formation aux soins palliatifs pour prévoir la mise en place d'une formation à l'assistance pour mourir ; le second gage les dépenses éventuelles résultant du texte.
II - La position du rapporteur
Votre rapporteur estime nécessaire la mise en place d'un système de contrôle régional et national afin de garantir le respect des dispositions de la loi de manière rapide et proche des réalités locales. De même, la possibilité pour les professionnels de santé de refuser de participer à l'assistance pour mourir permet à la fois le respect de leurs convictions et la garantie que ceux qui apporteront leur aide le feront de manière à respecter pleinement la volonté du malade. Pour les professionnels de santé qui accepteront de participer, une formation telle que la prévoit l'article 6 de la proposition de loi « Godefroy » apparaît également nécessaire.
A l'inverse, le gage contenu dans l'article 7 de cette proposition de loi n'est juridiquement pas nécessaire dès lors qu'il ne vise pas à compenser une réduction de ressources. Votre rapporteur propose donc sa suppression.
III - La position de la commission
Sur la base des propositions ainsi décrites de son rapporteur, la commission a adopté les articles 5, 6 et 7 de la proposition de loi qu'elle soumet à l'examen du Sénat.
*
* *
Réunie le 18 janvier 2011, sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a adopté l'ensemble du texte de la proposition de loi ainsi rédigé.
* 9 Huit articles pour la proposition de loi n° 65 (Alain Fouché, UMP), sept pour la proposition de loi n° 659 (Jean-Pierre Godefroy et plusieurs sénateurs socialistes) et six pour la proposition de loi n° 31 (Guy Fischer, François Autain et plusieurs sénateurs CRC-SPG).
* 10 Loi n° 2002-30.
* 11 Cf. infra le compte rendu de son audition.
* 12 Loi n° 2004-810.
* 13 Loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires n° 2009-879.