EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

A. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE EUROPÉENNE RELATIVE AUX DROITS DES CONSOMMATEURS

1. Un contexte en mutation : vers un droit européen de la consommation ?

Les textes fondateurs de la construction communautaire, et notamment le Traité de Rome du 25 mars 1957, sont antérieurs à l'avènement du consumérisme et du droit de la consommation 3 ( * ) .

Les intérêts des consommateurs ont toutefois progressivement été pris en compte, notamment lors de l'important tournant que constitue l'introduction en 1993 dans le traité de Rome d'un nouveau titre consacré à la politique de protection du consommateur. L'article 169 du TFUE 4 ( * ) (ex-article 153 TCE 5 ( * ) ) fixe l'exigence d'un haut niveau de protection du consommateur.

Article 169

(ex-article 153 TCE)

1. Afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, l'Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts.

2. L'Union contribue à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1 par :

a) des mesures qu'elle adopte en application de l'article 114 dans le cadre de la réalisation du marché intérieur;

b) des mesures qui appuient et complètent la politique menée par les États membres, et en assurent le suivi.

3. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures visées au paragraphe 2, point b).

4. Les mesures arrêtées en application du paragraphe 3 ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes. Ces mesures doivent être compatibles avec les traités. Elles sont notifiées à la Commission.

Au niveau communautaire, l'harmonisation minimale a longtemps constitué la règle du droit de la consommation , laissant ainsi aux États membres la possibilité de maintenir ou d'adopter des mesures plus protectrices allant au-delà du niveau minimum de protection assuré par la directive.

La directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales a constitué un premier tournant dans l'approche du législateur communautaire qui a adopté alors une approche d'harmonisation totale , interdisant aux États membres de maintenir ou d'adopter dans leur droit des mesures plus protectrices.

Harmonisation maximale ou harmonisation minimale ?

L'unification des réglementations et des droits essentiels des consommateurs dans les différents États membres peut passer par deux approches, en fonction du degré d'harmonisation choisi :

- l'harmonisation maximale, appelée aussi pleine harmonisation, consiste à définir un niveau « plafond » de réglementation standard pour tous les États membres, qui ne pourront maintenir ni définir, dans ce domaine, des règles différentes, qu'elles soient plus ou moins protectrices pour le consommateur ;

- l'harmonisation minimale permet aux États membres de maintenir ou d'adopter, au-delà des exigences communautaires, des dispositions plus favorables au consommateur ; ainsi le curseur n'est positionné qu'à un niveau « plancher ».

A cet égard, dans sa résolution du 6 septembre 2007, le Parlement européen a recommandé la prise de mesures législatives et a exprimé sa préférence pour l'adoption d'un instrument se présentant sous la forme d'une directive horizontale fondée sur une harmonisation complète et ciblée.

En 2001, la Commission européenne avait adopté un Livre vert sur la protection des consommateurs dans l'Union européenne qui a lancé une vaste consultation publique.

Par ailleurs, la Commission a lancé en 2004 un processus de révision de l'acquis communautaire en matière de protection des consommateurs avec pour but de simplifier et de compléter le cadre réglementaire existant, à savoir huit directives 6 ( * ) dont le but est de protéger les consommateurs.

Elle a présenté le 8 février 2007 un Livre vert sur la révision de l'acquis communautaire en matière de protection des consommateurs . En effet, les progrès technologiques, l'évolution des moyens de transaction, l'apparition de nouveaux biens immatériels comme les logiciels, l'explosion des services numériques, l'évolution des modes de consommation créent un contexte évoluant sans cesse et dont les exigences et les principes ne sont plus aujourd'hui en phase avec la réglementation en vigueur.

L'objectif de ce Livre vert est clair : il s'agit de « parvenir à la mise en place d'un véritable marché intérieur des consommateurs, offrant un juste équilibre entre un niveau élevé de protection des consommateurs et la compétitivité des entreprises, dans le strict respect du principe de subsidiarité » 7 ( * ) .

Le fil rouge de cette entreprise de révision est donc clair : garantir à tous les consommateurs, où qu'ils se trouvent sur le territoire de l'Union européenne, une équivalence de droits et un niveau élevé de protection tout en assurant pour les entreprises, et notamment pour les PME, un environnement réglementaire plus prévisible et harmonisé.

Enfin, le 29 mai 2009, la Commission européenne a également publié un Livre vert 8 ( * ) sur les recours collectifs pour les consommateurs qui envisage une action de groupe pour les litiges intracommunautaires.

2. La proposition de directive initiale présentée par la Commission européenne se traduisait par un très net recul de la protection des consommateurs en droit français
a) L'objectif de la Commission européenne : un espace économique européen de la consommation

L'objectif de la Commission européenne de créer un espace économique européen de consommation est mis en avant pour justifier sa démarche d'harmonisation des règlementations existant en matière de protection du consommateur dans les différents États membres de l'Union.

C'est dans cette optique qu'elle a adopté le 8 octobre 2008 une proposition de directive relative aux droits des consommateurs afin d'une part de déterminer la réglementation applicable aux contrats de vente de biens ou de services conclus entre consommateurs et professionnels et d'autre part de se substituer aux quatre directives recouvrant les droits contractuels des consommateurs. Ces dernières concernent :

- les clauses abusives (directive 93/13/CEE 9 ( * ) ) ;

- la garantie de conformité des biens (directive 99/44/CE 10 ( * ) ) ;

- la vente à distance (directive 97/7/CE 11 ( * ) ) ;

- et la vente en dehors des établissements commerciaux (directive 85/577/CEE 12 ( * ) ).

Il est à noter que le degré d'harmonisation retenu, contrairement aux quatre directives intégrées par le nouveau texte, est celui d'une harmonisation dite maximale , c'est-à-dire privant les États membres de la possibilité de maintenir ou d'intégrer dans leur droit national, des dispositions plus favorables au consommateur.

Il s'agit pour la Commission de trouver un juste équilibre entre une protection élevée des droits des consommateurs et les charges qui en résultent pour les professionnels, les différences de cadre juridique constituant une barrière à la fourniture transfrontière de biens ou de services.

Regrettant que le potentiel des ventes à distance transfrontalières ne soit pas pleinement exploité par les consommateurs, alors même que ces dernières devraient constituer l'une des principales réalisations concrètes du marché intérieur, la proposition de directive, dans sa rédaction initiale par la Commission européenne, relève que « compte tenu des nouvelles perspectives commerciales qui s'offrent dans de nombreux États membres, les petites et moyennes entreprises ( y compris les entrepreneurs individuels) et les agents commerciaux des sociétés pratiquant la vente directe devraient être davantage enclins à rechercher des débouchés dans d'autres États membres, en particulier dans les régions frontalières » . Elle entendait ainsi qu'une « harmonisation complète des dispositions relatives à l'information des consommateurs et au droit de rétractation dans les contrats de vente à distance et hors établissement contribue à une meilleur fonctionnement du marché intérieur sur le plan des relations entre entreprises et particuliers » .

b) Le contenu de la proposition adoptée par la Commission
(1) Le champ et le degré d'harmonisation de la proposition de directive

La Commission européenne a fait le choix de remplacer les quatre directives existantes par un seul instrument. La proposition de directive fixe donc les règles standard en matière de protection des consommateurs, en s'écartant du principe d'harmonisation minimale au profit d'une approche de pleine harmonisation qui fait de ces règles un plafond obligatoire mais indépassable. Son champ couvre aussi bien les échanges nationaux que transfrontaliers.

Elle se subdivise en sept chapitres :

- le chapitre I contient des définitions communes de notions telles que « consommateur » ou « professionnel » et énonce le principe d'une harmonisation complète ;

- le chapitre II contient un ensemble d'informations de base à fournir par les professionnels avant la conclusion de tout contrat avec des consommateurs, et prévoit également une obligation d'information pour les intermédiaires, qui concluent des contrats pour le compte des consommateurs ;

- le chapitre III , qui ne s'applique qu'aux contrats à distance et aux contrats hors établissement, établit des exigences particulières en matière d'information et réglemente le droit de rétractation de manière uniforme ;

- le chapitre IV clarifie les dispositions de la directive 99/44/CE : il maintient le principe selon lequel la responsabilité du professionnel est engagée vis-à-vis du consommateur pour une période de deux ans si les biens ne sont pas conformes au contrat ; il introduit une nouvelle règle selon laquelle le risque de perte ou d'endommagement des biens n'est transféré au consommateur que lorsque ce dernier ou un tiers autre que le transporteur, désigné par le consommateur, prend matériellement possession de ces biens ;

- le chapitre V est relatif aux clauses abusives et reprend dans une large mesure les dispositions de la directive 93/13/CEE. Il s'applique aux clauses contractuelles abusives qui n'ont pas fait l'objet d'une négociation individuelle, telles que les clauses contractuelles types ; afin de garantir la sécurité juridique, la directive contient deux listes de clauses abusives: l'annexe II établit la liste des clauses réputées abusives en toutes circonstances et l'annexe III une liste de clauses jugées abusives à moins que le professionnel ne prouve le contraire.

- les chapitres VI et VII établissent des dispositions générales et finales.

(2) Les limites de la rédaction initiale

Il s'est rapidement avéré que cette rédaction initiale posait un certain nombre de problèmes, du fait d'une part du champ insuffisamment clair et délimité de la directive et d'autre part des conséquences induites par la mise en oeuvre du principe d'harmonisation maximale totale.

Tout d'abord, le champ de la directive, qui recouvre, en vertu de l'article 3, tous « les contrats de vente et contrats de service conclus entre le professionnel et le consommateur » sans autre précision posait des difficultés de sécurité juridique, d'autant que les dispositions de la proposition de directive initiale concernaient tant la phase précontractuelle que contractuelle.

Conjugué avec ce champ d'application, insuffisamment clair et précis, le principe de pleine harmonisation présentait en outre trois séries de risques qui rendaient le texte difficilement acceptable en l'état.

? Premièrement, la rédaction initiale de la proposition de directive remettait en cause des pans entiers du droit français de la consommation. En effet, en vertu du principe d'harmonisation maximale, le niveau de protection des consommateurs en vigueur dans notre droit national se voyait considérablement réduit dans la mesure où plusieurs dispositions de la proposition de directive étaient moins protectrices que celles de notre code de la consommation. Les dispositions relatives aux informations précontractuelles en matière de vente à distance par exemple sont plus protectrices dans notre droit national, ainsi que, notamment, les règles relatives aux conditions de formation et d'exécution des contrats conclus en dehors des établissements commerciaux, c'est-à-dire dans les cas de démarchage à domicile.

Les articles L. 121-16 à L. 121-20-7 du code de la consommation concernent en effet spécifiquement les ventes de biens et fournitures de prestations de services à distance. Les articles L. 121-18 et L. 121-19 comprennent des obligations d'information renforcées pour les entreprises de vente à distance, obligées de préciser à l'acheteur le nom du vendeur, ses coordonnées, les modalités de paiement, de livraison ou d'exécution de la prestation ou encore l'existence d'un éventuel droit de rétractation.

La « loi Chatel » du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a encore renforcé la protection des consommateurs en interdisant, d'une manière générale, les appels surtaxés vers des hotlines (article L. 121-84-5 du code de la consommation). Par ailleurs, l'article L. 121-20-3 prévoit que, dans le cadre d'un contrat conclu à distance, le fournisseur devra désormais indiquer une date limite de livraison du bien ou de l'exécution du service (tout retard supérieur à 7 jours obligeant le vendeur à rembourser les sommes versées dans un délai de 30 jours).

Concernant le démarchage à domicile , les articles L. 121-21 à L. 121-33 du code de la consommation offrent au consommateur une protection renforcée (liste de mentions obligatoires, formulaire de renonciation...). L'article L. 121-26 prévoit également que le démarcheur ne peut obtenir de l'acheteur, pendant le délai de réflexion (7 jours), une contrepartie quelconque ni aucun engagement ni effectuer des prestations de services de quelque nature que ce soit.

Le droit français prévoit également des éléments plus protecteurs en matière de clauses abusives et de garantie des vices cachés .

En matière de clauses abusives, le décret du 18 mars 2009 fixe une liste de 12 clauses « noires » et de 10 clauses « grises ». Or la proposition de directive, qui prévoit une liste de cinq clauses « noires », réputées abusives en toutes circonstances, et une liste de 12 clauses « grises », présumées abusives, est moins protectrice pour le consommateur que le cadre fixé par le droit français en la matière. Le principe d'harmonisation maximale appliqué à ces dispositions du chapitre V ne permettrait donc pas à la France de maintenir son droit plus protecteur dans ce domaine.

Mécaniquement, la rédaction initiale de la proposition de directive induisait ainsi la suppression de certains dispositifs légaux ou réglementaires nationaux , comme par exemple les règles de formation des contrats en matière de démarchage à domicile, certaines dispositions relatives aux obligations d'information précontractuelle dans le domaine de la vente à distance ou encore le dispositif relatif aux clauses illicites qui ne seraient pas reprises dans la liste « noire » figurant en annexe II de la directive, considérées comme abusives en toutes circonstances et interdites comme telles.

En matière de vices cachés, enfin, la proposition de directive prévoyait une harmonisation du régime légal de garantie de conformité des biens, qui aurait probablement eu pour effet de rendre impossible le maintien par les Etats membres d'une faculté pour les consommateurs de recourir à un régime de garantie découlant de l'application des dispositions relevant du droit général des obligations 13 ( * ) .

? Deuxième risque, la rédaction soumise par la Commission européenne rend impossible une action politique nationale s'adaptant aux besoins réels de protection des consommateurs.

? Enfin, le principe d'harmonisation maximale a pour conséquence de figer un droit qui est par nature évolutif . Le droit des consommateurs est en effet un droit mouvant par essence, afin de garantir aux consommateurs une protection adaptée et efficace.

Les autorités françaises ont donc exprimé, dans un premier temps, leur désaccord sur l'ensemble de ces points, faisant valoir :

- d'une part que le champ d'application du texte proposé par la commission devait être clarifié ;

- et d'autre part que la démarche d'harmonisation maximale mise en oeuvre par ce texte ne devait pas constituer une fin en soi ni se traduire par un recul en matière de protection des consommateurs, par rapport aux dispositions existant dans notre droit national.

Votre commission s'était ainsi déjà saisie d'une proposition de résolution européenne présentée par M. Hubert Haenel, devenue résolution du Sénat le 29 juillet 2009 14 ( * ) , demandant au Gouvernement de « s'opposer à toute mesure qui se traduirait par un recul de la protection du consommateur français » . La position du Sénat était en effet très claire : « l'ensemble des dispositions législatives françaises assure aux consommateurs français une protection efficace qui ne doit pas être diminuée au motif d'améliorer le marché intérieur de détail et d'accroître les facilités offertes aux entreprises effectuant du commerce transfrontalier » .


* 3 Comme le rappelle le Lamy Droit économique, édition 2011 (page 1718).

* 4 TFUE : Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

* 5 TCE : Traité instituant la Communauté européenne

* 6 - Directive 85/577/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 concernant la protection des consommateurs dans le cadre de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux ;

- Directive 90/134/CEE du Conseil du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfaits ;

- Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

- Directive 94/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 1994 concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers ;

- Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance ;

- Directive 98/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 relative à la protection des consommateurs en matière d'indication des prix des produits offerts au consommateur ;

- Directive 98/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 1998 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs ;

- Directive 99/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation.

* 7 Livre vert sur la révision de l'acquis communautaire en matière de protection des consommateurs, présenté par la Commission européenne le 8 février 2007 - COM (2006) 744 final.

* 8 COM (2008) 794 final.

* 9 Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs

* 10 Directive 99/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation

* 11 Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance

* 12 Directive 85/577/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 concernant la défense des consommateurs dans le cas des contrats négociés en dehors des établissements commerciaux

* 13 Article 1641 du code civil : « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».

* 14 Résolution européenne sur la proposition de directive relative aux droits des consommateurs (E 4026) n° 130 (2008-2009).

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