B. 1,2 MILLIARD D'EUROS D'ANNULATIONS « SÈCHES » QUI HYPOTHÈQUENT LA FIN DE GESTION

1. Des annulations significatives, concentrées... et soutenables ?

Les annulations de crédits sur le budget général atteignent 2,1 milliards d'euros hors remboursements et dégrèvements 109 ( * ) . Deux annulations spécifiques doivent être retranchées de ce montant global :

1) 0,7 milliard d'euros sont annulés sur la mission « Engagements financiers de l'Etat » en conséquence d'une charge de la dette moindre que prévu. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, la baisse des taux directeurs de la Banque centrale européenne intervenue fin 2011 (50 points de base au total) a porté les taux courts à des niveaux inférieurs aux hypothèses retenues pour l'élaboration du PLF 110 ( * ) . Le Gouvernement tire donc les conséquences de cette détente, sans toutefois en engranger la totalité des bénéfices , estimés à 1,3 milliard d'euros d'économies potentielles. Cette attitude prudente est justifiée par la forte volatilité des taux constatée ces derniers mois et les incertitudes affectant toujours les marchés, qui ne permettent pas d'exclure totalement l'éventualité d'une remontée des taux ;

2) 0,2 milliard d'euros sont annulés sur la mission « Recherche et enseignement supérieur », afin de gager partiellement les ouvertures de crédits de la mission « Economie », correspondant à la création de la Banque de l'industrie ( cf. supra ).

Retraitées de ces deux mouvements, les annulations au titre du budget général atteignent donc 1,2 milliard d'euros , soit, selon le Gouvernement, un « effort très significatif de réduction des dépenses de l'Etat » . Elles sont réparties sur vingt-sept missions du budget général et pèsent plus lourdement sur trois d'entre elles : les missions « Défense » (321,6 millions d'euros), « Ecologie, développement et aménagement durables » (187,8 millions d'euros) et « Engagements financiers de l'Etat » (120 millions d'euros) concentrent ainsi plus de la moitié des annulations totales (53 %). La mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines contribue également de manière significative, avec 110,4 millions d'euros de crédits annulés, soit 9 % du total.

La quasi-totalité des 1,2 milliard d'euros de crédits annulés relève de la réserve de précaution constituée en début d'année, à l'exception :

1) des 120 millions d'euros annulés sur la mission « Engagements financiers de l'Etat », rendus disponibles par une révision à la baisse des dépenses de primes d'épargne-logement ;

2) de 38 millions d'euros annulés sur le programme « Entretien des bâtiments de l'Etat » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». Cette marge de manoeuvre semble résulter de la décorrélation habituellement observée entre les crédits du programme (tirés des loyers budgétaires) et ses dépenses effectives 111 ( * ) .

Ainsi que l'avait annoncé le Gouvernement, la réserve de précaution a été majorée en 2012. Les crédits hors personnel ont été gelés à hauteur de 6 % au lieu de 5 % en 2011 , le gel demeurant fixé à 0,5 % sur les crédits de titre 2. En application de ces taux, la réserve dite « théorique » atteignait 8,2 milliards d'euros en AE et 7,9 milliards d'euros en CP en début de gestion. Ce montant a été augmenté de 125 millions d'euros au titre de deux mises en réserves spécifiques destinées au « Fonds Etat exemplaire » et à des mesures en faveur de l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, puis diminué de 969 millions d'euros correspondant aux parts des subventions aux opérateurs rémunérant leurs charges de personnel.

La réserve dite « initiale » était donc de 7,3 milliards d'euros en AE et 6,8 milliards d'euros en CP début 2012 ( cf . tableau). Sur ce montant, 1,055 milliard d'euros fait l'objet d'une annulation « sèche » dans le cadre du présent collectif.

La réserve de précaution en 2012

(en millions d'euros)

Source : réponses au questionnaire

Une annulation d'une telle ampleur et opérée dès le début de l'exercice est inédite et suscite des interrogations . En effet, la réserve de précaution est traditionnellement utilisée comme un stock de crédits rendus indisponibles pour les gestionnaires et ayant vocation à être redéployés pour faire face à d'éventuels aléas au cours de l'exécution. C'est donc prioritairement au sein de cette réserve que le Gouvernement « puise » pour compenser les ouvertures de crédits supplémentaires opérées en décret d'avance ou en loi de finances rectificative.

La réserve de précaution en 2010 et 2011

(en millions d'euros)

Source : réponses au questionnaire

Le tableau qui précède indique que l'immense majorité des crédits de la réserve de précaution ont, en 2010 comme en 2011, été mobilisés à des fins de redéploiement en décret d'avance et en LFR, et non pour réaliser des économies nettes. En conséquence, la réserve résiduelle - dans laquelle on peut supposer qu'ont été opérées des annulations sèches - n'a atteint que 114 millions d'euros en CP en 2010 et 228 millions d'euros en 2011, soit un montant très inférieur aux annulations proposées par le Gouvernement dans le cadre du présent projet de loi.

Ces observations conduisent naturellement à s'interroger sur la soutenabilité des annulations proposées . Dans la mesure où la norme zéro valeur a déjà vocation à mettre les dépenses de l'Etat sous tension et à inciter à calibrer au plus juste les crédits des programmes, il n'est pas exclu que le coup de rabot supplémentaire proposé par le Gouvernement conduise à des impasses en fin de gestion et contraigne soit à des réouvertures de crédits en collectif de fin d'année, soit à des reports de charges sur l'exercice suivant. Cette crainte apparaît d'autant plus fondée que les missions du budget général ont déjà subi, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, des réductions de crédits de l'ordre de 1,1 milliard d'euros , dans le cadre des mesures dites « de redressement ».

Le Gouvernement fait valoir que les annulations ont été réparties en concertation avec les gestionnaires et modulées en fonction de la capacité contributive des programmes. Auraient ainsi été exonérés les programmes relevant de politiques prioritaires du Gouvernement (recherche) ou porteurs de dépenses inéluctables. Cette répartition s'accommode paradoxalement d'explications très laconiques sur la ventilation précise des annulations, qui empêchent le Parlement de statuer en toute connaissance de cause . Au reste, il semble que certains responsables de programme n'aient pas, à ce stade, une connaissance exacte des enveloppes qui supporteront les annulations.

Certes, les crédits gelés sont considérés comme indisponibles par les gestionnaires dès la programmation initiale et les contrôleurs budgétaires et comptables ministériels sont censés veiller à ce qu'aucune dépense obligatoire ne soit intégrée au périmètre faisant l'objet du gel. Ces précautions ne semblent toutefois pas avoir suffi à empêcher, par le passé, que certains gestionnaires organisent l'insoutenabilité du gel de leurs crédits en y incluant des dépenses inéluctables, contraignant ainsi le ministère du budget à leur octroyer des « rallonges » en fin d'exercice...

En tout état de cause, le fait de vider la réserve d'une partie de sa substance dès le début de l'année hypothèque la fin de gestion en réduisant les marges de manoeuvre futures du Gouvernement pour faire face à d'éventuels aléas , tels que des dérapages sur les dépenses de guichet ou les dépenses de rémunération, comme il a pu en être constaté au cours des derniers exercices. Les annulations proposées par le Gouvernement relèvent, en somme, d'un pari sur l'avenir, avenir qui - il est vrai - ne paraît jamais aussi lointain et incertain que quand des échéances électorales nationales s'intercalent entre le début et la fin de l'exécution budgétaire...


* 109 Ce montant n'inclut pas le redéploiement de 432 millions d'euros au sein de la mission « Travail et emploi », qui ne donne lieu à aucune écriture budgétaire ».

* 110 0,2 % début 2012 contre une hypothèse de 1 % en début d'année et 1,4 % en moyenne annuelle.

* 111 La dotation du programme est constituée des contributions des administrations occupant des immeubles appartenant à l'État, calculées sur la base des loyers budgétaires dont elles sont redevables. Les ressources du programme sont, par conséquent, constantes d'une année à l'autre, alors que les opérations d'entretien des bâtiments de l'État s'inscrivent dans une perspective pluriannuelle.

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