II. L'IMPOSSIBLE TRANSPOSITION AU TRANSPORT AÉRIEN DE LA LOI DU 21 AOÛT 2007 RELATIVE AU TRANSPORT TERRESTRE

Reprenant parfois mot pour mot la loi du 21 août 2007, le présent texte tente de plaquer sur le secteur du transport aérien de passagers des dispositions prévues pour celui du transport terrestre de voyageurs. S'ils peuvent, au premier abord, sembler proches, ils diffèrent en fait assez largement dans leur organisation et leur fonctionnement, ce qui rend la présente proposition de loi inadaptée. D'autres réformes mériteraient d'être entreprises pour y pacifier le dialogue social, ce qui pourrait valablement faire l'objet d'un projet de loi précédé d'une concertation des acteurs concernés et des évaluations préalables nécessaires. Cela n'a malheureusement pas été le cas de ce texte.

A. UNE ERREUR DE DIAGNOSTIC : LES SPÉCIFICITÉS DU TRANSPORT AÉRIEN

1. Une organisation bien différente de celle du transport terrestre

Contrairement au transport terrestre de voyageurs, qui est une mission de service public opérée soit directement par des personnes publiques, soit par des personnes privées délégataires, le transport aérien est un secteur qui est, depuis le milieu des années 1990, complètement libéralisé . En application du règlement européen 2408/92/CEE du 23 juillet 1992, l'exploitation des liaisons aériennes se fait dans un cadre concurrentiel à l'exception des obligations de service public qu'un Etat peut imposer, de manière limitée, à certaines lignes desservant des régions périphériques ou présentant un caractère indispensable au développement économique du territoire en question. Cela s'applique notamment, en France, aux vols à destination des départements et collectivités d'outre-mer ainsi qu'à la Corse. Hormis ces destinations, les transporteurs aériens ne sont astreints à aucune contrainte de service public.

De plus, contrairement aux transports terrestres, dont les acteurs sont de grands opérateurs intégrés, le transport aérien est organisé comme une chaîne d'entreprises indépendantes les unes des autres, qui exercent chacune un métier spécifique et qui sont toutes nécessaires au succès d'un vol. Les agents de sûreté qui contrôlent les passagers dans les aéroports, les salariés des entreprises d'assistance en escale qui assurent l'entretien et le ravitaillement des avions ou encore la manutention des bagages ainsi que les pilotes et les personnels navigants commerciaux employés par les compagnies aériennes sont tous indispensables au bon fonctionnement de cette activité économique. Ils sont néanmoins tous régis par des statuts et des accords collectifs différents. Le dialogue social est inégalement développé selon les branches et les secteurs d'activité. Si, chez Air France, un dispositif d'alarme sociale existe et voit l'exercice du droit de grève par les organisations signataires précédé d'une négociation, ce n'est pas le cas dans les autres entreprises.

Un tel constat conduit à s'interroger sur la pertinence des dispositions de la présente proposition de loi au regard des spécificités du secteur dans lequel elle est supposée s'appliquer. Les nombreuses relations de sous-traitance qui existent sur les plates-formes aéroportuaires, la précarité de certains des salariés concernés ainsi que la concurrence exacerbée à laquelle se livrent les compagnies aériennes rendent toute comparaison avec le contexte dans lequel s'applique la loi d'août 2007 inopérante. En l'absence d'aspects communs, il serait vain de vouloir simplement recopier ce texte pour en étendre l'application au transport aérien de passagers. Comme l'a dit Christian Blanc, député des Yvelines et ancien président de la RATP et d'Air France, au rapporteur de la proposition de loi lors de son examen en séance publique par l'Assemblée nationale, « ce texte ne règle en rien les problèmes qui peuvent se poser et que vous voulez combattre » 5 ( * ) .

2. Des évolutions souhaitables pour réconcilier salariés et passagers

Porter un regard critique sur le texte proposé ne signifie pas être partisan de l'immobilisme en matière de dialogue social et de conditions de travail dans le secteur du transport aérien. Il appartient au contraire aux partenaires sociaux d'agir pour apaiser les tensions qui peuvent exister dans certaines professions et établir un cadre de négociation juste et équilibré. Il n'est pas nécessaire d'opérer une réforme radicale de ce secteur : ce sont par des actions de bon sens qu'une grande partie de la conflictualité souvent attribuée aux salariés de ce secteur pourra être résorbée.

Comme le montre le rapport d'information 6 ( * ) des députés Daniel Goldberg et Didier Gonzales sur la sûreté aéroportuaire de décembre 2011, c'est avant tout d'un manque de reconnaissance dont souffrent les agents de sûreté. Ils recommandent la meilleure intégration de ces derniers dans le milieu aéroportuaire et des mesures dont on peut légitimement s'étonner qu'ils n'en bénéficient pas déjà : accès à des « locaux décents », aux restaurants d'entreprise, amélioration de l'ergonomie des postes de travail. Les deux rapporteurs recommandent aussi de « rechercher une amélioration des relations des sociétés avec les donneurs d'ordre, en allongeant la durée des contrats de sous-traitance, en évitant la logique du moins disant ». Ils insistent également sur l'une des causes de la précarité des salariés : le renouvellement régulier des délégations et le changement de leur titulaire, qui ne s'accompagne pas forcément de la reprise des salariés du précédent délégataire. Ils invitent donc le Gouvernement à « engager une négociation avec les entreprises et les représentants des personnels sur la question de la reprise à 100 % des agents, lors de la perte d'un marché ».

Aucune de ces propositions ne nécessite l'intervention du législateur. C'est aux employeurs de comprendre qu'il est dans leur intérêt que leurs salariés, agents de sûreté ou prestataires d'autres services d'assistance en escale, soient mieux reconnus dans leur travail. Cette démarche améliorera grandement le climat social. Il faut cesser d'opposer ces personnels, qui ont recours au droit de grève pour défendre leurs revendications légitimes, et les voyageurs, qui peuvent avoir à en subir les conséquences. Les pilotes de ligne ne représentent qu'une minorité des salariés du transport aérien : il ne faut pas oublier tous ceux dont l'action est invisible ou parfois mal comprise du passager mais sans qui les avions ne décolleraient pas et dont le statut précaire ne leur permet pas de faire valoir efficacement leurs intérêts par un moyen autre que par la grève.


* 5 Deuxième séance du 24 janvier 2012, compte-rendu intégral publié au Journal Officiel, p. 359.

* 6 Sûreté aéroportuaire : le défi de l'adaptation aux risques, Daniel Goldberg et Didier Gonzales, rapport d'information n° 4068, commission du développement durable de l'Assemblée nationale, décembre 2011.

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