CHAPITRE II
BLANCHIMENT ET FRAUDE FISCALE

Article 2
(art. 28-2 du code de procédure pénale)
Champ de compétence des officiers fiscaux judiciaires

Le présent article tend à étendre le champ de compétence des officiers fiscaux judiciaires aux faits de blanchiment de fraude fiscale.

La « police judiciaire fiscale » a été créée par l'article 23 de la loi de finances rectificative pour 2009 n°2009-1674 du 30 décembre 2009.

Inspirée de la procédure d'habilitation à la qualité d'officier de police judiciaire de certains agents des douanes (article 28-1 du code de procédure pénale), elle a permis d'habiliter à la qualité d'officier de police judiciaire certains agents des services fiscaux de catégories A et B, afin de leur permettre d'effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction.

L'article 28-2 du code de procédure pénale précise ainsi que, dans ce cas, ces agents sont placés exclusivement sous la direction du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l'instruction. Ils sont placés au sein du ministère de l'intérieur. Conformément au principe de séparation des pouvoirs, ils ne peuvent concomitamment participer à une procédure de contrôle de l'impôt et ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires dans le cadre de faits pour lesquels ils ont participé à une procédure de contrôle avant d'être habilités à effectuer des enquêtes. Corrélativement, ils ne peuvent, même après la fin de leur habilitation, participer à une procédure de contrôle de l'impôt dans le cadre de faits dont ils avaient été saisis par le procureur de la République ou toute autre autorité judiciaire au titre de leur habilitation.

Comme l'avait alors relevé notre collègue Philippe Marini, ancien rapporteur général de la commission des finances, « la possibilité ainsi aménagée que des agents des services fiscaux exercent des pouvoirs de police judiciaire constitue une innovation majeure en faveur de la lutte contre la fraude fiscale la plus grave notamment celle qui exploite des comptes détenus directement ou indirectement dans des États non-coopératifs, source d'une évasion fiscale estimée à plusieurs dizaines de milliards d'euros. On peut espérer des résultats tangibles de cette modernisation, qui dote opportunément la France d'un outil dont disposent déjà de nombreux États en Europe, tels que l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas, ainsi que les États-Unis » 21 ( * ) .

Une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) a ainsi été créée, regroupant au sein d'un même service de police judiciaire des agents aux compétences et expériences diverses. A l'heure actuelle, 13 officiers fiscaux judiciaires (OFJ) y exercent leurs fonctions.

En l'état du droit, ces agents n'ont compétence que pour rechercher et constater, sur l'ensemble du territoire national, les infractions de fraude fiscale prévues par les articles 1741 et 1743 du code général des impôts et les infractions qui leur sont connexes, lorsqu'il existe des présomptions caractérisées que ces infractions ont été commises :

« 1° Soit par l'utilisation de comptes ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un État ou territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins trois ans au moment des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale française ;

« 2° Soit par l'interposition, dans un État ou territoire mentionné au 1°, de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable ;

« 3° Soit par l'usage d'une fausse identité ou de faux documents, ou de toute autre falsification ;

« 4° Soit par une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ;

« 5° Soit, enfin, par toute autre manoeuvre destinée à égarer l'administration ».

L'article 3 du présent projet de loi propose d'étendre le champ de ces dispositions afin de permettre de recourir à l'expertise de la BNRDF pour enquêter sur des comptes ou des montages juridiques établis dans tout État ou territoire étranger - et pas uniquement dans un « paradis fiscal » comme c'est le cas actuellement (voir infra - commentaire de l'article 3).

Le présent article étend le champ de compétence de cette « police judiciaire fiscale » aux faits de blanchiment de fraude fiscale .

En effet, comme l'indique l'étude d'impact annexée au projet de loi, « la BNRDF a une compétence d'attribution et ne peut être saisie que sur la base de ces infractions de fraude fiscale complexe. Elle ne peut en conséquence appréhender les autres infractions économiques et financières que sous l'angle de la connexité avec le délit de fraude fiscale complexe dont elle est saisie à titre principal.

« Si ce service n'a pas vocation à devenir un service économique et financier « généraliste », il est préjudiciable qu'il ne puisse être saisi directement sur la base d'un blanchiment de fraude fiscale complexe sans que la fraude fiscale elle-même soit initialement visée, compte tenu de la proximité de ces infractions et des montages sur lesquels elles reposent.

« L'objectif est ainsi d'étendre le champ de compétence d'attribution de la BNRDF afin de permettre la saisine de ce service sur la base de la seule infraction de blanchiment de fraude fiscale. Cette extension permettra de préserver la spécificité de ce service et de son champ de compétence, seul le blanchiment des fraudes fiscales complexes [...] étant visé » 22 ( * ) .

La portée de ces dispositions doit également être examinée au regard du dispositif actuel d'engagement des poursuites en matière de fraude fiscale. En effet, en l'état du droit issu des articles 1741 du code général des impôts et L. 228 du livre des procédures fiscales, le délit de fraude fiscale ne peut donner lieu à des poursuites judiciaires que sur plainte de l'administration fiscale : en l'absence d'une telle plainte, l'autorité judiciaire ne peut agir, y compris si elle découvre des faits de fraude fiscale à l'occasion d'une enquête préliminaire ou d'une instruction portant sur d'autres faits.

En revanche, une telle restriction n'existe pas en matière de blanchiment de fraude fiscale , depuis l'arrêt « Talmon » de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 20 février 2008. Dans ce dernier, la Cour a en effet jugé que « la poursuite du délit de blanchiment, infraction générale, distincte et autonome, [n'était] pas soumise aux dispositions de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales ».

L'extension du champ de compétence de la « police judiciaire fiscale » aux faits de blanchiment s'inscrit dans la suite logique de cette jurisprudence. Elle permettra de doter l'autorité judiciaire de l'expertise nécessaire pour enquêter sur des faits de blanchiment de fraude fiscale, y compris lorsqu'elle n'a pas été saisie d'une plainte pour fraude de la part de l'administration fiscale. Comme l'indique l'étude d'impact annexée au projet de loi, « cette modification permettra une saisine plus souple du service, en évitant, le cas échéant, l'obligation d'une plainte préalable des services fiscaux et en offrant, de ce fait, une souplesse accrue et une meilleure réactivité lorsque des faits nouveaux apparaissent en cours d'investigations » 23 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .

Article 2 bis
(art. 324-1 du code pénal)
Extension de la définition du blanchiment

Cet article, inséré par les députés sur proposition conjointe de M. Nicolas Dupont-Aignan et de M. Nicolas Sansu, vise à élargir le champ de l'infraction de blanchiment.

En l'état du droit, l'article 324-1 du code pénal prévoit que « le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.

« Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.

« Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ».

Au soutien de leur amendement, les auteurs ont fait valoir les difficultés rencontrées par les services de terrain pour réunir les preuves des éléments constitutifs d'une infraction sous-jacente, alors même que le blanchiment peut représenter des sommes considérables.

Le présent article vise à compléter les dispositions précitées, en prévoyant que le blanchiment serait également constitué par le fait de dissimuler ou de déguiser, ou d'aider à dissimuler ou à déguiser, l'origine de biens ou de revenus dont la preuve n'a pas été apportée qu'ils ne sont pas illicites.

Pour les auteurs de l'amendement, « l'objectif est d'en faciliter la poursuite sans avoir à apporter la preuve de l'infraction sous-jacente dès lors que l'on est en présence de sommes d'origine illicite, étant à la personne poursuivie de donner une explication convaincante sur le caractère licite des sommes d'origine douteuse » 24 ( * ) .

Si votre commission ne peut que partager l'objectif tendant à mieux lutter contre le blanchiment, elle ne peut qu'émettre les plus grandes réserves quant au dispositif proposé par le présent article, qui pose de sérieuses difficultés au regard des principes du droit pénal.

Sans doute le droit pénal connaît-il le délit de non-justification de ressources, applicable à toute personne qui ne « [pourrait] justifier de ressources correspondant à son train de vie ou [ne pourrait] justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d'une de ces infractions ». Ce délit est également applicable au « fait de faciliter la justification de ressources fictives pour des personnes se livrant à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect » (article 321-6 du code pénal).

Par ailleurs, l'article 131-21 du code pénal relatif à la peine de confiscation prévoit que « s'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, lorsque ni le condamné, ni le propriétaire, mis en mesure de s'expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n'ont pu en justifier l'origine ».

Mais la modification proposée par le présent article relève d'une logique différente : impliquant un renversement total de la charge de la preuve , elle obligerait toute personne à apporter la preuve de l'origine licite de biens ou de revenus, indépendamment de toute autre infraction sous-jacente.

Mettant en cause la présomption d'innocence, la constitutionnalité de cette disposition est douteuse.

Par ailleurs, alors même qu'une proposition de directive relative au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme (dite « quatrième directive anti-blanchiment ») est en cours d'examen au niveau de l'Union européenne, il paraît plus opportun d'attendre la transposition de cette directive avant d'avancer sur ce sujet complexe.

Sur proposition de votre rapporteur, votre commission a supprimé l'article 2 bis .

Article 2 ter (nouveau)
(art. 1741 du code général des impôts ; art. L. 227-1 [nouveau]
du livre des procédures fiscales)
Atténuation du monopole exercé par l'administration en matière de mise en mouvement de l'action publique pour des faits de fraude fiscale

Le présent article est issu d'un amendement de votre rapporteur. Il vise à atténuer le monopole actuellement détenu par l'administration en matière de mise en mouvement de l'action publique pour des faits de fraude fiscale.

Aux termes des articles 1741 du code général des impôts et L. 228 du livre des procédures fiscales, aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l'heure actuelle en matière de fraude fiscale en l'absence de plainte préalable de l'administration.

Cet état du droit, fortement dérogatoire au droit commun et aux principes généraux de l'organisation judiciaire, soulève de légitimes objections, notamment lorsque les faits de fraude fiscale apparaissent au cours d'une enquête ou d'une instruction ouverte pour d'autres faits et que, faute de plainte de l'administration fiscale, l'autorité judiciaire est contrainte de « fermer les yeux ».

En outre, si les parquets n'ont pas vocation à connaître de l'intégralité des faits de fraude fiscale commis à l'heure actuelle - pour une immense majorité d'entre eux, l'imposition de sanctions fiscales (qui peuvent parfois atteindre des montants très élevés et dissuasifs) suffit à assurer une répression effective -, il est en revanche particulièrement regrettable que l'autorité judiciaire ne puisse avoir connaissance des faits de fraude fiscale complexe, notamment lorsqu'elle est commise par le recours à des montages juridiques sophistiqués ou à des structures implantées à l'étranger. En effet, comme l'ont relevé l'ensemble des magistrats entendus par votre rapporteur, les faits de fraude fiscale commis dans de telles circonstances peuvent souvent révéler d'autres infractions qui ne peuvent être poursuivies que par la voie pénale (dispositifs de corruption, abus de biens sociaux, escroqueries, etc.). Il importe donc que l'autorité judiciaire puisse en avoir connaissance.

En outre, la création d'un procureur financier à compétence nationale - proposée par le présent projet de loi - n'a de sens que si ce dernier peut disposer d'un entier pouvoir d'appréciation sur l'opportunité d'engager des poursuites en toute matière économique et financière présentant un certain degré de complexité.

Le présent article propose donc de lever partiellement ce qu'on appelle communément le « verrou de Bercy », en prévoyant la possibilité pour l'autorité judiciaire d'engager des poursuites sans autorisation préalable de l'administration :

- d'une part, lorsque les faits sont apparus à l'occasion d'une enquête ou d'une instruction portant sur d'autres faits ;

- d'autre part, lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou par le recours à diverses manoeuvres - sur ce point, l'amendement reprend les termes utilisés par l'article 15 du projet de loi pour la compétence du procureur financier.

Corrélativement, afin de ne pas interdire à l'administration d'avoir recours à un outil - la transaction - qui a fait ses preuves en termes d'efficacité et de rapidité de la sanction, le présent article ouvre une possibilité de transaction pénale , sous le contrôle du parquet , pour les faits de fraude fiscale complexe commis dans les circonstances précitées.

La solution proposée par le présent article renforcera d'ailleurs l'efficacité du dispositif, car le fraudeur ayant recouru à des techniques de fraude sophistiquées aurait une probabilité plus forte de se voir poursuivi au pénal en cas de refus de la solution de transaction proposée par l'administration.

Enfin, l'article prévoit qu'en cas d'engagement des poursuites dans ces conditions, l'administration en serait informée sans délai afin de pouvoir utilement produire ses observations et, le cas échéant, se constituer partie civile.

Votre commission a adopté l'article 2 ter (nouveau) ainsi rédigé .

Article 3
(art. 1741 du code général des impôts ;
art. L. 228 du livre des procédures fiscales)
Renforcement de la lutte contre la fraude fiscale complexe

Le présent article vise à renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale complexe au moyen du droit pénal.

1 - Le délit de fraude fiscale : un délit soumis à un régime de poursuites dérogatoire au droit commun

Le délit général de fraude fiscale est défini par l'article 1741 du code général des impôts comme le fait, par toute personne, de se soustraire ou de tenter de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts :

- soit en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits ;

- soit en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt ;

- soit en organisant son insolvabilité ou en faisant obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt ;

- soit, enfin, en agissant de toute autre manière frauduleuse.

En l'état du droit, issu de la loi de finances rectificative n°2012-354 du 14 mars 2012, ces faits sont passibles de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros 25 ( * ) , indépendamment des sanctions fiscales applicables.

Cette amende est portée à 750 000 euros lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit d'achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet d'obtenir de l'État des remboursements injustifiés.

L'article 1741 du code général des impôts reconnaît l'existence d'une autre circonstance aggravante si les faits impliquent le recours à un « paradis fiscal » : lorsque les faits de fraude fiscale ont été réalisés ou facilités au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un État ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins cinq ans au moment des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale française, soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis dans l'un de ces États ou territoires, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à un million d'euros d'amende.

Ces dispositions ne sont toutefois applicables, en cas de dissimulation, que si celle-ci excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros (appelé encore « seuil de tolérance légale »).

Toute personne condamnée en application de cet article encourt également, au titre des peines complémentaires, la privation des droits civiques, civils et de famille, ainsi que l'affichage et la diffusion de la décision de condamnation.

La particularité du délit de fraude fiscale réside dans le régime particulier de poursuites dont il fait l'objet : de façon dérogatoire au droit commun qui confie au ministère public l'exercice de l'action publique et le pouvoir d'apprécier l'opportunité des poursuites, les articles 1741 du code général des impôts (dernier alinéa) et L. 228 du livre des procédures fiscales subordonnent tout engagement de poursuites pénales en matière de fraude fiscale à une plainte préalable de l'administration .

Cette plainte est déposée après saisine d'une commission des infractions fiscales (CIF) , qui examine les affaires dont la saisit le ministre chargé du budget et dont l'avis lie l'administration. En pratique, cette commission autorise l'administration à déposer plainte dans environ 90 % des affaires qui lui sont soumises.

En conséquence, l'autorité judiciaire ne dispose d'aucune faculté d'enquêter ou d'instruire en matière de fraude fiscale si elle n'a pas été saisie préalablement d'une plainte de l'administration fiscale, y compris si les faits sont révélés au cours d'une procédure engagée pour d'autres faits.

Toutefois, depuis la loi de finances rectificative pour 2009 n°2009-1674 du 30 décembre 2009, la procédure judiciaire d'enquête fiscale permet à l'administration de saisir la justice de « présomptions caractérisées » de fraude alliées à un « risque de dépérissement des preuves » : dans ce cas, le contribuable n'est pas avisé de la saisine de la CIF et n'est pas informé de l'avis rendu par cette commission, ce qui permet de préserver l'efficacité de l'enquête et ainsi de mettre à jour des mécanismes sophistiqués de fraude.

2 - L'extension de la notion de fraude fiscale aggravée (1° et 2° du I du présent article)

Les 1° et 2° du présent article visent à étendre les circonstances aggravantes applicables au délit pénal de fraude fiscale. Les peines encourues pour ce délit seraient ainsi portées à sept ans d'emprisonnement et deux millions d'euros d'amende , dans deux cas de figure :

- lorsque les faits ont été commis en bande organisée .

Rappelons qu'aux termes de l'article 132-71 du code pénal, « constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions » : cette notion répond à des critères stricts qui ne sauraient s'appliquer, comme l'ont craint les avocats entendus par votre rapporteur, à un fraudeur et son conseil dès lors que ce dernier n'a pas activement participé à la préparation et à l'organisation de la fraude.

Comme l'a indiqué à votre rapporteur le ministère de la justice, la notion de bande organisée pourra concerner en pratique des fraudes reposant sur un système organisé impliquant des « kits » prêts à l'emploi pour l'ouverture de comptes offshore et/ou l'intervention d'officines ou de professionnels du chiffre ou du droit proposant sciemment des schémas de fraude complexe à grande échelle, voire d'intermédiaires ou de « rabatteurs » agissant sur le territoire national pour le compte de banques étrangères ;

- soit lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger (1°), de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger (2°), de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents, ou de toute autre falsification (3°), d'une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger (4°), ou encore d'un acte fictif ou artificiel ou de l'interposition d'une entité fictive ou artificielle (5°) .

Ces dispositions se substitueraient aux actuelles dispositions aggravant les peines encourues lorsque la fraude fiscale est commise, soit au moyen de fausses factures, soit par le recours à un « paradis fiscal » (voir supra ).

Les représentants du Conseil national des barreaux ont exprimé leur inquiétude quant aux critères ainsi retenus par ces dispositions, relevant par exemple que l'existence d'un compte bancaire à l'étranger ne traduit pas nécessairement un comportement fautif dès lors que les sommes qui y figurent sont régulièrement déclarées à l'administration fiscale.

Votre rapporteur observe toutefois que les présentes dispositions n'ont pas pour but de définir le champ d'une infraction, mais seulement celui de ses circonstances aggravantes : ce n'est pas la détention d'un compte à l'étranger qui sera pénalisée, mais le fait d'avoir utilisé un tel compte pour commettre le délit de fraude fiscale. À cet égard, il lui paraît légitime que les faits de fraude fiscale commis au moyen de montages juridiques complexes, dans des territoires dans lesquelles ne s'exerce pas la souveraineté de la France, plus difficiles à détecter et à sanctionner compte tenu, notamment, des lacunes de la coopération internationale en la matière, soient plus sévèrement sanctionnés que les faits de fraude fiscale « simple ».

3 - Extension de la procédure judiciaire d'enquête fiscale (II du présent article)

Corrélativement, le II du présent article tend à élargir, de façon cohérente avec les modifications proposées ci-dessus, le champ de la procédure judiciaire d'enquête fiscale.

Créée par la loi de finances rectificative pour 2009 n°2009-1674 du 30 décembre 2009, cette procédure marque une évolution notable dans les relations entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire : alors que, préalablement, l'administration ne pouvait saisir cette dernière, après avoir recueilli l'avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF), que de faits avérés de fraude fiscale, cette nouvelle procédure judiciaire a autorisé l'administration à saisir l'autorité judiciaire en présence de seules « présomptions caractérisées [de fraude fiscale] pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves », afin de lui permettre de bénéficier de l'ensemble des moyens d'investigations judiciaires.

Afin de préserver l'efficacité de l'enquête, d'éviter la disparition des éléments de preuves, la fuite des personnes visées ou l'organisation de leur insolvabilité, la loi a expressément prévu que, dans l'hypothèse où l'administration décide de mettre en oeuvre cette procédure, le contribuable n'est avisé ni de la saisine de la commission des infractions fiscales, ni de l'avis rendu par celle-ci.

En l'état du droit, cette procédure judiciaire d'enquête fiscale ne peut être mise en oeuvre qu'en présence de présomptions caractérisées qu'une infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :

« 1° Soit de l'utilisation, aux fins de se soustraire à l'impôt, de comptes ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un État ou territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins trois ans au moment des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale française ;

« 2° Soit de l'interposition, dans un État ou territoire mentionné au 1°, de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable ;

« 3° Soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de l'article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

« 4° Soit d'une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ;

« 5° Soit de toute autre manoeuvre destinée à égarer l'administration ».

De façon cohérente avec l'extension du délit de fraude fiscale aggravée proposée par le I du présent article, le II propose d'aligner les conditions de mise en oeuvre de cette procédure sur les nouvelles circonstances aggravantes insérées à l'article 1741 du code général des impôts . Ainsi :

- alors que l'un des critères (1° de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales) ne vise actuellement que le recours, à des fins de fraude, à des comptes ou contrats souscrits auprès d'organismes établis dans des « paradis fiscaux », le champ de la procédure serait élargi au recours à des comptes ou des contrats souscrits auprès d'organismes établis dans tout État ou territoire étranger ;

- de même, le champ de la procédure viserait désormais le recours à tout type de montage juridique (interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable) dans un État ou territoire étranger, et non plus uniquement dans un « paradis fiscal ».

4 - Amélioration de la détection des faits de fraude fiscale (3° du présent article et IV de l'article 16)

Parallèlement à l'extension du délit de fraude fiscale aggravée et de la procédure judiciaire d'enquête fiscale, le projet de loi propose deux mesures destinées à améliorer la détection de tels faits.

D'une part, le 3° du présent article , inséré par les députés sur proposition de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, vise, sur le modèle des dispositions relatives aux « repentis » insérées à l'article 1 er ter par la commission des lois de l'Assemblée nationale (voir supra ), à permettre d'appliquer à tout auteur ou complice d'une fraude fiscale - simple ou complexe - de bénéficier d'une réduction de moitié de la durée de la peine d'emprisonnement encourue si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis d'identifier les autres auteurs ou complices.

Comme l'a indiqué M. Bernard Cazeneuve, ministre chargé du budget, lors de la discussion de cet amendement à l'Assemblée nationale, « cet amendement peut permettre d'améliorer l'efficacité de la lutte contre la fraude, dans les cas où plusieurs personnes apportent leur concours à la réalisation de l'infraction : professionnels, établissements bancaires, hommes de paille... En effet, si ces personnes consentent à coopérer avec les autorités répressives, l'administration fiscale ou l'autorité judiciaire, afin d'identifier les autres auteurs ou les complices, elles pourront bénéficier d'une réduction de moitié de la peine de prison encourue » 26 ( * ) .

D'autre part, l'article 16 du présent projet de loi prévoit de compléter les dispositions proposées par cet article en étendant aux formes de fraude fiscale aggravée (c'est-à-dire commise en bande organisée ou dans les circonstances décrites ci-dessus) ainsi qu'à leur blanchiment la possibilité de recourir aux « techniques spéciales d'enquête » que sont la surveillance (article 706-80 du code de procédure pénale), l'infiltration (articles 706-81 à 706-87 du code de procédure pénale), la garde à vue de 96 heures, avec possibilité de différer l'intervention de l'avocat si certaines circonstances particulières l'exigent (article 706-88 du code de procédure pénale), écoutes téléphoniques (article 706-95 du code de procédure pénale), sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules (articles 706-96 à 706-102 du code de procédure pénale), captation de données informatiques (article 706-102-1 à 706-102-9 du code de procédure pénale) et possibilité d'ordonner des mesures conservatoires (article 706-103 du code de procédure pénale). En revanche, les perquisitions nocturnes seraient exclues (articles 706-89 à 706-94 du code de procédure pénale). La personne ayant fait l'objet de telles mesures pourrait demander des explications quant aux suites judiciaires réservées à son affaire (article 706-105 et 706-106 du code de procédure pénale) (voir infra - commentaire de l'article 16).

Ces procédures pourraient être notamment mises en oeuvre par la « police judiciaire fiscale », dont le champ de compétence est étendu par l'article 2 du présent projet de loi (voir supra ).

Au total, votre commission se félicite des dispositions proposées par le présent article, qui permettront de doter l'institution judiciaire de moyens d'action à la hauteur de l'ingénierie développée par certains grands fraudeurs.

Comme l'indique l'étude d'impact annexée au projet de loi, « la France est confrontée à une fraude fiscale internationale qui se caractérise par des techniques de fraude de plus en plus sophistiquées qui tendent à se diffuser au sein de la population des contribuables, personnes physiques et entreprises, notamment par l'accroissement des montages de défiscalisation agressifs proposés par des professionnels peu scrupuleux.

« La sophistication des moyens juridico-financiers utilisés (sociétés écran), la multiplication des protagonistes (émiettement des rôles, hommes de paille...) et l'utilisation de techniques complexes (utilisation de cartes de crédit adossées à une banque « offshore », interposition de structures écran situées dans des États non coopératifs, serveurs de données informatiques à l'étranger, données dématérialisées et cryptées, utilisation de téléphone avec des cartes prépayées, etc...) est une constante à laquelle la justice doit s'adapter » 27 ( * ) .

En outre, comme l'a notamment indiqué à votre rapporteur M. Charles Duchaine, vice-président chargé de l'instruction à la JIRS de Marseille, les procédures judiciaires pour fraude fiscale peuvent être une « porte d'entrée » vers la découverte d'infractions relevant de la délinquance ou de la criminalité financière organisée (systèmes de corruption, etc.).

Le dispositif proposé par le présent article contribuera ainsi à doter notre pays de moyens de détection et de répression à la hauteur des enjeux posés par ces formes insidieuses de délinquance et de criminalité.

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .

Article 3 bis A
(art. 286 ter du code général des impôts)
Dispositif de prévention contre les « carrousels » de TVA

Le présent article est issu d'un amendement de M. Nicolas Sansu, adopté par les députés en séance publique, avec un avis favorable des rapporteurs de la commission des finances et de la commission des lois et un avis de sagesse du Gouvernement. Il vise à renforcer la lutte contre les « carrousels » de TVA.

Dans un rapport remis à la commission des finances de l'Assemblée nationale en février 2012, la Cour des comptes rappelle qu'avec un montant brut recouvré de 178,8 milliards d'euros en 2011 (131,9 milliards d'euros en net), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) constitue la première recette fiscale de l'État. Par sa mécanique, cet impôt est au coeur des transactions quotidiennes entre agents économiques et concerne plus de quatre millions d'entreprises imposables. Son poids et ses caractéristiques en font un enjeu majeur en termes de lutte contre la fraude fiscale, la part de la TVA dans la fraude représentant environ le double de son poids dans les prélèvements .

Ce rapport a notamment mis l'accent sur l'insuffisante connaissance des déterminants de cette fraude et sur la nécessité d'améliorer la programmation des contrôles et a pointé les résultats décevants du contrôle fiscal.

Les « carrousels de TVA » sont un des mécanismes de fraude à la TVA les plus développés et reposent sur la constitution de sociétés éphémères ou de sociétés écran.

Dans son rapport remis en juillet 2012, notre collègue Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion fiscale, relevait que « les carrousels de TVA prospèrent dans l'UE grâce à la création de sociétés-boîtes aux lettres à la durée de vie éphémère, qui ne servent qu'à obtenir un numéro de TVA intracommunautaire. C'est pourquoi le procédé d'attribution de tels numéros est d'importance stratégique pour la lutte contre la fraude à la TVA.

« Or la France délivre les numéros de TVA de manière automatique, sans vérifier les opérations réelles qui en motivent la demande.

« Ce n'est pas le cas dans tous les États membres, certains ayant développé des pré-contrôles théoriques et un étroit suivi des sociétés inactives [...] » 28 ( * ) .

Le présent article vise à mieux prévenir de tels mécanismes de fraude.

Dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, il prévoyait qu'un nouvel article 286 ter A serait inséré dans le code général des impôts afin de prévoir que, lorsque l'assujetti qui effectue des acquisitions intracommunautaires soumises à la taxe sur la valeur ajoutée exerce l'une des activités à haut risque fixées par arrêté du ministre chargé du budget ou lorsqu'il existe une présomption d'inactivité économique, le centre de formalités des entreprises peut lui demander, préalablement à la délivrance du numéro individuel d'identification, tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs à la réalité des opérations qui motivent la demande.

L'administration fiscale pourrait également effectuer un contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle de la réalité de ces opérations, dans les conditions fixées à l'article L. 80 F du livre des procédures fiscales.

Lors de sa réunion, votre commission a adopté un amendement de notre collègue François Marc, rapporteur général, rapporteur pour avis de ce projet de loi, visant à réécrire le présent article.

Souscrivant à l'objectif recherché par les députés, il lui est en effet apparu nécessaire de préciser la rédaction proposée, en instituant un mécanisme de sécurisation du dispositif de délivrance du numéro de TVA intracommunautaire.

L'administration pourrait ainsi demander aux opérateurs de justifier de la réalité de leur activité (ou de l'intention de réaliser des opérations) et de l'exactitude des éléments transmis à l'appui de leur demande de création. En fonction de la réponse, l'administration attribuerait ou non le numéro de TVA intracommunautaire ou l'invaliderait lorsque celui-ci a déjà été délivré. Ainsi rédigé, le dispositif permettrait un contrôle a posteriori de l'attribution du numéro de TVA.

Votre commission a adopté l'article 3 bis A ainsi modifié .

Article 3 bis B
(art. 1649 AB du code général des impôts)
Institution d'un registre public des trusts

Le présent article est issu de deux amendements de M. Éric Alauzet, adoptés par les députés en séance publique avec l'avis favorable de la commission des finances et l'avis défavorable du Gouvernement. Ils visent à instituer un registre public des trusts et à étendre les obligations de déclaration de ces structures à leurs administrateurs.

Les « trusts » sont des entités juridiques constituées par des personnes physiques ou par des entreprises dont elles sont chargées de gérer les actifs que ces personnes ou entreprises leur ont apportés. Aux termes de l'article 2 de la convention de La Haye du 1 er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa définition, « le terme « trust » vise les relations juridiques créées par une personne, le constituant - par acte entre vifs ou à cause de mort - lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d'un trustee dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé.

« Le trust présente les caractéristiques suivantes :

« a) les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ;

« b) le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d'une autre personne pour le compte du trustee ;

« c) le trustee est investi du pouvoir et chargé de l'obligation, dont il doit rendre compte, d'administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi.

« Le fait que le constituant conserve certaines prérogatives ou que le trustee possède certains droits en qualité de bénéficiaire ne s'oppose pas nécessairement à l'existence d'un trust ».

Très utilisés dans les pays de droit anglo-saxon, notamment, ils n'ont en revanche pas d'existence légale en droit français - la France n'ayant par ailleurs pas ratifié la convention de La Haye précitée.

Le droit français les reconnaît toutefois à travers leurs conséquences fiscales . Inséré par la loi de finances rectificative n°2011-900 du 29 juillet 2011, l'article 792-0 bis du code général des impôts définit le trust comme « l'ensemble des relations juridiques créées dans le droit d'un État autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d'un objectif déterminé ».

Par ailleurs, l'article 1649 AB de ce même code impose à tout administrateur d'un trust ainsi défini, dont le constituant ou l'un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé, d'en déclarer la constitution, la modification ou l'extinction, ainsi que le contenu de ses termes.

Si les trusts peuvent avoir diverses finalités légitimes (réponse à des problématiques de gestion de patrimoine notamment), ils peuvent également être des vecteurs d'évasion fiscale, comme l'a relevé notre collègue Éric Bocquet dans son rapport précité : « force est de supposer que cet « outil » patrimonial anglo-saxon a donné lieu à des phénomènes massifs d'évasion fiscale. Me Claude Dumont-Beghi a ainsi qualifié les montages mis en oeuvre de « leurres » en insistant sur leur extrême opacité : « Imaginez un marionnettiste et des marionnettes : un trust fonctionne de la même manière ».

« Rappelons que la création de trusts fait généralement intervenir différents territoires tels que les Iles Caïmans ou Singapour. Cet éloignement est nécessaire à toute tentative d'évasion puisque le trust est considéré en droit français comme une libéralité. En tant que donation, il est présumé rapportable à la succession. Les biens le composant doivent être déclarés au titre de l'article 1837 du code général des impôts [...].

« La dissimulation de biens dans des trusts trouve [notamment] à s'appliquer dans le domaine des oeuvres d'art » 29 ( * ) .

Répondant à une demande d'associations de lutte contre les atteintes à la probité, le présent article vise à instaurer un registre public des trusts , sur le modèle du droit existant en matière de registre des entreprises ou de registre des fiducies :

- le registre du commerce et des sociétés (RCS) recense l'ensemble des personnes morales ou physiques exerçant une activité commerciale. Il est tenu localement par les greffes des tribunaux de commerce. Les données enregistrées au RCS sont publiques ;

- la loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie a corrélativement créé un registre national des fiducies (article 2020 du code civil), qui, en revanche, ne peut être consulté que par des personnes autorisées.

Si le droit français ne reconnaît pas le trust, il reconnaît en revanche la fiducie, introduite par la loi du 19 février 2007, dont le régime juridique se rapproche par certains aspects de la définition des trusts. Aux termes de l'article 2011 du code civil, la fiducie est « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ».

Toutefois, à la différence du trust, la fiducie doit être établie par la loi ou par contrat, de manière expresse. En outre, le contrat de fiducie est nul s'il procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire, cette nullité étant d'ordre public. Enfin, la fiducie est transparente sur le plan fiscal.

Le présent article prévoit ainsi l'institution d'un registre public des trusts . Celui-ci recenserait nécessairement les trusts déclarés, le nom de l'administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust.

Ce registre serait placé sous la responsabilité du ministre chargé de l'économie et des finances et pourrait être consulté librement sur demande, dans des conditions qui seraient précisées par décret en Conseil d'État.

Les obligations de déclaration auprès de l'administration seraient par ailleurs élargies :

- d'une part, le 1° élargirait l'obligation reposant à l'heure actuelle, aux termes de l'article 1649 AB du code général des impôts, sur l'administrateur d'un trust, en exigeant qu'il déclare désormais le nom du constituant et des bénéficiaires du trust , en plus de la constitution, de la modification, de l'extinction et du contenu de ses termes ;

- d'autre part, l'administrateur d'un trust lui-même serait tenu de déclarer la constitution, la modification ou l'extinction, ainsi que le contenu de ses termes, dès lors qu'il a son domicile fiscal en France.

Lors de la discussion de l'amendement en séance publique, M. Bernard Cazeneuve, ministre chargé du budget, s'est déclaré défavorable à l'adoption de celui-ci, estimant notamment qu'il n'appartenait pas à l'administration fiscale de gérer un tel registre.

Votre commission relève que cet argument n'est pas pleinement convaincant car, dans les faits, l'administration fiscale gère un certain nombre de registres, notamment celui des fiducies (cf. le décret n° 2010-219 du 2 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Registre national des fiducies »).

Le ministre a par ailleurs fait valoir qu'étendre aux administrateurs de trusts eux-mêmes l'obligation de se déclarer lorsqu'ils ont leur domicile fiscal en France n'était pas nécessairement pertinent dès lors qu'aucune imposition n'est due pour des trusts dont tous les constituants ou bénéficiaires sont domiciliés à l'étranger et qui comprennent uniquement des biens ou droits situés à l'étranger.

Pour sa part, votre commission ne peut qu'approuver l'intérêt de disposer d'un registre recensant l'ensemble des personnes, ayant leur domicile fiscal en France, détenant un intérêt quelconque dans un trust. Une telle mesure ne peut que participer à la lutte contre l'évasion fiscale et le blanchiment de capitaux et améliorer les conditions de transparence dans lesquelles ces structures opèrent.

Toutefois, comme elle l'avait relevé lors de l'examen de la loi du 19 février 2007 instituant la fiducie, les modalités de constitution et de consultation d'un tel fichier relèvent de la matière réglementaire 30 ( * ) .

Par cohérence, elle a adopté un amendement de son rapporteur tendant à renvoyer à un décret en Conseil d'État l'ensemble des modalités de constitution de ce registre. Il lui est en effet apparu nécessaire, dans une matière aussi complexe, de laisser au pouvoir réglementaire la possibilité de déterminer les modalités les plus adaptées d'un tel registre.

Votre commission a adopté l'article 3 bis B ainsi modifié.

Article 3 bis C
(art. 1736 du code général des impôts)
Alourdissement des pénalités applicables en cas de non-respect des obligations de trusts par leur administrateur

Le présent article est issu d'un amendement de M. Eric Alauzet et de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, adopté par les députés en séance publique avec un avis de sagesse du Gouvernement.

S'inscrivant dans la même logique que le précédent, il vise à alourdir significativement le montant des pénalités encourues par l'administrateur d'un trust qui ne satisferait pas aux obligations de déclaration lui incombant au titre de l'article 1649 AB du code général des impôts.

Rappelons que l'article 1649 AB du code général des impôts, que l'article 3 bis B du présent projet de loi prévoit de modifier (voir supra ), impose à l'administrateur d'un trust un certain nombre d'obligations de déclarations auprès de l'administration fiscale.

Le IV bis de l'article 1736 du code général des impôts dispose, en l'état du droit, que les infractions à ces obligations de déclarations sont passibles d'une amende de 10 000 euros ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés.

Le présent article propose d'élever ces pénalités, respectivement à 20 000 euros ou 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés.

Au soutien de leur amendement, M. Eric Alauzet et Mme Sandrine Mazetier ont indiqué que « les trusts [pouvaient] être des vecteurs d'évasion fiscale internationale, ainsi que l'ont montré plusieurs affaires récentes, [et qu'il] était nécessaire d'inciter plus fortement à leur déclaration auprès de l'administration fiscale, en prévoyant des sanctions plus dissuasives ».

Votre commission a adopté l'article 3 bis C sans modification .

Article 3 bis D
(art. 1741 A du code général des impôts)
Composition de la commission des infractions fiscales

Le présent article procède d'un amendement de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale, adopté en séance publique par les députés avec l'avis favorable du Gouvernement. Il vise à diversifier la composition de la commission des infractions fiscales afin de lever les suspicions qui reposent, à l'heure actuelle, sur son mode de fonctionnement.

Rappelons que la poursuite du délit de fraude fiscale est, en droit français, soumis à un régime dérogatoire au droit commun puisque l'action publique ne peut être mise en mouvement pour de tels faits que sur plainte de l'administration fiscale.

Instituée par la loi n°77-1453 du 29 décembre 1977, la commission des infractions fiscales (CIF) est une commission administrative chargée de se prononcer sur les affaires que l'administration fiscale entend soumettre à l'autorité judiciaire. Elle ne peut s'autosaisir ; en revanche, son avis lie l'administration. En pratique, l'administration fiscale la saisit en moyenne d'un millier de dossiers par an et la CIF autorise le dépôt de plainte pour 90 % d'entre elles environ.

Le contribuable est en principe avisé de la saisine de la commission, laquelle l'invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu'il jugerait nécessaires. Toutefois, lorsque l'administration décide de mettre en oeuvre la procédure judiciaire d'enquête fiscale (voir supra - commentaire de l'article 3), le contribuable n'est ni avisé de sa saisine ni informé de son avis.

Dans un arrêt daté du 16 mai 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « les principes du procès équitable reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme ne [pouvaient] s'appliquer devant la Commission des infractions fiscales, qui n'est pas un premier degré de juridiction mais un organisme consultatif destiné à donner son avis au ministre chargé des Finances sur l'opportunité des poursuites ».

En l'état du droit, défini à l'article 1741 A du code général des impôts, la CIF est composée, sous la présidence d'un conseiller d'État, de conseillers d'État et de conseillers maîtres à la Cour des comptes, choisis parmi ces magistrats et ces fonctionnaires en activité ou à la retraite.

Son président est à l'heure actuelle M. Jean-François de Vulpillières, que votre rapporteur a entendu dans le cadre de la préparation du présent rapport.

Le président et les membres de la commission ainsi que leurs suppléants sont nommés par décret pour trois ans ; ils sont tenus au secret professionnel.

Dernier maillon du « verrou de Bercy », la CIF est souvent pointée du doigt pour l'opacité des critères selon lesquels elle autorise, ou non, le dépôt d'une plainte au parquet par l'administration fiscale.

Répondant au souci du Gouvernement d'améliorer la transparence de l'activité de l'administration en ce domaine, le présent article vise à diversifier la composition de cette commission :

- cette dernière demeurerait présidée par un conseiller d'État, mais ce dernier devrait désormais être élu par l'assemblée générale du Conseil d'État ;

- outre six conseillers d'État, en activité ou honoraires - eux aussi élus par l'assemblée générale du Conseil d'État - et six conseillers maîtres à la Cour des comptes, en activité ou honoraires - élus quant à eux par la chambre du conseil en formation plénière de la Cour des comptes, la CIF serait désormais également composée de six magistrats honoraires à la Cour de cassation , élus par l'assemblée générale de la Cour de cassation, ainsi que par quatre personnalités qualifiées , désignées par les présidents des deux assemblées.

En toute hypothèse, les élections et les désignations mentionnées ci-dessus devraient respecter le principe de la parité entre les femmes et les hommes.

Ces dispositions s'appliqueraient à compter du 1 er janvier 2015.

Lors de son audition par votre rapporteur, M. Jean-François de Vulpillières s'est interrogé sur la pertinence de faire entrer dans la composition d'une commission administrative des magistrats judiciaires et des personnalités qualifiées, observant toutefois que le comité de l'abus de droit fiscal était déjà composé de personnalités d'horizons divers (article 1653 C du code général des impôts).

Il a par ailleurs relevé que l'élection du président et de plusieurs membres de la commission par l'assemblée générale du Conseil d'État ou par la chambre du conseil en formation plénière de la Cour des comptes relevait sans doute d'une solennisation excessive du processus de désignation, le nombre de candidats à ses fonctions étant généralement limité.

Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité pratique de respecter la parité en ce domaine.

Si votre commission observe que le rôle joué par la CIF dans les relations existant entre l'administration et l'autorité judiciaire en matière de fraude fiscale est sans doute limité, elle ne saurait toutefois s'opposer à cet élargissement de la composition de cette commission.

Elle a adopté un amendement de M. François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances, tendant à porter le nombre de membres composant la CIF de 22 à 28 , en prévoyant la nomination de huit conseillers d'État, huit conseillers maîtres à la Cour des comptes et huit magistrats honoraires à la Cour de cassation , au lieu de six : il lui est apparu qu'une telle composition permettrait un fonctionnement à quatre sections de sept membres, sans risque de partage égal des voix au sein desdites sections.

Votre commission a adopté l'article 3 bis D ainsi modifié .

Article 3 bis E
(art. L. 47 A du livre des procédures fiscales)
Autorisation donnée aux agents des services fiscaux de copier des fichiers informatiques dont ils sont amenés à constater l'existence lors de la procédure de contrôle inopiné

Le présent article est issu de deux amendements identiques de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, et de M. Nicolas Sansu, adoptés par les députés en séance publique avec l'avis favorable du Gouvernement. Il vise à permettre à l'administration fiscale de prendre des copies des fichiers informatiques dont ses agents sont amenés à constater l'existence lors de la procédure de contrôle inopiné.

L'article L. 47 du livre des procédures fiscales autorise les agents des services fiscaux à procéder à un contrôle inopiné, lorsqu'il paraît nécessaire de procéder à des constatations matérielles qui perdraient toute leur valeur si elles étaient différées : constatation de l'existence des moyens de production, des matières et éléments en stock, de l'existence et de l'état des documents comptables, etc.

Le contrôle inopiné s'inscrit dans le cadre de la vérification de comptabilité. Le fait de s'opposer à un tel contrôle en mettant les agents des services fiscaux dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions est passible d'une amende pénale de 25 000 euros (article 1746 du code général des impôts).

L'article L. 47 A du livre des procédures fiscales définit la procédure applicable lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés.

En l'état du droit, ces dispositions n'empêchent pas certaines entreprises de modifier ou de détruire la copie des fichiers, notamment le fichier des écritures comptables, avant le commencement des opérations de contrôle par le service vérificateur.

Le présent article tend à remédier à cette lacune du droit fiscal, en ouvrant aux agents des services fiscaux réalisant un contrôle inopiné la possibilité d'effectuer deux copies des fichiers relatifs aux informations, données et traitements informatiques ainsi que de la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements mentionnée à l'article L. 13 du livre des procédures fiscales.

Ces copies seraient placées sous scellés, l'une étant remise au contribuable ou son représentant, l'autre étant conservée par l'administration.

Ces deux copies pourraient ainsi être confrontées lors de l'examen au fond des documents comptables, lequel ne peut débuter qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil ( A du III inséré à l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales).

Toutefois, par dérogation, en cas d'altération des scellés ou des fichiers copiés, de non-présentation de la copie des fichiers remise au contribuable ou du fichier des écritures comptables, l'administration serait autorisée à effectuer des tris, classements ainsi que tous calculs sur la copie des fichiers des écritures comptables conservée par ses soins ( B du III ).

En outre, dans ces mêmes circonstances ou en cas d'impossibilité d'effectuer tout ou partie des traitements informatiques nécessaires au contrôle des informations, données et traitements informatiques, l'administration pourrait effectuer ces traitements sur la copie des fichiers conservée par ses soins ( C du III ).

En toute hypothèse, il reviendrait à l'administration de communiquer au contribuable, sous forme dématérialisée ou non, au choix de ce dernier, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification.

La copie des fichiers serait détruite par l'administration avant la mise en recouvrement ( D du III ).

L'exposé des motifs de ces deux amendements identiques attire l'attention sur le fait que cette mesure ne remettrait aucunement en cause la qualité du débat oral et contradictoire puisque les contribuables seraient toujours en possession de leurs fichiers originaux et qu'ils disposeraient d'un délai raisonnable pour faire appel à un conseil avant l'examen au fond des documents.

Votre commission a adopté l'article 3 bis E sans modification .

Article 3 bis F
(art. L. 247, L. 247-0 A [nouveau] et L. 251 A [nouveau]
du livre des procédures fiscales)
Définition des conditions dans lesquelles
l'administration fiscale peut transiger

Le présent article est issu d'un amendement de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, adopté par les députés en séance publique avec l'avis favorable du Gouvernement. Il vise à inscrire dans la loi les conditions dans lesquelles l'administration fiscale peut transiger avec un contribuable en situation d'irrégularité.

En l'état du droit, l'article L. 247 du livre des procédures fiscales reconnaît à l'administration fiscale le pouvoir, d'une part, d'accorder des remises totales ou partielles d'impôts directs, d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts, et, d'autre part, une atténuation d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts par voie de transaction .

La transaction, conformément à l'article 2044 du code civil, est un contrat écrit par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Contrairement à la remise ou à la modération qui procède d'une décision unilatérale de l'administration, la transaction suppose des concessions réciproques faites par l'administration et le contribuable.

Comme l'indique le bulletin officiel des finances publiques - impôts, la transaction ne peut, en aucun cas, conduire à une atténuation de l'impôt principal (droit, taxe, prélèvement, redevance, etc.), quelle que soit sa nature. Elle s'applique lorsque l'administration consent au redevable une atténuation des pénalités prononcées ou simplement encourues et, le cas échéant, renonce à porter l'affaire devant les tribunaux.

En contrepartie, le contribuable bénéficiaire de la transaction s'engage à verser au Trésor, à titre de sanction, en plus des droits et des frais éventuellement exigibles, une somme fixée par le service, inférieure aux pénalités qu'il a encourues ou qui ont été prononcées contre lui, et renonce à toute procédure contentieuse - née ou à naître - visant les pénalités ou les droits qu'elles concernent.

L'article L. 251 du livre de procédures fiscales dispose à cet égard que lorsqu'une transaction est devenue définitive après accomplissement des obligations qu'elle prévoit et approbation de l'autorité compétente, aucune procédure contentieuse ne peut plus être engagée ou reprise pour remettre en cause les pénalités qui ont fait l'objet de la transaction ou les droits eux-mêmes.

Plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur ont dénoncé le caractère opaque dans lequel se déroulaient de telles transactions - d'autant qu'en l'espèce, comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, l'autorité judiciaire ne dispose d'aucun droit de regard sur de telles procédures puisqu'elle ne peut agir en matière de fraude fiscale que sur plainte préalable de l'administration. De fait, il est à craindre que des faits avérés de fraude fiscale d'ampleur importante trouvent leur issue dans un « arrangement » entre le contribuable fraudeur et l'administration, sans que quiconque - et notamment le juge pénal - ne puisse examiner les faits.

Répondant au souci du Gouvernement d'améliorer la transparence sur les conditions dans lesquelles l'administration fiscale agit lorsqu'elle transige avec un contribuable fautif, le présent article vise à mieux définir, dans la loi, les conditions dans lesquelles une telle transaction est susceptible d'intervenir.

Le propose ainsi de compléter l'article L. 247 du livre des procédures fiscales précité, afin d'interdire à l'administration fiscale de transiger :

- d'une part, lorsqu'elle envisage de mettre en mouvement l'action publique pour les infractions mentionnées au code général des impôts ;

- d'autre part, lorsque le contribuable met en oeuvre des manoeuvres dilatoires visant à nuire au bon déroulement du contrôle.

Par ailleurs, le 2° propose d'insérer dans le livre des procédures fiscales un nouvel article L. 247-0 A qui disposerait que la détermination du montant de l'atténuation accordée dans le cadre de la transaction doit garantir le respect de la hiérarchie des sanctions prévues par le code général des impôts.

Enfin, le 3° propose de rétablir un article L. 251 A inscrivant dans la loi l'engagement pris par le ministre chargé du budget de publier, chaque année, un rapport sur l'application de la politique de remises et de transactions à titre gracieux par l'administration fiscale. Ce rapport pourrait faire l'objet d'un débat chaque année devant les commissions permanentes compétentes en matière de finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, en présence du ministre chargé du budget.

Si votre commission ne peut qu'encourager l'administration fiscale à plus de transparence dans ses pratiques, elle ne peut que rester relativement perplexe face aux avancées somme toute modestes proposées par le présent article.

Ainsi, les deux critères d'interdiction de recours à la transaction proposés par le 1° paraissent en tout état de cause contradictoires avec la possibilité même de réaliser une transaction : rappelons que celle-ci est un contrat conclu entre le contribuable et l'administration, dont la conclusion paraît compromise par le dépôt d'une plainte auprès du parquet en vue de l'engagement de poursuites judiciaires ou par la mise en oeuvre, par le contribuable, de manoeuvres dilatoires visant à nuire au bon déroulement du contrôle.

De même, le fait de demander à l'administration fiscale de garantir « le respect de la hiérarchie des sanctions » dans sa pratique de la transaction paraît relativement peu contraignant pour elle.

Enfin, si votre commission salue l'engagement du ministre chargé du budget de publier, chaque année, un bilan des transactions passées par l'administration fiscale, elle relève que les modalités selon lesquelles ce rapport pourrait être discuté devant le Parlement - particulièrement s'agissant de la désignation des commissions compétentes - relèvent sans doute moins de la loi que du Règlement de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Un tel rapport permettra toutefois de dresser un bilan de l'activité de l'administration fiscale en matière de transaction, alors qu'à l'heure actuelle, aucun chiffre n'est communiqué quant au volume et aux montants de ces dernières.

Le dispositif proposé par le présent article pourra, à l'avenir, être affiné au vu des éléments que le Gouvernement s'engage désormais à communiquer aux assemblées.

Votre commission a adopté l'article 3 bis F sans modification .

Article 3 bis
(art. L. 228 B [nouveau] du livre des procédures fiscales)
Rapport annuel de la commission des infractions fiscales

Le présent article, inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, vise à prévoir la publication du rapport annuel de la commission des infractions fiscales (CIF).

La commission des infractions fiscales, commission administrative chargée d'examiner les affaires de fraude fiscale que l'administration envisage de porter à la connaissance de la justice, n'a pas de pouvoir d'auto-saisine : elle n'examine donc que les affaires que lui soumet l'administration fiscale, en vue du dépôt d'une plainte auprès du parquet.

Comme l'a indiqué à votre rapporteur M. Jean-François de Vulpillières, président de la CIF, cette commission, instituée par la loi n°77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière, constitue une garantie pour le contribuable, en ce qu'elle vise à vérifier que le dépôt de plainte ne procède pas d'une « volonté d'acharnement » de l'administration et que les éléments du dossier mettent bien en évidence une intention consciente de frauder.

Saisie d'environ 1 000 affaires par an, la CIF autorise l'administration à déposer plainte dans environ 90 % des cas (voir supra ).

Elle n'a, en revanche, aucun droit de regard sur les remises et transactions accordées par l'administration fiscale.

Répondant à la préoccupation du Gouvernement d'améliorer la lisibilité de l'action de l'administration sans pour autant remettre en cause le principe d'un monopole de cette dernière pour l'engagement de poursuites pénales, le présent article prévoit d'inscrire, dans la loi, le principe d'une publication du rapport annuel de la CIF.

Cette dernière serait ainsi chargée d'élaborer chaque année à l'attention du Gouvernement et du Parlement un rapport d'activité, qui ferait l'objet d'une publication, dans lequel figurerait notamment le nombre de dossiers reçus et examinés, le nombre d'avis favorables et défavorables émis, répartis par impôts et taxes, ainsi que par catégories socio-professionnelles, en précisant le montant des droits visés pénalement.

Comme l'a indiqué à votre rapporteur M. Jean-François de Vulpillières, un tel rapport est déjà élaboré chaque année, de sorte que sa publication et sa transmission au Parlement et au Gouvernement ne soulèvent pas de difficulté.

Par ailleurs, le présent article prévoit que, désormais, les conditions du déclenchement des poursuites pénales en matière de fraude fiscale et les critères définis par la CIF en la matière feraient l'objet d'un débat chaque année devant les commissions permanentes compétentes en matière de finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, en présence du ministre chargé du budget.

Au total, votre commission observe que, sur le fond, la publication du rapport annuel de la CIF n'apportera qu'une maigre transparence sur les pratiques de l'administration fiscale puisque, n'étant saisie que des dossiers pour lesquels cette dernière envisage la mise en mouvement de l'action publique, la CIF n'a à connaître que d'une infime partie des affaires traitées par les services chargés du contrôle fiscal. En particulier, les remises et les transactions accordées par l'administration fiscale échappent totalement à son contrôle.

Elle ne saurait toutefois s'opposer à la transmission d'un tel rapport
- étant rappelé par ailleurs que l'article 462 du code des douanes prévoit quant à lui la publication du rapport annuel du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes.

Votre commission a adopté un amendement rédactionnel de son rapporteur.

Elle a adopté l'article 3 bis ainsi modifié .

Article 3 ter
(art. L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales)
Amélioration du dialogue entre l'administration fiscale
et l'autorité judiciaire

Le présent article, issu d'un amendement de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, s'inscrit lui aussi dans le souhait du Gouvernement d'améliorer la lisibilité de l'action de l'administration fiscale sans pour autant remettre en cause le « monopole » dans celle-ci dispose dans l'engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale. Il vise à améliorer le dialogue entre cette administration et l'autorité judiciaire.

Les relations entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire sont en principe régies par deux dispositions législatives :

- d'un côté, le second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Ces dispositions s'appliquent naturellement à l'ensemble des agents de l'administration chargés des contrôles fiscaux, qui sont alors déliés de leur obligation de secret professionnel (articles L. 141 A et L. 142 du livre des procédures fiscales) ;

- d'un autre côté, l'article L. 101 du livre des procédures fiscales dispose que « l'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ». L'article L. 82 C du même livre permet également au ministère public de communiquer tout dossier à l'administration des finances à l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles.

Ces dispositions se traduisent par un dialogue régulier entre les juridictions et les échelons déconcentrés de l'administration fiscale, notamment dans le cadre de la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée.

Toutefois, de l'avis de l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur, si les juridictions s'acquittent de leurs obligations sans difficulté, y voyant même, pour certains magistrats, une complémentarité fructueuse, tel ne paraît pas être le cas de l'administration fiscale, dont les agents signalent très peu de faits délictueux aux parquets.

Cette question dépasse très largement celle du monopole dont bénéficie l'administration en matière d'engagement de l'action publique en matière de fraude fiscale : les contrôles fiscaux réalisés par les agents de l'administration fiscale peuvent en effet révéler certains faits, comme l'escroquerie (fraude internationale aux quotas carbone par exemple), qui n'entrent pas dans le cadre de ce monopole.

De fait, d'après l'ensemble des magistrats entendus, les « signalements article 40 » faits auprès des parquets par des agents de l'administration fiscale sont très rares. Selon certains représentants du personnel de cette administration rencontrés par votre rapporteur, des consignes seraient même expressément données dans certains départements pour limiter de tels signalements - ce qui est contraire à la loi. Interrogés par votre rapporteur, les représentants du ministère de l'économie et des finances ont indiqué ne pas disposer de statistiques quant aux « signalements article 40 » effectués par leurs services.

Le présent article propose d'améliorer les relations entre l'administration et l'autorité judiciaire, en complétant les articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, qui autorisent ou obligent (selon les cas), l'autorité judiciaire à transmettre un certain nombre d'informations à l'administration fiscale (voir supra ).

Ainsi, cette dernière serait désormais tenue de porter à la connaissance de l'autorité judiciaire, spontanément dans un délai de six mois après leur transmission ou à sa demande, l'état d'avancement des recherches de nature fiscale auxquelles elle a procédé à la suite de la communication des dossiers ou d'éléments de nature à faire présumer une fraude fiscale.

Le résultat du traitement définitif de ces dossiers par l'administration des finances ferait l'objet d'une communication au ministère public, ce qui permettrait à ce dernier d'avoir une vision plus complète de l'affaire traitée.

Comme l'indique l'exposé des motifs de la rapporteure de la commission des finances, les agents de l'administration seraient, à cette occasion, déliés du secret professionnel dans leurs relations avec le ministère public ou le juge d'instruction.

Par ailleurs, cet article organise une meilleure information des parlementaires, en prévoyant la transmission d'un rapport annuel au Parlement portant sur le traitement des dossiers transmis à la direction générale des finances publiques par le ministère public et l'autorité judiciaire en application des règles rappelées ci-dessus.

Ce rapport, qui ne serait remis qu'à partir de 2015 s'agissant des échanges intervenus à compter du 1 er janvier 2014, comporterait obligatoirement les informations suivantes :

- le nombre de dossiers transmis ;

- le nombre de dossiers ayant fait l'objet d'enquêtes ;

- le nombre de dossiers ayant fait l'objet de contrôles, la nature et le montant des impositions qui en résultent ;

- et, enfin, le nombre de dossiers de plainte pour fraude fiscale.

Votre commission approuve cet effort de transparence de la part de l'administration fiscale. Elle relève toutefois l'asymétrie du dispositif proposé par le présent article : le rapport au Parlement proposé par cet article comporterait des informations sur le traitement par l'administration des informations communiquées par l'autorité judiciaire, mais rien, en revanche, sur les signalements effectués auprès du ministère public par cette administration au titre de l'article 40 du code de procédure pénale .

Sur proposition de son rapporteur, elle a adopté un amendement tendant à compléter le présent article afin de demander à l'administration, dans le cadre de ce rapport annuel, de communiquer le nombre de « signalements articles 40 » effectués par ses services.

Elle a également adopté un amendement rédactionnel de son rapporteur tendant à supprimer la mention du « ministère public » à l'alinéa 7, les termes d' « autorité judiciaire » désignant l'ensemble des magistrats - siège et parquet - comme l'a rappelé à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel.

Votre commission a adopté l'article 3 ter ainsi modifié .

Article 3 quater
(art. 460 du code des douanes)
Composition du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes

Le présent article, introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, vise à élargir la composition du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes.

Défini à l'article 460 du code des douanes, le comité du contentieux fiscal, douanier et des changes est chargé d'émettre un avis sur certaines transactions conclues par l'administration des douanes.

Ce comité élabore par ailleurs à l'intention du Gouvernement et du Parlement un rapport annuel, qui fait l'objet d'une publication, sur les conditions dans lesquelles ont été conclues les transactions relevant de la compétence des services extérieurs de la direction générale des douanes et droits indirects.

Il procède également dans les services extérieurs de cette direction aux enquêtes qu'il juge utiles - les agents de l'administration étant alors déliés du secret professionnel vis-à-vis des membres du comité.

Ce comité peut également être consulté par le ministre du budget sur toute question générale ou particulière relative au contentieux fiscal, douanier et des changes.

Enfin, il peut formuler, de sa propre initiative, au ministre du budget, les observations et recommandations qu'il estime utiles.

Tout assujetti au respect de la réglementation fiscale, douanière et des changes et tout organisme représentatif de ces assujettis peut informer le comité des difficultés rencontrées en matière contentieuse.

À l'heure actuelle, ce comité est composé, sous la présidence d'un conseiller d'État, de conseillers d'État, de conseillers à la Cour de cassation et de conseillers maîtres à la Cour des comptes, choisis parmi ces magistrats et ces fonctionnaires en activité ou à la retraite.

De façon symétrique aux modifications proposées par l'article 3 bis D (voir supra ), le présent article propose d'élargir la composition de ce comité à deux personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale et deux personnalités qualifiées désignées par le président du Sénat.

Votre commission a adopté l'article 3 quater sans modification .

Article 3 quinquies
(art. 1649 A bis et 1736 du code général des impôts)
Augmentation des sanctions en cas de non-respect par les établissements bancaires de leurs obligations de déclaration concernant les comptes répertoriés dans FICOBA

Le présent article est issu d'un amendement de la rapporteure pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Mme Sandrine Mazetier, adopté par les députés avec l'avis favorable du Gouvernement. Il vise à élever les sanctions prévues en cas de non-respect par les établissements bancaires de leurs obligations de déclaration concernant les comptes répertoriés dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés  (FICOBA).

En l'état du droit, l'article 1649 A du code général des impôts dispose que les administrations publiques, les établissements ou organismes soumis au contrôle de l'autorité administrative et toutes personnes qui reçoivent habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces doivent déclarer à l'administration des impôts l'ouverture et la clôture des comptes de toute nature.

Ces informations permettent d'alimenter le fichier FICOBA, qui contient les informations de 80 millions de personnes physiques - françaises ou non - détenant un compte bancaire en France et traite chaque année environ 100 millions de déclarations de comptes.

En l'état du droit, aucune disposition spécifique ne permet de sanctionner les manquements à cette obligation de déclaration.

Afin de remédier à cette lacune, le présent article propose de compléter l'article 1736 du code général des impôts et de prévoir que les infractions à cette obligation de déclaration seront passibles d'une amende de 1 500 euros par ouverture ou clôture de compte non déclarée.

Par ailleurs et sauf cas de force majeure, les omissions de déclaration de modification de compte et les inexactitudes ou omissions constatées dans les déclarations entraîneraient l'application d'une amende de 150 euros par omission ou inexactitude, sans que le total des amendes applicables aux informations devant être produites simultanément puisse être supérieur à 10 000 euros.

Votre commission a adopté l'article 3 quinquies sans modification .


* 21 Rapport n° 158, tome I (2009-2010) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, déposé le 14 décembre 2009, page 153.

* 22 Étude d'impact annexée au projet de loi, page 11.

* 23 Idem.

* 24 Voir l'exposé des motifs des deux amendements identiques n°1 et n°34.

* 25 Avant mars 2012, le montant de l'amende encourue n'était que de 37 500 euros.

* 26 Assemblée nationale, compte-rendu de la troisième séance du 20 juin 2013.

* 27 Étude d'impact annexée au projet de loi, page 14.

* 28 Rapport d'information n°673 - tome I (2011-2012) de M. Eric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, présidée par M. Philippe Dominati, pages 441-442.

* 29 Rapport précité, pages 143 et suivantes.

* 30 Rapport n° 11 (2006-2007) de M. Henri de Richemont, fait au nom de la commission des lois, déposé le 11 octobre 2006, page 59.

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