B. UNE EXIGENCE ÉCONOMIQUE

1. L'objectif : convaincre que la dette va s'éloigner de la « zone dangereuse » des 100 points de PIB

Si l'on excepte le cas de la Grèce, la crise de la zone euro s'explique par des augmentations autoréalisatrices des taux d'intérêts auxquels se financent certains Etats (Irlande, Portugal, Espagne, Italie).

En effet, un Etat dont la dette approche 100 points de PIB doit payer une charge d'intérêt insoutenable dès lors que le taux d'intérêt moyen sur sa dette dépasse un certain seuil. Il est bien évident qu'aucun Etat ne peut consacrer chaque année, par exemple, 10 % de son PIB à rémunérer ses créanciers (ce qui serait le cas d'un Etat avec une dette de 100 points de PIB à un taux moyen de 10 %).

Pour éviter ce danger, le pacte de stabilité invite les Etats à ramener la dette en dessous du seuil de 60 points de PIB.

La règle de solde structurel du TSCG permet d'atteindre cet objectif. Elle consiste à ramener le déficit structurel à 0,5 point de PIB tant que la dette est supérieure à 60 points de PIB, et 1 point de PIB ensuite, et même 1,5 point si l'on considère que, selon le volet « préventif » du pacte de stabilité, il y aurait dérapage par rapport à la trajectoire de solde structurel seulement en cas d'écart d'au moins 0,5 point de PIB.

Autrement dit, à long terme, le déficit structurel serait de 1 à 1,5 point de PIB. Sur longue période, le déficit structurel est égal au déficit effectif, de sorte que cela correspond à un déficit effectif de 1 à 1,5 point de PIB en moyenne. On calcule 3 ( * ) qu'avec une croissance du PIB de 3,5 % en valeur (ce qui correspond par exemple à une croissance potentielle de 1,5 % + une inflation de 2 %), un déficit effectif de 1 ou 1,5 point de PIB tend progressivement à stabiliser la dette à respectivement 30 ou 45 points de PIB.

Le graphique ci-après permet d'illustrer le phénomène.

Deux trajectoires de dette publique avec une dette publique initiale  de 90 points de PIB

(en points de PIB)

Hypothèse de croissance du PIB de 3,5 % en valeur.

Source : calculs de la commission des finances

2. La France n'a pas un bon « palmarès » en matière de respect de ses programmations

La France n'a pas un bon « palmarès » en matière de respect de ses programmations et l'adoption de nouvelles règles est conçue pour contribuer à une plus grande discipline à l'avenir.

Tel est ce que montre le graphique ci-après, que la commission des finances actualise régulièrement dans ses rapports depuis 2006.

Le solde public : programmation et exécution

(en points de PIB)

Source : commission des finances, d'après les documents indiqués

On observe certes un progrès récent, la France ayant respecté sa trajectoire de solde en 2010 et en 2011. Toutefois ces deux années ont été marquées par des phénomènes exceptionnels (en particulier la fin du plan de relance), et ne suffisent pas à bâtir une crédibilité.

3. La règle de « frein à la dette » adoptée par l'Allemagne

a) De la « règle d'or » au « frein à la dette »

De la fin des années 1960 à la récente révision de sa Loi fondamentale, l'Allemagne a appliqué la « règle d'or » inscrite à l'article 115 de cette dernière, consistant en ce que le déficit public n'excède pas le montant de l'investissement public brut. Il était toutefois explicitement prévu que cette règle ne s'applique pas en cas de perturbation de l'équilibre macroéconomique. Faute de définition suffisamment restrictive de cette notion, cette règle ne s'est pas appliquée en bas de cycle. Par ailleurs, en haut de cycle, elle était peu rigoureuse puisqu'elle permettait une aggravation du déficit structurel, « masquée » par la forte croissance. Ainsi, l'endettement de l'Etat fédéral est passé de 17,5 points de PIB en 1970 à 67,9 points de PIB en 2006.

L'Allemagne a donc à nouveau révisé sa Loi fondamentale, en août 2009. Elle a pour cela modifié, outre son article 115 précité, ses articles 109, 109a et 143d. La règle instituée est dénommée « frein à la dette » ( Schuldenbremse ).

L'encadré ci-après reproduit les dispositions concernées. On voit qu'il s'agit de clauses très précises, qui auraient en France plutôt leur place dans une loi organique, voire une loi ordinaire.

La Loi fondamentale allemande : extraits

Article 109 [Politique budgétaire de la Fédération et des Länder]

(1) La Fédération et les Länder sont autonomes et indépendants les uns des autres dans leur gestion budgétaire.

(2) La Fédération et les Länder accomplissent ensemble les obligations de la République fédérale d'Allemagne qui résultent des actes juridiques de la Communauté européenne pris sur le fondement de l'article 104 du traité créant la Communauté européenne en vue de respecter la discipline budgétaire et dans ce cadre ils tiennent compte des exigences de l'équilibre de l'ensemble de l'économie.

(3) Les budgets de la Fédération et des Länder doivent être par principe équilibrés sans les recettes provenant des emprunts . La Fédération et les Länder peuvent prévoir des règles tendant à prendre en compte de façon symétrique en période de croissance et de récession les effets d'une évolution anormale de la conjoncture ainsi que des règles exceptionnelles en cas de catastrophe naturelle ou de situations exceptionnelles d'urgence qui échappent au contrôle de l'État et qui compromettent considérablement les finances publiques. Pour les règles exceptionnelles, des règles corrélatives de remboursement doivent être prévues. Pour le budget fédéral, l'article 115 fixe les modalités de ces règles, étant entendu qu'il est satisfait à la phrase 1 lorsque les recettes provenant des emprunts ne dépassent pas 0,35 pour cent du produit national brut . Pour les budgets des Länder, ceux-ci fixent les règles dans le cadre de leurs compétences constitutionnelles, étant entendu qu'il n'est satisfait à la phrase 1 que si aucune recette provenant d'emprunts n'est admise.

(4) Une loi fédérale requérant l'approbation du Bundesrat peut établir pour la Fédération et les Länder des principes communs de droit budgétaire, de politique budgétaire conjoncturelle et de planification financière pluriannuelle.

(5) Les mesures de sanction de la Communauté européenne, prises dans le cadre de l'article 104 du traité créant la Communauté européenne pour assurer le respect de la discipline budgétaire, sont supportées par la Fédération et les Länder dans la proportion de 65 à 35. L'ensemble des Länder supporte solidairement 35 pour cent des charges incombant aux Länder, en proportion du nombre de leurs habitants ; 65 pour cent des charges incombant aux Länder sont supportés par les Länder au prorata de leur contribution aux actes sanctionnés. Une loi fédérale requérant l'approbation du Bundesrat fixe les modalités.

Article 109 a [Conseil de stabilité]

Pour prévenir des situations de crise budgétaire, une loi fédérale requérant l'approbation du Bundesrat fixe :

1. Le contrôle permanent de la gestion (ou politique) budgétaire de la Fédération et des Länder par un organisme collégial commun (Conseil de stabilité),

2. Les conditions et la procédure de déclaration d'une menace de crise budgétaire,

3. Les principes d'établissement et d'exécution des programmes d'assainissement en vue de prévenir les situations de crise budgétaire.

Les décisions du Conseil de stabilité et les expertises qui sont à leur base doivent être publiées.

Article 115 [Recours à l'emprunt]

(1) La souscription d'emprunts ainsi que les engagements sous forme de cautions, de garanties ou de sûretés de toute nature, qui pourraient engendrer des dépenses pour les exercices futurs, doivent être autorisés par une loi fédérale qui en fixe ou permet d'en fixer le montant.

(2) Recettes et dépenses doivent être équilibrées sans recettes provenant d'emprunts. Ce principe est satisfait si les recettes provenant d'emprunts ne dépassent pas 0,35 pour cent du produit national brut nominal. De plus, en cas d'évolution de la conjoncture s'écartant de la situation normale, les effets sur le budget en période de croissance et de récession doivent être traités de façon symétrique. Lorsque les opérations effectives d'emprunt s'écartent de la limite maximale fixée par les phrases 1 à 3, elles doivent être inscrites sur un compte de contrôle ; les endettements qui dépassent le seuil de 1,5 pour cent du produit national brut nominal doivent être réduits conformément à la conjoncture. La loi fédérale fixe les modalités, en particulier l'apurement des recettes et des dépenses relatives aux transactions financières et la procédure de calcul de la limite supérieure du montant net des emprunts annuels à la lumière de l'évolution de la conjoncture sur la base d'une procédure d'apurement conjoncturel ainsi que le contrôle et la réduction des écarts entre les opérations effectives d'emprunt et la limite fixée. En cas de catastrophe naturelle ou de situation d'urgence exceptionnelle qui échappent au contrôle de l'État et compromettent considérablement les finances publiques, ces limites supérieures de l'emprunt peuvent être dépassées sur décision de la majorité des membres du Bundestag . La décision doit être liée à l'établissement d'un plan d'amortissement . Le remboursement des emprunts contractés en application de la phrase 6 doit intervenir dans un délai raisonnable .

Article 143 d [Dispositions transitoires relatives aux emprunts]

(1) Les articles 109 et 115 dans leur rédaction en vigueur jusqu'au 31 juillet 2009 doivent être appliqués pour la dernière fois à l'année budgétaire 2010. Les articles 109 et 115 dans leur rédaction valable à partir du 1er août 2010 seront appliqués pour la première fois à l'année budgétaire 2011 ; les autorisations d'emprunt existant au 31 décembre 2010 pour des patrimoines spéciaux déjà constitués ne sont pas concernées. Les Länder peuvent dans la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2019 déroger aux exigences de l'article 109, al. 3, en se conformant aux règles en vigueur dans les Länder. Les budgets des Länder doivent être établis de telle façon que les exigences de l'article 115, al. 2, phrase 2 soient satisfaites durant l'année budgétaire 2020. La Fédération peut déroger du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2015 aux exigences de l'article 115, al.2, phrase 2. La suppression du déficit existant doit commencer avec l'année budgétaire 2011. Les budgets annuels doivent être établis de telle façon que les exigences de l'article 115, al. 2, phrase 2 soient satisfaites en l'année budgétaire 2016 ; la loi fédérale fixe les modalités.

(2) Comme aide au respect des exigences de l'article 109, al. 1 à partir du 1er janvier 2020, les Länder de Berlin, Brême, la Sarre, de la Saxe-Anhalt et du Schleswig-Holstein peuvent, pour la période 2011-2019, recevoir du budget de la Fédération des aides au rééquilibrage d'un montant de 800 millions d'euros par an. De cette somme il revient à Brême 300 millions d'euros, à la Sarre 260 millions d'euros et à Berlin, à la Saxe-Anhalt et au Schleswig-Holstein chacun 80 millions d'euros. Les aides sont versées sur la base d'un accord administratif conformément à une loi fédérale requérant l'approbation du Bundesrat. L'attribution d'aides suppose une suppression complète des déficits financiers avant la fin de l'année 2020. Une loi fédérale requérant l'approbation du Bundesrat et un accord administratif fixent les modalités, notamment les étapes de réduction annuelle des déficits financiers jusqu'à la fin de l'année 2020, la surveillance de la suppression des déficits financiers par le Conseil de stabilité ainsi que les conséquences en cas de non-respect des étapes de la suppression des déficits. Il est exclu d'attribuer simultanément des aides au rééquilibrage et des aides d'assainissement fondées sur une situation de crise financière extrême.

(3) La charge financière résultant de l'attribution d'aides au rééquilibrage est supportée par moitié par la Fédération et les Länder, ces derniers par prélèvement sur leur part d'impôts sur le chiffre d'affaires. Une loi fédérale requérant l'approbation du Bundesrat fixe les modalités.

Source : Traduction de la Loi fondamentale par le Bundestag

La révision de l'article 109a instaure un conseil de stabilité, composé du ministre fédéral des finances, du ministre fédéral de l'économie et des 22 ministres des finances des Länder, chargé de suivre l'exécution des budgets de l'Etat fédéral et de chaque Land, et de jouer un rôle de comité d'alerte.

b) Une règle constitutionnelle définie en termes de solde structurel et fixant des objectifs chiffrés

Le frein à la dette ne porte pas l'ensemble des administrations publiques, mais seulement celles qui représentent un enjeu suffisamment important. Il se limite en effet à l'Etat fédéral et aux Länder, mais ne concerne ni les communes ni les organismes de sécurité sociale, dont la capacité d'endettement est faible.

Le frein à la dette repose sur deux obligations :

- à compter de 2016, le déficit structurel de l'Etat fédéral devra être inférieur ou égal à 0,35 point de PIB 4 ( * ) ;

- à compter de 2020, les comptes des Länder devront être à l'équilibre structurel 5 ( * ) .

L'application de la règle peut être suspendue en cas de circonstances exceptionnelles.

L'Allemagne ayant, contrairement à la France, un déficit public déjà faible (1 point de PIB en 2011 6 ( * ) ), son problème est moins de savoir comment atteindre ses objectifs que d'assurer le respect de la règle en « régime de croisière ». Pour cela, il est prévu qu'à compter de 2016, les écarts constatés, pour le budget de l'Etat fédéral, entre le déficit structurel plafond (0,35 point de PIB) et le déficit structurel réalisé sont enregistrés sur un compte notionnel de contrôle. Dès lors que l'excédent de déficit structurel cumulé atteindrait un certain seuil, des mesures d'apurement des écarts ainsi stockés devraient être prises, dans la limite de 0,35 point de PIB par an et seulement si l'économie est en phase haute du cycle (afin d'éviter un resserrement budgétaire procyclique).

Le recours à un objectif de solde structurel implique que la méthodologie de calcul de celui-ci soit précisément définie. Contrairement à ce qui est le cas en France, il ne paraît pas y avoir de polémique en Allemagne à ce sujet. Concrètement, l'Allemagne a retenu une méthodologie s'alignant autant que possible sur les pratiques communautaires, en particulier en ce qui concerne l'estimation de la production potentielle.


* 3 Pour des niveaux de dette et de croissance du PIB donnés, il existe un niveau de déficit total (charge d'intérêts comprise) qui permet de stabiliser la dette exprimée en points de PIB. Ce déficit est dit « déficit stabilisant ». Ce phénomène a priori peu intuitif résulte de deux mécanismes jouant en sens inverse : d'une part, la croissance du PIB tend à faire diminuer la dette en points de PIB ; d'autre part, un déficit public donné augmente la dette d'un montant équivalent. Le déficit stabilisant se définit donc par la formule : déficit stabilisant en points de PIB = dette publique de l'année antérieure (en points de PIB) × croissance du PIB en valeur (en %)/100.

* 4 Comme le déficit public au sens du traité de Maastricht est exprimé selon les normes de la comptabilité nationale, pour l'application de la norme le solde de l'Etat fédéral au sens de la comptabilité budgétaire est corrigé du solde des opérations financières. Ainsi, les recettes de privatisation et les prêts publics ne sont pas pris en compte pour l'application de la règle.

* 5 Les Länder doivent inclure un frein à la dette dans leur constitution. Les Länder les plus pauvres (Brême, Berlin, la Sarre, la Saxe-Anhalt et le Schleswig-Holstein) recevront une aide financière.

* 6 Commission européenne, prévisions du printemps 2012.

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