CHAPITRE II - DISPOSITIONS PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE 2010/64/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 20 OCTOBRE 2010 RELATIVE À L'INTERPRÉTATION ET À LA TRADUCTION DANS LE CADRE DES PROCÉDURES PÉNALES

Article 3 (art. préliminaire du code de procédure pénale) - Transposition de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales

Cet article transpose la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales .

La commission des lois de l'Assemblée nationale l'a réécrit pour y mentionner le droit à l'assistance d'un interprète pendant toute la durée de la procédure en plus du droit à la traduction des pièces essentielles nécessaires pour assurer sa défense. Ces dispositions ont été intégrées dans l'article préliminaire du code de procédure pénale, après le deuxième alinéa du III 14 ( * ) .

1 - La consécration par la directive 2010/64/UE du droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales

Cette directive s'inscrit dans le cadre de la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales , adoptée par le Conseil le 30 novembre 2009. Cette feuille de route a pour objet de mettre en place une harmonisation des droits des suspects et des accusés dans les procédures pénales dans les pays de l'Union européenne.

La directive 2010/64/UE, relative à l'interprétation et à la traduction, porte sur la série de mesures « A » de la feuille de route, première des cinq séries de mesures prévues par cette feuille de route. Elle prévoit la reconnaissance expresse du droit à l'interprétariat et à la traduction des « documents essentiels » du dossier.

Cette directive doit être transposée au plus tard le 27 octobre 2013 .

Le Gouvernement évalue dans son étude d'impact les frais de mise en oeuvre de la transposition de la directive 2010/64/UE à 27 millions d'euros par an, résultant principalement de la traduction des documents essentiels et de la prise en charge des frais d'interprétariat pour la communication de la personne mise en cause avec son avocat.

La directive intègre les dispositions de l'article 5 et 6 de la convention européenne des droits de l'homme, telles qu'interprétées par la Cour européenne des droits de l'homme.

L'article 5 paragraphe 2 de la convention dispose en effet que « toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. » et l'article 6 paragraphe 3 que « tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; (...) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

Le corollaire de ce droit est que les pièces essentielles du procès doivent faire l'objet d'une traduction dans une langue comprise par le prévenu, comme l'a précisé l'arrêt Kamasinski contre Autriche 15 ( * ) : « le droit, proclamé au paragraphe 3 e) de l'article 6 (article 6-3-e), à l'assistance gratuite d'un interprète ne vaut pas pour les seules déclarations orales à l'audience, mais aussi pour les pièces écrites et pour l'instruction préparatoire . » Dans le même arrêt, la Cour européenne des droits de l'homme a cependant précisé que cette obligation de traduction ne s'étendait pas à l'ensemble des pièces du dossier 16 ( * ) .

La directive pose ainsi le principe d'un droit à l'interprétariat et à la traduction des pièces essentielles du dossier et édicte une série de mesures pour assurer l'effectivité de ce droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.

Si la directive distingue l'interprétation de la traduction - qui concerne les pièces essentielles nécessaires à la défense -, le régime de ces deux droits est similaire. Les personnes présentant des troubles de l'audition ou de la parole en bénéficient aussi 17 ( * ) .

Le droit à l'interprétation et à la traduction des documents est garanti à partir de la « notification officielle que la personne est suspectée ou poursuivie pour avoir commis une infraction » et jusqu'au terme de la procédure pénale 18 ( * ) . Le recours à un interprète ou le recours à la traduction de pièces doivent être consignés « conformément à la procédure de constatation prévue par la législation de l'État membre concerné » 19 ( * )

La directive impose également que les mesures suivantes soient prises :

- une procédure ou un mécanisme pour vérifier que les personnes mises en cause comprennent ou non la langue utilisée dans la procédure 20 ( * ) ;

- un mécanisme permettant aux États de veiller à la mise d'un interprète à la disposition de la personne mise en cause lors des communications entre les suspects ou avec leur conseil juridique 21 ( * ) ;

- veiller à la bonne qualité de l'interprétation et de la traduction 22 ( * ) ;

- imposer aux traducteurs-interprètes une règle de confidentialité 23 ( * ) ;

- assurer la gratuité de toutes les prestations d'interprétariat et de traduction nécessaires dans le cadre des procédures pénales 24 ( * ) .

La directive incite en outre à tenir des registres de listes d'experts, facilement accessibles et à sensibiliser les personnes chargées de la formation des juges, des procureurs et des personnels de justice aux spécificités de la communication avec l'assistance d'un interprète 25 ( * ) .

Par ailleurs, la personne mise en cause doit pouvoir bénéficier d'un certain nombre de prérogatives pour faire valoir ses droits en la matière : elle doit pouvoir contester le refus de lui accorder le bénéfice d'un interprète ou de lui traduire certains documents 26 ( * ) ainsi que la qualité de l'interprétation ou de la traduction.

Enfin, en cas de renonciation à la traduction de certains documents, les personnes mises en cause doivent avoir été conseillées ou informées clairement des conséquences de cette renonciation 27 ( * ) .

2 - La prise en compte par le droit français d'un droit à l'interprétariat et à la traduction dans le cadre des procédures pénales

En droit pénal français, le droit à l'assistance d'un interprète est un droit ancien ; il est reconnu dès 1808, pour les débats devant la cour d'assises par exemple.

Les dispositions relatives au droit à un interprète figurent à chaque article pertinent dans le code de procédure pénale.

Le droit à un interprète est un droit aujourd'hui garanti dans le code de procédure pénale, dans la phase d'instruction - auditions de témoins (articles 102 et 106), interrogatoires et confrontations (article 121) -, comme dans celle de jugement - cour d'assises (article 272, 344 et 345), tribunal correctionnel (article 407 et 408), cour d'appel (article 512), tribunal de police et juridictions de proximité (article 535 et 536).

Lors des enquêtes de police , la personne doit avoir été interrogée dans une langue qu'elle comprend 28 ( * ) . Ce n'est que dans le cas de la garde à vue, que ce droit est expressément prévu à l'article 63-1 du code de procédure pénale.

Lors de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen , cette exigence est également applicable (article 695-27 du code de procédure pénale).

La reconnaissance expresse de ce droit a été parachevée par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes qui a intégré les exigences de traduction liées aux personnes présentant des troubles de l'audition ou de la parole, comme l'illustre par exemple l'article 408 du code de procédure pénale.

La Cour de cassation a en outre complété et précisé le cadre juridique actuel, en matière d'interprétation comme de traduction.

Si la mention d'un droit à la traduction des pièces essentielles du dossier ne figure pas expressément dans le code de procédure pénale, la Cour de cassation a, très tôt, consacré le principe selon lequel certains des actes les plus essentiels doivent être traduits. Dans un arrêt du 27 septembre 1923, la Cour de cassation a en effet posé le principe que « tous les actes substantiels des débats 29 ( * ) » doivent être traduits. Il n'est pas opportun d'exiger la traduction de l'ensemble des pièces : au-delà du surcoût d'une telle mesure, le délai des procédures serait augmenté. La directive ne prévoit d'ailleurs pas une traduction systématique des pièces et précise par ailleurs que leur traduction est possible 30 ( * ) .

En ce qui concerne l'exigence d'un « mécanisme ou d'une procédure » permettant de vérifier, à tous les stades de la procédure que l'intéressé comprend la langue utilisée, il convient de relever que « c'est au citoyen soupçonné d'avoir commis une infraction d'évaluer sa propre capacité à échanger en français avec son interlocuteur 31 ( * ) » : c'est en effet la personne mise en cause qui peut indiquer ne pas maîtriser suffisamment le français et demander à bénéficier d'un interprète dans la phase de l'enquête de police. Toutefois, la Cour de cassation vérifie précisément que la personne interrogée l'a été dans une langue qu'elle comprend 32 ( * ) , retenant par exemple que la déclaration de la personne de comprendre le français « ne signifie pas ipso facto qu'elle parle et comprend réellement cette langue » 33 ( * ) . Les officiers de police judiciaires ou les magistrats doivent ainsi vérifier la réalité de la déclaration de la personne mise en cause et satisfait donc, selon votre rapporteur, l'exigence d'une procédure ou d'un mécanisme exigé par la directive.

Dans les phases d'instruction ou de jugement, les juges apprécient souverainement si la personne mise en cause a besoin d'un interprète 34 ( * ) mais le refus opposé à une demande d'interprétariat peut être contesté dans le cadre des procédures de droit commun : il peut faire l'objet d'une contestation devant le juge si ce refus est opposé dans la phase de jugement 35 ( * ) . Dans la phase d'instruction, la contestation de ce refus se fera dans le cadre de l'article 82-1 du code de procédure pénale 36 ( * ) .

En ce qui concerne un refus de traduction des pièces que la personne mise en cause estimerait nécessaire, ce refus peut être contesté ou constaté selon les mêmes modalités que le refus opposé à une demande d'interprète.

Par ailleurs, l'adoption de la loi du 21 février 2004 a profondément renforcé les exigences attendues en matière d'expertise judiciaire, ce qui permet de considérer que les traductions comme le travail d'interprétation répondent aux exigences de qualité de la directive . L'accès facile aux listes des experts répond également à la recommandation formulée par la directive 37 ( * ) .

Les interprètes-traducteurs sont en effet des experts judiciaires, dont les relations avec les juridictions sont régies par la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires, modifiée par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004. Cette loi a renforcé les conditions d'inscription des experts sur la liste nationale comme sur la liste des experts judiciaires établie par chaque Cour d'appel. S'il est possible pour le juge de choisir un expert en dehors de la liste, c'est à titre exceptionnel 38 ( * ) . Par ailleurs, la procédure d'inscription sur les listes n'est plus définitive ; la personne est soumise à une période probatoire de trois années , avant de pouvoir être inscrite sur cette liste pour une période de cinq années, indéfiniment renouvelable, pour la même durée. Ces inscriptions sont enfin précédées d'un avis motivé d'une commission associant des représentants des juridictions et des experts. La loi précise dans son article 2 qu'à l'occasion de cet avis « sont évaluées l'expérience de l'intéressé et la connaissance qu'il a acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d'instruction confiées à un technicien » 39 ( * ) .

Enfin, est applicable aux interprètes l'article 226-13 du code pénal qui punit la « révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état soit ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire » ; l'exigence liée à une clause de confidentialité est ainsi remplie.

De plus, la mention de l'intervention de l'interprète ne doit pas être purement formelle, car une telle mention ne permettrait pas de vérifier que l'interprète a rempli effectivement ses fonctions 40 ( * ) .

Enfin, le principe de gratuité des frais d'interprètes et de traduction est consacré par l'article R. 92 du code de procédure pénale qui les définit comme des frais de justice criminelle , donc pris en charge par l'État, y compris lorsque cet interprète est désigné pour permettre au prévenu de s'entretenir avec son avocat 41 ( * ) . La Cour de cassation veille au respect de ce principe 42 ( * ) .

Dès lors, la directive ne consacre pas véritablement de droits nouveaux, mais elle rend plus systématique la traduction des documents essentiels ainsi que la prise en charge des frais d'interprétariat pour la communication entre la personne mise en cause et son conseil.

3 - Une transposition améliorée par la commission des lois de l'Assemblée nationale et complétée par des dispositions de nature règlementaire

L'article 3 du projet de loi transpose la directive par des dispositions additionnelles à l'article préliminaire du code de procédure pénale, en y faisant figurer le principe d'un droit à l'interprétariat et à la traduction des pièces essentielles du dossier dans le cadre des procédures pénales et dans les procédures relatives à l'exécution d'un mandat européen.

Cet article a fait l'objet d'une réécriture par la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui l'a intégré dans l'article préliminaire du code de procédure pénale. En effet, les dispositions initiales ne mentionnaient que le principe d'une traduction « des pièces essentielles à l'exercice de la défense », dans un article figurant après l'article 803-1, au sein des dispositions générales du titre X du code de procédure pénale.

La réécriture de l'article et le choix d'inscrire cette disposition dans l'article préliminaire du code de procédure pénale répond à l'objectif de le consacrer comme un droit général, comme le souligne le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale 43 ( * ) .

L'intégration de cette disposition dans l'article préliminaire du code de procédure pénale permet de reconnaître de manière générale les droits disséminés dans plusieurs dispositions du code de procédure pénale ou reconnus aujourd'hui par la seule jurisprudence de la Cour de cassation et détaillés ci-dessus.

Un décret doit parachever la transposition de cette directive, en complétant la partie réglementaire du code de procédure pénale.

Le projet de décret précise que la personne devant laquelle comparait la personne mise en cause doit s'assurer, par tout moyen, y compris par le biais d'un questionnaire si nécessaire, que la personne parle et comprend la langue.

Devraient être également prévus un mécanisme plus formalisé permettant de vérifier la nécessité d'un interprète ou d'une traduction en cours de procédure, une disposition spécifique imposant aux interprètes de respecter la confidentialité de l'interprétation et des traductions fournies, un mécanisme subordonnant la validité de la renonciation au droit à la traduction à une information préalable des conséquences de cette renonciation, permettant de prendre en compte tous les éléments de la directive.

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .


* 14 Le projet de loi prévoyait que cette disposition serait intégrée à l'article 803-1-1 du code de procédure pénale, nouvellement créé.

* 15 Kamasinski c. Autriche, requête n°9783/82, 19 décembre 1989.

* 16 « Le paragraphe 3 e) (article 6-3-e) ne va pourtant pas jusqu'à exiger une traduction écrite de toute preuve documentaire ou pièce officielle du dossier . » (Kamasinski c. Autriche.)

* 17 Article 2 paragraphe 3 de la directive.

* 18 Articles 1 er paragraphe 2, 2 paragraphe 1, 3 paragraphe 1 de la directive.

* 19 Article 7 de la directive.

* 20 Article 2 paragraphe 4 de la directive.

* 21 Article 2 paragraphe 2 de la directive.

* 22 Articles 5 paragraphe 1, 2 paragraphe 8 et 3 paragraphe 9 de la directive.

* 23 Article 5 paragraphe 3 de la directive.

* 24 Article 4 de la directive. L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, Luedicke, Belkacem et Koç du 28 novembre 1978 a en outre précisé que les frais résultant des rapports de l'accusé avec son avocat ne devaient pas être supportés par la personne mise en cause.

* 25 Articles 5 paragraphe 2 et 6 de la directive

* 26 Articles 2 paragraphe 5 et 3 paragraphe 5 de la directive.

* 27 Article 3 paragraphe 8 de la directive.

* 28 Guinchard (S.), Buisson (J.), Procédure pénale, Litec, 6 ème éd., 2010. Pour une illustration : Cass. crim., 13 juin 1996, 96-80.189, Bull. crim. 1996 n° 252 p. 759.

* 29 Cass. crim., 27 sept. 1923.

* 30 Article 3 paragraphe 7 de la directive.

* 31 Brouillaud (J-P.), Quelques remarques sur l'évaluation de la compréhension de la langue française par l'individu poursuivi pénalement, Gaz. Pal., 10 avril 2008, n° 101, p 2.

* 32 Cass. crim., 13 juin 1996

* 33 Civ. 1, 19 juin 2007, 06-19.153, non publié au Bull.

* 34 Cass. crim., 30 juin 1981, Bull crim. n° 225.

* 35 Par le biais de l'article 316 du code de procédure pénale, par exemple devant la cour d'assises.

* 36 la Cour de cassation a ainsi annulé l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction déclarant irrecevable la demande de désignation d'un interprète : Cass. Crim., 25 mai 2005, Bull. crim., 2005 N° 157 p. 563.

* 37 Article 5 paragraphe 2 de la directive.

* 38 L'interprète devra alors prêter serment.

* 39 Article 2 de la loi du 29 juin 1971.

* 40 Cass. crim., 20 juin 1990, Bull. crim., n° 253, p. 649.

* 41 Cass. crim 25 mai 2005, Bull. crim., n° 157, p. 563.

* 42 Cass. crim., 24 février 1988, n° de pourvoi 87-90341, Bull crim., p. 242.

* 43 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r0840.asp#P248_59432

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