EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE PREMIER - DISPOSITIONS PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE 2011/36/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL, DU 5 AVRIL 2011, CONCERNANT LA PRÉVENTION DE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS ET LA LUTTE CONTRE CE PHÉNOMÈNE AINSI QUE LA PROTECTION DES VICTIMES ET REMPLAÇANT LA DÉCISION-CADRE 2002-629/JAI DU CONSEIL

Article 1er (art. 225-4-1, 225-4-2, 225-4-8 [nouveau], 225-14-1 [nouveau], 225-15 et 225-19 du code pénal) - Élargissement du champ des dispositions pénales relatives à l'infraction de traite des êtres humains

Le présent article tend à élargir le champ des dispositions pénales relatives à l'infraction de traite des êtres humains afin de les adapter aux obligations découlant de la directive 2011/36/UE du 5 avril 2011.

1 - La lutte contre la traite des êtres humains : une priorité de l'Union européenne

L'Union européenne a fait de la lutte contre la traite des êtres humains une de ses priorités :

- d'une part, la Charte européenne des droits fondamentaux, adoptée le 7 décembre 2000 et à laquelle le traité de Lisbonne a conféré une valeur juridiquement contraignante, mentionne expressément dans son article 5 l'interdiction de la traite des êtres humains ;

- d'autre part, l'Union s'est efforcée de rapprocher les législations des États membres. La décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains a succédé à l'action commune 97/154/JAI du Conseil du 24 février 1997 relative à la lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants.

L'adoption d'instruments communautaires visait à compléter et renforcer les actions prises au niveau international par les Nations unies et le Conseil de l'Europe pour mieux lutter contre le phénomène de la traite. En particulier, le protocole des Nations unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, signé par la France le 12 décembre 2000, ainsi que la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie et signée par la France le 22 mai 2006 à Strasbourg, ont donné une impulsion en faveur d'un renforcement de la coopération internationale dans cette matière.

La directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil vise à renforcer les dispositifs de lutte contre le phénomène de la traite.

Préconisant une approche intégrée tenant compte des évolutions de ce phénomène, elle retient une conception plus large de la traite que celle adoptée dans la décision-cadre du 19 juillet 2002 précitée, afin d'englober d'autres formes d'exploitation. Sont en particulier visés, d'une part, les notions de travail ou de service forcés (incluant la mendicité forcée), et, d'autre part, les phénomènes de traite à des fins de prélèvement d'organes (article 2 de la directive). L'incitation, la participation, la complicité et la tentative devraient être incriminées (article 3).

Visant une harmonisation des peines encourues par les personnes physiques comme par les personnes morales (articles 4 à 7), la directive demande par ailleurs aux États membres de prendre diverses mesures destinées à protéger les victimes, notamment en n'engageant pas de poursuites pénales à l'encontre de celles d'entre elles qui seraient rendues responsables d'infractions sous l'effet de la contrainte (articles 8 à 17). Elle prévoit des mesures de prévention (pouvant inclure, le cas échéant, des mesures pénales visant à sanctionner les « clients » de victimes de la traite) (article 18) et la désignation d'un rapporteur national (article 19). Les États devraient s'efforcer de faciliter la tache du coordinateur européen de la lutte contre la traite des êtres humains (article 20).

Cette directive devait être transposée avant le 6 avril 2013 .

2 - Un droit français encore incomplet

Répondant à plusieurs engagements internationaux signés par la France au début des années 2000 11 ( * ) , la loi pour la sécurité intérieure n° 2003-239 du 18 mars 2003 a inséré dans le code pénal, à l'initiative du Sénat, un ensemble de dispositions visant à réprimer la traite des êtres humains.

Punie de sept ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende, celle-ci est définie comme « le fait, en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit » (article 225-4-1 du code pénal).

En cas de circonstances aggravantes (minorité ou particulière vulnérabilité de la victime, faits commis en réunion, exposition de la victime à un risque immédiat de mort ou de blessures graves, etc.), les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 1,5 million d'euros d'amende (article 225-4-2 du code pénal).

La traite des êtres humains est passible de peines criminelles lorsqu'elle est commise en bande organisée (vingt ans de réclusion criminelle et 3 millions d'euros d'amende) ou en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie (réclusion criminelle à perpétuité et 4,5 millions d'euros d'amende) (articles 225-4-3 et 225-4-4 du code pénal).

La tentative des délits est punie des mêmes peines (article 225-4-7 du code pénal). Les « repentis » peuvent voir la peine encourue diminuée de moitié ou être exemptés de peine dans certaines circonstances (article 225-4-9 du code pénal).

Ce dispositif pénal s'accompagne d'un ensemble de mesures destinées à protéger les victimes.

Les articles L. 316-1 et suivants et R. 316-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisent les conditions dans lesquelles une victime de la traite en situation irrégulière peut se voir attribuer un titre de séjour (notamment en prévoyant pour cette dernière un « délai de réflexion » de 30 jours 12 ( * ) ).

L'article 706-3 du code de procédure pénale ouvre par ailleurs aux victimes de la traite des êtres humains un droit à la réparation intégrale du préjudice subi en les autorisant à saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI).

Des dispositions particulières de procédure pénale, s'agissant notamment des pouvoirs d'enquête conférés aux services de police ou de gendarmerie, sont prévues pour faciliter la détection et la poursuite de ces faits (articles 706-34 et suivants du code de procédure pénale).

En dépit de ces dispositifs, les poursuites et condamnations prononcées pour des faits de traite restent rares . D'après les informations communiquées à votre rapporteur par le ministère de la justice, 81 infractions de traite des êtres humains ont été traitées en six ans, soit 13,5 par an en moyenne.

Le droit français est par ailleurs incomplet à plusieurs égards.

En premier lieu, la définition de la traite retenue par le code pénal n'englobe pas l'ensemble des formes d'exploitation visées par la directive (voir supra ).

Ce constat a également été établi par le groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), dans son rapport récent consacré à la France, s'agissant de la conformité de la législation française avec ses obligations au titre des conventions du Conseil de l'Europe 13 ( * ) .

Dans ce rapport, le GRETA appelle notamment la France à faire évoluer sa définition de la traite des êtres humains afin :

- d'inclure expressément parmi les buts prévus l'exploitation aux fins de travail ou services forcés, d'esclavage ou de pratiques analogues à l'esclavage, de servitude et de prélèvement d'organes ;

- d'intégrer le moyen prévu à l'article 4 de la convention qui prévoit « l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation » ;

- enfin, de ne pas retenir l'élément général - « en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage » - non prévu par la convention parmi les éléments constitutifs principaux de l'infraction.

Ces constatations rejoignent pour partie celles de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, dans deux arrêts Siliadin c. France du 26 juillet 2005 et C.N. et V. c. France du 11 octobre 2012, a jugé que la France manquait à ses obligations au titre de l'article 4 de la convention européenne des droits de l'homme en ne disposant pas d'un cadre législatif et administratif interdisant et réprimant efficacement le travail forcé ou obligatoire, la servitude et l'esclavage.

4 - Un élargissement du champ de l'infraction de traite des êtres humains

a) Une réécriture de l'article 225-4-1 du code pénal

En l'état du droit, l'infraction de traite des êtres humains définie à l'article 225-4-1 du code pénal doit, pour être constituée, rassembler plusieurs éléments :

- un élément matériel : la traite est « le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir pour la mettre à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié » ;

- pour que l'infraction soit constituée, il faut encore que l'infraction ait été commise « en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage » ;

- enfin, les faits de traite doivent poursuivre l'un des deux buts suivants : « mettre la victime à la disposition de l'auteur ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité,  soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit ».

Cet état du droit pénal est incomplet au regard des obligations découlant à la fois de la directive et des engagements internationaux de la France (voir supra ).

La définition de la traite proposée par l'article 2 de la directive distingue en effet :

- un élément matériel : « le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, y compris l'échange ou le transfert du contrôle exercé sur ces personnes » ;

- ces faits doivent, en outre, être commis « par la menace de recours ou par le recours à la force ou d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité ou par l'offre de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre » ;

- enfin, la traite doit viser « l'exploitation d'une personne », cette notion incluant au minimum, selon les termes retenus par l'article 2, paragraphe 3 de la directive, « l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude, l'exploitation d'activités criminelles ou le prélèvement d'organes ».

Cette définition reprend, en la précisant, celle retenue par le protocole de Palerme de 2000 et la convention de Varsovie de 2005, en y ajoutant l'exploitation d'activités criminelles.

Elle est donc plus large que celle actuellement retenue par le droit français :

- d'une part parce qu'elle inclut des formes de traite jusqu'alors absentes du droit pénal français, comme celle liée au prélèvement d'organes ;

- d'autre part parce qu'elle inclut dans les éléments constitutifs de l'infraction des conditions - comme l'emploi de menaces, de violences ou de manoeuvres dolosives, ou encore l'abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité - qui ne sont aujourd'hui prises en compte qu'au niveau des circonstances aggravantes de l'infraction listées à l'article 225-4-2 du code pénal.

Dans un souci de lisibilité et d'exhaustivité, la définition proposée par le 1° du présent article , qui tend à réécrire entièrement l'article 225-4-1 du code pénal, a été profondément remaniée par l'Assemblée nationale , dans un premier temps à l'initiative de sa commission des lois et de sa rapporteure Mme Marietta Karamanli, puis lors de l'examen du projet de loi en séance publique, à l'initiative de Mme Axelle Lemaire.

Au terme de ses travaux, l'article 225-4-1 du code pénal serait divisé en deux paragraphes I et II.


• Le I insèrerait dans le code pénal une nouvelle définition de la traite des êtres humains conforme aux prescriptions de la directive et aux engagements internationaux souscrits par la France :

- la traite resterait définie comme le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir « à des fins d'exploitation » ;

- comme c'est le cas aujourd'hui, cette notion d'exploitation consisterait toujours en le fait de mettre la victime à la disposition de l'auteur des faits ou d'un tiers, même non identifié, afin de permettre la commission contre cette victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit. Seraient en outre ajoutés dans cette liste, d'une part, la soumission à du travail ou des services forcés ou à de l'esclavage , et, d'autre part, le prélèvement de l'un des organes de la victime ;

- enfin, les manoeuvres utilisées par l'auteur des faits à l'égard de la victime ne consisteraient plus uniquement en l'échange ou l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage (3°), mais pourraient également soit consister en l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime (1°) , soit avoir été commises par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur la victime ou abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions (2°) , soit, encore , par abus d'une situation de vulnérabilité , apparente ou connue de son auteur, due à l'âge de la victime, à une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse (2° bis ) .

Sur ce point, l'Assemblée nationale, en séance publique, a sensiblement amélioré la rédaction issue des travaux de sa commission des lois qui visait, sans plus de précisions, les notions « d'abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité ». Ces termes, figurant expressément dans la directive, auraient pu soulever des difficultés, du fait de leur imprécision, au regard de l'exigence faite au législateur de définir les termes des incriminations dans des termes suffisamment clairs et précis pour éviter tout risque d'arbitraire. Votre rapporteur relève notamment que la définition de la notion de vulnérabilité retenue par la directive (« une situation de vulnérabilité signifie que la personne concernée n'a pas d'autre choix véritable ou acceptable que de se soumettre à cet abus ») ne paraît pas répondre à ce critère.

Les modifications apportées par les députés, en reprenant des notions présentes de longue date dans le code pénal, permettent ainsi de concilier cette exigence de précision de la loi pénale avec la nécessité, imposée par la directive, de viser les comportements caractérisant « l'abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité » au sein des éléments constitutifs de l'infraction.

A l'heure actuelle, ces conditions constituent en effet, sous une rédaction légèrement différente, des circonstances aggravantes de l'infraction de traite des êtres humains : elles deviendraient des éléments constitutifs (alternatifs) de l'infraction.

Afin de répondre pleinement aux obligations découlant de la directive, qui distingue la « vulnérabilité » et la « particulière vulnérabilité » de la victime, la rédaction adoptée par les députés s'éloigne légèrement des dispositions figurant habituellement dans le code pénal en mentionnant, dans l'infraction principale, la seule « vulnérabilité » (et non « particulière vulnérabilité ») de la victime due à son âge, à une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse.

Ainsi définie et élargie, l'infraction de traite des êtres humains continuerait à être punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, ce qui correspond à un quantum de peine supérieur au « plancher » imposé par l'article 4 de la directive (au moins cinq ans d'emprisonnement).


• Un second paragraphe ( II ) prendrait en compte la situation particulière des victimes mineures .

Le paragraphe 5 de l'article 2 de la directive prévoit sur ce point que lorsque la traite des êtres humains met en cause un enfant (ce terme étant entendu comme désignant toute personne âgée de moins de dix-huit ans), l'infraction doit être considérée comme constituée y compris si aucun des « moyens de pression » listés ci-dessus (menace, violence, contrainte, abus d'autorité, etc.) n'a été utilisé.

Le projet de loi en tire les conséquences, en prévoyant que l'infraction de traite des êtres humains commise à l'égard d'un mineur serait constituée même si elle n'est pas commise dans les circonstances prévues ci-dessus.

De façon constante avec le droit actuel, et conformément aux prescriptions posées par l'article 4, paragraphe 2 de la directive, la traite des êtres humains commise à l'encontre d'un mineur resterait punie de dix ans d'emprisonnement et de 1,5 million d'euros d'amende.

b) Une redéfinition des circonstances aggravantes (article 225-4-2 du code pénal)

La situation des mineurs, des personnes victimes d'un ascendant, d'une personne ayant autorité sur elles ou d'une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ainsi que des personnes vulnérables ayant été prise en compte dans la nouvelle rédaction de l'infraction de traite des êtres humains proposée par le 1°, le 2° du présent article propose d'en tirer les conséquences en supprimant ces circonstances de la liste des circonstances aggravantes définie à l'article 225-4-2 du code pénal.

Pour les mêmes motifs, la mention de l'emploi de menaces, de contraintes, de violences ou de manoeuvres dolosives visant l'intéressé, sa famille ou une personne étant en relation habituelle avec lui, actuellement prévu au 7° de l'article 225-4-2 du code pénal, est supprimée puisque ces moyens seraient désormais susceptibles d'entrer dans les éléments constitutifs de l'infraction (voir supra ).

Le projet de loi prévoit de lui substituer une nouvelle circonstance aggravante tenant à l'emploi de violences ayant causé à la victime une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours (nouveau 5° de l'article 225-4-2).

L'article 4, paragraphe 2, d) de la directive impose en effet une aggravation de la répression lorsque la traite « a été commise par recours à des violences graves ou [qu'elle] a causé un préjudice particulièrement grave à la victime ».

Le texte proposé par le projet de loi propose de définir cette notion de « violences graves » comme étant celles ayant causé une ITT de plus de huit jours, en harmonie avec la distinction opérée par le code pénal en matière de violences volontaires (articles R. 625-1, 222-11, 222-12 et 222-13 du code pénal).

Toutefois, comme le relève justement la rapporteure de la commission de l'Assemblée nationale, ces nouvelles dispositions ne transposeraient qu'imparfaitement la directive qui vise également le « préjudice particulièrement grave » causé à la victime.

Pour cette raison, la commission des lois a, sur sa proposition, complété la liste des circonstances aggravantes définies à l'article 225-4-2 du code pénal afin de faire référence aux infractions « ayant placé la victime dans une situation matérielle ou psychologique grave » (nouveau 7° de l'article 225-4-2).

Les représentants du ministère de la justice entendus par votre rapporteur ont souligné que cette rédaction, inspirée de la rédaction de l'article 706-14 du code de procédure pénale, faisait l'objet d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation et répondait de ce fait à l'exigence de précision de la loi pénale.

Votre commission relève que cette notion « d'infraction ayant placé la victime dans une situation [...] psychologique grave » recoupera sans doute pour partie la circonstance aggravante liée aux violences graves commises sur la victime (5°), puisque, de façon constante et comme le rappelle l'article 222-14-3 du code pénal, les violences volontaires peuvent être physiques ou psychologiques. Il appartiendra de ce point de vue aux autorités chargées des poursuites de choisir la qualification la plus favorable à la victime, compte tenu de la difficulté pratique d'apporter la preuve d'un lien entre une infraction et le préjudice psychologique subi par la victime.

Enfin, dans un souci de cohérence de l'échelle des peines , la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité que les faits de traite des êtres humains commis à l'encontre de mineurs, qui seraient punis de dix ans d'emprisonnement et de 1,5 million d'euros (voir supra ), soient punis de peines supérieures en présence de circonstances aggravantes : en conséquence, les députés ont porté ces peines à quinze ans de réclusion criminelle et 1,5 million d'euros d'amende lorsque la traite est commise contre un mineur dans l'une des circonstances prévue aux articles 225-4-1 ou 225-4-2 - rendant de ce fait les auteurs de tels faits passibles de poursuites devant une cour d'assises.

c) Compétence des juridictions françaises pour connaître des faits de traite commis à l'étranger par un Français

En l'état du droit et en l'absence de disposition particulière, les juridictions françaises sont compétentes pour juger un délit commis par un Français à l'étranger, sous deux conditions cumulatives :

- d'une part, les faits doivent également, soit être punis par la législation du pays où ils ont été commis (principe dit « de la double incrimination »), soit avoir été commis contre une victime de nationalité française ;

- d'autre part, la poursuite de ces faits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public. Elle doit en outre être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis (articles 113-6, 113-7 et 113-8 du code pénal).

Cet état du droit n'est pas conforme aux obligations découlant de l'article 10 de la directive, qui impose aux États membres d'établir la compétence de leurs juridictions nationales, sans restriction, à l'égard des faits commis par leurs ressortissants.

Le 3° du présent article remédie à cette carence du droit français en supprimant les conditions mentionnées ci-dessus, s'agissant, d'une part, du délit de traite des êtres humains définis à l'article 225-4-1 du code pénal et, d'autre part, de ce délit commis en présence de circonstances aggravantes (article 225-4-2 du code pénal).

Il convient de préciser qu'un tel élargissement de compétences est inutile s'agissant des infractions de traite des êtres humains punies de peines criminelles (articles 225-4-3 et 225-4-4 du code pénal, auxquels s'ajouterait le II de l'article 225-4-2 tel que modifié par la commission des lois de l'Assemblée nationale) : l'article 113-6 du code pénal dispose en effet d'ores et déjà que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître, sans restriction, de tout crime commis par un Français hors du territoire de la République.

d) Incrimination du travail forcé

Les 4° et 5° du présent article résultent d'amendements de Mme Axelle Lemaire adoptés par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi en séance publique et visent à créer un nouveau délit de travail forcé, afin d'adapter le code pénal aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l'homme dans les arrêts Siliadin c. France et C.N. et V. c. France précités.

En l'état du droit, les seules dispositions du code pénal visant des faits de travail forcé sont celles prévues aux articles 225-13 et 225-14, qui punissent de cinq ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende « le fait d'obtenir d'une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli » ainsi que « le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine ». Seules les victimes présentant un état de vulnérabilité ou de dépendance sont susceptibles d'entrer dans le champ de ces dispositions.

Dans son arrêt Siliadin précité, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que ces dispositions n'avaient pas permis d'assurer à la requérante une protection concrète et effective contre les actes dont elle avait été victime, relevant notamment l'application excessivement disparate de ces articles du code pénal par les juridictions françaises.

Les dispositions adoptées par les députés visent ainsi à insérer dans le code pénal un nouvel article 225-14-1, aux termes duquel serait puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende « le fait, par la violence ou la menace, de contraindre une personne à effectuer un travail sans rétribution ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli ».

Cette définition s'inscrit dans le cadre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui considère que tout travail exigé d'un individu sous la menace d'une « peine » ne constitue pas nécessairement un « travail forcé ou obligatoire » au sens de l'article 4, paragraphe 2 de la Convention et qu'il convient de prendre en compte, notamment, la nature et le volume de l'activité en cause ainsi que l'existence d'une disproportion entre l'activité et la rétribution (arrêt C.N. et V. c. France précité, paragraphe 74).

Le c) du 4° et le 5° du présent article visent à permettre d'appliquer aux personnes se rendant coupables de ce nouveau délit les circonstances aggravantes prévues à l'article 225-15 du code pénal et ainsi que la peine complémentaire de confiscation mentionnée à l'article 225-19 du code pénal.

En l'état de la rédaction du code pénal, aucune mesure de coordination n'est en revanche nécessaire pour permettre d'appliquer aux personnes morales se rendant coupables de cette nouvelle infraction les peines mentionnées à l'article 225-16 du code pénal.

Votre commission a adopté l'article 1 er sans modification .

Article 2 (art. 2-22 [nouveau], 706-47 et 706-53 du code de procédure pénale) - Protection des victimes de la traite des êtres humains

Le présent article comporte trois dispositions de procédure pénale destinées à améliorer la protection des victimes de la traite des êtres humains.

Le 1°A du présent article résulte d'un amendement de Mme Axelle Lemaire adopté par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi en séance publique.

Il vise à permettre aux associations engagées dans la lutte contre la traite des êtres humains de se constituer partie civile devant les juridictions pénales afin de soutenir une victime, à condition d'avoir obtenu l'accord de cette dernière. Si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, l'accord devrait être donné par le représentant légal de la victime.

La rédaction de ces dispositions s'inspire de celle retenue par plusieurs autres articles du code de procédure pénale, notamment l'article 2-2 qui permet aux associations engagées dans la lutte contre les violences aux personnes de se constituer partie civile dans des conditions similaires.

Votre commission salue l'ajout de ces dispositions qui permettra aux associations d'accompagner des victimes souvent fragiles tout au long de la procédure judiciaire.

Le 1° du présent article vise à permettre d'appliquer aux faits de traite des êtres humains commis à l'encontre de mineurs l'ensemble des dispositions de procédure pénale prévues par les articles 706-47 et suivants du code de procédure pénale (désignation d'un administrateur ad hoc , enregistrement audiovisuel du mineur victime, possibilité de condamner l'auteur des faits à une injonction de soins, etc.).

En l'état du droit, ces dispositions sont applicables aux procédures concernant les infractions de meurtre ou d'assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie et pour les infractions d'agressions ou d'atteintes sexuelles, de proxénétisme à l'égard d'un mineur ou de recours à la prostitution d'un mineur.

Enfin, le 2° du présent article tend à compléter l'article 706-53 du code de procédure pénale, qui est relatif aux auditions ou confrontations d'un mineur victime de l'une des infractions précitées.

Cet article dispose qu' « au cours de l'enquête ou de l'information, les auditions ou confrontations d'un mineur victime de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-47 sont réalisées sur décision du procureur de la République ou du juge d'instruction, le cas échéant à la demande du mineur ou de son représentant légal, en présence d'un psychologue ou d'un médecin spécialistes de l'enfance ou d'un membre de la famille du mineur ou de l'administrateur ad hoc désigné en application de l'article 706-50 ou encore d'une personne chargée d'un mandat du juge des enfants ».

Le 2° du présent article propose de compléter ces dispositions afin de prévoir qu'à tous les stades de la procédure, le mineur victime d'un crime ou d'un délit peut également, à sa demande, être accompagné par son représentant légal et, le cas échéant, par la personne majeure de son choix, sauf en cas de désignation d'un administrateur ad hoc ou sauf décision contraire motivée prise par l'autorité judiciaire compétente.

Ces dispositions, qui vont au-delà de la seule situation des victimes de la traite, visent à adapter partiellement par anticipation notre code de procédure pénale aux obligations résultant de l'article 20 de la directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, qui ouvre droit à toute victime d'être accompagnée, à tout stade de l'enquête pénale, « par son représentant légal et par une personne de son choix, sauf décision contraire motivée ». La parfaite transposition de ces dispositions, qui doit intervenir d'ici le 16 novembre 2015, exigera de prévoir également des règles similaires s'agissant des majeurs victimes.

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .


* 11 En particulier, la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et deux de ses protocoles additionnels, le protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et le protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, signés par la France le 12 décembre 2000, ainsi que la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie, signée par la France le 22 mai 2006 à Strasbourg.

* 12 Ce « délai de réflexion » est laissé à la victime pour lui permettre de décider si elle souhaite coopérer avec les autorités, un titre de séjour pouvant alors lui être délivré.

* 13 Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/trafficking/Docs/Reports/GRETA_2012_16_FGR_FRA_publication_fr.pdf

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