ARTICLE 15 ter (nouveau) (Art. L. 135 D du livre des procédures fiscales) : Accès des chercheurs aux données fiscales individuelles

Commentaire : le présent article propose de préciser les modalités d'accès des chercheurs aux données fiscales individuelles.

I. LE DROIT EXISTANT

L'accès aux données fiscales individuelles à des fins de réalisation d'études économiques est régi essentiellement par deux dispositions :

- l'article L. 135 D du livre des procédures fiscales, qui ne prévoit de transmission de ces données qu'à l'Insee et aux services statistiques ministériels et, dans certains cas, aux services économiques ministériels ;

- l'article 7 ter de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, qui permet la transmission éventuelle aux chercheurs, après avis du comité du secret statistique.

Le dispositif actuel résulte de l'article 19 de la loi dite « Warsmann II 187 ( * ) » du 12 mai 2009, inséré à l'initiative de notre ancien collègue Bernard Angels, alors rapporteur pour avis pour votre commission des finances.

Sénat, séance du 24 mars 2009 (compte rendu intégral des débats)

« M. le président . L'amendement n° 22, présenté par M. Angels, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

« (...)

« La parole est à M. Bernard Angels, rapporteur pour avis.

« M. Bernard Angels, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation . Le livre des procédures fiscales prévoit que les agents de l'administration des impôts et de celle des douanes et droits indirects peuvent communiquer aux agents de l'INSEE, ainsi qu'à ceux des services statistiques ministériels, les renseignements utiles à l'établissement de statistiques.

« Cet amendement tend à étendre explicitement ce droit, qui concerne les documents comptables des entreprises, aux agents des services de l'État chargés de la réalisation d'études économiques, ainsi qu'aux chercheurs. Je tiens à préciser que ces agents et chercheurs avaient accès à ces documents, jusqu'à une récente réorganisation de l'administration fiscale.

« M. le président . Quel est l'avis de la commission ?

« M. Bernard Saugey, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale . Favorable !

« M. le président . Quel est l'avis du Gouvernement ?

« M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique . Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui permettra de réduire le nombre de demandes redondantes.

« M. le président . Je mets aux voix l'amendement n° 22.

« (L'amendement est adopté.)

« M. le président . En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 14. »

A. L'ARTICLE L. 135 D DU LIVRE DES PROCÉDURES FISCALES

Le I de l'article L. 135 D du livre des procédures fiscales prévoit que les agents de l'administration fiscale ne peuvent normalement transmettre les données fiscales qu'aux agents de l'Insee et des services statistiques ministériels.

Toutefois son II, inséré par l'article 19 de la loi dite « Warsmann II » précitée à l'initiative de notre ancien collègue Bernard Angels, précise que certaines informations peuvent également être transmises « soit pour des besoins de recherche scientifique, soit à des fins exclusives de réalisation d'études économiques, aux agents de services de l'Etat chargés de la réalisation d'études économiques ». Concrètement, cette disposition vise, notamment, des services comme la sous-direction de la prospective, des études économiques et de l'évaluation de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) du ministère du redressement productif, qui n'est pas un service statistique.

B. L'ARTICLE 7 TER DE LA LOI DU 7 JUIN 1951

L'article 7 ter de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques prévoit quant à lui que le comité du secret statistique - un organisme présidé par un conseiller d'Etat, désigné par le vice-président du Conseil d'Etat, et qui comprend notamment des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat (actuellement notre collègue députée Karine Berger et notre collègue Evelyne Didier) - est compétent pour émettre « des recommandations relatives à l'accès pour des besoins de recherche scientifique ou pour la réalisation d'études économiques aux données individuelles transmises à l'Institut national de la statistique et des études économiques et aux services statistiques ministériels ».

La référence aux études économiques résulte de l'article 19 précité de la loi « Warsmann II », à l'initiative par conséquent de notre ancien collègue Bernard Angels.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article, inséré par l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Dominique Lefebre, avec un avis favorable de sa commission des finances et du Gouvernement, tend à préciser les modalités d'accès des chercheurs aux données fiscales individuelles.

Il s'agit de compléter l'article L. 135 D précité du livre des procédures fiscales par un III prévoyant que l'accès des chercheurs peut être autorisé par décision du ministre chargé du budget, après avis du comité du secret statistique. La différence par rapport au droit actuel est que seraient précisés :

- les critères pris en compte par le comité du secret statistique (protection de la vie privée, du secret des affaires et du secret professionnel, nature et finalité des travaux, qualité de la personne qui fait la demande, disponibilité des données) ;

- l'obligation des tiers autorisés à accéder aux données de respecter l'obligation de secret professionnel ;

- l'accès aux informations par l'intermédiaire de « centres d'accès sécurisé préservant la confidentialité des données ».

L'article L. 135 D du livre des procédures fiscales : comparaison de la rédaction actuelle et de la rédaction proposée par le présent article

Rédaction actuelle

Rédaction proposée par le présent article

Droit commun

I. - Les agents de l'administration des impôts et de l'administration des douanes et droits indirects peuvent communiquer aux agents de l'Institut national de la statistique et des études économiques et aux agents des services statistiques ministériels, dans les limites et conditions prévues par la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, les renseignements utiles à l'établissement de statistiques.

Transmission aux services chargés des études économiques

II. - Les informations communiquées en application du I par les agents de l'administration des impôts et de l'administration des douanes et portant sur les renseignements prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce ou, pour celles n'en relevant pas, portant sur les comptes annuels déposés en application des articles 53 A, 72, 74 A, 97, 223 et 302 septies A bis du code général des impôts, peuvent l'être également, dans les mêmes limites et conditions, soit pour des besoins de recherche scientifique, soit à des fins exclusives de réalisation d'études économiques, aux agents de services de l'Etat chargés de la réalisation d'études économiques. La liste de ces services est définie par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget.

II. - Les informations communiquées en application du I par les agents de l'administration des impôts et de l'administration des douanes et portant sur les renseignements prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce ou, pour celles n'en relevant pas, portant sur les comptes annuels déposés en application des articles 53 A, 72, 74 A, 97, 223 et 302 septies A bis du code général des impôts, peuvent l'être également, dans les mêmes limites et conditions, à des fins exclusives de réalisation d'études économiques, aux agents de services de l'Etat chargés de la réalisation d'études économiques. La liste de ces services est définie par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget.

Paragraphe proposé par le présent article

III. - L'accès des tiers aux informations mentionnées au I à des fins de recherche scientifique peut être autorisé par décision du ministre chargé du budget, après avis du comité du secret statistique institué par l'article 6 bis de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques.

L'avis du comité du secret statistique est rendu, après consultation des administrations ayant collecté les données concernées par la demande d'accès, au regard :

- des enjeux attachés à la protection de la vie privée, à la protection du secret des affaires et au respect du secret professionnel prévu aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal ;

- de la nature et de la finalité des travaux pour l'exécution desquels la demande d'accès est formulée ;

- de la qualité de la personne qui fait la demande d'accès, de celle de l'organisme de recherche auquel elle est rattachée et des garanties qu'elle présente ;

- de la disponibilité des données demandées.

Conformément à l'article L. 113 du présent livre, les tiers autorisés sont soumis pour les informations mises à leur disposition à l'obligation de secret professionnel dans les termes des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Ces informations ne sont ni communicables, ni cessibles, ni transmissibles.

L'accès aux informations s'effectue par l'intermédiaire de centres d'accès sécurisé préservant la confidentialité des données.

Dans le respect des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du même code, les agents des centres d'accès sécurisé appelés par leurs fonctions à participer à la mise en oeuvre de cette procédure peuvent recevoir communication des informations prévues au I couvertes par le secret professionnel et en permettre l'accès aux seuls tiers autorisés.

Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent III.

Bien que ces dispositions n'assouplissent pas les règles en vigueur, mais se contentent de les préciser, il s'agit bien de faciliter l'accès des chercheurs aux données fiscales individuelles, comme cela ressort de la discussion par l'Assemblée nationale de l'amendement insérant le présent article.

La discussion par l'Assemblée nationale de l'amendement insérant le présent article (première séance du vendredi 7 décembre 2012)

« Mme la présidente . La parole est à M. Dominique Lefebvre, pour soutenir l'amendement n° 1.

« M. Dominique Lefebvre . J'avais retiré cet amendement en commission afin de laisser du temps aux collègues qui s'interrogeaient. Il vise à élargir le champ de l'accès aux données fiscales pour les chercheurs, à en sécuriser la procédure et à la clarifier.

« En l'état du droit, l'INSEE et les services ministériels de statistique peuvent accéder aux données fiscales des entreprises. En 2009, cette possibilité avait été ouverte aux chercheurs s'agissant des données fiscales relatives aux entreprises, grâce à un amendement du sénateur Bernard Angels,

« Cependant plusieurs problèmes se posent aujourd'hui.

« La rédaction de la loi a été suffisamment ambiguë pour que depuis quelques mois ces données ne soient plus transmises. Nous rencontrons également des problèmes à la fois en termes de clarté et de transparence de la procédure, et de sécurisation des données transmises.

« Deux procédures existent. L'une, instruite par la direction générale des finances publiques, donne lieu à une convention entre le chercheur et cette direction générale ; l'autre, nécessite un passage par le comité du secret statistique, qui se prononce sur l'opportunité des recherches. Ce système opaque n'est pas transparent.

« Nous avons en fait un double sujet à traiter.

« Voulons-nous, oui ou non, que la France puisse disposer, à l'instar de ce qui se fait dans les autres pays, d'une évaluation des politiques publiques et, en l'espèce, des politiques fiscales ? Aujourd'hui, cela n'est pas possible en raison des obstacles que rencontrent les chercheurs pour accéder aux données.

« Voulons-nous par ailleurs assurer la sécurisation de la transmission de ces données, qui n'est pas aujourd'hui assurée ?

« Le dispositif proposé par l'amendement repose sur une procédure claire qui comprend un avis systématique du comité du secret statistique sur toute demande de chercheur, qui examine l'objet et la portée de la recherche, un avis ministériel, et un passage par le centre d'accès sécurisé aux données, qui permet de retrouver à tout moment ce qui a été transmis.

« Qu'elles concernent la fiscalité des entreprises ou celle des ménages, je rappelle que les données transmises ne seront jamais nominatives.

« J'ajoute que la protection est assurée in fine par la possibilité de mettre en cause sur le plan pénal la responsabilité des chercheurs si le secret fiscal n'était pas garanti.

« Mme la présidente . Quel est l'avis de la commission ?

« M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission a longuement débattu de cet amendement qui avait d'abord été présenté en commission, avant d'être retiré. Les explications que vient de nous fournir Dominique Lefebvre sur ce sujet technique et complexe permettent à présent d'envisager l'adoption de cet amendement.

« Mme la présidente . Quel est l'avis du Gouvernement ?

« M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué . C'est un excellent amendement. Le Gouvernement remercie Dominique Lefebvre d'en avoir pris, d'une certaine manière, l'initiative, et le rapporteur général pour l'avis qu'il vient de donner. Il s'agit bien de préciser dans quelles conditions les chercheurs peuvent accéder à ces données qui leur permettront de mesurer les évolutions économiques et fiscales dont notre pays a besoin et dont les travaux scientifiques bénéficieront pleinement. Par ailleurs, chacun le comprendra, il faut protéger le secret fiscal qui est un élément de la liberté individuelle, élément avec lequel, je me permets de le dire avec insistance, il ne faut pas transiger.

« Les dispositions que propose Dominique Lefebvre me paraissent équilibrées car sans transiger avec ce principe constitutif de la liberté individuelle, il permettra aux chercheurs de mener leurs travaux dans de bien meilleures conditions, travaux dont la puissance publique pourra d'ailleurs profiter.

« Mme la présidente . La parole est à Mme Karine Berger.

« Mme Karine Berger . Comme j'ai été la principale opposante à cet amendement en commission des finances, je voudrais compléter les propos de Dominique Lefebvre. Après avoir longuement discuté des aspects techniques de cette mesure, je me suis finalement rangée à son avis, à celui du rapporteur et à celui du Gouvernement.

« Une difficulté technique très particulière est liée à la question des données individuelles. Il est fondamental que le secret statistique soit maintenu pour tout le monde, en particulier sur les données fiscales, mais ce n'est pas évident à réaliser car ces données, même si elles ne sont pas nominatives, peuvent être recoupées à partir d'autres informations et permettre de reconnaître la personne concernée.

« Or, le groupe des écoles nationales d'économie et de statistique a créé un logiciel - une sorte de cloud - pour que les données ne soient pas accessibles sur l'ordinateur personnel des chercheurs qui feront la recherche, mais sur une base de données externe. Cela permettra non seulement de ne jamais transférer les données individuelles, mais également de vérifier que le secret statistique est assuré par les échantillons qui sont testés par les différents chercheurs.

« Dès lors que ce logiciel est disponible et mis en place par l'Insee, je pense que cet amendement peut être adopté. »

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Il existe actuellement une lacune en matière d'évaluation des dispositifs fiscaux par des chercheurs indépendants. Par exemple, dans le cas du crédit d'impôt recherche (CIR), les seules évaluations de l'impact sur le PIB de la réforme de 2008 sont semble-t-il une étude de janvier 2009 de la direction générale du Trésor 188 ( * ) , ensuite republiée sous une forme plus développée dans la Revue économique des presses de Sciences Po 189 ( * ) ; et celle figurant dans le récent rapport d'information de notre collègue Michel Berson sur le CIR (n° 677, 2011-2012).

Votre commission des finances s'efforce depuis plusieurs années de développer l'évaluation indépendante des dispositifs fiscaux. Elle est on l'a vu à l'origine de l'article 19 de la loi dite « Warsmann II » du 12 mai 2009, inséré à l'initiative de notre ancien collègue Bernard Angels, qui a assoupli le droit alors existant. Elle est également à l'origine de l'assouplissement des conditions de transmission interne à l'administration des informations relatives au CIR 190 ( * ) . Cet article satisfait donc pleinement les préoccupations constantes de votre commission des finances.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.


* 187 Il est d'usage d'appeler lois « Warsmann » I, II, III et IV quatre lois de simplification et de clarification du droit adoptées à l'initiative de notre collègue député Jean-Luc Warsmann, ancien président de la commission des lois de l'Assemblée nationale : la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit (« Warsmann I »), la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (« Warsmann II »), la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (« Warsmann III ») et la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives (« Warsmann IV »).

* 188 Paul Cahu, Lilas Demmou, Emmanuel Massé, « Les effets économiques de la réforme du crédit d'impôt recherche de 2008 », Trésor-éco n° 50, janvier 2009.

* 189 Paul Cahu, Lilas Demmou, Emmanuel Massé, « L'impact économique de la réforme du crédit d'impôt recherche », Revue économique 2010/2 vol. 61, Presses de Sciences Po, 2010.

* 190 L'article 60 de la loi « Warsmann IV » a inséré dans le code de la recherche un article L. 131-3 prévoyant que le ministère de la recherche transmet chaque année les informations relatives au CIR aux services d'études économiques ministériels (comme la sous-direction de la prospective, des études économiques et de l'évaluation de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) de l'actuel ministère du redressement productif). L'article L. 131-3 précité résulte d'une initiative de la commission des finances du Sénat, qui avait inséré en ce sens le V de l'article 41 de la loi de finances initiale pour 2011. Toutefois dans sa décision n° 2010-622 DC du 28 décembre 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le V de l'article 41 de la loi de finances initiale pour 2011, au motif qu'il n'appartenait pas au domaine de la loi de finances.

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