EXAMEN EN COMMISSION

Audition de M. Dominique MARTIN, directeur des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés

(Mardi 15 octobre 2013)

Mme Annie David, présidente . - Nous poursuivons maintenant nos auditions sur le PLFSS 2014.

M. Dominique Martin, directeur des risques professionnels de la Cnam . - Ce PLFSS ne comprend pas de mesures spécifiques à la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), hormis son financement. A cet égard, si le projet de loi s'inscrit dans la poursuite du rétablissement de l'équilibre de la branche, il prévoit une hausse significative de la dotation transférée au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) : elle passe d'un peu plus de 100 millions d'euros cette année à 413 millions l'an prochain, la moyenne des années antérieures se situant aux alentours de 300 millions.

La hausse de ce transfert, décidée par le Gouvernement, me paraît s'expliquer par plusieurs raisons. Une bonne nouvelle d'abord : l'accélération du traitement des dossiers entraîne mécaniquement une hausse des dépenses. En outre, l'indemnisation concerne de plus en plus des préjudices graves. La réévaluation des provisions accroît le coût moyen des dossiers. Il faut également reconstituer le fonds de réserve prudentielle, asséché cette année et qui, compte tenu de l'incertitude attachée à tout mécanisme assurantiel, doit couvrir entre deux et trois mois d'activité. Enfin, pas plus que cette année, où l'on avait choisi de puiser dans le fonds de roulement, il n'y aura l'an prochain de dotation de l'Etat au Fiva. J'ai cru comprendre que la dotation du Fiva avait été définie in extremis, après la présentation du PLFSS, ce qui explique pourquoi elle repose entièrement sur la branche AT-MP, alors que l'Etat y contribue habituellement à hauteur de 50 millions d'euros environ.

La situation est exceptionnelle : l'an prochain, la dotation du Fiva devrait très vraisemblablement revenir aux alentours de 300 millions d'euros. Evidemment, le choix du Gouvernement réduit l'excédent de la branche AT-MP, qui devrait servir à rembourser la dette - elle s'élève à environ 2 milliards d'euros. D'autre part, le financement du Fiva étant mutualisé entre les entreprises, toute hausse de la part mutualisée de la tarification réduit d'autant la part ciblée sur les entreprises à forte sinistralité, ce qui diminue la capacité de la branche à user de la tarification comme d'un outil de prévention.

La convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la branche AT-MP doit être signée avant la fin de l'année : les dernières réunions auront lieu la semaine prochaine au plus tard, puis le projet sera soumis à la commission AT-MP en novembre. Ce texte structurant fixera des orientations et des objectifs opérationnels assez précis pour les quatre ans à venir. Il répondra aux préoccupations exprimées en septembre par les partenaires sociaux, ainsi qu'aux recommandations émises par la Cour des comptes et l'Inspection générale des affaires sociales. Outre une partie programmatique, il comprendra un volet budgétaire assurant le financement des activités de prévention et de tarification des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) - la réparation des préjudices, qui occupe les deux tiers de nos agents, relevant de la convention d'objectifs et de moyens entre l'Etat et la branche maladie. En effet, la branche AT-MP, sur le plan opérationnel, repose au niveau régional sur la branche vieillesse, et au niveau des caisses primaires sur la branche maladie.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - Voilà plusieurs années que la Cour des comptes refuse de certifier les comptes de la branche AT-MP. Il est vrai que, cette année, elle ne l'a pas exactement refusé, mais s'est dite dans « l'incapacité » de le faire... Les choses progressent-elles ? Peut-on espérer que les comptes seront bientôt certifiés ?

Lors d'une audition, M. le ministre du budget avait assuré que l'excédent de la branche AT-MP servirait à rembourser la dette inscrite dans les comptes de l'Acoss. Ne voit-on pas cet objectif s'éloigner, compte tenu de l'absence de toute participation de l'Etat au financement du Fiva, et du prélèvement opéré sur votre excédent ? Deux milliards d'euros de dette, ce n'est pas rien.

Quel bilan tirez-vous de la nouvelle tarification ? A-t-elle eu un effet sur l'ampleur du contentieux, qui coûte chaque année près de 500 millions d'euros à la branche ? Quelle place la nouvelle convention d'objectifs et de moyens fait-elle à la prévention ? Comment le compte de prévention de la pénibilité prévu par le projet de loi sur les retraites s'articulera-t-il avec le fonctionnement de la branche AT-MP ? Enfin, savez-vous si l'Etat s'engage à de nouveau apporter sa contribution au financement du Fiva en 2015 ? Le rapport du Sénat estimait que, compte tenu de la responsabilité de l'Etat dans le scandale de l'amiante, sa participation devrait être d'environ 30 %.

M. Dominique Martin . - La question de la certification de nos comptes n'a rien de formel : il s'agit de la sécurité financière de la branche, dont le budget s'élève à 12 milliards d'euros. Le problème tient à l'impossibilité de définir précisément le niveau de la provision pour risque contentieux. Naguère, cette provision n'existait pas : le coût des contentieux était simplement mutualisé entre les entreprises. C'était une erreur comptable, mais aussi politique, puisque la mutualisation réduit notre capacité à prévenir les accidents du travail.

Paradoxalement, le problème est accru par le fait que la branche est à l'équilibre : dans ces conditions, une erreur de 100 millions d'euros peut convertir un excédent en déficit, et changer qualitativement la situation comptable de la branche. En outre, nous avons du mal à comptabiliser les contentieux en cours.

Pour y remédier, il est prévu de créer un logiciel spécialisé de gestion des contentieux, qui servira aussi à la branche maladie. Il y faudra au moins deux ans. En attendant, nous préparons avec la Cour des comptes l'enquête questionnaire auprès des caisses primaires pour faire l'inventaire des contentieux en cours au 31 décembre de cette année. Malgré cela, il n'est pas sûr que nous obtenions l'an prochain la certification.

La Cour nous reproche également le manque de contrôle interne sur la tarification. Ce contrôle devrait porter aussi bien sur la branche elle-même que sur ses relations avec les Urssaf. Nous y travaillons. Toutefois, je reste persuadé qu'il n'y aura pas de contrôle interne satisfaisant tant que nous n'aurons pas simplifié la tarification. On compte en France plus de 600 codes risques, contre 40 tout au plus chez nos voisins européens. Cette catégorisation ne correspond à aucune autre : elle est incompatible avec la nomenclature d'activités française (NAF) utilisée par l'Insee. Le travail de simplification en cours n'aboutira pas avant quelque temps : il faudra rechercher un accord entre partenaires sociaux, dans le cadre des comités techniques nationaux des branches professionnelles. C'est l'intérêt des entreprises comme des salariés.

Pour en revenir au Fiva, tout prélèvement sur notre excédent réduit d'autant notre capacité à rembourser notre dette. Cependant, je ne conteste pas le montant global de la dotation du Fiva, qui correspond à ses besoins. La participation habituelle de l'Etat, de l'ordre de 50 millions d'euros, est somme toute relativement marginale, même si j'aurais évidemment apprécié d'avoir un excédent supérieur de 50 millions... Bien que je n'aie pas d'information sur les intentions de l'Etat pour 2015, j'ai bon espoir qu'il participera de nouveau au financement du fonds, parce qu'on aura mieux anticipé les choses. En outre, le fonds ayant retrouvé d'ici là un certain équilibre, sa dotation globale devrait repartir à la baisse.

La nouvelle tarification n'avait pas pour but de réduire le risque contentieux. A cet égard, le décret entré en vigueur en 2010, qui encadre les possibilités de recours relatifs à l'instruction des dossiers en fixant un délai de deux mois, s'est révélé très efficace, en particulier pour les contentieux procéduraux. La réforme de la tarification visait à rendre celle-ci plus lisible aux yeux des entreprises, en la forfaitisant et en la reliant plus étroitement aux sinistres. En revanche, elle pourrait susciter des contentieux d'ordre médico-administratif, du fait de l'importance des seuils : 90 000 euros pour un préjudice occasionnant une incapacité professionnelle de 39 %, 400 000 euros pour une incapacité de 40 %. Cela incite naturellement à sous-évaluer l'incapacité... Tout dépend de la qualité du travail fait avec les médecins-conseils. Ce contentieux-là ne peut être réduit par décret.

Au-delà de l'utile réforme de la tarification, il faut réfléchir à une simplification, pour améliorer le service rendu et inciter à la prévention. Le système actuel est trop complexe. Il pèse sur les agents, rend difficile le contrôle interne et peu lisible le mécanisme assurantiel. Dès lors, la tarification ne joue pas son rôle d'outil de prévention. Or la branche AT-MP a précisément pour objet de prévenir ces drames humains que sont les accidents du travail et maladies professionnelles.

La prévention primaire occupe une grande place dans le projet de convention d'objectifs et de gestion. Nous avons tenu compte de certaines recommandations de la Cour des comptes, en particulier sur la nécessité d'identifier des priorités, de définir des cibles et d'évaluer l'impact de nos actions. En revanche, la question des tableaux ou celle des trajets nous paraissent être plutôt du ressort de l'Etat. Nous ne sommes pas non plus tout à fait favorables à l'utilisation comme principal indicateur de la valeur du risque, croisement de la fréquence et du coût individuel du risque. Si cet indicateur traduit la gravité d'un accident du travail, très bien. S'il traduit le niveau de responsabilité professionnelle du salarié, il n'est pas pertinent : nous n'avons pas à traiter différemment un cadre supérieur et un ouvrier spécialisé. Je ne sais que répondre à votre question sur la pénibilité...

M. Jean-Pierre Godefroy , rapporteur . - Vous avez raison.

M. Dominique Martin . - On comprend bien l'intérêt de la création du compte pénibilité. Toutefois, je crains qu'il se heurte au principe de prévention. Souvent, une entreprise choisira d'offrir à ses salariés une compensation - par exemple une formation - plutôt que réduire la pénibilité de leurs tâches, comme l'exposition à des agents cancérogènes. Et les salariés feront le même arbitrage, plutôt que de se prémunir contre le risque de tomber malades vingt ou trente ans plus tard...

M. Alain Milon. - Maladie ou pénibilité ?

M. Dominique Martin . - Or la branche AT-MP est bien fondée, depuis 1898, sur l'intérêt commun des employeurs et des salariés à prévenir les risques professionnels. Nous verrons ce que diront les décrets. Dans les entreprises où les travailleurs sont exposés à des facteurs de pénibilité importants, il faudra mener en même temps des actions de prévention. Pour le reste, je ne sais comment les choses s'organiseront au sein des Carsat, sinon que les ingénieurs et inspecteurs du travail pourront être sollicités. Là encore, il faut attendre les décrets.

Mme Aline Archimbaud . - Je n'ai pas bien compris pourquoi l'Etat se désengageait cette année du Fiva. C'est une décision lourde de sens, car l'indemnisation des victimes de l'amiante devrait relever de la solidarité nationale. Les sommes en jeu ne sont pas si considérables.

Un environnement de travail cancérogène n'est pas seulement pénible, il est dangereux. Envisage-t-on d'intervenir dans les processus de production des entreprises, l'organisation du travail, ou se contentera-t-on d'informer les salariés ?

M. Alain Milon . - Les députés sont passés très vite sur le compte pénibilité, dont les contours seront définis par décret. Comment, par qui et avec qui ? La loi reconnaît déjà les accidents du travail, les maladies professionnelles, l'invalidité, l'incapacité. La médecine du travail, elle, doit prévenir tous les risques : cancers, mais aussi silicose du boulanger, par exemple. Quant à la pénibilité, je ne sais pas ce que c'est, et je me pose beaucoup de questions sur le nouveau compte.

Mme Annie David, présidente . - La pénibilité est déjà reconnue, par exemple quand des travailleurs de nuit partent plus tôt à la retraite.

M. Alain Milon . - Certes. Cependant, la longévité des travailleurs de nuit et de jour est sensiblement la même. Les premiers ont même tendance à vivre plus longtemps...

Mme Catherine Génisson . - Cela dépend si le travail est posté ou pas.

Mme Annie David, présidente . - En effet, l'organisation du travail est importante.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - Si favorable que je sois à l'instauration d'un compte pénibilité, je ne vous cacherai pas mes inquiétudes. Dans l'entreprise où je travaillais, on n'avait aucun mal à trouver des volontaires pour les tâches pénibles, récompensées par des primes ou un départ à la retraite anticipé. Ne perdons pas de vue la prévention.

Mme Catherine Génisson . - Vous soulevez là un problème très important. On sait que les travailleurs de nuit, même lorsqu'ils font valoir leur droit à un repos compensateur plutôt que de demander une rallonge financière, préfèrent en général prendre ces temps de repos successivement plutôt que selon le rythme préconisé par les chronobiologistes. A nous, législateurs, de réduire les risques professionnels plutôt que de les valoriser. Certaines conditions de travail, comme l'exposition aux nanoparticules, pourraient être dangereuses, sans que l'on en soit sûr. En revanche, on connaît très bien les risques associés à d'autres situations, et l'on sait les prévenir.

M. Dominique Martin . - La loi prévoit que l'Etat subventionne le Fiva ; il l'a fait tous les ans sauf l'année dernière, où le financement s'est fait par prélèvement sur le fonds de roulement, et cette année, où la définition du montant a été trop tardive pour figurer dans le PLFSS. Si nous nous y prenons assez tôt, nous devrions avoir un financement équilibré à l'avenir, grâce à une subvention qui a du sens en termes de responsabilité collective.

Les facteurs de la pénibilité sont déterminés par décret : certains sont précis, tels que le travail de nuit ou le travail posté ; d'autres, tels que l'exposition aux agents cancérogènes ou la manipulation de charges lourdes seront soumis à un seuil.

Comme Mme Catherine Génisson, je considère que parallèlement à la mise en place du compte pénibilité, une prévention ciblée doit soustraire le plus possible les salariés aux risques auxquels ils sont soumis. Ainsi notre convention définit-elle trois domaines prioritaires dans les quatre années à venir : les chutes dans le secteur du bâtiment et travaux publics, les troubles musculo-squelettiques, qui occasionnent de grandes souffrances dans l'agro-alimentaire et la grande distribution, et l'exposition aux agents cancérogènes. Nous cherchons ainsi à substituer à ces derniers des agents inoffensifs ou à installer des dispositifs protecteurs, tels que des aspirateurs de fumée. Nous menons d'ores et déjà ces actions, et nous continuerons à le faire dans chaque entreprise où des comptes pénibilité seront ouverts.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - Comment les entreprises sollicitées pour financer la branche AT-MP réagiront-elles ?

M. René Teulade . - Comment concilier deux démarches incompatibles, puisqu'elles reposent l'une sur des prescriptions libérales et l'autre sur des prestations socialisées ?

Mme Annie David, présidente . - Vaste débat !

M. Dominique Martin . - Très politique, une telle question dépasse mon domaine de compétence.

Les entreprises ne décideront pas du niveau de tarification ; celle-ci, à la différence de la branche AT-MP, sera double : d'une part sur l'ensemble des entreprises et d'autre part sur les entreprises où un risque est avéré.

M. Alain Milon . - Dans la branche AT-MP, les très petites entreprises comptent très peu d'accidents, de même que les grandes. Les entreprises entre vingt et cent-cinquante salariés concentrent l'essentiel des accidents.

M. Dominique Martin . - On remarque en effet une sur-sinistralité dans ces entreprises qui forment la majeure partie de notre économie.

Mme Annie David, présidente . - Si elles ne veulent pas trop payer, elles auront intérêt à faire de la prévention. Nous avons reçu des salariés qui ont du mal à faire valoir leurs droits.

M. Alain Milon . - Je crains que le réflexe ne soit l'absence d'embauche.

Mme Annie David, présidente . - Je remercie M. Martin d'avoir répondu à nos questions.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page