D. UNE PROBABLE ABSENCE DE CONTRÔLE DE LA CONFORMITÉ DES LOIS AU TSCG OU AU  TWO-PACK

1. Un « contrôle de conventionalité » ou de conformité de la loi au droit communautaire dérivé effectué par le Conseil constitutionnel seulement dans des cas particuliers

A moins d'une évolution de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel n'examinera pas la conformité des lois de finances au TSCG ou au droit communautaire dérivé (ce qui concerne en particulier l'exigence de prévisions macroéconomiques « indépendantes » prévues par la proposition de règlement précitée, en cours de discussion).

Certes, le Conseil constitutionnel reconnaît la primauté des traités internationaux et du droit communautaire dérivé par rapport à la loi. En particulier, dans sa décision n° 77-90 DC du 30 décembre 1977 sur la dernière loi de finances rectificative pour 1977, il a considéré que les dispositions de la loi appliquant le règlement communautaire n° 1111-77 du 17 mai 1977, instaurant un prélèvement à l'importation et une cotisation à la production d'isoglucose, correspondaient à des engagements « entrés dans le champ de l'article 55 de la Constitution » 22 ( * ) , et que les dispositions législatives les appliquant étaient constitutionnelles.

Cependant, il effectue un « contrôle de conventionalité » ou de conformité au droit communautaire dérivé seulement dans des circonstances très spécifiques. Concrètement, une loi autorisant la ratification d'un traité ne peut être contraire à celui-ci, de même qu'il résulte de l'article 88-1 de la Constitution 23 ( * ) qu'une loi transposant une directive doit s'y conformer (à moins d'une disposition expresse contraire de la Constitution) 24 ( * ) .

2. Une probable absence de contrôle par le Conseil constitutionnel de la conformité des lois de finances au TSCG ou au droit communautaire dérivé

Rien ne permet donc de supposer que le Conseil constitutionnel examinera si une loi de finances a été adoptée conformément au TSCG ou au règlement communautaire précité actuellement en cours de discussion (et en particulier, dans ce dernier cas, à l'exigence de prévisions macroéconomiques « indépendantes »).

Certes, dans le considérant 18 de sa décision n° 2012-653 DC du 9 août 2012, le Conseil constitutionnel rappelle que, conformément à l'article 55 de la Constitution, le législateur devra respecter le TSCG lors de l'adoption des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale 25 ( * ) . Toutefois il s'agit d'un simple rappel de sa jurisprudence actuelle. Par ailleurs, il indique explicitement, dans le même considérant, que, selon lui, l'article 3 du TSCG ne s'applique pas directement, mais prend effet seulement en vertu de dispositions de droit national 26 ( * ) .

De même, le considérant 27 de la décision précitée n'implique pas que le Conseil constitutionnel examinera la conformité des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale aux lois de programmation des finances publiques ou au présent projet de loi organique. Le Conseil constitutionnel se contente en effet de rappeler qu'il contrôle la sincérité des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale - ce qui est le cas depuis 1993 -, et d'indiquer qu'il prendra pour cela en compte l'avis du HCFP 27 ( * ) , ce qui concrètement semble essentiellement concerner les hypothèses de croissance.

Comme le soulignait en 2010 Claire Bazy-Malaurie, membre du Conseil constitutionnel, et ancienne présidente de chambre et rapporteur général à la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel, se refusant à entrer dans un « débat d'expert », se contente de vérifier l'absence d'« erreur manifeste ».

Le principe de sincérité des lois de finances tel qu'interprété  par le Conseil constitutionnel

« Car si le principe de sincérité a été consacré dans les textes par la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001, il est né au Conseil Constitutionnel en 1993.(...)

Mais le Conseil Constitutionnel n'a encore jamais pris le parti de dénier à la loi de finances ou à la loi de financement leur caractère sincère. On peut citer à ce stade les considérants de la décision concernant la loi de finances pour 2010 en matière de dépenses :

7. Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, d'apprécier le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement votés ; qu'à les supposer établies, les insuffisances dénoncées ne sont pas manifestement incompatibles avec les besoins prévisibles ; ...

En outre, le Conseil constitutionnel ne veut pas entrer, comme il l'a dit, dans un « débat d'expert ». Ainsi, dès 2001, sur la loi de finances pour 2002, il refusait de mettre en cause l'évaluation des recettes fiscales :

« considérant qu'il ne ressort pas des éléments soumis au Conseil constitutionnel que les évaluations de recettes pour 2002 prises en compte à l'article d'équilibre soient entachées d'une erreur manifeste, compte tenu des aléas inhérents à leur évaluation et des incertitudes particulières relatives à l'évolution de l'économie en 2002 ; » (...)

Dernier point : la Constitution ayant en 2008 inscrit la sincérité des comptes publics parmi les obligations de niveau constitutionnel 28 ( * ) , il reviendra sûrement au Conseil de donner du corps dans les années qui viennent à cette obligation, par-delà une première décision intervenue en juin 2009 sur la loi de règlement du budget pour 2008. »

Source : Claire Bazy-Malaurie, membre du Conseil constitutionnel, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière budgétaire et financière », intervention à l'occasion d'un déplacement au Conseil constitutionnel du Maroc, le 18 octobre 2010

Le considérant 27 précité ne devrait donc pas avoir de portée pratique. En particulier, les textes financiers pourront toujours reposer sur des hypothèses de croissance se situant dans le haut des prévisions des conjoncturistes (comme c'est systématiquement le cas depuis quinze ans).

Par ailleurs, la « sincérité » de ces textes n'implique pas le respect de la règle de solde structurel, juridiquement non contraignante, prévue par le présent projet de loi organique.


* 22 Selon l'article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».

* 23 Article 88-1 de la Constitution : « la République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».

* 24 Sur les transpositions de directive, cf. en particulier les décisions n° 2004-497 DC du 01 juillet 2004 - Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ; n° 2004-498 DC du 29 juillet 2004 - Loi relative à la bioéthique ; n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 - Loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 - Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information ; n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006 - Loi relative au secteur de l'énergie ; n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 - Loi relative aux organismes génétiquement modifiés ; n° 2010-605 DC du 12 mai 2010 - Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

* 25 « 18. Considérant que, dès lors que la France aura ratifié le traité et que celui-ci sera entré en vigueur, les règles figurant au paragraphe 1 de l'article 3 s'imposeront à elle ; que la France sera, en application de la règle « Pacta sunt servanda », liée par ces stipulations qu'elle devra appliquer de bonne foi ; que la situation budgétaire des administrations publiques devra être en équilibre ou en excédent dans les conditions prévues par le traité ; que celui-ci aura, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois ; qu'il appartiendra aux divers organes de l'État de veiller dans le cadre de leurs compétences respectives à l'application de ce traité ; que le législateur sera notamment tenu d'en respecter les stipulations lors de l'adoption des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale (...) ».

* 26 « Considérant (...) que le paragraphe 2 de l'article 3 impose, en outre, que soient adoptées des dispositions dans le droit national pour que les règles énoncées au paragraphe 1 de cet article prennent effet (...) ».

* 27 « 27. Considérant que le Conseil constitutionnel est chargé de contrôler la conformité à la Constitution des lois de programmation relatives aux orientations pluriannuelles des finances publiques, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ; que, saisi dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, il doit notamment s'assurer de la sincérité de ces lois ; qu'il aura à exercer ce contrôle en prenant en compte l'avis des institutions indépendantes préalablement mises en place ; »

* 28 Le rapporteur rappelle que, selon l'article 47-2 de la Constitution, « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».

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