EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est invité à examiner la proposition de loi n°657 (2012-2013) de Mme Claudine Lepage, de quarante de ses collègues et des membres du groupe socialiste et apparentés visant à faciliter l'indemnisation des victimes de prise d'otages.

Comme le rappelle l'exposé des motifs de cette proposition de loi, les prises d'otages sont toujours des périodes de grandes souffrances, tant pour les personnes retenues que pour les membres de leurs familles. L'actualité nous montre - hélas trop souvent - que le fait d'être Français peut exposer certains de nos compatriotes présents à l'étranger à en être victimes, du seul fait de leur nationalité. Un effort de solidarité nationale tout particulier s'impose donc à l'égard de ces personnes et de leurs proches.

De fait, le droit actuel permet déjà, dans une très large mesure, d'indemniser les victimes de prise d'otages. La présente proposition de loi vise toutefois à apporter une sécurité juridique à ces victimes en reconnaissant explicitement ce droit à l'indemnisation et à la réparation intégrale de leur préjudice. Au-delà, elle marque l'attention particulière que le législateur souhaite accorder à nos compatriotes et à leurs familles.

Votre commission des lois ne peut que souscrire à ces objectifs et a adopté la présente proposition de loi, dont elle a, en outre, étendu le champ d'application aux territoires d'outre-mer soumis en matière pénale au principe de spécialité législative.

I. UN DROIT EN VIGUEUR DÉJÀ TRÈS PROTECTEUR POUR LES VICTIMES

Dans une large mesure, les dispositifs actuels d'indemnisation des victimes permettent d'ores et déjà d'indemniser le préjudice subi par les victimes de prises d'otages et leurs proches.

A. L'EXISTENCE DE PLUSIEURS DISPOSITIFS D'INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTIONS

Lorsqu'une personne est victime d'une infraction pénale, elle dispose de deux voies de droit lui permettant d'obtenir la réparation du dommage subi et l'indemnisation de son préjudice :

- soit elle se constitue partie civile devant la juridiction pénale chargée de juger l'auteur des faits, afin d'obtenir la condamnation de celui-ci à lui verser des dommages et intérêts ;

- soit, si elle ne peut ou ne souhaite agir contre l'auteur des faits au pénal, elle a la possibilité de saisir les juridictions civiles d'une demande de réparation, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.

La mise en oeuvre de ces voies de droit peut toutefois se heurter à des difficultés, lorsque l'auteur est insolvable ou lorsque, pour un certain nombre de raisons, il ne peut comparaître devant la justice française (l'auteur des faits est inconnu, il est décédé, il a été reconnu pénalement irresponsable de ses actes, il se trouve sur le territoire d'un État qui refuse de l'extrader, etc.). Les victimes de prises d'otages commises à l'étranger sont fréquemment exposées à de telles situations - de tels faits ne donnant qu'exceptionnellement lieu à un procès sur le territoire français (seule, récemment, la prise d'otages du Ponant survenue en avril 2008 a donné lieu à une procédure judiciaire en France).

Dans une telle situation, afin d'éviter que, de façon choquante, une victime ne puisse obtenir la réparation de son préjudice, le législateur a progressivement mis en place, à partir de la loi du 3 janvier 1977, un système d'indemnisation des victimes reposant sur le principe de la solidarité nationale .

Plusieurs dispositifs, fondés soit sur la nature de l'infraction subie, soit sur la gravité du préjudice, ont été instaurés.

1. La réparation du préjudice subi par les victimes d'acte de terrorisme

C'est par la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme qu'a été institué le régime d'indemnisation intégrale des dommages corporels résultant d'un acte de terrorisme .

Aux termes de l'article L. 126-1 du code des assurances, dont le champ a été étendu par la loi n°2006-64 du 23 janvier 2006, sont éligibles à ce dispositif les victimes d'actes de terrorisme 1 ( * ) commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes ainsi que leurs ayants droits, quelle que soit leur nationalité.

Cette procédure d'indemnisation est définie par les articles L. 422-1 à L. 422-3 du code des assurances, ainsi que par les dispositions réglementaires prises pour leur application.

Elle repose sur le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) . Ce fonds, doté de la personnalité civile, est alimenté par un prélèvement sur les contrats d'assurance de biens.

En matière de terrorisme, il est chargé d'assurer la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne - les atteintes aux biens étant pour leur part prises en charge par les compagnies d'assurances.

La procédure applicable devant le FGTI est une procédure administrative , qui se caractérise, en outre,  par sa souplesse : non seulement la saisine du Fonds par la victime n'est soumise à aucun formalisme ni à aucune condition de délai, mais, en outre, il appartient au procureur de la République ou à l'autorité diplomatique ou consulaire compétente, dès la survenance d'un acte de terrorisme, d'informer sans délai le FGTI des circonstances de l'évènement et de l'identité des victimes, ce qui permet une mise en oeuvre rapide de la procédure.

Le Fonds est alors tenu de verser une ou plusieurs provisions dans un délai d'un mois à compter de la demande et de présenter à toute victime une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois à compter du jour où il reçoit de celle-ci la justification de ses préjudices. La réparation peut toutefois être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.

Depuis 1986, 3 882 victimes de terrorisme ont ainsi été indemnisées par le FGTI, pour un montant total d'indemnités de 94,3 millions d'euros 2 ( * ) .

2. La procédure juridictionnelle d'indemnisation des victimes d'infractions pénales

Parallèlement à ce dispositif, le code de procédure pénale organise l'indemnisation des victimes de certaines infractions pénales graves ou se trouvant dans une situation particulièrement difficile.

À l'inverse de la procédure précédemment décrite, il s'agit ici d'une procédure juridictionnelle , faisant intervenir une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) , juridiction civile instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance (TGI) et composée de deux magistrats du siège du TGI ainsi que d'une personne majeure, de nationalité française, s'étant signalée par l'intérêt qu'elle porte aux problèmes des victimes.

La CIVI peut procéder à toute audition ou investigation utile. Si une procédure pénale a été ouverte, elle peut se prononcer sans attendre l'issue de cette dernière, ce qui permet à la victime d'obtenir une indemnisation dans un délai raisonnable, sans avoir à attendre le terme de la procédure.

Les indemnités allouées par la CIVI sont également versées par le FGTI qui peut, en outre, présenter directement à la victime une offre d'indemnisation qui, si elle est acceptée par cette dernière, doit être homologuée par le président de la CIVI.

Pour être éligible à cette procédure, la victime doit être de nationalité française ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national.

Comme en matière de terrorisme, la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.

On distingue trois dispositifs :

1) L'article 706-3 du code de procédure pénale permet à une victime d'obtenir la réparation intégrale de dommages corporels résultant d'atteintes considérées comme particulièrement graves par le législateur. Il s'agit :


• soit d'infractions ayant entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail (ITT) personnel supérieure ou égale à un mois ;


• soit d'une atteinte résultant de faits constitutifs de viol ou d'agression sexuelle, de traite des êtres humains, d'atteintes sexuelles sur mineurs, ou, depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2013-711 du 5 août 2013, d'esclavage ou de travail forcé.

2) Pour les victimes ne relevant pas de ce dispositif, l'article 706-14 du code de procédure pénale permet, sous certaines conditions plus restrictives, d'indemniser les victimes d'une atteinte à la personne ou de certaines atteintes aux biens (vol, escroquerie, abus de confiance, extorsion de fonds, destruction, dégradation ou détérioration d'un bien). À l'inverse du dispositif prévu par l'article 706-3 précité, il appartient à la victime de démontrer qu'elle « ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice », qu'elle « se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave » et que ses ressources sont inférieures au plafond de l'aide juridictionnelle partielle. En outre, l'indemnité allouée sur le fondement de cet article 706-14 est au maximum égale au triple du montant mensuel de ce plafond de ressources.

3) L'article 706-14-1 du code de procédure pénale assouplit toutefois ces conditions s'agissant des victimes de la destruction par incendie de leur véhicule.

Ces dispositifs ne sont pas applicables lorsqu'existe un mécanisme spécial d'indemnisation, ce qui est le cas en matière de terrorisme (voir supra ), mais également lorsque l'intéressé relève de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation, lorsque le dommage a été causé par une exposition à l'amiante ou lorsqu'il a pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles. Sous certaines conditions, les accidents du travail et les accidents de service sont également exclus.

En 2012, le FGTI a ouvert 17 017 dossiers d'indemnisation sur le fondement de ces dispositions et versé 265,9 millions d'euros aux victimes 3 ( * ) .


* 1 L'article 421-1 du code pénal dispose à cet égard que « constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :

« 1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ;

« 2° Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code ;

« 3° Les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ;

« 4° Les infractions en matière d'armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires définies par le I de l'article L. 1333-9, les articles L. 1333-11 et L. 1333-13-2, le II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4, les articles L. 1333-13-6, L. 2339-2, L. 2339-5, L. 2339-8 et L. 2339-9 à l'exception des armes de la catégorie D définies par décret en Conseil d'État, L. 2339-14, L. 2339-16, L. 2341-1, L. 2341-4, L. 2341-5, L. 2342-57 à L. 2342-62, L. 2353-4, le 1° de l'article L. 2353-5 et l'article L. 2353-13 du code de la défense ;

« 5° Le recel du produit de l'une des infractions prévues aux 1° à 4° ci-dessus ;

« 6° Les infractions de blanchiment prévues au chapitre IV du titre II du livre III du présent code ;

« 7° Les délits d'initié prévus à l'article L. 465-1 du code monétaire et financier ».

* 2 FGTI, rapport annuel pour 2012, page 14.

* 3 FGTI, rapport annuel pour 2012, page 14.

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