CHAPITRE II Mesures visant à promouvoir une consommation de qualité et à renforcer l'information et la protection du consommateur
Article 7  (Articles L. 115-1-1 et L. 115-2-1 [nouveaux], L. 115-4 et L. 115-16 du code de la consommation, L. 712-4, L. 721-1 et L. 722-1 du code de la propriété intellectuelle et L. 310-4 du code de commerce)  Extension de la protection des indications géographiques  aux produits non alimentaires

Commentaire : cet article étend la protection des indications géographiques aux produits autres qu'alimentaires, institue une obligation d'information des collectivités territoriales dans la procédure de dépôt de marque auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), et élargit les catégories de produits pouvant être vendus en magasins d'usine.

I. Le droit en vigueur

Le marquage de l'origine géographique pour les produits manufacturés, comme l'indication « Made in France », est purement facultatif . Les services des douanes se bornent à contrôler, sur la base de l'article 39 du code des douanes, que les marchandises ne comportent pas de marquage d'origine faux ou trompeur.

Le dispositif national de protection des appellations d'origine, qui existe depuis 1919, s'applique à tous les produits, y compris les produits autres qu'alimentaires . L'article L. 115-1 du code de la consommation en fixe le cadre, prévoyant qu'une reconnaissance de l'appellation d'origine intervient par décret, qui délimite notamment l'aire géographique concernée. Mais les appellations autres qu'alimentaires sont peu nombreuses car leur reconnaissance suppose un lien très fort avec le territoire : il faut que le produit soit originaire de la localité ou de la région et que la qualité du produit soit due au milieu naturel, comprenant les facteurs naturels et les facteurs humains. Plusieurs appellations anciennes existent encore, comme la poterie de Vallauris mais des demandes plus récentes de reconnaissance comme la porcelaine de Limoges n'ont pas pu aboutir car la matière première provient d'un territoire trop large.

La forme la plus aboutie de protection des indications géographiques qui existe aujourd'hui concerne les produits alimentaires , à travers les appellations d'origine contrôlée (AOC) et les indications géographiques protégées (IGP). Cette protection s'exerce dans un cadre spécifique, défini au niveau de l'Union européenne en 1992, et régi aujourd'hui par le règlement n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, et ses règlements d'application. Au niveau national, les articles L. 640-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime précisent les conditions de la reconnaissance des signes de l'origine et de la qualité et mettent en place une procédure spéciale, distincte de celle prévue par le code de la consommation.

C'est l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) qui est la cheville ouvrière du dispositif. Les demandes de reconnaissance d'AOC et d'IGP sont adressées à l'INAO par les organismes de défense et de gestion (ODG) des produits concernés. L'INAO propose la reconnaissance, sur la base d'un cahier des charges. L'enregistrement de l'AOC se fait ensuite au niveau européen. Le même mécanisme s'applique aux IGP.

II. Le texte initial

L'article 7 du projet de loi répond au besoin de protéger les indications géographiques pour les produits artisanaux. Le rapport intitulé « En finir avec la mondialisation anonyme » 89 ( * ) , rendu par M. Yves Jégo en mai 2010 avait d'ailleurs recommandé la mise en place d'un cadre juridique reconnaissant les IGP dans le secteur des produits manufacturés.

Les professionnels attendent de cette protection une meilleure valorisation de leurs produits auprès des consommateurs , attachés à l'authenticité et à la qualité de ce qu'ils achètent.

Le droit international permet une telle protection : l'article 22 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle (ADPIC), annexé à l'accord de Marrakech de 1994, prévoit en effet que les États peuvent instituer une protection pour des produits lorsque leur qualité, réputation ou autre caractéristique est attribuée essentiellement à leur origine géographique. Le droit européen n'y fait pas non plus obstacle.

Sans attendre que le droit européen organise cette reconnaissance des IGP non alimentaires, l'article 7, en introduisant un article L. 115-1-1 dans le code de la consommation, propose un dispositif national de reconnaissance et de protection assez simple, qui repose sur :

- une définition de l'IGP : il s'agit du nom d'une région ou d'un lieu permettant de désigner le produit qui y est fabriqué, et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées au lieu en question ;

- une procédure de reconnaissance : l'homologation par décret, pris après enquête publique et consultation des organisations ou groupements professionnels intéressés, d'un cahier des charges, qui définit la zone de production, les caractéristiques du produit ou son mode de fabrication, et les modalités de contrôle du respect de ce cahier des charges.

III. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a apporté des précisions au dispositif initial, introduit une possibilité nouvelle d'intervention des collectivités territoriales dans le cadre du dépôt de marques portant leur nom ou leurs signes distinctifs, et, enfin, ajouté des dispositions qui élargissent les catégories de produits disponibles en magasin d'usine.

Le dispositif initial du projet de loi concernant la protection des indications géographiques a été peu modifié : l'article L. 115-1-1 a été retouché pour préciser que, pour bénéficier d'une protection, il faut que soit réalisée dans une aire géographique déterminée soit la production, soit la transformation, soit l'élaboration, soit la fabrication du produit, mais pas son seul assemblage , comme le texte initial le prévoyait, car l'assemblage crée un lien trop ténu avec le territoire.

L'Assemblée nationale a apporté une modification plus importante en introduisant un 1° bis au II de l'article, qui opère une double modification en droit des marques :

- d'une part, les collectivités territoriales concernées doivent être informées de l'utilisation de leur nom ou signes distinctifs lors de tout dépôt de marque ;

- d'autre part, ces mêmes collectivités se voient attribuer un droit d'opposition au dépôt de marque , lorsqu'elles estiment que celui-ci porterait atteinte à leur nom, leur image ou leur renommée. Votre rapporteur note que l'atteinte au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale est déjà un obstacle au dépôt de marque, prévu par le h) de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle. Le texte introduit par l'Assemblée nationale ne donne pas de droit d'opposition absolu à la collectivité territoriale. Il permet simplement à la collectivité d'agir en amont en faisant connaître son opposition, alors qu'actuellement, elle ne peut agir qu'en aval en contestant la validité de la marque déposée .

Enfin, l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative de Mme Catherine Vautrin, un amendement concernant les magasins d'usine. L'article L. 310-4 du code de commerce prévoit que ne peuvent se prévaloir de la dénomination de magasin ou dépôt d'usine que les magasins appartenant à un producteur qui y écoule ses produits à moindre prix que les productions « de la saison antérieure ». La modification apportée consiste à étendre à l'ensemble des productions des saisons antérieures le champ des marchandises pouvant être vendues en magasin d'usine et à permettre également la vente dans ces magasins de productions similaires de qualité équivalente , pour favoriser la diversification de ces magasins.

IV. La position de votre commission

Votre commission est globalement en accord avec la volonté de mieux informer le consommateur en permettant de présenter le produit artisanal ou industriel assorti d'une indication géographique protégée. La portée de cette innovation résidera largement dans l'utilisation qui sera faite des IGP : une définition trop étroite des aires géographiques risquerait de priver du bénéfice de ce signe certaines productions artisanales de qualité qui le méritent, comme la porcelaine de Limoges, qui peut être peinte à Vierzon. A l'inverse, une définition trop large ferait perdre tout son sens au dispositif des IGP non alimentaires.

Votre rapporteur s'est interrogé sur l'intérêt d'étendre les missions de l'INAO aux produits non alimentaires . L'INAO assure en effet, en liaison avec les professionnels, la préparation des cahiers des charges et la gestion du système des appellations d'origine. Or, le dispositif proposé ne dit rien de la gestion de ce nouveau système de reconnaissance des IGP non alimentaires. On peut donc penser qu'il appartiendra plutôt aux services de la DGCCRF d'assurer le suivi des cahiers des charges et la préparation des décrets reconnaissant les IGP non alimentaires. Votre rapporteur considère qu'un fonctionnement séparé des IGP alimentaires et non alimentaires est dans un premier temps acceptable. Au demeurant, un amendement d'origine parlementaire attribuant à l'INAO une mission supplémentaire consistant à gérer les IGP non alimentaires aurait pu être jugé irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. La réflexion doit cependant se poursuivre sur ce point, car l'ingénierie technique dont dispose l'INAO en fait certainement l'organisme le plus à même d'exercer la mission de gestion des IGP non alimentaires.

Au I de l'article, un amendement a été adopté, sur proposition de votre rapporteur, pour supprimer l'avis de l'Autorité de la concurrence sur les décrets homologuant le cahier des charges des IGP. En effet, la mission de l'Autorité est de constater les atteintes à la concurrence lorsqu'elles se produisent, et elle n'a pas les moyens matériels d'assurer le contrôle a priori de l'ensemble des règles de concurrence.

Votre rapporteur s'est ensuite interrogé sur la pertinence du nouveau droit des collectivités d'intervenir dans la procédure de dépôt de marques . La marque se définit en droit comme un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale 90 ( * ) . Pour disposer d'un droit sur la marque, il est nécessaire de déposer une demande d'enregistrement auprès de l'INPI. Le dépôt de la demande ouvre une période de deux mois pendant laquelle toute personne intéressée peut formuler des observations 91 ( * ) . Dans ce même délai de deux mois, le titulaire d'une marque antérieurement enregistrée ou d'une marque non enregistrée mais notoirement connue, peut faire opposition à la demande d'enregistrement 92 ( * ) . L'INPI décide ensuite si la marque remplit les conditions pour être déposée et, si l'opposition éventuelle n'est pas fondée, l'INPI accepte l'enregistrement de la marque, qui offre une protection juridique pour 10 ans à son titulaire.

Le 1° bis du II ajouté à l'Assemblée nationale ne crée pas de droit de blocage des collectivités territoriales sur le dépôt de marque. Cette disposition leur permet simplement d'être informées et de faire connaître leur opposition . Les raisons pour lesquelles une opposition peut être retenue ne changent pas par rapport au droit existant : il s'agit de l'ensemble des cas dans lesquels la marque ne peut de toute façon pas être reconnue, énumérés à l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle. Une crainte subsiste : l'information des collectivités risque de créer une charge importante pour les demandeurs de reconnaissance de leur marque. Par ailleurs, cette procédure d'information des collectivités n'existe pas au niveau européen. Dès lors, on peut se demander si le dépôt de marques ne s'orientera pas plus fortement demain vers l'Office d'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), qui offre une protection dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Certes, le différentiel de coût reste important (280 euros environ au niveau national contre 900 euros au niveau communautaire), mais le coût du dépôt d'une marque nationale étant renchéri, l'écart se resserrerait.

Finalement, votre rapporteur a proposé de laisser le dispositif adopté par l'Assemblée nationale inchangé, à une exception près . Deux amendements identiques, l'un déposé par la commission des Lois et l'autre par votre rapporteur, ont été adoptés par la commission, pour restreindre l'obligation d'information des collectivités aux seuls cas où l'utilisation de leurs noms ou signes distinctifs serait faite à des fins commerciales, en supprimant, à l'alinéa 16, le mot « notamment ».

Enfin, votre rapporteur s'est inquiété des possibles conséquences de la protection d'une marque sur la possibilité d'exploiter un produit bénéficiant d'une IGP similaire. Ainsi, les nouveaux articles L. 115-1-1 et L. 115-2-1 du code de la consommation permettraient certainement de créer une IGP « couteaux de Laguiole ». Mais une marque Laguiole existant déjà, le titulaire des droits sur la marque pourrait se plaindre d'une violation de son droit de propriété intellectuelle pour les produits marqués par une telle IGP. L'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit déjà trois cas dans lesquels le droit exclusif conféré par la propriété de la marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire : lorsque la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne est utilisée depuis une date antérieure à l'enregistrement, lorsqu'un tiers de bonne foi emploie son nom patronymique et, enfin, lorsque la dénomination est utilisée pour désigner une référence nécessaire à l'indication de la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée et à condition qu'il n'y ait pas de confusion dans leur origine. Votre rapporteur propose de prévoir un nouveau cas, en précisant que les produits bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique protégée peuvent utiliser la dénomination de cette appellation ou indication, nonobstant l'existence du droit d'un tiers sur la marque .

Lors des débats en commission, le Gouvernement a estimé que le droit existant apportait déjà toutes les garanties nécessaires. Curieusement, il a aussi argumenté en sens inverse, exprimant ses craintes de voir les titulaires de marques déjà déposées fragilisés par l'exception ainsi introduite pour les produits sous IGP. Le rapporteur a alors accepté de retirer son amendement et de proposer un dispositif revu, dans le sens du plus grand consensus possible, lors de la discussion en séance publique.

Concernant l'assouplissement de la législation sur les magasins d'usine, celui-ci paraît assez logique, et n'est pas de nature à tromper le consommateur. Votre commission n'a donc pas apporté de modification au III de cet article.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 89 Rapport au Président de la République - En finir avec la mondialisation anonyme - La traçabilité au service des consommateurs et de l'emploi, Yves Jégo - Mai 2010.

* 90 Article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle.

* 91 Article L. 712-3 du même code.

* 92 Article L. 712-4 du même code.

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