2. La reconnaissance et la protection nécessaire des couples et des familles homoparentales

La demande formulée par les couples de même sexe est légitime, parce qu'il s'agit d'une demande de reconnaissance et de protection juridique, à l'égal des autres.

La réforme proposée parachèverait une évolution engagée depuis plusieurs années, d'acceptation sociale de l'homosexualité et d'affirmation en parallèle des familles homoparentales.

Dans cette perspective, l'intérêt de l'enfant élevé par deux hommes ou deux femmes est alors de bénéficier, comme un autre, de la protection que lui garantira l'établissement de sa filiation vis-à-vis de ceux qui l'élèvent.

a) L'évolution de la législation relative à l'homosexualité : du refus à l'acceptation

Le projet de loi sur le mariage ne doit pas faire oublier, qu'avant même que se posent les questions de reconnaissance civile des couples homosexuels, la première victoire a été celle de l'abrogation de toute prohibition pénale de l'homosexualité.

Dans un article publié dans l'ouvrage collectif Homosexualité et droit , M. Jean Danet, distingue à cet égard trois politiques successives, de 1942 à 1982 : le combat, l'ignorance et l'acceptation 21 ( * ) .

De la Révolution française, qui s'est honorée à rompre sur ce point avec l'ancien droit, jusqu'au régime de Vichy, la loi ne punissait pas spécifiquement la sodomie. Si, progressivement, une législation relative à l'attentat à la pudeur sans violence fut mise en place, la loi française ne connaîtra pas, jusqu'à la loi du 6 août 1942, de répression pénale de l'homosexualité, contrairement à de très nombreux autres pays. D'illustres exemples, comme celui d'Oscar Wilde, rappellent que Paris, au début du siècle, fut parfois un refuge pour des homosexuels poursuivis dans leur pays.

Sans doute faut-il se garder d'idéaliser cette période : à défaut de répression pénale, la réprobation sociale restait très forte et c'est sur ce terreau, entre autres, que la loi de 1942 a prospéré.

Le premier âge a été celui du combat : 1942, 1945 et 1960. Les deux premières lois réprime les relations sexuelles entre individus de même sexe, la dernière punit plus sévèrement l'outrage public à la pudeur réalisé par un homosexuel. Avec le recul, Jean Danet estime que « le combat fut mené avec une détermination toute relative et en tout cas de plus en plus chancelante. Les statistiques en terme de nombre de condamnations comme de quantum de peine sont là pour en convaincre, ce qui n'exclut évidemment pas les drames ».

Pour Jean Danet, les années 70 et 80 sont celles de la tentation de l'ignorance : la question du couple homosexuel n'est pas examinée en droit civil, et la Cour de cassation refuse en 1989 de reconnaître le concubinage homosexuel, calquant paradoxalement la définition du concubinage sur le modèle hétérosexuel du mariage 22 ( * ) . Ce faisant elle place les couples homosexuels dans une situation de grande insécurité juridique et leurs dénie les droits qu'elle a reconnu aux concubins de sexe différent. En 1996 le Conseil d'État considère qu'un refus d'agrément à adoption peut être opposé à un célibataire homosexuel, en raison de son orientation sexuelle, car celle-ci ne présenterait pas de garanties suffisantes sur les plans familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant adopté 23 ( * ) . La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour cette décision 24 ( * ) .

On peut considérer, avec l'auteur, que les chemins de l'acceptation s'ouvrent le 27 juillet 1982, avec l'abrogation des délits spécifiques d'homosexualité. Le combat se déplace alors du plan pénal au plan civil, de l'acceptation à la reconnaissance civile. Il ne s'agit plus seulement de permettre à des individus de vivre leur sexualité librement, il s'agit de reconnaître, à égalité avec les autres, les couples et les familles qu'ils forment.

Mais comment organiser cette reconnaissance, alors que les résistances sociales restaient encore très fortes ? Fallait-il se limiter à reconnaître le concubinage homosexuel et maintenir les concubins dans une zone de non-droit ? Fallait-il créer une union civile d'un nouveau type spécifiquement dédiée aux homosexuels, l'ouvrir à tous ou aller jusqu'au mariage ?

L'histoire récente est connue. Furent successivement proposés, à partir des années 1990, après le drame de l'épidémie du sida, le contrat de partenariat civil 25 ( * ) , le contrat d'union civile 26 ( * ) , puis le contrat d'union civile et sociale, qui a donné lieu à pas moins de 7 propositions de lois.

Après des débats parlementaires animés, dont les arguments rappellent ceux avancés aujourd'hui, la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité (Pacs), que votre rapporteur s'honore d'avoir déposée avec plusieurs de ses collègues députés socialistes, a été adoptée le 13 octobre 1999, en lecture définitive de l'Assemblée nationale.

Le Pacs présente deux particularités : tout d'abord, il est ouvert à tous les couples, ce qui évite d'enfermer les couples homosexuels dans un statut à part. D'ailleurs, comme on l'a vu précédemment, son succès auprès des couples hétérosexuels ne se dément pas, ce qui prouve que tous profitent d'un progrès qu'on pensait, à l'origine, réservé à quelques uns.

Deuxième spécificité, il se limite à des effets patrimoniaux. En particulier, il ne confère aucun droit en matière de filiation ni même d'autorité parentale. Ce faisant, il facilite la vie des couples, mais pas celle des familles.

Une étape sépare encore les familles homoparentales de l'égalité avec les familles des parents hétérosexuels. Le texte proposé engage à la franchir.

b) Des familles qui doivent être aujourd'hui reconnues, à l'égal des autres

Au nombre des évolutions sociales de la famille précédemment évoquée compte notamment l'existence des familles homoparentales : le fait qu'elles n'aient pas d'existence juridique, puisque la filiation n'est établie qu'à l'égard d'un seul des deux parents, n'empêche pas qu'elles existent réellement.

Les estimations fournies par les associations qui les représentent font état d'entre 100 000 à 400 000 enfants vivant aujourd'hui dans des familles homoparentales. Le calcul repose sur une extrapolation de l'évaluation du nombre de personnes homosexuelles en France (de l'ordre de 1 à 4 % de la population totale) et du pourcentage de parents parmi ces derniers (évaluée à 15 %).

L'étude la plus récente de l'Insee 27 ( * ) propose des évaluations moindres : 200 000 personnes se déclareraient en couple de même sexe, et environ une personne en couple de même sexe sur dix indiquerait vivre avec au moins un enfant (contre 53 % dans le cas des personnes en couple de sexe différent). Ceci permettrait d'évaluer, avec une plus grande fiabilité, entre 20 000 et 40 000 le nombre d'enfants vivant dans une famille homoparentale .

Au-delà des divergences d'estimations, les chiffres parlent d'eux-mêmes : il ne s'agit pas de quelques cas particuliers, mais de dizaines de milliers d'enfants et de plusieurs centaines de milliers d'adultes, qui ne profitent pas de la reconnaissance légale à laquelle ils pourraient prétendre par le mariage.

c) Des enfants dont l'intérêt supérieur est de bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi

À plusieurs reprises au cours des auditions, la question de l'intérêt supérieur de l'enfant a été évoquée, parfois pour s'étonner, comme M. Dominique Baudis, Défenseur des droits, qu'elle n'ait pas été plus présente dans l'étude d'impact qui a accompagné le projet de loi, plus souvent pour souligner qu'il était de son intérêt de voir ses filiations juridiques et sociales correspondre.

Ainsi, Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente du conseil supérieur de l'adoption, a rappelé que si une partie des membres de son organisation s'est interrogé sur les conséquences d'une remise en cause de l'altérité sexuelle de la filiation, l'autre partie a jugé qu'« ouvrir la possibilité de l'adoption de l'enfant d'un conjoint du même sexe peut aller dans le sens de l'intérêt de l'enfant : dans les familles homoparentales déjà constituées, elle lui apporte la stabilité juridique et la continuité nécessaires à son développement ».

L'argument est majeur, parce qu'il vise notamment, la procédure d'adoption intrafamiliale de l'enfant du conjoint.

L'approche doit être pragmatique : ces familles et ces enfants ont droit à la protection de la loi. Or, elles sont fragilisées par le fait que l'un des deux parents n'a aucun lien juridique avec l'enfant qu'il élève pourtant aussi bien qu'un autre parent.

Pour remédier à cette insécurité juridique, il est nécessaire d'autoriser l'adoption de l'enfant de l'autre parent. Or l'adoption de l'enfant du conjoint n'est possible que dans le mariage. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe est ainsi permettre à leurs enfants de profiter de la protection que leur garantira cette adoption.

Cette protection, d'ailleurs, s'étend au-delà du simple lien de filiation, pour atteindre la protection mutuelle des époux, car il est de l'intérêt des enfants que leurs parents voient leur propre situation assurée face aux accidents de la vie ou du sentiment.

L'avancée qu'engagerait le présent projet de loi est autant utile que nécessaire. Réforme importante, elle doit aujourd'hui être confortée.


* 21 Jean Danet, « Le statut de l'homosexualité dans la doctrine et la jurisprudence françaises », in Daniel Borrillo (dir.), Homosexualités et droit , PUF, 1998, p. 97 à 108.

* 22 Cour de cassation, chambre sociale, 11 juillet 1989.

* 23 CE, 1 ère et 4 e sous-sections réunies, 9 octobre 1996, JCP, 1997, 22766.

* 24 CJUE, Fretté contre France, 26 février 2002, n°  36515/97.

* 25 Proposition de loi n° 422 (1989-1990), de MM. Jean-Luc Mélenchon et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, tendant à créer un contrat de partenariat civil, déposée le 25 juin 1990 au Sénat.

* 26 Proposition de loi n° 3066 (AN - IX e législature)de M. Jean-Yves Autexier, déposée le 25 novembre 1992 à l'Assemblée nationale et reprise dans la proposition de loi n° 880 (AN - X e législature) de M. Jean-Pierre Michel tendant à créer un contrat d'union civile, déposée le 21 décembre 1993.

* 27 « Le couple dans tous ses états : Non-cohabitation, conjoints de même sexe, Pacs... », Insee Première, n° 1435, février 2013.

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