COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE M. BERNARD CAZENEUVE,
MINISTRE DÉLÉGUÉ AU BUDGET
(mercredi 26 juin 2013)

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M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je vous remercie, monsieur le ministre, de venir devant la commission. Nous achevons une journée très fertile en auditions, débutée ce matin à 9 heures. Comme nous avons déjà consacré beaucoup de débats à ce sujet, et sous le contrôle de nos rapporteurs, nos collègues François Marc, rapporteur général de la commission des finances et rapporteur pour avis sur le présent projet de loi, qui nous a rejoint, et Alain Anziani et Virginie Klès, rapporteurs pour la commission des lois, j'ai envie de vous demander de répondre à deux questions : premièrement, un certain nombre de magistrats et de non-magistrats se demandent si la procédure pénale ne pourrait pas s'engager sans le préalable du travail de l'administration fiscale. Deuxième problème : faut-il vraiment créer un procureur financier ? Les procureurs que nous avons entendus émettent de nombreuses réserves.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget . - Merci Mesdames et Messieurs les sénateurs pour votre accueil.

Vous me soumettez le sentiment des procureurs. Il fut un temps où les procureurs ne s'exprimaient pas. Aujourd'hui ils le font et c'est donc le signe qu'ils sont plus indépendants qu'ils ne l'étaient. Ce n'est pas une mauvaise nouvelle.

Sur le texte lui-même, j'exprimerai tout d'abord trois petites considérations européennes. Nous sommes dans un combat déterminé, porté par le président de la République et les ministres en charge, pour que, au sein de l'Union européenne, de nouvelles règles soient promues pour lutter avec plus d'efficacité contre la fraude fiscale de grande ampleur.

Notre agenda européen rencontre notre agenda international. Nous avons trois objectifs. Le premier est d'obtenir l'échange automatique d'informations entre États membres pour permettre à chaque pays d'être informé sur ses ressortissants ayant un compte dans un autre État membre de l'Union européenne. Nous profitons de la quatrième directive anti-blanchiment et de la directive épargne pour faire en sorte que puissent exister des conventions harmonisées d'échange automatique d'informations entre les vingt-sept États membres. Vous savez que deux États sont réticents, l'Autriche et le Luxembourg. En même temps, les pressions exercées sur ces deux pays montrent que l'Union européenne progresse : jusqu'à présent, ces deux pays conditionnaient l'acceptation de conventions sur l'échange automatique d'informations à la signature de conventions de même type avec la Suisse ; ce n'est plus le cas désormais. Deuxièmement, nous souhaitons l'établissement d'une liste d'États et de territoires non coopératifs européenne qui permettrait à l'Europe, au-delà de ce qu'elle peut faire en matière de trusts et de registres de sociétés écran, de déclarer véritablement la guerre aux paradis fiscaux. Troisième point, dès lors que seraient signées des conventions d'échange automatique d'informations à l'intérieur de l'Union européenne et qu'est brandie la menace d'une liste européenne des ETNC, l'idée est de faire en sorte de signer des conventions de type FATCA avec les pays tiers. Et nous aurions ainsi un dispositif complet, articulé avec trois outils.

Pour la France, nous avons décidé de présenter un nouveau dispositif législatif qui poursuit des objectifs précis. Premièrement, faire en sorte d'augmenter les moyens d'investigation de l'administration fiscale et de la justice pour tout ce qui relève de la fraude fiscale de grande ampleur, notamment de celle qui utilise des moyens d'interposition (sociétés, comptes à l'étranger, montages complexes). Nous avons décidé que les moyens de la police judiciaire pour les enquêtes fiscales seraient confortés. Nous avons décidé de prévoir des circonstances aggravantes pour l'infraction de fraude fiscale dès lors qu'existent des comptes à l'étranger et des sociétés écran. Nous avons décidé que l'administration fiscale pourrait utiliser des sources qui lui ont été transmises de façon licite notamment par l'autorité judiciaire y compris lorsque l'origine est illicite. Ceci, pour surmonter les difficultés résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation dans l'affaire de la liste HSBC qui a empêché l'administration fiscale d'utiliser des éléments communiqués par le procureur de la République mais dont les sources n'étaient pas licites puisque la liste avait été volée.

Je fais une petite parenthèse : il arrive souvent que l'administration fiscale ait été entravée dans ses investigations par les contraintes juridiques. Dire qu'on est face à une administration fiscale pusillanime dans ses enquêtes et une justice très allante pour les conduire ne correspond pas à la réalité.

Deuxièmement, nous voulons organiser l'articulation entre ce que fait l'administration fiscale et ce que fait la justice. Si on devait aborder le débat en essayant de substituer l'action de l'un à l'action de l'autre plutôt que d'articuler l'action de l'un à l'action pertinente de l'autre, nous ferions une erreur lourde. Nous avons fait le choix de l'articulation : l'articulation, c'est une administration fiscale qui va au bout de ses investigations ; comme il peut toujours y avoir un doute sur la façon dont l'administration fiscale conduit ses investigations, applique ses pénalités et met en conformité avec le droit la situation de ceux qui régularisent leur situation, nous proposons que, chaque année, le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur l'action de l'administration fiscale en matière de fraude fiscale et que les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs généraux des commissions des finances puissent opérer des contrôles sur pièces et sur place.

La commission des infractions fiscales est généralement considérée comme une structure opaque s'interposant entre l'administration fiscale et la justice et empêchant parfois la justice de connaître de tous les sujets dont l'administration fiscale pourrait en amont avoir traité. Là aussi, nous sommes déterminés à changer cet ordre des choses. Premièrement, en faisant en sorte que la composition de la CIF puisse être revue.

Puisque des magistrats judiciaires s'interrogent sur les conditions dans lesquelles la CIF examine les dossiers, ouvrons la CIF à des magistrats judiciaires ; puisqu'il peut y avoir des interrogations à propos des conditions et des critères sur la base desquels la CIF décide, rendons également public le rapport d'activité annuel de la CIF, ce qui permettra de connaitre les critères utilisés, de savoir combien de dossiers ont été reçus, d'avis émis. En aval de l'intervention de la CIF, enfin, donnons à la Justice les moyens pour aller au terme de ses investigations, ce qui sera matérialisé notamment par la création du parquet financier. Ce parquet financier aura de larges compétences : lutte contre la fraude fiscale aggravée et la grande délinquance financière ainsi que contre les atteintes à la probité notamment la corruption.

Ce parquet financier s'accompagnera d'une réorganisation des juridictions. Les pôles économiques et financiers disparaîtront et ce sont les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, qui prendront le relais, en concurrence avec le parquet financier spécialisé. Cette concurrence est en réalité une garantie que les investigations iront à leur terme, plutôt qu'une source de complications. En effet, il n'y a pas de raison qu'une juridiction locale ou une JIRS ne puisse pas poursuivre l'infraction de blanchiment de fraude fiscale, ce dernier délit ne nécessitant pas que l'administration fiscale soit intervenue préalablement comme l'a précisé la Cour de cassation dans un arrêt Talmon du 20 février 2008. Enfin, le parquet financier pourra lui-même poursuivre ces faits.

Je suis attaché au monopole de l'administration fiscale dans l'exercice des poursuites pénales pour fraude fiscale, ce qu'on appelle le « monopole de Bercy », car je ne veux pas que ceux qui fraudent aient le moindre interstice pour continuer à le faire, en s'intercalant entre l'administration fiscale et la justice pour « jouer la montre », s'appuyer éventuellement sur les conflits de compétences pour échapper à la sanction. Ma conviction est que lorsqu'un fraudeur est pris, il doit payer tout de suite, et que lorsque les faits relèvent d'une infraction pénale, la Justice doit être à même de le poursuivre ensuite.

Abandonner le monopole de l'administration fiscale en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale, c'est, sauf à considérer qu'il faille alors reconstituer cette administration au sein du Ministère de la Justice, se priver de l'administration la mieux armée techniquement pour détecter les fraudes complexes. Je ne comprendrais donc pas que l'administration fiscale française, qui conçoit l'impôt, contrôle qu'il est payé et sanctionne le fait que certains s'y soustraient, soit totalement démantelée. Je ne comprendrais pas pourquoi on se priverait de cette expertise, mise au service de la sanction immédiate, y compris pénale, car lorsqu'on applique une amende lourde au fraudeur qui ne s'est pas acquitté de son devoir, cette sanction a une nature pénale (au sens de la convention européenne des droits de l'homme). Cette possibilité d'une sanction quasiment immédiate entre le moment où la fraude est découverte et la sanction est infligée laisse un temps trop court aux fraudeurs pour échapper à la sanction. Ce temps court a aussi un avantage considérable : il nous garantit des rentrées fiscales. La lutte contre la fraude fiscale étant animée par le désir de voir ceux qui échappent à l'impôt s'en acquitter enfin, il serait absurde d'accorder aux fraudeurs le bénéfice du temps long de la procédure judiciaire. Les fraudeurs seraient en outre moins sanctionnés, après des procédures durant 5, 6 ou 7 ans, alors qu'actuellement, ils sont fortement sanctionnés, 5, 6 ou 7 semaines seulement après la détection de la fraude.

À partir du moment où l'administration fiscale a une obligation de transparence à l'égard du Parlement, que l'objectif est de faire rentrer des recettes, il est d'autant plus important que ceux qui n'ont pas acquitté leurs obligations fiscales paient désormais leurs impôts. Dans un contexte de redressement des finances publiques, abandonner ces principes et faire le choix du temps long de la procédure judiciaire - dont nous n'avons pas intérêt à ce qu'il soit raccourci, car il est la garantie aussi bien du contradictoire et du respect des procédures que du rôle de l'avocat - est une voie que je vous recommande pas. La sanction financière immédiate de la fraude est très dissuasive et très importante pour l'administration fiscale qui la perçoit. La substitution du temps long de la sanction juridictionnelle au temps court de la sanction financière forte aura des conséquences importantes pour les comptes publics. Pour vous donner un ordre de grandeur, en 2011, la sanction fiscale la plus importante infligée à un contribuable par l'administration fiscale a été de 65 millions d'euros, alors que la sanction financière maximale infligée par une juridiction a été de l'ordre de 300 000 euros. Vous avez ainsi une idée des effets qu'il y aurait à ne pas maintenir le monopole de Bercy. Je ne vous incite donc pas à retirer à l'administration fiscale son monopole dans l'exercice des poursuites pénales pour fraude fiscale. D'autre part, quand nous transmettons à la CIF des dossiers, sur les dernières années, cette commission met environ 10 % des propositions de poursuites de côté, en refusant le dépôt de plainte, et 5 à 10 % des plaintes transmises à la justice sont ensuite classées sans suite ou aboutissent à des relaxes. Si vous regardez le nombre de peines de prison ferme infligées pour fraude fiscale, vous verrez où se situe la sévérité.

Je veux que les fraudeurs ne bénéficient plus d'une quelconque impunité et plutôt que d'opposer la Justice et l'administration fiscale, je pense qu'il est préférable d'articuler les deux pour que l'une travaille avec l'autre, afin que la pression sur les fraudeurs soit maximale. Il n'y a pas de suspicion à l'égard des juges, qui doivent disposer de leurs propres moyens d'investigations, - d'où le parquet financier -, il n'y a pas davantage une volonté d'opposer deux administrations ; il s'agit plutôt d'assurer un continuum, des investigations à la sanction.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Comment le parquet financier s'articulerait-il avec les autres parquets ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget . - Les compétences du parquet financier lui sont dévolues par la loi : la lutte contre les atteintes à la probité, contre la fraude fiscale aggravée, contre la grande délinquance financière et contre le blanchiment, notamment. Ses compétences très larges lui permettront d'intervenir sur l'ensemble des questions relevant de la délinquance économique et financière ; elles s'articuleront avec les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). La concurrence entre ces deux structures aura pour résultat que chaque affaire sera instruite. En ce qui concerne ce sujet, Mme Taubira vous répondra plus amplement. La création du procureur financier s'inscrit dans une logique de spécialisation qui complète et renforce les JIRS. Cette spécialisation est nécessaire en raison de la complexité très forte des affaires à traiter et permet une concentration des moyens. La désignation d'un interlocuteur privilégié pour les pays étrangers est aussi une avancée de ce texte.

M. François Marc , rapporteur pour avis de la commission des finances . - Je suis très honoré de pouvoir intervenir à la commission des lois. Je remercie monsieur le Ministre pour les précisions apportées sur la problématique des contrôles exercés par l'administration fiscale et le traitement judiciaire de la fraude fiscale. Je suis en accord total avec lui sur la nécessité de conserver le monopole de l'administration fiscale dans l'exercice des poursuites pénales pour fraude fiscale ainsi que sur la préoccupation de conserver une capacité de recouvrement rapide et efficace des sommes dues, qui sont des thématiques particulièrement importantes à la commission des finances.

J'aurais trois thèmes de réflexion. En premier lieu, j'aurais aimé connaître la portée pratique du registre national des trusts ; peut-on s'assurer vraiment du respect de cette obligation, notamment en ce qui concerne les bénéficiaires réels ? J'ai également une question liée à l'éventuel achat de listes de contribuables fraudeurs et la rémunération des informateurs. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question, quelles sont les garanties apportées à un tel dispositif ? A-t-on identifié des obstacles juridiques pouvant s'opposer à ce qu'un redressement soit mené sur la base d'une liste volée ?

Enfin, en ce qui concerne l'évasion fiscale, dans un rapport rendu public début juin, l'inspection générale des finances (IGF) s'est penchée sur la problématique des prix de transfert et leur rôle dans l'évasion fiscale. L'IGF a constaté que le droit français était en retrait par rapport aux dispositions en vigueur dans plusieurs autres pays européens. Quelle est la suite que le Gouvernement donnera à ce rapport, notamment sur le durcissement de la réglementation s'agissant de ces pratiques de prix de transfert ?

M. Alain Anziani , rapporteur . - M. le Ministre, je voulais d'abord vous remercier de la précision de votre intervention. Nous considérons qu'il y a beaucoup d'éléments positifs dans le texte permettant à l'administration fiscale de mieux travailler en amont, avec les nouvelles dispositions concernant l'enquête, comme en aval, avec les nouvelles dispositions très techniques sur les saisies et le recouvrement des créances. Il y a toutefois aujourd'hui deux points de vue assez radicalement opposés. Du point de vue de l'administration fiscale, son monopole doit être conservé, car c'est une tradition française - depuis 1920 - et parce que c'est surtout la source d'une meilleure efficacité, grâce aux transactions qui peuvent être réalisées ; elles rapportent beaucoup d'argent à l'État. Du point de vue de la Justice, il faudrait supprimer le monopole au nom de la tradition française d'opportunité des poursuites et d'une meilleure efficacité, le dispositif actuel permettant peu de recouvrement. Les magistrats tiennent donc le même discours que vous, mais inversé. À propos de la CIF, ils ont un raisonnement différent : il y a en France 6 000 infractions constatées, l'administration transmet mille dossiers à la CIF qui n'en retient que 900 qui sont alors instruites dans de très mauvaises conditions : les dossiers sont transmis à la limite de la prescription, il faut reprendre la procédure pour respecter le principe du contradictoire et en outre, certains dossiers ne présentent que peu d'intérêt. Ils soulignent aussi que malgré ces éléments, leur taux de réponse pénale est de 97 % - vous avez cité un chiffre de 90 % tout à l'heure, relativement proche - . Voilà la vision de la justice. Je suis totalement d'accord avec vous sur le fait de ne pas opposer administration fiscale et justice, mais de mieux les articuler. Mais ne peut-on pas mieux les articuler en redonnant justement une vraie place au parquet ? Avouez qu'il est assez paradoxal d'afficher, comme le fait notamment le Président de la République avec beaucoup de force, le principe d'indépendance du parquet, grâce à une réforme, - qui j'espère va aboutir -, alors qu'en matière fiscale, nous conservons un procureur dépendant de l'administration fiscale. Nous allons créer un procureur financier pour agir plus efficacement, mais on commence par « lui couper le bras » en l'empêchant d'engager des poursuites, ce qui est contraire à tous les principes du droit pénal et de la procédure pénale. Ne peut-on pas redonner au parquet un pouvoir d'initiative ? L'article 40 du code de procédure pénale n'est pas appliqué en matière de fraude fiscale, ne pourrait-on pas revenir sur cette exception ?

En ce qui concerne le deuxième point, vous avez développé avec beaucoup de conviction le principe selon lequel il vaut mieux une bonne transaction plutôt qu'une mauvaise procédure, mais il y a aussi d'autres solutions : en matière douanière, par exemple, il existe des transactions pénales. Il ne s'agit pas de déposséder l'administration fiscale, ce serait une folie. On lui laisse l'enquête - qu'elle fait remarquablement -, ainsi que les possibilités de poursuivre, mais lorsque l'on aboutit à une transaction, pourquoi ne pas la faire valider par le procureur ? En quoi cela serait-il choquant pour nos principes et en quoi cela diminuerait-il l'efficacité des transactions ? Le procureur accepterait la plupart du temps les transactions et cela rendrait au parquet le principe d'opportunité des poursuites, qui est l'âme du parquet. Nous devrions explorer des voies pour mieux conjuguer efficacité des procédures et respect des principes.

Enfin, si un parquet européen est créé, comment expliquer au ministère public européen que son interlocuteur en matière de lutte contre la fraude fiscale, c'est-à-dire le procureur financier, devra en référer préalablement à l'administration fiscale ? Vous voyez donc bien la difficulté posée.

Mme Virginie Klès , rapporteur du projet de loi organique. - Je partage ce qui a été dit par mon collègue Alain Anziani jusqu'à présent et je souhaiterais aborder deux points supplémentaires.

En premier lieu le système des repentis : dans l'hypothèse où il n'y a pas de blanchiment d'argent, le système envisagé ne risque-t-il pas d'encourager une forme de concurrence déloyale entre les entreprises par exemple ?

En second lieu, s'agissant des lanceurs d'alertes : on a oublié de prendre en compte les mandataires sociaux. On peut acheter leur silence. Il faut donc être attentif à la protection des mandataires sociaux.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Monsieur le ministre, quel est votre point de vue sur les points qui viennent d'être soulevés ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Sur les lanceurs d'alertes, pour répondre à Madame Klès, le Gouvernement a pris une position : il faut faire en sorte que les amendements du Parlement visant à améliorer le dispositif soient accueillis positivement.

S'agissant de l'articulation entre Justice et administration fiscale, pour répondre à Monsieur Anziani qui pose une question autant philosophique qu'économique, tous ceux qui n'ont pas respecté le droit fiscal, sciemment ou non d'ailleurs, doivent-ils être systématiquement traduits devant les tribunaux ? La réponse est non. Nous sommes dans une société où les relations sont déjà très judiciarisées. L'administration fiscale a un très haut niveau d'expertise, sans égal ailleurs dans l'administration. Elle peut jouer un rôle de conseil et n'est pas obligée de tout transmettre à la Justice. S'agissant de la juridiction gracieuse fiscale, l'administration examine non pas 6 000 dossiers, mais approximativement 1 000 000 demandes de remise par an.

M. Alain Anziani , rapporteur. - Je ne parlais de transmission à la Justice que pour les dossiers de fraude fiscale complexes, soit environ 200 dossiers par an.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - La transaction ne se fait que lorsqu'une sanction a été infligée par l'administration fiscale. Si le contribuable concerné reconnait la faute en acceptant de payer, on peut considérer que la sanction a été effectuée. La sanction financière pour ce type d'infraction est lourde. La transaction n'est pas un accommodement, ni une amnistie. C'est un processus au terme duquel l'administration fiscale décide d'appliquer une sanction financière après mise en oeuvre du principe du contradictoire entre l'administration fiscale et le fraudeur protégé par le secret fiscal. Ce secret fiscal est l'équivalent du secret de l'instruction, la seule différence entre les deux, c'est que le secret fiscal est respecté, ce qui bien sûr convient moins aux journalistes ! Le secret fiscal protège le principe du contradictoire, car l'administration fiscale a un pouvoir fort à l'égard de celui qui enfreint la loi. L'idée selon laquelle le contradictoire constituerait une remise de peine est totalement fausse. Le principe de séparation des pouvoirs empêche l'administration fiscale de contrôler le travail des juges. Le contrôle parlementaire, par la remise d'un rapport annuel contenant des éléments concrets sur les transactions effectuées, à l'exception bien sûr du nom des personnes concernées, garantira l'information du Parlement. Le rapporteur général et le président de la commission des finances pourront procéder à un contrôle sur pièces et sur place dans chacun des cas concernés.

Par ailleurs, sur l'idée de mise en concurrence entre administration fiscale et Justice, le système que vous proposez, Monsieur Anziani, a un inconvénient : le juge est maître du temps judiciaire. Aussi longtemps qu'il enquête, nous ne pouvons pas sanctionner par une amende. Nous ne pouvons que transmettre des éléments à la Justice. D'ailleurs, lorsque la Justice constate une infraction, le dossier est généralement transmis à l'administration fiscale pour expertise. Mais si on met l'administration et le juge en concurrence sur des questions de fraude fiscale, cela pourra prendre jusqu'à dix ans, une fois toutes les voies de recours épuisées. Je pense qu'il ne faut donc pas ouvrir cette voie qui avantagerait les fraudeurs fiscaux. La fraude fiscale serait traitée comme une infraction de droit commun, ce qui ralentirait l'application des sanctions. Comme ministre du budget, je ne peux pas accepter de substituer le temps de la justice au temps court de l'administration fiscale.

M. Alain Anziani , rapporteur. - Mais on peut articuler, accepter de soumettre les transactions fiscales les plus importantes aux procureurs. Il ne s'agit pas de retirer le dossier à l'administration fiscale, mais de permettre à la Justice de se pencher sur le travail de l'administration fiscale. Pourquoi refuser de le faire ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Quel est l'intérêt de soumettre au procureur une transaction ayant fait l'objet d'une expertise ? Le juge n'a pas les moyens techniques de l'administration fiscale car ce sont des dossiers extrêmement complexes. Pour obtenir une expertise technique, il fera sans doute appel à ceux qui, au sein de l'administration fiscale, ont effectué la transaction. Nous ne ferions qu'allonger le temps de la transaction, c'est-à-dire le temps de la perception de la somme. Cette solution ne présenterait un intérêt que si elle permettait de disposer de moyens d'appréciation supplémentaires au regard des éléments dont dispose l'administration fiscale. Or, ce n'est pas le cas. Ce projet de loi permet à l'administration fiscale de disposer de tous les moyens d'interposition et d'enquête nécessaires. L'équilibre du texte est bon. Au-delà, nous commettrions une erreur. Une perte de recettes fiscales en cette période n'est pas acceptable. J'assume le fait que la récupération des recettes fiscales est mon obsession. Le texte soumis permet à la fois le maintien des recettes fiscales et la garantie des droits des contribuables concernés. Je ne souhaite pas qu'on allonge le temps des procédures. Pourquoi s'en priver ?

Entre 2011 et 2012, la politique de contrôle fiscal a généré environ 2 milliards d'euros de droits et pénalités supplémentaires. On est passé, en un an, de presque 16 à plus de 18 milliards d'euros de droits et pénalités. C'est positif ! L'allongement de ce temps serait une calamité pour nos finances. Je suis convaincu que les dispositifs mis en place, le texte aujourd'hui proposé ainsi que la circulaire que j'ai récemment prise concernant les conditions de mise en conformité des avoirs, non déclarés, placés par nos compatriotes à l'étranger vont dans le bon sens.

Mme Jacqueline Gourault . - À partir de quand jugez-vous utile que l'administration fiscale transmette le dossier à la Justice ?

Mme Virginie Klès , rapporteur du projet de loi organique. - De façon très concrète et pratique, vous nous dites que parfois, grâce à ce texte, l'administration fiscale utilisera les moyens de la Justice, mais à quel moment si la Justice n'est pas saisie ? Comment demander à un procureur de recourir à certaines procédures s'il ne peut être officiellement saisi ?

M. Jean-Yves Leconte . - Ma question rejoint celle de mes collègues. Si l'administration obtient des pouvoirs actuellement dévolus la Justice, est-il logique que cela reste exclusivement une prérogative de l'administration fiscale ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Le dispositif est très encadré. L'administration fiscale ne disposera pas de moyens intrusifs, attentatoires aux libertés publiques, pour contrôler les contribuables, contrairement à ce qu'affirmait un article récent du journal Le Monde. Cette loi accorde les mêmes garanties aux justiciables que lorsqu'ils sont poursuivis dans d'autres affaires.

Lors d'une émission télévisée, j'ai mentionné la possibilité pour l'administration fiscale d'utiliser les écoutes téléphonique. La réponse ne s'est pas faite attendre... il y a eu des centaines de « tweets » pour dire que le Gouvernement rétablissait les écoutes. Non ! Ces écoutes ne sont possibles que dans des conditions très encadrées, avec un dispositif d'autorisation. L'administration fiscale ne peut engager de telles investigations d'elle-même. Elle fera des contrôles. Lorsqu'une infraction est matérialisée, une amende, qui a valeur de sanction pénale, pourra être prononcée.

Si nous considérons que d'autres éléments le justifient, une fois que la commission des infractions fiscales (CIF) est intervenue, nous pourrons déclencher l'action judiciaire notamment pour rassembler des éléments judiciaires. Ces éléments sont précisément identifiés dans la loi comme des circonstances aggravantes. Il s'agit notamment du blanchiment, de l'utilisation de structures interposées, de trusts, ou de la mobilisation de paradis fiscaux.

En revanche, je ne pense pas que la procédure judiciaire ait vocation à s'appliquer à l'ensemble des affaires. On aboutirait alors à un excès de judiciarisation et à un encombrement des tribunaux.

M. Alain Anziani , rapporteur . - C'est donc l'administration fiscale qui choisit les dossiers dans lesquels la CIF intervient. Pourquoi ne pas choisir plutôt un système dans lequel les affaires complexes, ou très complexes, relèvent du parquet plutôt que de l'administration fiscale ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Les critères précis qui encadrent l'instruction des dossiers par l'administration fiscale sont énumérés dans la loi. Ils relèvent de l'aggravation de fraude fiscale. L'administration fiscale n'intervient pas « à la tête du client ».

De plus, les critères selon lesquels la CIF statue seront rendus publics dans un rapport annuel remis au Parlement. Le ministre ne connaît pas de ces affaires. Depuis ma prise de fonctions, il y a deux mois et demi, je ne suis jamais intervenu dans la conduite des opérations de contrôle et, a fortiori, dans la définition des éventuelles suites correctionnelles. Une circulaire l'interdit d'ailleurs.

La réponse ainsi apportée me semble être la bonne. Elle répond à vos inquiétudes, tout en permettant à l'administration fiscale de percevoir ce qui lui est dû. Face aux fraudeurs, ce qui compte c'est la rapidité et l'importance de la sanction. Pour les « fraudeurs de grand chemin et de grand genre », l'amende infligée est plus significative que la prison. La loi va dans le sens d'un durcissement des sanctions et d'une pénalisation accrue.

Pour répondre au rapporteur général de la commission des finances, M. François Marc, l'Assemblée nationale, par voie d'amendement, a créé un registre national des trusts, conçu sur le modèle du registre du commerce et des sociétés. Tout manquement à cette obligation de déclarations sera lourdement sanctionné. Cette disposition doit être retravaillée, mais l'idée est là. Au G8, le Président de la République a souligné la nécessité que cette obligation s'applique à l'échelle internationale.

Quant aux « aviseurs », la rémunération est possible pour les douanes dès à présent. Ce dispositif peut être utile pour obtenir des informations, qui permettent de réaliser des saisies en situation de flagrance. Il est moins utile en matière fiscale, car l'information ne peut être utilisée comme élément de preuve. En revanche, la loi permettra désormais l'utilisation de listes, transmises à l'administration fiscale de façon licites, mais dont l'origine ne l'est pas. Le problème « HSBC » ne se poserait alors plus du tout dans les mêmes termes.

Enfin, concernant les prix de transfert, je vous renvoie au rapport de l'inspection générale des finances. Nous souhaitons travailler avec les entreprises sur ce sujet. Des dispositions ont déjà été prises dans la loi bancaire et dans la loi de finances rectificative pour 2012. Nous envisageons d'améliorer cette législation dans la loi de finances initiale pour 2014.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Notre débat a été très riche. Monsieur le ministre, vous nous avez éclairés par la force de votre argumentation et votre sens de la pédagogie. Nos collègues ont également fait avancer la discussion par leurs interventions très intéressantes. Chacun a donc pu s'exprimer avec sa part de vérité. Je vous remercie.

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