B. LA RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN PAR LA FRANCE

1. Une qualification rétroactive

Les massacres perpétrés contre les populations arméniennes en 1915 sont parfois présentés comme le premier génocide du XX ème siècle : dans une déclaration solennelle, les autorités françaises, russes et britanniques avaient, dès la perpétration des massacres, qualifiés ceux-ci de « crimes de lèse-humanité » dont les membres du Gouvernement les ayant ordonnés devraient être tenus pour responsables. Le principe de cette responsabilité pénale fut posée par les articles 226 à 230 du traité de Sèvres mais ce dernier ne fut jamais ratifié.

Toutefois, ce n'est qu'à l'issue de la Seconde guerre mondiale - et la perpétration de l'Holocauste - que les notions de crime contre l'humanité et de génocide sont officiellement reconnues comme des concepts juridiques autonomes et des infractions pénales à part entière : le crime contre l'humanité est ainsi défini pour la première fois par l'article 6-c du Statut du tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 3 ( * ) ; la notion de génocide fait quant à elle l'objet d'une reconnaissance officielle avec l'adoption, le 9 décembre 1948, de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide 4 ( * ) .

Les dispositions du code pénal français s'inspirent très largement des définitions retenues par les textes internationaux.

Ainsi l'article 211-1 du code pénal définit-il le génocide comme « le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants :

- atteinte volontaire à la vie ;

- atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique ;

- soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe ;

- mesures visant à entraver les naissances ;

- transfert forcé d'enfants ».

Le génocide, comme les autres crimes contre l'humanité, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité et est imprescriptible.

Le génocide est désormais défini par l'article 6 du statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998 comme « l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».

Pour l'essentiel, les éléments matériels constituant le crime de génocide ou les autres crimes contre l'humanité correspondent à des infractions réprimées par ailleurs par le code pénal (assassinat, tortures, violences, etc.). Ces crimes prennent la qualification de génocide ou de crime contre l'humanité en présence d'un élément moral spécifique : l'exécution d'une entreprise criminelle de grande envergure guidée par des motifs idéologiques et caractérisée par l'existence d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire.

En l'état actuel de la recherche historique, la qualification de génocide paraît pouvoir être appliquée rétroactivement aux massacres commis contre les populations arméniennes en 1915 : la simultanéité dans les meurtres, le caractère identique des méthodes employées, l' « inutilité » - sur un plan stratégique - des déportations mettent en évidence une planification visant à homogénéiser la population anatolienne plutôt qu'à éliminer une « cinquième colonne » 5 ( * ) .

Néanmoins, aucune organisation internationale ni aucune juridiction internationale ou française ne se sont jamais prononcées sur les responsabilités et la qualification des massacres ainsi perpétrés 6 ( * ) .

2. La reconnaissance officielle du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001

A partir des années 1960, la reconnaissance du génocide de 1915 par la Turquie et la communauté internationale a constitué une revendication portée tant par la diaspora arménienne que par l'Arménie soviétique, devenue depuis un Etat indépendant.

Depuis l'Uruguay en 1965, une quinzaine de parlements étrangers, le Parlement européen 7 ( * ) et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, entre autres, ont officiellement reconnu l'existence du génocide arménien, généralement par le recours à des résolutions parlementaires.

Au terme d'un long processus parlementaire, la France l'a quant à elle officiellement reconnu par la loi n°2001-70 du 29 janvier 2001 8 ( * ) .


* 3 Il est défini comme « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison avec ce crime ».

* 4 Qui la définit comme « l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».

* 5 « Génocide arménien : ce que l'on sait vraiment », Julien Gautier, « L'Histoire » n°315, décembre 2006.

* 6 En 1919 se tient certes à Constantinople le « procès des Unionistes », principaux responsables du génocide arménien, mais en l'absence de ceux-ci qui avaient pris la fuite. Ils furent condamnés à mort par contumace.

* 7 Par une résolution en date du 18 juin 1987, le Parlement européen a considéré que « les évènements tragiques qui se sont déroulés en 1915 contre les Arméniens établis sur le territoire de l'Empire ottoman constituent un génocide au sens de la convention pour la prévention et la répression de crime de génocide, adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 9 décembre 1948 » tout en reconnaissant cependant « que la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable du drame vécu par les Arméniens de l'Empire ottoman et [...] que la reconnaissance de ces évènements historiques en tant que génocide ne peut donner lieu à aucune revendication d'ordre politique, juridique ou matérielle à l'adresse de la Turquie d'aujourd'hui ».

* 8 Ni votre commission ni la commission des affaires étrangères du Sénat n'avaient été invitées à se prononcer sur ce texte qui avait fait l'objet d'une discussion immédiate, en application de l'article 30 du règlement de notre Assemblée, afin de surmonter les fortes réticences - motivées par des considérations juridiques et diplomatiques - du Gouvernement et de la Conférence des présidents du Sénat à inscrire à l'ordre du jour cette proposition de loi adoptée par les députés en mai 1998.

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