ARTICLE 14 (Art. 150-0 D et art. 167 bis du code général des impôts) : Prévention des schémas d'optimisation fiscale dits de « donation-cession » de titres de sociétés

Commentaire : le présent article vise à mettre un terme aux montages d'optimisation fiscale de donation-cession.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA TAXATION DES PLUS-VALUES DES TITRES TRANSMIS À TITRE GRATUIT

L'imposition des plus-values mobilières est régie par l'article 150-0 A du code général des impôts. Ces modalités d'imposition devraient d'ailleurs évoluer prochainement puisque l'article 6 du projet de loi de finances pour 2013, en cours d'examen par le Parlement, prévoit que les plus-values mobilières, actuellement frappées par un impôt forfaitaire de 19 % 130 ( * ) , seront soumises au barème de l'impôt sur le revenu à compter du 1 er janvier 2013. Le fait générateur de cette imposition résulte du transfert de propriété, à titre onéreux , des valeurs mobilières, droits sociaux ou droits assimilés. Par ailleurs, le nouveau régime d'imposition des plus-values mobilières devrait prévoir l'application d'un abattement pour durée de détention augmentant de façon progressive et pouvant atteindre 40 % au-delà de six ans.

Par ailleurs, lorsque ces titres cédés ont, préalablement à la cession, fait l'objet d'une donation, le prix de revient des titres pour le calcul de la plus-value est actuellement leur valeur au jour de la donation, en application de l'article 150-0 D du code général des impôts. Le transfert de propriété à titre gratuit , via une donation ou un don manuel 131 ( * ) , ne constitue pas un fait générateur de taxation à l'impôt sur le revenu ou aux prélèvements sociaux. La taxation des titres transmis dans le cadre d'une donation ou d'une succession relève des seuls droits de mutation à titre gratuit (DMTG). Elle est assise sur la valeur vénale des titres au jour de la mutation, réduite des abattements applicables en matière de DMTG (art. 750 ter et suivants du code général des impôts).

B. LA DONATION-CESSION : UN ABUS DE DROIT ?

1. La donation-cession et ses conséquences

La donation-cession consiste à donner des titres à des proches (enfants notamment), avant leur cession à brève échéance par les donataires pour leur valeur au jour de la donation .

Ainsi, alors qu'une cession à titre onéreux suivie d'une donation du produit de leur cession implique une imposition à l'impôt sur le revenu sur la plus-value de cession, puis aux DMTG, la donation-cession permet au contraire de « purger » les plus-values, et ce même si l'objet réel de la donation consistait à transmettre une somme d'argent et non des titres.

Au total, la donation-cession permet d'échapper au paiement de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux . En effet, les donataires acquittent les seuls droits de donation, la base taxable étant de surcroît amoindrie des abattements applicables.

2. Une jurisprudence plus restrictive qu'en matière d'apport-cession

Comme dans le cas de l'apport-cession, le seul moyen pour l'administration de dénoncer les schémas abusifs de donation-cession et d'imposer la plus-value consiste à mettre en oeuvre la procédure de l'abus de droit fiscal .

Or, dans la pratique, il lui est très difficile de prouver qu'il y a bien abus de droit fiscal , et ce d'autant plus que la jurisprudence s'est montrée jusque-là beaucoup plus restrictive en matière de donation-cession que d'apport-cession. D'ailleurs, les décisions du Conseil d'Etat statuant au contentieux sur ce schéma particulier d'optimisation fiscale sont peu nombreuses.

Si la haute juridiction a sanctionné, dans une décision du 27 juillet 2012 132 ( * ) , le caractère fictif d'une donation avec réserve d'usufruit suivie d'une cession des titres, elle estimait au contraire, dans une décision du 30 décembre 2011 133 ( * ) , qu'une donation-partage de titres placés en report d'imposition, suivie de la cession immédiate de ces titres par les donataires à une société civile familiale contrôlée par les donateurs, ne présentait pas un caractère fictif constitutif de l'abus de droit, « dès lors que l'intention libérale des donateurs n'est pas remise en cause par les clauses restrictives de l'acte de donation ». Au total, le Conseil d'Etat considérait que l'acte de donation n'était pas fictif, et que l'abus de droit n'était donc pas constitué , « sans qu'il soit besoin de rechercher si l'opération de donation suivie de la cession des titres présentait dans son ensemble un but exclusivement fiscal » .

Dès lors, seule une mesure de nature législative serait susceptible de contrer cette pratique d'optimisation fiscale . Tel est l'objet du présent article.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UN RÉGIME SPÉCIFIQUE DE TAXATION DES PLUS-VALUES À LA CHARGE DU DONATAIRE

A. LE PRINCIPE GÉNÉRAL

Le présent article vise à mettre fin aux montages d'optimisation fiscale de donation-cession . Pour ce faire, il remplace le régime actuel de non-imposition de la plus-value latente en cas de transmission à titre gratuit des titres à l'origine de cette plus-value, par un régime spécifique de taxation de cette plus-value à la charge du donataire, lorsque les titres ont été acquis par donation puis cédés dans un délai inférieur à deux ans .

Il crée à cet effet un 1 bis à l'article 150-0 D du code général des impôts, qui régira désormais la taxation des donations-cessions ( I du présent article 14).

B. UNE MODIFICATION DE L'ASSIETTE DE LA PLUS-VALUE DE CESSION À LA CHARGE DU DONATAIRE

Aux termes du premier alinéa du 1 bis de l'article 150-0 D précité, la nouvelle taxation concernerait les cas de cession, d'apport, de remboursement ou d'annulation de titres (valeurs mobilières, droits sociaux et droits s'y rapportant), tels que définis à l'article 150-0 A du CGI 134 ( * ) , dans un délai de deux ans suivant leur acquisition par voie de donation ou de don manuel, qui garantit une prise de valeur minimale des titres et l'apparition d'une plus-value normalement taxable . A l'expiration de ce délai, le régime de droit commun de purge de la plus-value s'appliquerait donc de nouveau.

Les successions ne seraient pas concernées par le nouveau dispositif . Cette exclusion paraît légitime, dans la mesure où celles-ci sont par définition imprévisibles et ne peuvent donc donner lieu à l'élaboration d'une stratégie d'optimisation fiscale.

Dans le régime spécifique aux donations-cessions, afin de rattraper la valeur des titres avant la donation, le prix de revient des titres à retenir par le cédant serait leur prix ou valeur d'acquisition par le donateur , et non plus la valeur retenue pour la détermination des DMTG, majoré des frais afférents à la donation, afin d'éviter une double imposition pour le donataire. A l'inverse, on en reviendrait à la valeur retenue pour la détermination des DMTG, dans le seul cas où la somme du prix d'acquisition initial et des droits de mutation acquittés s'avérerait supérieure à cette dernière ( a du 1 bis de l'article 150-0 D).

Aux termes du b du 1 bis de l'article 150-0 D, la durée de détention à retenir par le cédant serait décomptée à partir de la date de souscription ou d'acquisition de ces valeurs, titres ou droits par le donateur . Cette disposition est logique et vise à permettre l'application des abattements précités.

Les mêmes règles s'appliqueraient en cas de donations (ou dons manuels) de titres successifs dans un délai de deux ans précédant leur cession (alinéa 7 de l'article 14), avec pour référence la première donation.

C. UN RÉGIME D'IMPOSITION SPÉCIFIQUE QUI SOUFFRIRAIT DEUX EXCEPTIONS

Le régime d'imposition spécifique aux donations-cessions ne s'appliquerait pas dans deux cas .

D'une part, de même que pour les apports-cession, ce régime d'imposition spécifique ne s'appliquerait pas aux titres ayant fait l'objet d'une donation dans le cadre des pactes Dutreil , afin de favoriser l'actionnariat familial dans le cadre des transmissions patrimoniales, et en accord avec les engagements du Gouvernement sur la stabilité de ces dispositifs sur la durée du quinquennat.

D'autre part, il ne s'appliquerait pas en cas d'invalidité de deuxième et troisième catégories 135 ( * ) , de licenciement ou de décès du donataire ou de l'un des époux soumis à imposition commune. En effet, dans ces cas précis, le bénéficiaire des titres se verrait contraint de les céder dans un délai inférieur à deux ans.

D. LES DISPOSITIFS DE COORDINATION ET L'ENTRÉE EN VIGUEUR DU DISPOSITIF

1. Les dispositifs de coordination

Le présent article prévoit plusieurs coordinations, respectivement relatives au régime de sursis d'imposition de l'article 150-0 B du CGI (alinéas 10 et 11), au régime de report d'imposition prévu au nouvel article 150-0 B ter du CGI (alinéa 8), et à l 'exit - tax ( II du présent article).

a) La coordination avec le régime de sursis d'imposition de l'article 150- 0 B CGI

Si les titres reçus par donation ou don manuel faisaient l'objet d'un apport, dans le délai de deux ans, pour lequel le contribuable aurait opté pour le régime de report prévu par l'article 150-0 B du CGI, les mêmes règles s'appliqueraient. Autrement dit, pour calculer la plus-value en sursis dans la période de deux ans, seraient retenues la valeur et la durée prévues par le nouveau régime de taxation des donations cessions. Le 2° du I du présent article propose de compléter en ce sens l'article 150-0 B du CGI, en complétant son 9. Les exceptions relatives à l'invalidité, prévues par le 1 bis de l'article 150-0 D bis , s'appliqueraient également.

b) La coordination avec le régime du report d'imposition du nouvel article 150-0 B ter du CGI

Il en irait de même si les titres reçus par donation ou don manuel faisaient l'objet d'un apport, dans un délai initialement fixé à deux ans, pour lequel le contribuable aurait opté pour le nouveau régime de report prévu par l'article 13 du présent projet de loi de finances rectificative, créant un nouvel article 150-0 B ter dans le code général des impôts (alinéa 8).

c) La coordination avec  l'exit-tax

Enfin, de la même manière, en cas de transfert du domicile fiscal hors de France dans un délai de deux ans après une donation de titres, il serait tenu compte, pour le calcul de l' exit-tax , de la valeur et de la durée prévues par le nouveau régime de taxation des donations cessions (le II du présent article modifie en conséquence l'article 167 bis du CGI).

2. Une application immédiate afin d'éviter l'appel d'air en faveur de montages d'optimisation

Aux termes du III du présent article, les dispositions relatives à la taxation des donations-cessions seraient applicables aux donations et dons manuels réalisés à compter du 14 novembre 2012, soit la date d'adoption du texte par le Conseil des ministres.

Comme pour l'article 13, si cette mesure ne présente pas de caractère rétroactif, elle permettrait d'éviter l'appel d'air en faveur de montages d'optimisation que l'on constaterait inévitablement en cas d'application du dispositif à compter du 1 er janvier 2013.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale a adopté cinq amendements à cet article, à l'initiative de notre collègue député Christian Eckert, rapporteur général, dont deux amendements sont substantiels :

- le premier vise à réduire le délai prévu pour l'application de la taxation spécifique aux donations-cessions, de deux ans à dix-huit mois , afin de recentrer le dispositif sur les montages réellement abusifs. Par cohérence, la mesure de coordination précitée avec le nouvel article 150-0 B ter du code général des impôts vise également une période de dix-huit mois ;

- le second vise à mentionner les personnes liées par un pacte civil de solidarité, au même titre que les époux , en ce qui concerne la non-application de la taxation spécifique aux donations-cessions en cas de décès.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A l'inverse du système d'apport-cession décrit à l'article 13, le présent article concerne des donations suivies de cessions qui de sont que très rarement des opérations à visée économique, mais beaucoup plus souvent des opérations à but essentiellement fiscal. Pour autant, comme indiqué supra , la jurisprudence est très protectrice pour les contribuables, la notion d'abus de droit ne trouvant que très peu à s'appliquer.

Dès lors, l'économie générale de cet article doit être approuvée car il n'est pas normal qu'une donation permette de « purger » d'importantes plus-values si le donataire cède très rapidement ses titres. De ce point de vue, le seuil de dix-huit mois retenu par l'Assemblée nationale constitue une limite à ne pas franchir, sauf à vider ce dispositif de son intérêt.

Sous le bénéfice de ces observations, il convient d'adopter le présent article.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.


* 130 Auquel s'ajoutent des contributions sociales de 15,5 %, aux termes de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.

* 131 Un don manuel est une donation sans acte notarié.

* 132 Décision n°327295 Berjot .

* 133 Décision n° 330940, Motte Sauvage .

* 134 A savoir les « gains nets retirés des cessions à titres onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux (...) ».

* 135 Invalides absolument incapables d'exercer une profession quelconque et invalides incapables d'exercer une profession et sont dans l'obligation d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.

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