B. LES RÉSEAUX DE SOINS : UNE RÉPONSE À L'ABSENCE DE RÉGULATION PAR L'ASSURANCE MALADIE AVEC POUR OBJECTIF LA RÉDUCTION DU RESTE À CHARGE DES PATIENTS

1. L'optique, le dentaire et l'audioprothèse, trois secteurs avec deux points communs : des prix libres, au moins en partie, et une faiblesse des remboursements par l'assurance maladie
a) L'optique : une participation symbolique de l'assurance maladie obligatoire et une absence complète de régulation des professionnels

En préambule, il faut préciser que sous le terme « optique », ce rapport n'entend inclure que la profession d'opticien-lunetier, non celle de médecin ophtalmologue qui relève de la convention médicale et de caractéristiques particulières qu'il serait par ailleurs nécessaire d'expertiser en raison d'une démographie très inquiétante.

Au 1 er janvier 2012, les opticiens-lunetiers sont au nombre de 25 010, dont 70 % sont salariés . Entre 50 % et 60 % de la population porte un équipement optique correcteur.

Les données chiffrées sur le secteur économique de l'optique font régulièrement l'objet de contestations, comme la parution d'une étude d'UFC-Que choisir a pu le laisser apparaître en avril 2013. Malgré ces incertitudes, quelques éléments peuvent être avancés :

- le chiffre d'affaires du marché de l'optique s'élève à 6,3 milliards d'euros en 2012, en progression de 33 % sur dix ans (source : revue spécialisée Bien Vu 7 ( * ) d'après les données de la Drees). Ce montant englobe des ventes hors champ de la santé telles que des lunettes de soleil sans correction ou des accessoires. L'Autorité de la concurrence 8 ( * ) reprend des chiffres différents : un chiffre d'affaires de 5,7 milliards en 2011, qui a progressé de 60 % entre 2000 et 2010. Selon UFC-Que choisir, le marché des lunettes de vue proprement dit s'élève à 4,7 milliards d'euros, dont 3,3 milliards pour les verres et 1,4 milliard pour les montures ;

- le nombre de points de vente est passé de 8 400 en 2002 à 11 874 en 2012 , soit une progression de 41 % sur cette période (source : Bien Vu). Chaque magasin couvre ainsi une zone de 5 404 habitants en moyenne en métropole, avec peu d'écarts entre les départements, sous réserve de quelques exceptions comme Paris (2 953 habitants par magasin en moyenne) ou, en sens inverse, la Seine-Saint-Denis (8 301). Dans son avis de septembre 2009 sur les réseaux de soins, l'Autorité de la concurrence indique pudiquement que l'évolution du nombre de points de vente 9 ( * ) « conduit à s'interroger sur l'existence d'un excès de l'offre » ;

- les dépenses annuelles en optique par habitant sont passées de 76,48 euros en 2003 à 95,78 euros en 2011, soit + 25 %. Toujours selon la revue Bien Vu, elles s'élèvent à 55 euros en 2011 au Royaume-Uni, 34 euros en Espagne, 42 euros en Italie et 57 euros en Allemagne. Les chiffres de l'étude d'UFC-Que choisir montrent également un niveau plus élevé en France des dépenses d'optique ; pour autant, ils sont sensiblement différents de ceux de la revue Bien Vu, ce qui révèle les difficultés de comparaisons de marchés aux caractéristiques variées. L'une des explications à cette situation réside dans le fait que les Français sont plus équipés en verres progressifs, plus chers, que les Européens.

Les remboursements en matière d'optique sont pratiquement entièrement à la charge des organismes complémentaires et des patients, la prise en charge par l'assurance maladie relevant du résiduel ou du symbolique.

Optique simple

Optique complexe

Prix de référence de l'étude (prix facturé par le professionnel à l'assuré)

200 euros
(100 euros de monture et 50 euros par verre simple)

500 euros
(100 euros de monture
et 200 euros par verre complexe)

Remboursement de l'assurance maladie obligatoire

4,82 euros

2 %

15,33 euros

3 %

Remboursement moyen
par les organismes complémentaires

148,10 euros

74 %

275,40 euros

55 %

Reste à charge net moyen
pour l'assuré

47,08 euros

24 %

209,27 euros

42 %

Source : Etudes et résultats « Les contrats les plus souscrits
auprès des complémentaires santé en 2009 », Drees, n° 789, février 2012

Dans l'exemple utilisé par la Drees, l'assurance maladie obligatoire rembourse entre 2 % et 3 % des dépenses d'optique et les Ocam entre 55 % et 74 % en moyenne (avec des variations importantes selon les contrats), ce qui entraîne un reste à charge net élevé pour les patients (en moyenne entre 24 % et 42 %).

L'assurance maladie rembourse l'optique à hauteur de 60 % mais sur la base de tarifs ridiculement bas : 2,84 euros pour une monture de lunettes et selon le degré de correction pour les verres de lunettes (2,29 euros pour les verres les plus simples et 24,54 euros pour les verres les plus complexes) ! En pratique, le taux de remboursement moyen par l'assurance maladie est inférieur à 5 % .

En données macro-économiques, la Drees estime la part des dépenses d'optique prise en charge par les Ocam à 45 %.

b) Les soins dentaires : une situation ambiguë avec des prix très encadrés pour les soins et libres pour les prothèses et les traitements d'orthodontie

Au 1 er janvier 2012, 40 599 chirurgiens-dentistes exercent en France, dont 36 809 en exercice libéral ou mixte (libéral et hospitalier), 360 en hôpital et 3 430 en tant que salariés. Environ 43 % exercent dans un cabinet individuel et presque le tiers en cabinet de groupe.

Les soins dentaires comprennent les soins conservateurs (détartrage, traitement d'une carie, dévitalisation, etc.) et les soins chirurgicaux (extraction, etc.). Ils sont pris en charge par l'assurance maladie s'ils figurent sur la liste des actes et prestations remboursables, et sont remboursés à 70 % sur la base de tarifs conventionnels. Des dépassements d'honoraires sont possibles dans certains cas très limités.

Contrairement aux consultations et aux soins dentaires, le tarif des prothèses dentaires et des traitements d'orthodontie est libre . Le chirurgien-dentiste ou le médecin stomatologiste est tenu de fixer ses honoraires « avec tact et mesure » et d'informer préalablement le patient au moyen d'un devis écrit. Les prothèses dentaires sont certes prises en charge par l'assurance maladie et remboursées à 70 %, mais sur la base de tarifs dits de responsabilité, très inférieurs à leur coût réel.

En pratique, la prise en charge par la sécurité sociale est donc de 70 % pour les actes de soins, de moins de 15 % sur les prothèses et nulle ou quasiment nulle pour la parodontie et les implants.

En 2011, la consommation de soins et de biens médicaux s'élevait à 10,3 milliards d'euros en matière dentaire , dont 3,6 milliards de financements publics (très majoritairement de l'assurance maladie ), ce qui représente une prise en charge de 35 % , et 3,9 milliards en provenance des Ocam , soit 38 % de l'ensemble.

Prothèse dentaire

Traitement d'orthodontie
avant 16 ans

Prix de référence de l'étude (prix facturé par le professionnel à l'assuré)

750 euros

900 euros
(par semestre)

Remboursement de l'assurance maladie obligatoire

75,25 euros

10 %

193,50 euros

22 %

Remboursement moyen
par les organismes complémentaires

262,70 euros

35 %

292,90 euros

33 %

Reste à charge net moyen
pour l'assuré

412,05 euros

55 %

413,60 euros

46 %

Source : Etudes et résultats « Les contrats les plus souscrits
auprès des complémentaires santé en 2009 », Drees, n° 789, février 2012

Les partenariats entre les organismes complémentaires et la profession existent déjà et ont été mis en place à la suite d'un dialogue avec le syndicat majoritaire des chirurgiens-dentistes : ainsi, la confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) a signé, dès 1997, un protocole avec la MGEN, élargi ensuite à deux autres mutuelles. La Présidente de la CNSD, Catherine Mojaïsky, expliquait récemment ce protocole dans la presse : « en échange d'un plafonnement des tarifs sur certaines prothèses, à un niveau tout à fait cohérent correspondant au coût normal des actes, cet accord permet d'améliorer les remboursements des patients. 25 000 chirurgiens-dentistes, soit entre 60 % et 65 % des chirurgiens-dentistes libéraux, adhérent individuellement à ce protocole qui a été négocié nationalement par la CNSD. »

Lors de son audition par votre rapporteur, la MGEN a également présenté ce protocole élaboré avec la profession, qui constitue une véritable « nomenclature » intégrant notamment des critères de qualité et mise à jour régulièrement. Ce conventionnement repose sur le tiers-payant et sur la liberté d'adhésion pour les professionnels.

On peut enfin relever que le premier avenant conventionnel signé par l'Unocam concernait les chirurgiens-dentistes : le processus de régulation est donc engagé dans cette profession.

c) Les audioprothèses : un secteur encore limité mais qui se développera nécessairement dans les années à venir

Au 1 er janvier 2012, 2 625 audioprothésistes exercent en France, dont 937 en libéral, 11 à l'hôpital et 1 677 en tant que salariés (le plus souvent d'un fabricant et exploitant d'appareils).

Les tarifs de prise en charge des prothèses auditives comprennent plusieurs éléments, pas seulement le prix de l'appareil :

- l'achat de l'appareil et des accessoires nécessaires à son fonctionnement (piles, embout auriculaire, coque...) ;

- la prise en charge par l'audioprothésiste (c'est-à-dire le nombre de séances nécessaires à l'appareillage, l'examen des conduits auditifs, tous les tests nécessaires...) ;

- l'adaptation de la prothèse auditive par l'audioprothésiste ;

- l'éducation prothétique du patient (conseils divers sur la manipulation de l'appareil ou son entretien) ;

- le suivi prothétique régulier (contrôle de l'efficacité de l'appareil aux 3 e , 6 e et 12 e mois après sa délivrance, puis un suivi biannuel selon les besoins) ;

- l'envoi au médecin des comptes rendus d'appareillage.

Les prothèses auditives sont ainsi prises en charge par l'assurance maladie sur prescription médicale et remboursées à 60 % sur la base de tarifs officiels, variables selon l'âge et le handicap, mais nettement inférieurs aux coûts réels : 199,71 euros, quelle que soit la classe de l'appareil prescrit pour les personnes âgées de plus de vingt ans. Les accessoires et frais d'entretien peuvent également faire l'objet d'une prise en charge partielle par l'assurance maladie.

Prothèse auditive numérique

Prix de référence de l'étude
(prix facturé par le professionnel à l'assuré)

3 000 euros
(pour deux appareils)

Remboursement de l'assurance maladie obligatoire

259,62 euros

9 %

Remboursement moyen par les organismes complémentaires

920,00 euros

31 %

Reste à charge net moyen pour l'assuré

1 820,38 euros

61 %

Source : Etudes et résultats « Les contrats les plus souscrits
auprès des complémentaires santé en 2009 », Drees, n° 789, février 2012

En pratique, l'assurance maladie rembourse donc en moyenne moins de 10 % des frais d'audioprothèse pour un adulte et, malgré la participation des Ocam, le reste à charge net reste élevé pour les patients . Selon les informations recueillies par votre rapporteur, l'assurance maladie a remboursé 114 millions d'euros en 2011, soit environ 14 % des frais réels (les personnes de moins de vingt ans sont nettement mieux remboursées), et les Ocam 246 millions, soit environ 30 %.

Faute d'engagement, notamment financier, de la part de l'assurance maladie, le secteur de l'audioprothèse risque de devenir d'ici quelques années comme celui des prothèses dentaires ou de l'optique. On peut le regretter car, encore étroit, ce segment de la prise en charge en santé devient de plus en plus essentiel à la vie des assurés : entendre correctement fait naturellement partie de l'inclusion sociale, notamment pour les personnes âgées.

2. La mise en place progressive de réseaux de soins par les Ocam : passer d'un financement automatique et aveugle à une certaine maîtrise des dépenses pour diminuer le reste à charge des patients

Développé par l'assurance maladie à partir de la fin des années 1990, la « gestion du risque » consiste à connaître les comportements des assurés et des professionnels pour mieux maîtriser les dépenses d'une manière qui ne soit pas uniquement comptable. Alors que les Ocam ne peuvent pas en pratique sélectionner leurs clients sur des critères médicaux (du fait soit de la loi Evin, soit des contraintes des contrats responsables et solidaires), ils ont développé d'autres outils. Certains ont par exemple mis en place des services de conseil et d'information, notamment pour analyser les devis de leurs assurés.

a) L'origine des réseaux de soins

A l'origine et durant très longtemps, les organismes d'assurance maladie complémentaire ont joué, comme leur nom l'indique d'ailleurs clairement, le rôle d'un « complément » de l'assurance maladie obligatoire de base : schématiquement, leurs prestations permettent de porter le remboursement des dépenses de santé de 50 % ou 60 % à 100 %.

Or, on l'a vu, ce mécanisme ne peut plus fonctionner dès lors que la base de remboursement de l'assurance maladie est déconnectée des coûts réels et des prix facturés à l'assuré et dès lors qu'un certain nombre de ces prix sont libres (prothèses dentaires, lunettes ou audioprothèses...).

Dans une logique de « complément », il n'est guère besoin pour les Ocam de mettre en oeuvre des moyens de régulation. Tel n'est pas le cas lorsque les prix sont libres et que l'on passe d'un remboursement de type proportionnel à une dépense plutôt forfaitaire. En effet, cette situation aboutit à la tendance, largement contestée par les professionnels mais bien connue des patients et des Ocam, d' aligner les tarifs sur le montant des garanties . Quel patient n'a pas déjà entendu son chirurgien-dentiste ou son opticien lui demander, avant d'élaborer un devis, quel était le niveau de prise en charge de sa « mutuelle » ?

Dans ces secteurs non régulés , la dissymétrie de l'information entre la patient et le professionnel est très élevée, alors même que les coûts sont très peu transparents , puisque les prix d'achat des équipements par le professionnel ne sont pas connus de l'assuré, et que les prix varient très sensiblement selon les produits, y compris dans une même gamme, et selon les professionnels.

Dans ces circonstances, est-il réellement illégitime que l'organisme complémentaire puisse discuter avec les professionnels au sujet des prix et des prestations fournies aux personnes qui souscrivent un contrat avec lui ?

C'est dans cet esprit que les Ocam ont mis en place des partenariats avec certains professionnels de santé. Ils répondent à deux objectifs principaux :

- mieux maîtriser les prix ;

- contrôler la qualité de la prestation et conseiller l'adhérent , dans des secteurs où il a une très grande difficulté à se retrouver (il existe par exemple des centaines de milliers de références de verres correcteurs).

b) Leurs caractéristiques

Aujourd'hui, la plupart des Ocam ont développé ces partenariats avec les trois professions dont les prix sont libres et dont ils remboursent une part substantielle des dépenses du patient : les chirurgiens-dentistes (les prix ne sont pas libres pour les soins dentaires) ; les opticiens ; les audioprothésistes. Une majorité d'Ocam a confié la gestion de ces partenariats à des sociétés tierces, souvent appelées plateformes, dont ils sont souvent actionnaires.

Ces partenariats, qui se traduisent par une convention personnelle entre un Ocam ou la plateforme qu'il a mandatée et un professionnel, constituent ce qui est dorénavant communément appelé un « réseau ». Le secteur de la protection sociale complémentaire évolue rapidement ces dernières années, avec des regroupements de structures, y compris de nature juridique différente, ce qui a également des conséquences sur les réseaux et plateformes, qui se font clairement concurrence pour faire adhérer les Ocam.

Les principaux réseaux sont aujourd'hui, par ordre alphabétique :

- Carte blanche : créée en 2001, Carte blanche est une plateforme qui n'organise que des réseaux ouverts pour six organismes complémentaires couvrant 2,5 millions d'adhérents ;

- Itelis : plateforme détenue par AXA (société d'assurance) et Humanis (groupe de protection sociale regroupant, en matière de santé, plusieurs types d'Ocam) avec 1 600 opticiens partenaires, 700 points de vente en audioprothèse, 3 200 chirurgiens-dentistes ;

- Kalivia : 4 200 opticiens agréés, 1 350 audioprothésistes, pas de partenariat en dentaire. Créée par une institution de prévoyance (Malakoff Médéric) et une mutuelle (Harmonie), Kalivia est une plateforme de gestion qui couvre potentiellement environ 6,8 millions de personnes ;

- celui de la MGEN auquel ont adhéré d'autres mutuelles de la fonction publique pour certains partenariats : 2 102 opticiens partenaires, 2 358 audioprothésistes, 25 000 chirurgiens-dentistes (64 % de la profession) ;

- Santéclair : 1 700  opticiens, 450  audioprothésistes, 2 800 chirurgiens-dentistes, orthodontistes et stomatologues. Plateforme créée en 2003, Santéclair couvre potentiellement 6,3 millions d'adhérents à une dizaine d'Ocam, dont ses quatre actionnaires : Allianz (assurance), MAAF-MMA (mutuelle santé proposant également des contrats d'assurance de divers types), IPECA (institution de prévoyance) et la mutuelle générale de la police (MGP). Le réseau comprend aussi 60 centres de chirurgie réfractive (ophtalmologie) et 250 diététiciens ;

- Sévéane : 1 900 opticiens agréés, 600 audioprothésistes (réseau créé au 1 er janvier 2013), 4 600 chirurgiens-dentistes. GIE constitué par Groupama (mutuelle d'assurance) et ProBTP (institution de prévoyance), Sévéane couvre potentiellement 6 millions de personnes.

Selon le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, les coûts de gestion des réseaux se situeraient entre 1,7 et 2,7 euros par assuré. Ils couvrent potentiellement environ la moitié de la population, mais les assurés qui ont réellement recours aux professionnels du réseau de leur Ocam sont encore assez peu nombreux, ce chiffre variant manifestement selon l'ancienneté du réseau et la qualité de diffusion de informations sur son existence.

Les réseaux de soins reposent sur des engagements réciproques des Ocam et des professionnels dans quatre domaines principaux :

- le contrôle de la qualité des prestations rendues aux adhérents ;

- la mise en place du tiers-payant ;

- le respect d'une certaine modération tarifaire , à partir soit de tarifs déclarés par le professionnel et acceptés par l'Ocam, soit de tarifs maximaux fixés par l'Ocam ;

- l' orientation des adhérents vers les professionnels de santé du réseau.

On distingue généralement les réseaux dits « ouverts », qui accueillent sans restriction de nombre tous les professionnels qui remplissent les conditions définies dans la convention, et les réseaux dits « fermés » ou avec numerus clausus , qui limitent l'accès au réseau à un nombre de professionnel par zone géographique.

En pratique, il ne semble exister aujourd'hui de réseau fermé que dans le secteur de l'optique et tous les réseaux ont mis en place un numerus clausus dans ce secteur, à l'exception de Carte blanche.

Comme l'indique l'Autorité de la concurrence dans son avis de 2009 10 ( * ) , « l'arbitrage entre les deux types de réseau résulte des considérations suivantes : la modération des coûts consentie par les professionnels conventionnés passe, en contrepartie, par l'espérance de recevoir un nombre significatif d'assurés des Ocam concernés comme clients grâce au réseau . De fait, un réseau trop restreint et pas assez dense aurait du mal à engendrer un volume suffisant, les assurés n'étant pas disposés à effectuer de longs déplacements ; a contrario, un réseau trop large serait peu attractif pour les professionnels de santé, eu égard aux flux nécessairement réduits qu'il serait susceptible de drainer chez lui ».

Très critiqués par les professionnels, notamment par les opticiens qui sont les premiers concernés, les réseaux fermés posent concrètement la question de l'accès aux soins et du choix de son praticien par le patient. Ils répondent à une vraie spécificité du secteur de l'optique : la croissance incontrôlée du nombre de points de vente ces dernières années (+ 41 % en dix ans). A défaut de numerus clausus effectif dans le nombre de diplômés, comme dans le dentaire ou l'audioprothèse, la régulation du secteur ne peut guère passer par un autre moyen que les réseaux fermés des organismes complémentaires : comment garantir un apport suffisant de clientèle au professionnel pour qu'il s'engage dans le réseau, avec les contraintes de contrôle de qualité et de prix qu'il induit ?

c) Leur apport en termes de diminution du reste à charge des patients

Les réseaux fonctionnent de manière différente mais reposent sur deux outils principaux pour diminuer le reste à charge net des assurés :

- la négociation avec les professionnels pour réduire les tarifs et prix ;

- un meilleur remboursement de l'adhérent lorsqu'il consulte au sein du réseau.

Ce double effet n'est pas utilisé par tous les Ocam : par exemple, Pro-BTP, qui est une institution de prévoyance, ne pratique pas le remboursement différencié. Pour autant, la conjugaison des deux éléments permet une réduction d'autant plus forte du reste à charge pour les patients, comme le montre les exemples fournis par la MGEN.

en euros

Dépense pour le patient

Remboursement par la MGEN

Reste à charge net

Lunettes pour adulte (verres progressifs de moyenne correction
et monture fabriquée dans le Jura) :

Dans le réseau (1)

559

340

204

Hors réseau (2)

880

270

596

Différence (1-2)

- 321

+ 70

- 392

Lunettes enfant (avec des verres unifocaux) :

Dans le réseau

137

87

13

Hors réseau

241

73

133

Différence

- 104

+ 14

- 120

Audioprothèse (deux appareils de moyenne gamme) :

Dans le réseau

2 588

1 300

1 049

Hors réseau

3 500

1 100

2 160

Différence

- 912

+ 200

- 1 111

Source : MGEN

Selon son site internet, le réseau de Kalivia réduit en moyenne de 40 % le prix des verres avec un référencement de 300 000 verres et lentilles ; en audioprothèse, les clients « bénéficient de réductions tarifaires importantes [...] (jusqu'à plus de 500 euros d'économies pour un appareil double) ». Carte blanche met en avant le fait que 86 % des équipements optiques sont délivrés dans le réseau et les bénéficiaires du réseau réalisent une économie moyenne de 47 euros par verre par rapport à un achat hors réseau. Pour Itélis, les coûts baissent entre 15 % et 30 % en optique grâce au réseau et jusqu'à 20 % en dentaire.

Selon l'Autorité de la concurrence 11 ( * ) , « le niveau des prix dans le cadre des réseaux d'opticiens agréés est inférieur en moyenne à celui du marché (de 15 % à 40 % selon les réseaux et équipements concernés). (...) Globalement, la part de reste à charge des assurés pour des achats effectués dans le cadre de ce type de réseaux est inférieure à celle que l'on retrouve, en moyenne, pour des achats réalisés en dehors de ces réseaux. »

Dans cette même décision, l'Autorité ajoute que « le référencement des produits susceptibles d'être vendus dans le réseau est objectivement justifié par des considérations légitimes : la mise en place d'un mécanisme de référencement et la sélection de certains fournisseurs sont ainsi motivées par le souhait de proposer aux assurés (les consommateurs finaux) des produits et services de qualité à des prix compétitifs. L'intérêt de ces démarches est d'autant plus évident dans un secteur comme l'optique-lunetterie, qui se caractérise par un nombre conséquent de références (des centaines de milliers) et dans lequel le consommateur final dispose de peu d'informations concernant le choix du produit . »

Dans un avis antérieur 12 ( * ) , l'Autorité de la concurrence estimait :

« Axée, de fait, sur la régulation de l'offre, et reposant sur une identité d'intérêts entre l'organisme complémentaire - qui cherche à mieux maîtriser ses coûts - et les assurés - qui souhaitent bénéficier d'un reste à charge nul ou limité et d'une prime d'assurance la moins élevée possible -, elle soumet les professionnels souhaitant être sélectionnés à l'obligation de respecter des tarifs maximaux, déterminés de manière à freiner ou mettre fin aux hausses constatées sur les marchés concernés . Ainsi, à supposer qu'il y ait uniformisation des tarifs, il y a toute probabilité qu'il s'agisse, d'une uniformisation à un niveau sensiblement moindre qu'en l'absence de tout mécanisme de contractualisation. »

Dans son rapport 2010 sur la sécurité sociale, la Cour des comptes écrit, à propos des soins dentaires :

« D'un côté, de tels accords [les réseaux de soins des complémentaires] bénéficient aux patients (et à leurs assureurs). L'autorité de la concurrence a ainsi considéré, dans un avis rendu en septembre 2009, que le développement de réseaux de professionnels de santé agréés par les organismes complémentaires avait un effet pro-concurrentiel, donc favorable à l'amélioration de la qualité et à la baisse des prix. De l'autre, certains praticiens y trouvent aussi leur intérêt , puisque les plafonds permettent une solvabilisation de la demande, qui peut ainsi s'accroître, alors qu'il apparaît assez aléatoire pour un chirurgien-dentiste donné de vouloir élargir sa patientèle en baissant unilatéralement ses tarifs. »

Entendant favoriser une meilleure articulation entre l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires, le rapport de l'Igas et de l'IGF de juin 2012 « Proposition pour la maîtrise de l'Ondam 2013-2017 » indiquait :

« S'agissant des réseaux constitués avec certains professionnels de santé, la mission préconise d' en favoriser le développement , au regard de leurs effets sur les tarifs pratiqués et donc la réduction des restes à charge , en veillant toutefois à la transparence des conditions de constitution et au contrôle de la qualité des prestations.

Par ailleurs, il convient de modifier le code de la mutualité qui ne permet pas aujourd'hui aux mutuelles de pratiquer des remboursements différenciés selon que leurs affiliés s'adressent ou non aux professionnels recommandés, alors que les institutions de prévoyance et les entreprises d'assurance le peuvent. »

En conclusion, les réseaux de soins présentent un intérêt manifeste pour les assurés : ils bénéficient le plus souvent du tiers-payant , ce qui revêt un caractère d'autant plus sensible que les dépenses engagées sont souvent élevées ; ils profitent d'une limitation des restes à charge provoquée à la fois par des prix négociés et par des remboursements plus intéressants.


* 7 Hors-série du 2 ème trimestre 2013 - chiffres du marché 2012.

* 8 Décision n° 13-D-05 du 26 février 2013 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Kalivia dans le secteur de l'optique-lunetterie.

* 9 Cet avis mentionne une augmentation de 39 % entre 1997 et 2007.

* 10 Avis n° 09-A-46 du 9 septembre 2009 relatif aux effets sur la concurrence du développement de réseaux de soins agréés.

* 11 Décision précitée n° 13-D-05 du 26 février 2013 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Kalivia dans le secteur de l'optique-lunetterie.

* 12 Avis précité n° 09-A-46 du 9 septembre 2009.

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