ARTICLE 15 quater (nouveau) : Rapport annuel sur l'évolution des départs et des retours de contribuables français

Commentaire : le présent article, adopté à l'initiative de nos collègues députés Gilles Carrez et Eric Woerth, vise à ce que le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport sur l'évolution des départs et des retours de contribuables français.

Le présent article, adopté à l'initiative de nos collègues députés Gilles Carrez et Eric Woerth, avec un avis de sagesse du Gouvernement, propose que le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport lui permettant de suivre l'évolution des départs et retours de contribuables français ainsi que l'évolution du nombre de résidents fiscaux.

Le rapport annuel dont il est question pourra utilement compléter l'information du Parlement, les départs et les arrivées de contribuables en France ayant, par définition, un effet sur l'assiette de nombreux impôts, directs et indirects.

Dès lors, bien qu'il eût été possible d'intégrer ces informations au sein du rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements annexé au projet de loi de finances, il convient d'adopter cet article.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

ARTICLE 16 (Art. 221 et 1763 du code général des impôts) : Précisions des modalités d'imposition en cas de transfert de siège ou d'établissement stable hors de France

Commentaire : le présent article vient adapter le droit fiscal applicable lorsqu'une société transfère son siège ou un établissement dans un pays de l'Union européenne afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LE RÉGIME ACTUEL PRÉVOIT UNE IMPOSITION IMMÉDIATE DES BÉNÉFICES ET DES PLUS-VALUES LATENTES

Le 2 de l'article 221 du code général des impôts dispose qu'en « cas [...] de transfert du siège ou d'un établissement à l'étranger , l'impôt sur les sociétés est établi dans les conditions prévues aux 1 et 3 de l'article 201 », qui prévoient, en cas de cessation d'entreprise, que « l'impôt [...] dû en raison des bénéfices réalisés dans cette entreprise [...] et qui n'ont pas encore été imposés est immédiatement établi ».

Cette disposition permet d'éviter une « évaporation » de la matière fiscale vers l'étranger en cas de transfert du siège ou d'un établissement de l'entreprise. Dans le cas contraire, les bénéfices réalisés en France mais non encore imposés deviendraient la base fiscale d'un autre Etat.

Toutefois, conformément à l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui garantit la liberté d'établissement dans tous les Etats membres et en application du troisième alinéa du 2 de l'article 221 précité, « le transfert de siège dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, qu'il s'accompagne ou non de la perte de la personnalité juridique en France, n'emporte pas les conséquences de la cessation d'entreprise ».

L'évaluation préalable annexée au présent article souligne que « cette exception au principe de la cessation d'entreprise ne s'applique que dans la mesure où le transfert de siège d'une société française dans un autre Etat membre ne s'accompagne pas du transfert total des actifs ».

Dans ce dernier cas (transfert total des actifs), l'impôt est établi sur :

- les bénéfices d'exploitation dégagés depuis la date d'ouverture de l'exercice ;

- les bénéfices en sursis d'imposition 191 ( * ) ;

- les plus-values latentes afférentes aux éléments d'actif immobilisé 192 ( * ) .

L'évaluation préalable précitée précise que « lorsque le transfert d'actifs n'est que partiel (avec maintien des autres actifs au bilan d'un établissement stable français), seules les plus-values latentes afférentes aux éléments d'actif immobilisé transférés sont immédiatement taxables. La société conserve en revanche, par l'intermédiaire de son établissement stable, le droit au report de ses déficits ».

B. UN DISPOSITIF REMIS EN CAUSE PAR LA JURISPRUDENCE EUROPÉENNE

La Commission européenne porte une attention très vigilante aux « taxes de sortie » ( exit tax ) qu'elles frappent soit les ménages, soit les entreprises. En effet, elles ne doivent pas empêcher la libre circulation des personnes, des biens, des services ou des capitaux, ni entraver la liberté d'établissement dans l'Union européenne.

Dans l'arrêt Marks & Spencer , la Cour de justice de l'Union européenne a énoncé qu'une restriction au principe de liberté d'établissement « ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général . Encore faudrait-il, dans une telle hypothèse, qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif [...] . Il doit être rappelé que la réduction des recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale » 193 ( * ) .

A l'aune de ces considérations de principe, elle a récemment été amenée à juger deux affaires portant respectivement sur la législation néerlandaise (affaire National Grid Indus BV 194 ( * ) ) et portugaise (affaire Commission contre Portugal 195 ( * ) ). Elle a considéré, ainsi que le souligne l'évaluation préalable du présent article, que « le fait de prévoir la taxation immédiate des plus-values latentes afférentes aux actifs transférés , mais pas celles des plus-values latentes résultant d'opérations purement nationales, constitue une restriction à la liberté d'établissement ».

La Cour estime qu'il « doit être constaté qu'une société de droit néerlandais désireuse de transférer son siège de direction effective en dehors du territoire néerlandais [...] subit un désavantage de trésorerie par rapport à une société similaire qui maintient son siège de direction effective aux Pays-Bas ».

Dans l'affaire Commission contre Portugal , elle a également jugé que le régime portugais - plus sévère car il porte sur le transfert d'actifs et pas seulement sur le transfert du siège de la société - était lui aussi contraire au droit européen.

Or comme le régime français est très proche du régime portugais, il serait probablement jugé incompatible avec le principe de la liberté d'établissement. L'évaluation préalable annexée au présent article précise que « la Commission a d'ailleurs d'ores et déjà adressé une lettre à la France le 17 avril 2012 l'interrogeant sur son régime de taxation immédiate prévu du 2 de l'article 221 du code général des impôts ».

C. LES SOLUTIONS OUVERTES PAR LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE

Ni la Commission européenne, ni la Cour de justice de l'Union européenne ne font griefs aux différents Etats membres de procéder à une imposition immédiate des bénéfices dans le cas d'un transfert de siège ou d'établissement. En effet, les bénéfices réalisés mais non imposés correspondent bien à une matière fiscale qui revient à l'Etat membre d'origine.

En revanche, le cas des plus-values latentes apparaît plus délicat puisque, par définition, elles n'ont pas été réalisées dans l'Etat membre d'origine mais celui-ci peut légitimement se prévaloir d'une perte de base fiscale à l'occasion du transfert.

Cette analyse n'est pas remise en cause par les instances européennes, qui cherchent à opérer « une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres » ( cf. infra ).

Pour la Cour de justice, une solution serait donc que « le recouvrement de la dette fiscale » soit opéré « au moment de la réalisation effective » de ladite plus-value (point 68 de l'arrêt National Grid Indus BV ). Mais, pour cela, il convient que l'Etat membre d'origine soit en mesure de « suivre », en dehors de ses frontières, l'évolution de l'actif de la société. Concrètement, la société serait tenue d'effectuer une déclaration annuelle à l'administration fiscale de l'Etat d'origine. La Cour admet alors que la charge administrative en résultant pourrait elle-même constituer une entrave à la liberté d'établissement.

Elle conclut son raisonnement en admettant que « dans ces conditions, une réglementation nationale offrant le choix à la société [...] entre , d'une part , le paiement immédiat du montant de l'imposition , qui crée un désavantage en matière de trésorerie pour cette société mais la dispense de charges administratives ultérieures, et, d'autre part , le paiement différé du montant de ladite imposition , assorti, le cas échéant, d'intérêts selon la réglementation nationale applicable, qui est nécessairement accompagné d'une charge administrative pour la société concernée, liée au suivi des actifs transférés, constituerait une mesure qui, tout en étant propre à garantir la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres, serait moins attentatoire à la liberté d'établissement [...] . En effet, dans l'hypothèse où une société estimerait que les charges administratives liées au recouvrement différé sont excessives, elle pourrait opter pour le paiement immédiat de l'imposition ».

La première solution proposée par la Cour consiste donc à offrir un choix aux entreprises entre l'imposition immédiate ou différée (couplée à une obligation déclarative).

Une seconde solution a été esquissée dans les conclusions de l'avocat général sur l'affaire Commission contre Portugal . Il écrit : « il n'est pas exclu, comme l'a suggéré le gouvernement allemand [...] , qu'offrir également aux sociétés le choix d'échelonner le paiement de la dette fiscale , constatée au moment du transfert de siège , par exemple lors d'échéances annuelles ou en fonction de la réalisation des plus-values, puisse constituer une mesure adéquate et proportionnée à l'objectif de la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres ».

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article tire les conséquences de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne afin d'adapter le régime français d'imposition des sociétés qui transfèrent leur siège ou un établissement dans un autre Etat membre de l'Union.

Le régime actuel est maintenu en cas de transfert dans un Etat étranger autre qu'un Etat membre de l'Union européenne , ou qu'un Etat partie à l'Espace économique européen (EEE), pour autant que ce dernier ait « s igné avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures » (alinéa 3) 196 ( * ) .

Par ailleurs, il est établi un régime spécifique pour les transferts de siège ou d'établissement dans un pays de l'Union européenne ou de l'EEE pour autant qu'il respecte les conditions présentées ci-dessus (signatures des deux conventions) et qui s'accompagne du transfert d'éléments d'actifs (alinéas 5 à 9).

Dans ce cas, la nouvelle rédaction du 2 de l'article 221 précité pose le principe selon lequel « l'impôt sur les sociétés calculé à raison des plus-values latentes constatées sur les éléments de l'actif immobilisé transférés et des plus-values en report ou en sursis d'imposition est acquitté dans les deux mois suivant le transfert des actifs ».

Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, une option est offerte à l'entreprise :

- soit elle acquitte l'impôt pour la totalité de son montant (alinéa 6) ;

- soit, sur demande expresse, « pour le cinquième de son montant. Le solde est acquitté par fractions égales au plus tard à la date anniversaire du premier paiement au cours des quatre années suivantes » (alinéa 7). Au cours de cette période, la société peut choisir de solder sa dette à tout moment.

Le solde devient immédiatement exigible si la société cède les éléments d'actifs (elle réalise la plus-value) ou qu'elle les transfère dans un Etat non membre de l'Union européenne ou de l'EEE. Il en va de même en cas de dissolution de la société ou de non-respect d'une des échéances de paiement (alinéa 8).

Lorsque la société opte pour le fractionnement de son paiement, elle est tenue d'adresser « chaque année au service des impôts des non résidents, un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître les renseignements nécessaires au suivi des plus-values latentes sur les éléments de l'actif immobilisé transférés » (alinéa 9).

A cette fin, le présent article complète le I de l'article 1763 du code général des impôts qui applique une amende fiscale de 5 % des sommes omises en cas de défaut de production ou de caractère inexact ou incomplet des documents devant être transmis à l'administration fiscale. L'état permettant de suivre les plus-values latentes afférentes à des éléments transférés à l'étranger est ajouté à la liste des documents énoncés par le I de l'article 1763 précité (alinéas 10 et 11).

L'option offerte par le présent article s'applique « aux transferts réalisés au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2012 » (alinéa 12).

*

A l'initiative de notre collègue député Christian Eckert, rapporteur général, et avec l'avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté quatre amendements rédactionnels.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le présent article vient utilement adapter la loi fiscale française applicable aux transferts de siège ou d'établissement puisque celle-ci, selon toute vraisemblance, aurait probablement été jugée contraire au droit européen. En ce sens, il transcrit fidèlement les solutions esquissées par la Cour de justice de l'Union européenne.

L'évaluation préalable annexée au présent article estime que « par rapport à la recette théorique qui résulterait de l'application du droit interne, la réforme envisagée entraînera un coût de trésorerie, non chiffrable, au titre du paiement étalé de l'imposition . Toutefois, [...] , la réforme sécurise également la perception des recettes correspondantes ».

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.


* 191 Les bénéfices en sursis d'imposition comprennent notamment les provisions qui deviennent sans objet du fait de la disparition du sujet fiscal. Les plus-values résultant d'une fusion antérieure peuvent également avoir fait l'objet d'un sursis d'imposition.

* 192 L'actif immobilisé comprend les immobilisations corporelles, incorporelles (brevets, fonds de commerce) et financières (participations).

* 193 CJUE, 13 décembre 2005, Marks & Spencer , C-446/03.

* 194 CJUE, 29 novembre 2011, National Grid Indus BV , C-371/10.

* 195 CJUE, 6 septembre 2012, Commission contre Portugal , C-38/10.

* 196 En pratique, il s'agit de l'Islande et de la Norvège.

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