EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 28 janvier 2013, la Haute Assemblée adoptait à l'unanimité la proposition de loi de nos collègues, Mme Jacqueline Gourault, présidente de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, portant création d'un Conseil national d'évaluation des normes. Cette proposition de loi se veut une réponse pragmatique aux soucis constants exprimés par les élus locaux lors des états généraux de la démocratie territoriale, les 4 et 5 octobre 2012, sur le poids des normes dans l'activité quotidienne des collectivités territoriales.

Le 19 septembre 2013, l'Assemblée nationale a conservé l'architecture du Conseil national adoptée par le Sénat en première lecture, sous réserve d'amendements rédactionnels et de quelques modifications substantielles, la majorité d'entre elles ayant été proposées par le Gouvernement.

La proposition de loi, adoptée par les deux assemblées et soumise, de nouveau, au Sénat, le 7 octobre 2013, étend la faculté de saisir le nouveau Conseil, notamment aux Présidents des deux assemblées pour l'examen d'une proposition de loi déposée par un de leurs membres, sauf si son auteur s'y oppose.

Votre rapporteur a soulevé, lors de la première lecture, la question du niveau d'obligation conféré à cette consultation sur les projets et propositions de niveau législatif, dont l'évaluation préalable est souvent la clé pour prévenir le développement de normes proliférantes. Il a ainsi rappelé que « Dans le système consultatif défini par notre droit public, la hiérarchie des normes implique qu'une consultation obligatoire s'applique rigoureusement sur un texte règlementaire : si cette consultation est omise, il s'agit d'une irrégularité qui peut entraîner l'annulation du texte par la juridiction administrative.

S'agissant d'un projet de loi, au contraire, une loi simple édictant une obligation de consultation n'entraîne pas d'effet impératif. Si le Gouvernement omet la consultation, la mise en discussion de ce projet de loi puis son adoption par le Parlement effacent l'irrégularité du défaut de consultation. La loi nouvelle est censée avoir implicitement écarté l'obligation consultative fixée par un texte antérieur de même niveau. » 1 ( * )

La proposition de loi initiale, adoptée par le Sénat, prévoyait que l'avis du Conseil national serait inclus dans l'étude d'impact, aujourd'hui obligatoire pour tous les projets de loi. Néanmoins, le respect de cette obligation implique qu'elle soit prévue par une loi organique comme celle qui, en application de la réforme constitutionnelle du 27 juillet 2008, a instauré l'étude d'impact obligatoire, en vertu de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Le troisième alinéa de l'article 39 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, dispose que la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat doit répondre aux conditions fixées par une loi organique. Il renvoie ainsi à celle-ci les conditions de mise en oeuvre des études d'impact qui doivent désormais accompagner systématiquement tous les projets de loi.

L'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution fait application de ces dispositions constitutionnelles en disposant, notamment, que les documents rendant compte de cette étude d'impact « sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent » et « définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation . »

Ce même article énonce par ailleurs les différents éléments que doit comporter une étude d'impact :

- l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration ;

- l'état d'application du droit ;

- les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées ;

- les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ;

- l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales ;

- l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public ;

- les consultations menées avant la saisine du Conseil d'État ;

- la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires.

La présente proposition de loi organique vise à élever au niveau organique l'obligation de communication au Parlement des avis rendus, quand il y a lieu, par le Conseil national d'évaluation des normes. Ces avis seraient déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent. Ces avis constitueraient un complément utile destiné à renforcer l'information du Parlement dans le cadre de l'exercice de sa mission législative.

Cette obligation aurait deux conséquences positives pour l'efficacité de la consultation du Conseil national :

- d'une part, comme le prévoit l'article 39 de la Constitution, la conférence des présidents de la première assemblée parlementaire saisie pourrait écarter l'inscription d'un projet à l'ordre du jour dont l'étude d'impact ne comprendrait pas l'avis du Conseil ;

- d'autre part, le défaut d'un avis requis par une disposition de niveau organique, relevant du « bloc constitutionnel », pourrait être sanctionné par le Conseil Constitutionnel en cas de saisine fondée sur le non-respect de la procédure législative régulière.

Toutefois, la rédaction proposée soulève des difficultés constitutionnelles, dans la mesure où elle paraît soustraire l'avis du CNEN à la règle posée par le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution, qui dispose que le Conseil d'État doit disposer de l'ensemble des avis rendus sur un projet de loi lors de son examen. En effet, en prévoyant que les avis rendus par le Conseil national seraient « déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent », la proposition semble déconnecter les avis du CNEN de l'étude d'impact prévue à l'article 8 de la loi organique précitée du 15 avril 2009. Ainsi, l'avis du CNEN serait joint au projet de loi lors de son dépôt, sans avoir été préalablement et obligatoirement joint au dossier du projet de loi soumis au Conseil d'État.

Or, dans une récente décision, le Conseil constitutionnel 2 ( * ) a jugé que « l'ensemble des questions posées par le texte adopté par le conseil des ministres doivent avoir été soumises au Conseil d'État lors de sa consultation . » Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative au pilotage et à la gouvernance des finances publiques au motif qu'il prévoyait que l'avis du Haut Conseil des finances publiques pouvait être transmis au Parlement après le dépôt du projet de loi sans que le Conseil d'État ait pu en disposer pour l'avis qu'il doit rendre sur le projet de loi.

Pour lever cette ambiguïté, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur, qui précise que les documents rendant compte de l'étude d'impact joints à un projet de loi incluent, le cas échéant, l'avis rendu par le CNEN.

*

* *

La commission des lois a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée.


* 1 Rapport n° 282 (2012-2013) de M. Alain Richard, fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 janvier 2013.

* 2 Décision n° 2012-658 DC du Conseil constitutionnel du 13 décembre 2012 sur la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

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