B. CONFORTER L'AUTONOMIE

Protéger la dignité de la personne passe, comme on vient de le voir, par l'édiction de limites et d'interdits. Néanmoins, l'autonomie est un élément essentiel de cette dignité. Elle suppose la capacité de choisir pour soi-même de manière libre et éclairée. Cela correspond à une évolution majeure de la réflexion et de la pratique médicales, consacrée par la loi de 2002 relative aux droits des malades 9 ( * ) , selon laquelle le malade participe aux choix thérapeutiques qui le concernent ; les médecins, bien que détenteurs du savoir, n'ont plus le monopole de la décision.

Dans cette perspective, il est important de respecter les choix des patients et de répondre à leur demande d'autonomie par rapport à la science elle-même.

1. Informer de manière à permettre un choix éclairé

Respecter le choix, c'est d'abord mettre le patient en position de prendre sa décision de manière libre et éclairée. L'information dont il dispose est donc cruciale. Dans le cadre du projet de loi soumis à l'examen du Sénat, cette question se pose avec une particulière acuité en matière de tests génétiques, et spécialement de diagnostics préimplantatoire ou prénatal. En effet, ces procédés influent sur le choix de faire naître, ou non, un enfant. La loi doit donc déterminer le degré de l'information qu'on rend disponible - ce qu'on met les personnes en situation de décider de savoir - et préciser l'étendue des décisions qui peuvent être prises en fonction de cette information.

Le diagnostic prénatal (DPN), proposé à toutes les femmes enceintes, a pour but de détecter in utero une affection d'une particulière gravité chez l'embryon ou le foetus, notamment les trisomies. Le diagnostic préimplantatoire (DPI) est d'une autre nature et d'une mise en oeuvre beaucoup plus limitée : il offre, à titre exceptionnel, la possibilité à des parents qui sont porteurs d'une maladie génétique particulièrement grave, de faire analyser les embryons obtenus grâce à une procédure de procréation médicalement assistée (PMA). Lors de son audition, Jacques Testart, directeur de recherche honoraire à l'Inserm, a jugé indispensable de conforter la distinction entre DPI et DPN en limitant, comme le prévoit l'article L. 2131-4 du code, l'information disponible dans le cadre du DPI à la seule maladie génétique qui a justifié le recours à la procédure. Il ne faudrait pas que le DPI devienne la réponse à la quête de l'enfant « parfait » en permettant, notamment, la recherche de la trisomie 21 au stade du DPI 10 ( * ) . Cette position, qui est conforme à l'état du droit, se heurte néanmoins à la situation vécue par quelques familles selon le témoignage du professeur Israël Nisand : est-il humainement envisageable de faire subir à des familles déjà éprouvées par la maladie le risque supplémentaire de se voir placées dans la situation d'avoir éventuellement à demander une interruption médicale de grossesse ?

2. Poser les limites du choix offert

La décision de ne pas faire naître un enfant que l'on sait porteur d'une pathologie ne peut appartenir qu'aux parents. Toute intervention étatique en la matière relèverait des pratiques eugénistes condamnées par le code pénal. Mais les parents sont-ils en position de prendre une décision réellement autonome ? Quand on sait que 96 % des diagnostics de trisomie 21 aboutissent à une interruption médicale de grossesse (IMG), on est amené à s'interroger sur la pression sociale qui s'exerce sur les parents, même à leur insu. La fondation Jérôme Lejeune considère ainsi que les politiques publiques en la matière relèvent de l'eugénisme déguisé, le fait même de proposer systématiquement le diagnostic donnant à la population le sentiment qu'il s'agit nécessairement d'une affection « d'une particulière gravité » (selon les termes de la loi de 1994) qui nécessite l'interruption de la grossesse.

Ceux qui considèrent que l'intérêt de l'enfant à naître est aussi important que l'autonomie des parents militent donc pour la fin du dépistage systématique de la trisomie. Votre rapporteur considère, pour sa part, qu'on ne peut imposer aux parents une charge qu'ils ne veulent pas assumer : dès lors que le droit à l'interruption volontaire de grossesse existe, comment refuser la possibilité de savoir, et la possibilité de recourir à la non-implantation (dans le cas du DPI) ou à l'IMG ? Mais il juge tout aussi essentiel de répondre aux inquiétudes légitimes portant sur un eugénisme déguisé sous forme de contrainte sociale en promouvant l'amélioration de l'accueil des enfants et des adultes handicapés ainsi que les recherches visant à soigner, et pas seulement à améliorer le diagnostic.

Si ne pas faire naître apparaît comme un droit problématique mais qui découle pourtant de l'autonomie des parents, le droit de faire naître, qui semble aller de soi, l'est parfois tout autant. Il est actuellement interdit d'implanter, chez la mère, les embryons préalablement conçus dans le cadre d'une procédure de PMA après le décès du père. Cette limite posée au projet parental est, à certains égards, particulièrement cruelle puisque la femme peut choisir la destruction des embryons, le don à la science ou le don à un couple stérile, mais ne peut pas donner elle-même naissance à ces enfants. Une autorisation d'implantation encadrée paraît donc à votre rapporteur plus respectueuse de la volonté des personnes.

3. Remettre l'humain au premier plan

Le respect de l'autonomie des personnes passe aussi par le souci de ne pas laisser la science se substituer à l'humain.

C'est ainsi, selon l'analyse de la professeure Irène Théry que partage votre rapporteur, qu'il convient d'analyser la demande des personnes issues d'une insémination avec donneur (IAD) qui réclament la levée de l'anonymat du don de gamètes.

Cette demande découle du refus de considérer que la pratique médicale de l'insémination avec donneur est absolument neutre du point de vue du développement de l'enfant. Malgré le travail de réflexion approfondie mené par les centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (Cecos) sur leurs pratiques et l'attention désormais portée au développement des enfants nés à la suite de cette procédure, la demande d'accès aux origines qui s'exprime semble légitime. Elle ne se limite pas à l'exigence de transparence qui caractérise de plus en plus nos sociétés, mais repose plutôt sur la reconnaissance du fait qu'un gamète utilisé dans le cadre d'une IAD n'est pas seulement un matériau scientifique mais un élément de transmission de l'humanité qui vient avec une histoire et qui est attaché à une personne. Votre rapporteur a été particulièrement touché par les témoignages de personnes nées à la suite d'une IAD et qui affirment ne pas vouloir être « la création des médecins ». Certains des enfants issus d'un don, du moins ceux qui le savent, sans doute la majorité, ne ressentent pas ainsi leur situation. Mais la demande de ceux qui y attachent une importance est légitime et doit être entendue. On atteint là la limite des pouvoirs de la médecine, qui ne peut pas décider seule de ce qui est l'intérêt de la personne. Bien que les équipes des Cecos les encouragent à informer leurs enfants des conditions de leur venue au monde, les parents restent libres de révéler ou non à l'enfant qu'il est né par IAD. Il est justifié que les enfants devenus majeurs et informés de l'IAD soient eux aussi libres de connaître ou non le donneur.


* 9 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 10 Chaque test requiert de prélever une cellule de l'organisme à un stade précoce de son évolution, lorsqu'il n'en comporte que huit. Cette exigence limite à deux le nombre de maladies dont on peut envisager le dépistage.

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