Rapport n° 141 (2013-2014) de M. Jacques BERTHOU , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 13 novembre 2013

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N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE),

Par M. Jacques BERTHOU,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; M. Pierre André, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Luc Carvounas, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava, André Vallini .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

97 et 142 (2013-2014)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi autorisant la ratification de l'accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, qui a été déposé au Sénat le 23 octobre 2013.

Cet accord international, signé le 19 février 2013, fait partie d'un « paquet » relatif à la création du brevet européen à effet unitaire, anciennement appelé « brevet communautaire ». Il complète deux règlements de l'Union européenne du 17 décembre 2012 instituant un titre de brevet européen à effet unitaire.

Avant de décrire ce nouveau système juridictionnel et ses conséquences pour notre pays, votre rapporteur a jugé utile de décrire brièvement le système actuel des brevets en Europe.

I. UN ACCORD QUI S'INSCRIT DANS LE CADRE DE LA RÉFORME DU SYSTEME DES BREVETS EN EUROPE

A. LE BREVET : UN OUTIL ESSENTIEL POUR L'INNOVATION

1. La nature du brevet

Le brevet est né en Europe.

Le premier brevet industriel fut délivré en 1421 à Florence à l'architecte et ingénieur Filippo Brunelleschi qui l'obtint pour une invention dans le domaine de la manutention de marchandises destinées au transport par bateau.

Plus tard, c'est à Venise que fut octroyé un second brevet, lorsqu'en 1469, la ville accorda à un assistant de Gutenberg, pour la durée de sa vie, le privilège d'imprimer, à l'exclusion de tout autre, par un système utilisant des caractères mobiles.

Chaque pays a ensuite mis en place son propre système de brevet. Ainsi, le système de brevets français s'appuie sur un droit dont l'origine remonte à la Révolution de 1789.

QU'EST-CE QU'UN BREVET ?

Le brevet est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire le droit pour une période limitée dans le temps (20 ans en règle générale) et sur un territoire donné, d'interdire à tout tiers non autorisé d'exploiter (c'est-à-dire de fabriquer, d'utiliser, de commercialiser ou d'importer) l'invention. En contrepartie de cette protection, le détenteur du brevet accepte de rendre publique son invention.

COMMENT SE PRÉSENTE UN FASCICULE DE BREVET ?

Un fascicule de brevet comporte généralement deux ou trois parties : les revendications, la description et, le cas échéant, des dessins.

Les revendications définissent l'objet de la protection demandée. Elles doivent être claires et concises.

La description (et les dessins) sert à interpréter les revendications. La description expose l'état antérieur de la technique, le problème technique et la solution apportée.

Un fascicule de brevet comprend, en moyenne, 3,5 pages de revendications et 16,5 pages de description et dessins, soit environ 20 pages au total.

Les revendications constituent la partie juridique essentielle du brevet, celle qui fixe le champ de la protection. La description sert à interpréter les revendications, mais elle ne crée pas de droit.

2. La vocation du brevet

Le brevet est un outil majeur pour développer l'innovation. Il permet aux entreprises de rentabiliser, et donc de pérenniser, les investissements réalisés en recherche et développement.

Il participe aussi à la diffusion des innovations, en rendant publique l'invention et en facilitant la délivrance de licences d'exploitation.

Dans une économie basée sur la connaissance, les brevets représentent donc un des facteurs essentiels de l'innovation, de la croissance économique et de la compétitivité.

3. La procédure de délivrance des brevets

La procédure de délivrance des brevets se fait en plusieurs étapes.

a) Le dépôt d'une demande de brevet

Le dépôt est la première phase de la procédure susceptible d'aboutir à la délivrance d'un brevet. Il existe plusieurs voies de dépôts selon l'étendue territoriale de la protection que le déposant souhaite apporter à son invention.

- La voie nationale

Elle est propre à chaque État qui définit lui-même ses critères de brevetabilité, ainsi que la procédure de dépôt et d'examen.

En France, la demande de brevet se fait auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI).

Une fois la demande déposée à l'INPI, le déposant dispose d'une priorité d'un an pour demander l'extension de la protection en Europe ou à l'international. En pratique, près de 90 % des entreprises françaises utilisent la voie nationale pour leur premier dépôt.

L'INPI reçoit environ 17 000 demandes de brevets français et en délivre plus de 11 000 par an.

- La voie européenne

La voie européenne est gérée par l'Office européen des brevets (OEB), qui met en oeuvre une procédure de dépôt et d'examen centralisé suivant des règles uniformes.

A partir d'un seul dépôt auprès de l'Office, un brevet européen peut être délivré dans tous les pays désignés par le déposant, parmi les 38 pays membres de l'Office européen des brevets. Ce brevet européen se scinde ensuite en autant de brevets nationaux que de pays désignés.

Chaque année, l'Office européen des brevets reçoit près de 250 000 demandes (dont environ 120 000 par l'intermédiaire des offices nationaux) et délivre entre 50 000 et 60 000 brevets européens.

- La voie internationale

Il existe également une procédure internationale, issue du traité PCT ( « Patent cooperation treaty ») de 1970, gérée par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).

Elle permet, à partir d'une demande unique, de désigner les États où la protection est souhaitée parmi plus d'une centaine de pays.

Chacun des offices nationaux ou régionaux (tels que l'Office européen des brevets) des États désignés traite la demande selon ses règles propres.

Cette voie internationale n'aboutit donc pas à la délivrance d'un titre international mais à la délivrance de plusieurs brevets nationaux ou régionaux.

b) L'examen et la publication de la demande

L'examen du brevet est l'opération consistant pour un office de la propriété industrielle à procéder à des recherches, afin d'identifier les antériorités susceptibles d'affecter la brevetabilité de l'invention qui fait l'objet de la demande de brevet.

La demande de brevet fait l'objet d'une publication avant toute délivrance. En France, elle intervient 18 mois à compter de la date de dépôt.

c) La délivrance du brevet

La délivrance du brevet est l'opération consistant pour un office de la propriété industrielle à accepter la demande de brevet déposée auprès de cet office.

Cette opération intervient, en général, plusieurs années après le dépôt de la demande.

B. LE BREVET EUROPÉEN : UN SYSTÈME QUI A FAIT SES PREUVES MAIS QUI SE HEURTE À DES LIMITES

1. Le système du brevet européen
a) L'origine du brevet européen

Le brevet européen est né de la volonté des États d'édifier un système de brevets unifié à l'échelle de l'Europe dans un souci de simplification et de réduction des coûts pour les déposants.

A la suite de l'échec des tentatives pour instituer un brevet communautaire, une Convention sur la délivrance des brevets européens (CBE) a été signée à Munich le 5 octobre 1973, qui instaure le brevet européen et crée l'Office européen des brevets (OEB). Cette convention est entrée en vigueur le 7 octobre 1977 après avoir été ratifiée par sept États, dont la France.

La Convention sur le brevet européen (CBE), également appelée « Convention de Munich », est un traité interétatique classique, dont le champ géographique est plus étendu que celui de l'Union européenne puisqu'il couvre aujourd'hui 38 États. L'ensemble des vingt-sept États membres de l'Union européenne sont parties à la convention.

La Convention de Munich fournit un cadre juridique pour la délivrance des brevets européens, par l'intermédiaire d'une procédure unique et harmonisée devant l'Office européen des brevets.

b) Le brevet européen : un faisceau de brevets nationaux

Bien que le terme de « brevet européen » soit employé pour désigner les brevets accordés par l'Office européen des brevets, la délivrance d'un tel brevet ne donne pas droit à un titre unitaire, mais à un faisceau de titres nationaux.

Le système européen des brevets se caractérise par une procédure unique de délivrance des brevets par le biais de l'Office européen des brevets. Une demande de brevet unique dans une seule langue peut être déposée qui permet de bénéficier d'une protection dans tout ou partie des pays parties à la convention.

Une fois délivré, le brevet européen éclate en un faisceau de brevets nationaux dans les États que son titulaire a désignés comme ceux dans lesquels il souhaitait que son invention soit protégée. De ce fait, le brevet européen n'est donc pas un titre unitaire mais il demeure régi par les lois nationales, notamment en ce qui concerne le contentieux des brevets.

La procédure du brevet européen se distingue de la procédure du brevet national en ce que s'y ajoutent deux exigences particulières que sont la « désignation » et la « validation ».

La « désignation » consiste à déterminer le champ territorial de la protection de l'invention. Cette opération de « désignation » se traduit par l'énumération de la liste des États où le déposant souhaite que son invention soit protégée.

En matière de désignation, la France figure (avec un taux de désignation de 94 %) au deuxième rang des pays membres de l'OEB, derrière l'Allemagne (avec un taux de 98 %), mais devant le Royaume-Uni (avec un taux de 93 %).

Afin qu'un brevet européen produise des effets juridiques dans chacun des États désignés par le breveté, il est ensuite nécessaire de procéder à une « validation ».

Avant l'entrée en vigueur du Protocole de Londres, la validation consistait dans le dépôt, auprès de l'office national de la propriété industrielle de chacun des États en cause, de la traduction intégrale du brevet (description et revendications) dans une langue officielle de cet État.

2. La réforme du système européen des brevets
a) La réforme du régime linguistique : le Protocole de Londres

L'accord sur l'application de l'article 65 CBE - dit Protocole de Londres - est un accord facultatif visant à réduire les coûts liés à la traduction des brevets européens. Il est le fruit de longs efforts visant à obtenir un régime de traduction post-délivrance attractif du point de vue des coûts.

Ce processus a débuté dans les années 90 dans le cadre de l'Organisation européenne des brevets, avant de s'accélérer lors de la Conférence intergouvernementale tenue à Paris les 24 et 25 juin 1999. L'accord a été conclu lors de la Conférence intergouvernementale tenue à Londres le 17 octobre 2000.

Les Etats parties à la Convention de Munich qui ont ratifié l'accord ou qui y ont adhéré s'engagent à renoncer, en tout ou dans une large mesure, à l'exigence de produire des traductions des brevets européens. En vertu de l'article premier, paragraphes 1, 2 et 3 de l'accord de Londres,

- un Etat ayant une langue officielle en commun avec une des langues officielles de l'OEB (c'est-à-dire l'anglais, le français ou l'allemand) renonce totalement aux exigences en matière de traduction prévues à l'article 65(1) CBE ;

- un Etat n'ayant aucune langue officielle en commun avec une des langues officielles de l'OEB renonce aux exigences en matière de traduction prévues à l'article 65(1) CBE, si le brevet européen a été délivré dans la langue officielle de l'OEB prescrite par cet Etat, ou traduit dans cette langue et fourni dans les conditions prévues à l'article 65(1) CBE. Ces Etats peuvent toutefois exiger qu'une traduction des revendications dans une de leurs langues officielles soit fournie.

En outre, tous les pays participant à l'accord gardent le droit d'exiger qu'en cas de litige fondé sur un brevet, une traduction complète du brevet soit fournie par le titulaire dans la langue nationale du pays.

L'accord de Londres est entré en vigueur le 1 er mai 2008, après que treize Etats parties à la CBE - dont les trois Etats dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens a pris effet en 1999, à savoir l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni - eurent déposé leurs instruments de ratification et d'adhésion.

En France, la ratification de l'accord de Londres a été autorisée par la loi n° 2007-1477 du 17 octobre 2007.

b) La création d'un système juridictionnel

Cette piste a été engagée à l'occasion de la conférence intergouvernementale de Paris en 1999. Elle a conduit à la rédaction d'un projet d'accord sur le règlement des litiges en matière de brevet européen - aussi désigné sous le nom d'EPLA (« European Patent Litigation Agreement ») - qui vise à instituer une juridiction centralisée compétente pour traiter des actions relatives à la validité et à la contrefaçon du brevet européen, avec une Cour européenne des brevets, comprenant un tribunal de première instance et une cour d'appel. Il s'agissait d'un système facultatif qui avait vocation à s'appliquer aux seuls États membres de l'OEB qui décideraient d'y adhérer.

Ce projet n'a cependant pas abouti.

3. Un système qui connaît encore des limites

Le système européen des brevets se heurte à une double limite.

a) Un coût financier non négligeable

La première limite est d'ordre financier. Le coût d'accès au brevet européen est sensiblement plus élevé que celui du brevet américain ou japonais. On considère généralement qu'il est au moins 2 à 3 fois plus coûteux de protéger une invention en Europe qu'au Japon ou aux Etats-Unis.

D'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, le coût d'un brevet européen peut aller jusqu'à 36 000 euros (pour une validation dans les 27 Etats membres selon l'étude d'impact de la Commission européenne), dont 23 000 euros pour les seules traductions, contre 2 000 euros aux Etats-Unis et 600 euros en Chine.

Cela tient à la multiplicité des procédures de validation, à l'existence de taxes de maintien en vigueur dans l'ensemble des pays désignés et à l'exigence d'une traduction du brevet dans les langues des pays désignés.

b) Une sécurité juridique incertaine

La seconde limite a trait à la sécurité juridique en l'absence d'harmonisation des litiges. Chaque brevet européen relève, en matière de contentieux, du juge national. En cas d'infraction, le titulaire du brevet est donc amené à saisir plusieurs juridictions nationales, lorsque l'infraction a été commise sur plusieurs territoires. Et rien de garantit qu'une décision d'un juge dans un pays fasse l'objet, pour un litige identique, d'une même décision dans un autre pays.

Ce sont les PME, compte tenu de leurs moyens d'expertise et de financement limités, qui pâtissent le plus de ce système, alors même qu'elles disposent d'un important potentiel d'innovation.

C. LE BREVET COMMUNAUTAIRE OU BREVET EUROPEEN « A EFFET UNITAIRE »

1. Une idée ancienne mais qui a longtemps achoppé sur la question du régime linguistique

L'idée d'un brevet de l'Union européenne assurant une protection uniforme sur tout le territoire européen - alors qualifiée de « brevet communautaire » - est ancienne puisqu'elle remonte aux années soixante.

C'est d'ailleurs en raison de l'échec de la première tentative de créer un brevet au niveau communautaire que le système du brevet européen a été mis en place dans le cadre d'une convention interétatique classique au début des années 1970.

Une deuxième tentative de création d'un brevet communautaire a abouti en 1975 à la signature de la Convention de Luxembourg sur le brevet communautaire, modifiée par l'Accord de Luxembourg du 15 décembre 1989. Elle n'est jamais entrée en vigueur, seuls la France, l'Allemagne, la Grèce, le Danemark, le Luxembourg, le Royaume-Uni et les Pays-Bas l'ayant ratifiée.

En effet, ce projet de brevet communautaire exigeait une traduction de l'intégralité du fascicule de brevet dans toutes les langues de la Communauté (six à l'époque). Les milieux intéressés ont estimé que cela entraînerait un coût excessif. De plus, le système juridictionnel aurait permis aux juges nationaux d'annuler un brevet communautaire avec effet pour tout le territoire de la Communauté, ce qui a été considéré comme un élément d'insécurité juridique rédhibitoire.

Après ces deux tentatives, le processus de mise en place d'un brevet communautaire a été relancé par le Livre vert de la Commission européenne sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe, du 24 juin 1997, qui s'inscrivait dans le cadre du Premier plan d'action pour l'innovation en Europe du 20 novembre 1996.

Ce Livre vert a été suivi d'une proposition de règlement relatif à la création du brevet communautaire, présentée par la Commission européenne en août 2000.

Toutefois, ce projet n'a pas pu aboutir.

Le Conseil des ministres de l'UE, au terme d'un long débat, avait alors constaté qu'il était impossible de recueillir l'unanimité requise, en raison notamment des questions touchant au régime linguistique.

En effet, l'Italie et l'Espagne, dont les langues sont respectivement la quatrième et la cinquième les plus parlées de l'espace communautaire, exigeaient de bénéficier du régime dont jouissent l'anglais, l'allemand et le français dans le cadre du brevet européen.

La Commission européenne a relancé les discussions en avril 2007 et a présenté deux nouvelles propositions en juin 2010. Toutefois, la négociation a échoué fin 2010, une fois encore en raison du régime linguistique : l'Espagne et l'Italie ont rejeté un régime fondé sur les seules langues française, anglaise et allemande.

2. Le recours à la coopération renforcée a permis de trouver un accord à 25 sur le brevet européen à effet unitaire

A la suite de cet échec, les 25 autres Etats membres ont décidé de s'engager dans une coopération renforcée au sens de l'article 20 du traité sur l'Union européenne.

12 pays, dont la France, en ont fait formellement la demande dès décembre 2010, rejoints progressivement par les autres Etats membres.

En mars 2011, le Conseil de l'Union européenne a adopté la décision autorisant, conformément à l'article 20 du traité sur l'Union européenne, une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection unitaire par brevet.

QU'EST-CE QU'UNE COOPÉRATION RENFORCÉE ?

La coopération renforcée est un mécanisme qui permet aux Etats membres qui le souhaitent et le peuvent d'aller plus vite et plus loin dans la voie de l'intégration européenne, sans en être empêchés par les autres, sur le modèle des accords de Schengen ou de l'euro.

Introduit dans les traités par le traité d'Amsterdam, modifié par le traité de Nice et par le traité de Lisbonne, le régime général de la coopération renforcée, prévu à l'article 20 du traité sur l'Union européenne, repose sur les critères suivants :

- les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de l'Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son intégration.

- les coopérations renforcées doivent être lancées en « dernier recours ». Il doit être établi que les objectifs recherchés ne peuvent pas être atteints dans un délai raisonnable par l'Union dans son ensemble.

- Le nombre minimal d'Etats requis pour lancer une coopération renforcée est fixé à 9.

La procédure est la suivante :

- Les Etats membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans l'un des domaines visés par les traités, à l'exception des domaines de compétence exclusive et de la politique étrangère et de sécurité commune, adressent une demande à la Commission Européenne en précisant le champ d'application et les objectifs poursuivis par la coopération renforcée envisagée.

- La Commission Européenne soumet alors une proposition en ce sens (cela reste une simple faculté) au Conseil qui statue à la majorité qualifiée avec l'approbation du Parlement Européen.

- L'accord de la Commission et du Parlement est nécessaire au lancement d'une coopération renforcée.

Le fonctionnement est le suivant :

Dans le cadre d'une coopération renforcée, tous les membres du Conseil peuvent participer aux délibérations, mais seuls les représentants des Etats participant à cette coopération renforcée prennent part au vote.

Les représentants des Etats participants se prononcent selon les cas à l'unanimité ou à la majorité qualifiée. Toutefois, et c'est une nouveauté, le Traité de Lisbonne dispose que dans le cadre d'une coopération renforcée, les représentants des Etats participant à la coopération renforcée peuvent, à l'unanimité, recourir aux « clauses passerelles », pour passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de co-décision.

Les coopérations renforcées sont ouvertes à la participation des autres Etats.

Les dépenses résultant de la mise en oeuvre d'une coopération renforcée autres que les coûts administratifs incombant aux institutions, sont à la charge des Etats membres qui y participent, à moins que le Conseil statuant à l'unanimité, après consultation du Parlement Européen, n'en décide autrement.

Le Conseil des Ministres et le Parlement Européens sont régulièrement informés de l'évolution des coopérations renforcées.

Après une première utilisation en 2010, pour l'harmonisation des procédures en matière de divorce, le brevet a été le deuxième cas d'utilisation de la coopération renforcée dans le cadre des traités. Une troisième coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières a été lancée depuis.

Dans une Europe à vingt-huit aujourd'hui, trente demain, ce mécanisme semble désormais incontournable pour renforcer l'intégration européenne et surmonter le défi du nombre et de la diversité.

En réaction, l'Espagne et l'Italie ont saisi la CJUE d'un recours en annulation contre la décision du Conseil autorisant la coopération renforcée en mars 2011. Toutefois, la Cour de justice a rejeté ce recours.

Sur cette base, les négociations relatives à la mise en oeuvre de cette coopération renforcée ont conduit, le 10 décembre 2012, le Conseil (Compétitivité) à trouver un accord sur les deux règlements de l'UE mettant en oeuvre la coopération renforcée (l'un portant sur la création du titre de propriété intellectuelle, et l'autre sur le régime des traductions).

Ces deux règlements ont été adoptés sur le fondement du nouvel article 118 introduit dans le TFUE par le traité de Lisbonne.

A ce titre, le règlement portant sur le titre a été adopté à la majorité qualifiée au Conseil et selon la procédure de codécision (article 118, paragraphe 1), tandis que l'autre l'a été à l'unanimité au Conseil, selon une procédure législative spéciale (article 118, paragraphe 2).

Le Parlement européen a confirmé, à une large majorité (plus de 480 voix pour, à peine 160 voix contre), son accord dès le lendemain.

Le premier règlement, adopté formellement le 17 décembre 2012 1 ( * ) , crée le titre de brevet européen à effet unitaire.

La gestion des brevets à effet unitaire sera confiée à l'Office européen des brevets (OEB), situé à Munich, déjà compétent pour gérer les brevets européens : une fois délivré par l'OEB, les effets juridiques du brevet s'étendront à l'ensemble des Etats membres de la coopération renforcée. Par conséquent, le règlement permettra de réduire considérablement les coûts liés à la validation des brevets : un brevet européen à effet unitaire valable dans l'ensemble des Etats participant à la coopération renforcée devrait coûter environ 6 500 euros selon la Commission européenne.

Le second règlement de l'UE, également adopté le 17 décembre 2012, définit le régime des traductions applicable à ce nouveau titre.

Il prévoit que le dépôt du brevet auprès de l'OEB devra se faire dans l'une des trois langues de travail de l'OEB (français, anglais, allemand). Dans le cas où le demandeur est ressortissant d'un État dont la langue n'est pas l'une des trois langues de l'OEB, il pourra rédiger sa demande dans sa langue, tout en fournissant une traduction dans une des langues de travail de l'OEB, dont le coût sera pris en charge par un mécanisme de compensation mutualisé entre les Etats membres.

En outre, un dispositif de traduction automatique dans toutes les langues officielles de l'Union (23) devra être mis en place. Par ailleurs, la publication du brevet sera faite intégralement dans la langue de procédure, c'est-à-dire pour ce qui concerne tant les revendications du brevet (qui délimitent la portée exacte de la protection par brevet) que les descriptions (qui détaillent le contenu de l'invention). Les revendications seront également traduites dans les deux autres langues de l'OEB.

Pendant une période transitoire de 6 ans (pouvant être prolongée pour 6 ans), les brevets européens délivrés en français ou en allemand feront l'objet d'une remise de traduction en langue anglaise ; les brevets européens délivrés en anglais feront l'objet d'une remise de traduction dans une langue officielle de l'Union européenne.

3. Le brevet européen à effet unitaire : un système différent mais complémentaire du brevet européen

Le brevet communautaire n'a pas vocation à remplacer les systèmes nationaux de délivrance des brevets ou le système du brevet européen, mais à coexister avec eux.

L'idée force du projet de création du brevet européen à effet unitaire réside, en effet, dans la « symbiose » avec celui du brevet européen.

Les brevets européens à effet unitaire seront, comme les brevets européens, délivrés par l'Office européen des brevets. L'Office européen des brevets, qui n'est pas un organisme communautaire, devrait donc être chargé d'examiner les demandes de brevet européen à effet unitaire, de délivrer et d'administrer ces brevets.

Le brevet européen à effet unitaire serait délivré par l'Office en tant que brevet européen désignant le territoire de l'ensemble des États membres de l'Union européenne participant à la coopération renforcée, et non plus les pays individuellement.

La différence essentielle entre le brevet européen « classique » et le brevet européen à effet unitaire porte sur son régime juridique un fois qu'il a été délivré. Contrairement au brevet européen « classique », qui est un faisceau de brevets nationaux, le brevet européen à effet unitaire sera un titre de propriété industrielle unitaire et autonome, c'est-à-dire qu'il produirait les mêmes effets dans l'ensemble du territoire des Etats de l'Union européenne.

La création du brevet européen à effet unitaire s'accompagne de la mise en place d' une juridiction unifiée de propriété intellectuelle afin de garantir l'unicité de droit et la cohérence de la jurisprudence.

BREVET EUROPÉEN ET BREVET EUROPÉEN À EFFET UNITAIRE : QUELLES DIFFÉRENCES ?

Le brevet européen à effet unitaire ne vise pas à remplacer le brevet européen mais à coexister avec lui. Il devrait, comme le brevet européen, être délivré par l'Office européen des brevets, selon la même procédure centralisée.

La principale différence entre le brevet européen à effet unitaire et le brevet européen tient dans le caractère unitaire du premier qui devrait couvrir l'ensemble du territoire de l'Union européenne (à l'exception de l'Espagne et de l'Italie), alors que le brevet européen, qui est un faisceau de titres nationaux, n'est valable que dans les pays désignés par le déposant. Le brevet européen à effet unitaire devrait produire les mêmes effets sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne et ne pourrait donc être délivré ou annulé que pour tous les États membres de l'Union européenne.

Une autre différence réside dans la mise en place d'un système juridictionnel unifié pour le contentieux relatif à la validité et à la contrefaçon du brevet européen à effet unitaire, qui relèverait d'une juridiction spécialisée.

II. LE PRÉSENT ACCORD : UNE RÉFORME IMPORTANTE DU SYSTÈME JURIDICTIONNEL DU BREVET

A. DES NÉGOCIATIONS DIFFICILES

Parallèlement aux négociations sur la création du brevet à effet unitaire, des négociations ont été menées au niveau européen en vue de créer une juridiction unifiée des brevets.

Les premiers travaux menés ont abouti en 2009 à un projet d'accord sur la création d'une juridiction ayant compétence exclusive à la fois pour les brevets européens et pour les brevets européens à effet unitaire. Ce projet d'accord avait vocation à être conclu, d'une part, par l'Union européenne et ses Etats membres et, d'autre part, par les Etats tiers à l'Union européenne et parties à la Convention sur le brevet européen.

En juin 2009, au regard des interactions fortes entre cette future juridiction et l'ordre juridique de l'Union européenne, le Conseil a demandé à la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) de rendre un avis sur la compatibilité de ce projet d'accord avec le droit de l'Union européenne.

Dans son avis rendu le 8 mars 2011, la Cour a conclu que le système envisagé n'était pas compatible avec les dispositions du droit de l'Union européenne.

Les Etats membres ont procédé en conséquence à plusieurs modifications : ils ont ajouté des garanties destinées à s'assurer que les mécanismes de mise en oeuvre du droit de l'Union, applicables à l'égard des juridictions des Etats membres, le seraient également à l'égard de la future juridiction et sont convenus que la future juridiction devrait prendre la forme d'une juridiction « commune aux Etats membres », ce qui emportait deux conséquences : l'exclusion de la participation d'Etats tiers à l'accord, ainsi que celle de l'Union européenne. Les négociations se sont ensuite poursuivies parallèlement à celles concernant la mise en oeuvre de la coopération renforcée.

Dans la dernière partie de ces négociations (fin 2011-juin 2012), la difficulté a porté sur le choix du siège de la division centrale de la nouvelle juridiction, Paris, Munich et Londres le revendiquant. Après de longues négociations, une solution a finalement pu être trouvée lors du Conseil européen de juin 2012, dans le cadre du Pacte européen pour la croissance et l'emploi.

L'accord relatif à une juridiction unifiée du brevet a été signé le 19 février 2013, en marge de la formation « Compétitivité » du Conseil de l'Union européenne, par les tous les Etats membres de l'Union européenne, à l'exception de l'Espagne, de la Pologne et de la Bulgarie.

Cette dernière a finalement signé l'accord le 5 mars 2013. En revanche, la Pologne ne l'a pas encore signé. En conséquence de cette décision, la compétence de la juridiction unifiée des brevets ne sera pas reconnue sur le territoire polonais. En outre, la Pologne ne pourra pas bénéficier, sur son territoire, de la coopération renforcée en matière de brevet à laquelle elle participe pourtant (l'article 18 du règlement sur le titre dispose, en effet, qu'un brevet européen ne peut avoir un effet unitaire que dans les États membres qui reconnaissent la compétence de la juridiction unifiée du brevet).

On peut relever que la Croatie, qui est membre de l'Union européenne depuis le 1 er juillet dernier, a indiqué sa volonté de rejoindre la coopération renforcée sur le brevet européen à effet unitaire et l'accord international sur la juridiction unifiée des brevets.

B. UNE JURIDICTION A DOUBLE DEGRÉ COMPÉTENTE À LA FOIS POUR LES LITIGES SUR LES BREVETS EUROPÉENS « CLASSIQUES » ET LES NOUVEAUX BREVETS EUROPÉENS «  A EFFET UNITAIRE »

1. La double compétence de la juridiction

Le schéma juridictionnel prévu par l'accord repose sur une juridiction unifiée, compétente à la fois pour les brevets européens « classiques » au sens de la convention OEB et les nouveaux brevets européens, dits « à effet unitaire ».

La juridiction aura compétence exclusive pour connaître des actions relatives à la contrefaçon et à la nullité des brevets européens au sens de la convention de Munich et des brevets européens à effet unitaire. Elle sera aussi compétente à l'égard des actions concernant les tâches administratives confiées à l'Office européen des brevets par les Etats membres en vertu du règlement de l'UE sur le titre de brevet européen à effet unitaire. Ses décisions seront valables sur le territoire de tous les Etats signataires.

2. Une organisation fondée sur un double degré de juridictions et une pluralité de sièges

La juridiction se composera d'un Tribunal de première instance et d'une Cour d'appel.

Le Tribunal de première instance comprendra une division centrale, des divisions locales (jusqu'à 4 par pays), et/ou des divisions régionales, créés par deux Etats ou plus.

S'agissant de la division centrale, elle se compose de trois sections spécialisées par matière, situées respectivement à Paris (siège de la division), Londres et Munich.

La localisation du siège de la division centrale a constitué l'une des difficultés principales de la fin de la négociation.

Le Conseil européen de juin 2012 a permis de parvenir à un accord sur la base de l'arrangement suivant : Paris hébergera le siège de la division centrale et le cabinet de son président, qui sera, s'agissant du premier, un ressortissant français ;  les litiges seront traités sur les trois sites (Paris, Munich, Londres) et répartis selon la classification suivante :

LES TROIS SECTIONS DE LA DIVISION CENTRALE ET LA RÉPARTITION DES LITIGES

Section de LONDRES

Siège de PARIS

Section de MUNICH

Bureau du président

A) Nécessités courantes de la vie

B) Techniques industrielles, transports

F) Mécanique, éclairage, chauffage, armement, sautage

C) Chimie, métallurgie

D) Textiles, papier

E) Constructions fixes

G) Physique

H) Électricité

Les divisions locales ou régionales saisies des actions en contrefaçon seront celles du ressort de l'État du domicile d'un défendeur ou du lieu de la contrefaçon. Lorsque le défendeur sera domicilié dans un État membre de l'UE non partie, l'affaire pourra être portée devant la division du lieu où se sera produite la contrefaçon ou devant la division centrale. Pour sa part, la division centrale sera compétente pour les litiges directs relatifs à la validité des brevets ou aux décisions de l'OEB, ainsi que pour tout litige survenant sur le territoire des Etats n'accueillant pas de division locale ou ne participant pas à une division régionale.

S'agissant de la Cour d'appel, elle sera située à Luxembourg.

Enfin, on peut relever que le greffe de la juridiction sera également situé à Luxembourg et qu'un centre de médiation et d'arbitrage doit également être créé, dont le siège sera situé à Lisbonne et Ljubljana.

La juridiction comprendra des juges qualifiés sur le plan juridique et des juges qualifiés sur le plan technique. Les juges doivent faire preuve du plus haut niveau de compétence et d'une expérience avérée dans le domaine du contentieux des brevets. Ils seront nommés d'un commun accord par le comité administratif, sur proposition du comité consultatif. L'article 17 précise que la juridiction, les juges qui y siègent et le greffier bénéficient de l'indépendance judiciaire. Les juges du tribunal de première instance et de la cour d'appel siègeront en composition multinationale. Un « pool de juges » sera mis en place. Au moins un juge de ce pool, et le cas échéant, davantage en fonction du volume des affaires, sera adjoint aux juges ressortissants de l'État contractant sur le territoire duquel est située la division concernée.

Un cadre de formation des juges aura son siège à Budapest afin d'assurer et de renforcer l'expertise des juges dans les domaines technique et juridique. Le système de formation continue des juges permettra d'assurer et de renforcer l'expertise des juges dans les domaines techniques et juridiques.

Devant les divisions locales ou régionales du tribunal de première instance, la langue de procédure est la langue officielle de l'État sur le territoire duquel est située la division concernée ou celle désignée par les États qui partagent une division régionale. La chambre compétente et les parties peuvent toutefois décider, à titre dérogatoire, d'utiliser comme langue de procédure la langue dans laquelle le brevet a été délivré. La langue de procédure devant la division centrale est la langue dans laquelle le brevet a été délivré.

Devant la cour d'appel, la langue de procédure est celle qui a été utilisée devant le tribunal de première instance. Les parties peuvent convenir d'utiliser la langue dans laquelle le brevet a été délivré. La cour d'appel peut, exceptionnellement et avec l'accord des parties, décider d'utiliser une autre langue officielle d'un État membre comme langue de procédure.

Enfin, on peut relever que la juridiction saisira la CJUE de questions préjudicielles au sens de l'article 267 TFUE.

C. UN ACCORD COMPATIBLE AVEC LE DROIT EUROPÉEN ET QUI PERMETTRA DE STIMULER L'INNOVATION, LA COMPETITIVITÉ ET LA CROISSANCE EN EUROPE

1. Un accord favorable à l'innovation, à la compétitivité et à la croissance en Europe

D'une manière générale, la création du brevet européen à effet unitaire constitue, dans un contexte qui reste marqué par la crise économique, un signal très positif pour l'Union européenne, qui fait ainsi la preuve de sa capacité à oeuvrer effectivement en faveur de la croissance, comme elle s'y était engagée, dans la lignée du Pacte européen pour la croissance et l'emploi, décidé par le Conseil européen de juin 2012.

En effet, le « paquet » sur le brevet européen à effet unitaire est un levier essentiel pour améliorer la compétitivité des entreprises européennes, dans la mesure où il permettra d'abaisser considérablement les coûts du brevet (de 36 000 euros à 6 500 euros pour un brevet valable dans l'ensemble de l'Union européenne) et aux éventuels litiges. Selon les estimations de la Commission européenne, les coûts supportés par les entreprises pourraient être divisés par sept.

Pour la même raison, ce « paquet » représente également un élément essentiel pour stimuler l'innovation dans l'Union européenne : la réduction des coûts permettra de favoriser l'accès au système des brevets en Europe notamment pour les PME et devrait stimuler l'innovation dans l'Union européenne.

En créant une juridiction unifiée, dont la compétence s'étendra à la quasi-totalité de l'Union européenne, qui rendra des décisions valables sur le territoire de tous les Etats signataires, le présent accord permettra de diminuer les coûts liés aux contentieux en matière de brevets et les frais qui y sont associés (conseils juridiques, frais de procédure, etc.) pour le plus grand bénéfice des entreprises européennes, et notamment des PME. La protection des droits de propriété industrielle sera ainsi mieux assurée.

2. Un accord compatible avec le droit de l'Union européenne

Comme on l'a vu précédemment, dans son avis 1/09, rendu le 8 mars 2011, la Cour de justice de l'Union européenne avait estimé que le projet d'accord prévoyant la création d'une juridiction du brevet européen et communautaire qui lui était soumis n'était pas compatible avec les traités européens.

La préoccupation majeure exprimée par la Cour dans cet avis était liée à son souci de préserver la relation spéciale qui l'unit aux juridictions nationales dans le cadre du système juridictionnel de l'Union.

En effet, le projet d'accord qui lui était soumis attribuait une compétence exclusive pour interpréter et appliquer le droit de l'UE en matière de brevets européens et de brevets européens à effet unitaire, ainsi que pour connaître d'un nombre important d'actions intentées par des particuliers dans ces domaines, à une juridiction qui était située en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l'Union.

De fait, la participation d'États tiers et de l'Union européenne à cet accord faisait de cette juridiction une organisation dotée d'une personnalité juridique propre en vertu du droit international.

Ce faisant, le projet d'accord privait les juridictions des États membres de leurs compétences concernant l'interprétation et l'application du droit de l'Union, ainsi que de la faculté voire, le cas échéant, de l'obligation qui leur est faite de saisir la CJUE de questions préjudicielles.

Par ailleurs, la Cour de justice a relevé que si ce projet d'accord prévoyait un mécanisme préjudiciel qui réservait, dans le champ d'application dudit accord, la faculté de renvoi préjudiciel à la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire, aucune disposition de l'accord ne prévoyait qu'une décision de cette juridiction qui violerait le droit de l'Union pourrait faire l'objet d'une procédure en manquement ni entraîner une quelconque responsabilité patrimoniale dans le chef d'un ou de plusieurs États membres. Ainsi, l'application du droit de l'UE n'était pas pleinement garantie.

A la suite de cet avis, le projet d'accord a été modifié de manière à assurer sa compatibilité avec le droit de l'Union européenne, conformément à l'avis 1/09 de la Cour de justice de l'Union européenne.

À cet effet, la juridiction unifiée du brevet est instituée par l'accord comme une « juridiction commune aux États membres » au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, conformément au précédent constitué par la Cour Benelux (cf. arrêt de la CJUE du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior, C-337/95). Comme le rappelle l'avis 1/09, une juridiction qui est commune à plusieurs États membres est située, par conséquent, dans le système juridictionnel de l'Union. Ses décisions sont donc passibles de mécanismes de nature à assurer la pleine efficacité des normes de l'Union.

La Cour de justice du Benelux a été instituée par un traité, signé à Bruxelles le 31 mars 1965, entre le Royaume de Belgique, le Grand-duché du Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas. Elle est composée de juges des Cours suprêmes de chacun de ces trois États. Dans son arrêt du 4 novembre 1997, « Parfums Christian Dior », la Cour de justice de l'Union européenne a reconnu à la Cour Benelux, en tant que « juridiction commune à plusieurs États membres », la faculté de lui poser des questions préjudicielles, à l'instar des juridictions relevant de chacun des États membres.

Deux éléments permettent de conclure que la juridiction unifiée du brevet est instituée comme une « juridiction commune aux États membres », comme l'énoncent les articles 1er et 21 du nouvel accord.

En premier lieu, alors que le précédent accord incluait des États tiers et l'Union européenne, le présent accord n'est conclu qu'entre des États membres de l'Union européenne. En effet, la participation d'États tiers aurait rendu extrêmement difficile la mise en place de mécanismes permettant de faire en sorte que les décisions de la juridiction unifiée garantissent que les règles de l'Union produisent pleinement leurs effets, de la même manière que les décisions des juridictions nationales des États membres de l'UE. Quant à la participation de l'Union à cet accord, il a également été décidé d'y renoncer, en plein accord avec la Commission, dans la mesure où cette participation n'aurait pas permis de qualifier la juridiction des brevets de juridiction commune aux seuls États membres de l'UE.

En second lieu, des liens fonctionnels entre la juridiction envisagée et le système juridictionnel de l'Union sont prévus par l'accord afin de la qualifier de « juridiction commune aux États membres » au sens de la jurisprudence de la Cour de justice. En effet, il résulte de l'arrêt Christian Dior précité, confirmé par l'arrêt Miles du 14 juin 2011 (C-196/09) relatif à la chambre de recours des écoles européennes ainsi que par l'avis 1/09, que l'existence de tels liens fonctionnels, comparables à ceux qui existent entre la Cour de justice de l'Union européenne et les juridictions nationales, est une condition indispensable à la qualification de « juridiction commune aux États membres ».

D'une part, l'article 20 de l'accord prévoit explicitement l'obligation pour la juridiction unifiée d'appliquer et de respecter le droit de l'Union et de respecter le principe de la primauté de ce droit. Ainsi, la juridiction opère entièrement au sein de l'ordre juridique de l'Union européenne.

D'autre part, l'article 21 de l'accord prévoit que la juridiction aura, comme n'importe quelle juridiction nationale, la possibilité, voire, le cas échéant, l'obligation, de collaborer avec la Cour de justice en appliquant sa jurisprudence et en la saisissant de demandes préjudicielles au sens de l'article 267 TFUE, auquel il est désormais fait spécifiquement référence dans l'accord.

Enfin, l'accord signé prévoit, à ses articles 22 et 23, afin de garantir le respect de la primauté du droit de l'Union et sa bonne application, que toute violation de ce droit engage la responsabilité solidaire des États membres contractants, qui pourront faire l'objet, individuellement et collectivement, d'une procédure en manquement à raison des actions de la juridiction (articles 258, 259 et 260 du TFUE).

Certes, dans ses arrêts Christian Dior et Paul Miles précités, la Cour de justice de l'Union européenne a également observé, pour juger que la chambre de recours des écoles européennes n'était pas une juridiction commune aux États membres, à l'inverse de la Cour de justice du Benelux, d'une part, que cette dernière est chargée d'assurer l'uniformité dans l'application des règles juridiques communes aux trois États du Benelux et, d'autre part, que la procédure devant la Cour de Benelux « constitue un incident dans les procédures pendantes devant les juridictions nationales à l'issue duquel l'interprétation définitive des règles juridiques communes au Benelux est établie ». Si la juridiction unifiée du brevet sera elle aussi chargée d'assurer l'uniformité dans l'application de règles juridiques communes aux États membres contractants, la procédure devant la juridiction unifiée des brevets ne formera cependant pas un « incident » dans les procédures pendantes devant les juridictions nationales. Cette seule circonstance ne saurait toutefois suffire à écarter la qualification de juridiction commune aux Etats membres dans le cas de la juridiction unifiée du brevet. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette dernière n'a pas entendu faire de cette circonstance une condition sine qua non à une telle qualification, à l'inverse des mécanismes qui permettent d'assurer que la juridiction commune aux États membres assure une application uniforme du droit de l'Union européenne dans le respect de sa primauté. Ainsi, dans son avis 1/09, la Cour de justice de l'Union européenne ne fait pas mention de la circonstance que la procédure qui était alors envisagée n'aurait pas constitué un incident dans les procédures pendantes devant les juridictions nationales alors même que l'avis 1/09 est postérieur à l'arrêt Dior de la CJUE.

C'est ainsi que le service juridique du Conseil de l'Union européenne a conclu, dans un avis n° 15856/11 du 21 octobre 2011 sur le nouveau projet d'accord, « que les garanties demandées par la Cour de justice [dans l'avis 1/09] étaient réunies ». L'assimilation de la juridiction unifiée du brevet à une juridiction commune aux Etats membres, intégrée à ce titre dans le système juridictionnel de l'Union, a également été confirmée par la Commission européenne, qui a d'ailleurs, dans sa proposition de révision du règlement « Bruxelles I » soumise en juillet 2013 (cf. infra), cité la juridiction unifiée du brevet comme une juridiction commune aux Etats membres au même titre que la Cour Benelux.

Enfin, il convient de noter que la garantie des droits fondamentaux par la juridiction unifiée du brevet est assurée par l'accord.

D'une part, il rappelle en préambule « la primauté du droit de l'Union la primauté du droit de l'Union, qui comprend le TUE, le TFUE, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les principes fondamentaux du droit de l'Union tels que développés par la Cour de justice de l'Union européenne, et en particulier le droit à un recours effectif devant un tribunal et le droit à ce qu'une cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et le droit dérivé de l'Union » .

D'autre part, son article 40 stipule que les statuts de la juridiction unifiée du brevet garantissent que le fonctionnement de la juridiction « assure un accès équitable à la justice ».

Par ailleurs, lors du Conseil européen de juin 2012, les chefs d'Etat ou de gouvernement ont suggéré de supprimer les articles 6 à 8 de la proposition de règlement sur le titre de brevet, qui délimitent les droits afférents eu brevet, les exceptions et limitations.

Le Conseil européen avait alors fait droit à une demande du Royaume-Uni, visant à supprimer ces articles du règlement, pour écarter toute compétence de la CJUE à leur égard.

Le Parlement européen s'est vivement opposé à cette suppression, qui ôtait toute référence à l'uniformité de la protection, prévue par la base juridique du règlement (article 118 TFUE). Les discussions menées sous présidence chypriote ont permis d'aboutir, avec le soutien de la France, au compromis suivant : les articles 6 à 8 du règlement ont été transférés dans l'accord instituant la juridiction unifiée (article 25 à 28) et un nouvel article a été inséré dans le règlement sur le titre, qui précise le caractère uniforme de la protection par brevet.

La protection uniforme des brevets européens à effet unitaire, affirmée par l'article 5 §3 du règlement 1257/2012 du 17 décembre 2012, est assurée par les articles 25 à 28 de l'accord créant la juridiction unifiée des brevets dans l'ensemble des Etats participants à la coopération renforcée à travers la ratification de l'accord relatif à la juridiction.

Le transfert des articles 6 à 8 du règlement relatif à la protection unitaire par brevet vers les articles 25 à 28 de l'accord international sur la juridiction unifiée des brevets aboutit à l'application de dispositions identiques pour les brevets européens et les brevets européens à effet unitaire. Cette identité de dispositions relatives aux droits afférents au brevet, aux exceptions et limitations évit1e les risques de différences de jurisprudence entre brevet européen et brevet européen à effet unitaire.

La CJUE pourrait, indirectement, disposer d'une compétence à l'égard des articles 25 à 28 de l'accord créant la juridiction unifiée des brevets : à travers les questions préjudicielles adressées par la juridiction des brevets, la CJUE pourrait procéder à une interprétation « extensive » du droit de l'Union européenne de manière à intégrer les articles 25 à 28 de l'accord international.

3. La question des positions particulières de l'Espagne et de l'Italie

L'Espagne a décidé de ne pas participer à la coopération renforcée, au motif que le régime linguistique retenu n'accorde pas à l'espagnol une place équivalente à celle des trois langues officielles de l'OEB, à savoir le français, l'anglais et l'allemand.

Madrid, aux côtés de Rome, a ainsi saisi la CJUE d'un recours en annulation contre la décision du Conseil de mars 2011 d'autoriser la coopération renforcée (recours qui a été rejeté par la Cour le 16 avril 2013).

En outre, en juin dernier, l'Espagne (cette fois sans l'Italie, qui a d'ailleurs signé l'accord) a déposé des recours contre les deux règlements mettant en oeuvre la coopération renforcée (affaires C-146/13 et C-147/13).

On peut relever que la France vient de déposer, le 28 octobre 2013, des mémoires en intervention dans ces deux affaires, en soutien au Parlement européen et au Conseil.

Dans ce contexte, comme cela a été confirmé à votre Rapporteur, il est peu probable que la position espagnole évolue à moyen terme.

Le cas de l'Italie est différent.

Ce pays ne participe pas à la coopération renforcée sur le brevet européen à effet unitaire, dont elle conteste, comme l'Espagne, le régime linguistique. Comme l'Espagne également, elle a saisi la CJUE d'un recours en annulation contre la décision du Conseil de mars 2011 d'autoriser la coopération renforcée Pour autant, elle a décidé de signer l'accord international sur la juridiction unifiée, qui constitue le troisième élément du paquet de mesures mettant en oeuvre la coopération renforcée. La compétence de la juridiction unifiée des brevets ne vaudra, pour l'Italie, qu'à l'égard des brevets européens, non revêtus de l'effet unitaire. La situation actuelle de l'Italie doit être nuancée par les considérations suivantes :

- Premièrement, les entreprises italiennes ont toujours affiché leur intérêt pour le brevet européen à effet unitaire : le refus de l'Italie de participer à la coopération renforcée reposait sur un motif avant tout politique (la langue) ;

- Deuxièmement, grâce à la signature de l'accord par l'Italie, les jugements de la juridiction unifiée concernant le brevet européen « classique », sans effet unitaire, seront pleinement applicables en Italie ;

- Troisièmement, cette signature pourrait préfigurer une décision ultérieure de l'Italie - sous réserve de l'orientation retenue par le prochain gouvernement italien - de rejoindre la coopération renforcée. Du reste, le gouvernement italien l'a déjà laissé entendre. Il avait ainsi suggéré, avant l'accord intervenu au Conseil européen de juin, une candidature de Milan pour accueillir le siège de la division centrale. En outre, il n'a pas, contrairement à l'Espagne, déposé un recours en annulation contre les deux règlements mettant en oeuvre la coopération renforcée.

- Enfin, la décision de l'Italie de signer l'accord international lui permet de participer à la mise en place de la juridiction et d'influencer ainsi ses règles procédurales.

Pour toutes ces raisons, il n'est pas exclu que l'Italie décide finalement de rejoindre la coopération renforcée relative au brevet européen à effet unitaire.

Il convient cependant de relever, de manière générale, que les ressortissants espagnols et italiens bénéficieront du système de brevet européen à effet unitaire, même si leur Etat n'y participe pas.

En effet :

- les ressortissants espagnols et italiens pourront disposer d'un brevet européen à effet unitaire valable sur le territoire des 25 Etats membres parties à la coopération renforcée. Ainsi, même s'ils devront procéder à la validation des brevets européens sur leurs territoires respectifs pour être protégés, ils seront tout de même bénéficiaires du nouveau système ;

- ils pourront également bénéficier du système de compensation des coûts de traduction prévu par le règlement 1260/2012 (article 5§1) dans le cadre de la protection unitaire par brevet.

III. UN ACCORD FAVORABLE AUX INTÉRÊTS DE LA FRANCE ET QUI EMPORTERA DES CONSÉQUENCES JURIDIQUES ET FINANCIÈRES LIMITÉES EN DROIT INTERNE

A. UN ACCORD FAVORABLE AUX INTÉRETS DE NOTRE PAYS

1. La France a joué un rôle moteur dans les négociations et l'adoption du brevet européen à effet unitaire

D'une manière générale, la France a apporté un soutien constant au principe du brevet dit « communautaire », puis du brevet européen à effet unitaire.

Elle s'est particulièrement investie pour demander à la Commission européenne le lancement d'une coopération renforcée et, par la suite, n'a pas ménagé ses efforts pour parvenir dans les meilleurs délais à un compromis équilibré.

En effet, ce brevet permettra de stimuler l'innovation et la compétitivité de nos entreprises, par une baisse des coûts et une simplification des procédures.

Il s'agit, à ce titre, d'une décision essentielle du Pacte européen pour la croissance et l'emploi de juin 2012, porté par le Président de la République.

2. La place du français est confortée au sein du système européen du brevet

Au-delà du soutien de la France au «brevet communautaire » en général, l'accord sur la juridiction unifiée du brevet est particulièrement favorable aux intérêts français.

En effet, les négociations ont permis de conforter la place du français dans le système européen du brevet, puisque c'est le régime trilingue (anglais, français, allemand) de l'Office européen des brevets qui sera d'application pour le brevet européen à effet unitaire. La préservation de la langue française mérite d'être d'autant plus soulignée que plusieurs États membres ont clairement plaidé au cours de cette négociation en faveur d'un régime « tout anglais ».

3. La place de Paris est reconnue comme un lieu majeur en matière de propriété intellectuelle

Les négociations ont également permis d'obtenir que Paris soit le siège de la division centrale de la juridiction. Le choix de Paris par les chefs d'Etat ou de gouvernement pour accueillir le siège de la division centrale permettra à Paris de jouer un rôle décisif dans le fonctionnement de la nouvelle juridiction, dont la division centrale, compétente notamment pour les litiges directs relatifs à la validité des brevets ou aux décisions de l'OEB, constituera la pièce maitresse.

Ce faisant, la place de Paris est consacrée comme lieu majeur en matière de propriété industrielle.

On peut relever, à cet égard, qu'une étude d'impact britannique avait évalué à pas moins d'1,5 milliard de livres sterling par an - compte tenu des dépenses directes dans les travaux publics et des dépenses induites dans l'hôtellerie, la restauration et les autres services - les retombées potentielles d'une éventuelle implantation du siège de la division centrale à Londres.

Cela est d'autant plus vrai que l'accord est très favorable à la France au regard de la répartition sectorielle du contentieux entre la division centrale à Paris et ses deux chambres spécialisées à Londres et à Munich.

Au total, ce choix est de nature à crédibiliser et à conforter la place parisienne comme pôle majeur en matière de propriété industrielle. Cette nouvelle dynamique sera favorable à l'innovation française.

Enfin, la France a obtenu que le président du tribunal de première instance qui sera le premier à siéger sera de nationalité française. Cela est loin d'être négligeable, au regard du rôle majeur qu'il jouera dans la mise en place de l'ensemble des règles de procédures de la nouvelle juridiction, plus globalement de son fonctionnement.

B. DES CONSÉQUENCES JURIDIQUES LIMITÉES EN DROIT INTERNE

En droit interne, le présent accord suppose un transfert de compétence pour le seul contentieux de la partie nationale des brevets européens, qui relève à ce stade de la compétence exclusive du Tribunal de grande instance de Paris.

En effet, les juridictions nationales resteront compétentes s'agissant des brevets nationaux et du volet pénal, tandis que le titre de brevet européen à effet unitaire, qui n'existait pas encore, n'a, par définition, jamais relevé de la compétence des juridictions nationales.

L'article 149 bis de la Convention sur le brevet européen (CBE) du 5 octobre 1973, modifié par la Convention sur le brevet européen (CBE 2000) du 29 novembre 2000 2 ( * ) , prévoit la possibilité de créer une juridiction commune pour le contentieux des demandes de brevets européens et des brevets européens.

Le présent accord met ainsi en oeuvre un transfert de compétences déjà consenti par la France par la loi n° 2007-1475 autorisant la ratification de l'acte portant révision de la convention sur la délivrance de brevets européens. Par suite, ce transfert de compétences ne saurait être regardé comme portant atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Dès lors que cet accord ne comporte aucune clause contraire à la Constitution ni ne remet en cause des droits et libertés constitutionnellement garantis, l'autorisation de le ratifier ne nécessite pas une révision préalable de la Constitution.

Au-delà, les stipulations relatives à la création et au fonctionnement de la Cour n'auront pas à figurer dans le Code de l'organisation judiciaire. Ce code régit en effet l'organisation et le fonctionnement des juridictions judiciaires de l'ordre interne à l'exclusion des juridictions internationales, européennes ou de l'Union européenne car elles n'émanent pas de l'administration d'État, mais d'autres organisations internationales (Union européenne, Conseil de l'Europe, Nations Unies...). La juridiction unifiée du brevet étant une juridiction commune aux États membres de l'Union européenne, elle sera régie par l'accord qui l'institue et par l'annexe I à cet accord qui fixe ses statuts.

En revanche, les stipulations relatives à la compétence de la juridiction unifiée auront des conséquences sur les dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI).

En effet, les articles 32 et 33 de l'accord fixent la compétence matérielle et territoriale des divisions du Tribunal de première instance pour connaître des litiges civils relatifs à la validité et à la contrefaçon des brevets européens et des brevets européens à effet unitaire. L'article 83 prévoit par ailleurs une période de transition d'une durée de sept ans, renouvelable, à compter de l'entrée en vigueur de l'accord, pendant laquelle les actions en contrefaçon ou en nullité d'un brevet européen pourront être portées, à la demande du titulaire du brevet, devant les juridictions nationales compétentes.

Or, le code de la propriété intellectuelle et le code de l'organisation judiciaire prévoient que les actions portant sur des brevets français et européens relèvent de la compétence exclusive du Tribunal de grande instance de Paris.

L'article L. 615-175 3 ( * ) du code de la propriété intellectuelle prévoit en effet que : « les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire, à l'exception des recours formés contre les actes administratifs du ministre chargé de la propriété industrielle qui relèvent de la juridiction administrative ».

L'article D. 631-2 du même code dispose que « le siège et le ressort des tribunaux de grande instance ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de brevets d'invention, de certificats d'utilité, de certificats complémentaires de protection et de topographies de produits semi-conducteurs en application des articles L. 611-2, L. 615-17 et L. 622-7 du code de la propriété intellectuelle sont fixés conformément à l'article D. 211-6 du code de l'organisation judiciaire».

L'article D. 211-6 du code de l'organisation judicaire précise que « le tribunal de grande instance ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de brevets d'invention, de certificats d'utilité, de certificats complémentaires de protection et de topographies de produits semi-conducteurs, dans les cas et conditions prévus par le code de la propriété intellectuelle, est celui de Paris ».

Par conséquent, les articles L. 615-17 et L. 615-19 du code de la propriété intellectuelle ont vocation à être modifiés. En outre, le chapitre IV intitulé « Application de conventions internationales » situé au sein du Titre I « Brevets d'invention » du Livre VI « protection des inventions et des connaissances techniques » (articles L. 614-1 et suivants) pourrait être modifié et complété pour ajouter des dispositions spécifiques sur les règles de compétence communes aux brevets européens et aux brevets européens à effet unitaire pour les faire échapper à la compétence du Tribunal de grande instance de Paris.

C. UN IMPACT FINANCIER RÉDUIT

1. Le budget global de la juridiction unifiée des brevets

La Commission européenne estime le coût global de la juridiction à 6,4 millions d'euros en 2015, 14 millions d'euros en 2017, 26,4 millions d'euros en 2019 et 45,2 millions d'euros en 2022. La rémunération des juges sera prise en charge par le budget global de la juridiction.

Il est probable que, du moins dans une phase initiale, les frais de justice acquittés par les parties et les coûts assurés par les Etats membres qui accueilleront les divisions locales et centrale, ne permettront pas de couvrir l'ensemble des coûts de fonctionnement de la juridiction. Chaque Etat membre contribuera selon un montant fonction du nombre de brevets européens produisant leur effets sur son territoire à la date d'entrée en vigueur de l'accord et du nombre de brevets européens au sujets desquels des actions en contrefaçon ou en nullité ont été engagés devant ses juridictions nationales.

Au-delà de la période transitoire de sept ans (qui pourra être prolongée jusqu'à sept années supplémentaires), il est prévu que la juridiction s'autofinance. Néanmoins, si la juridiction n'est pas entièrement autonome d'un point de vue financier, les contributions des Etats membres seront calculées conformément à la clé de répartition des taxes annuelles de maintien en vigueur des brevets unitaires, déterminée par un comité restreint du conseil d'administration de l'organisation européenne des brevets.

Conformément à une déclaration annexée au procès-verbal de signature, les Etats membres se réunissent, depuis mars 2013, au sein d'un comité préparatoire afin de mettre en place la juridiction, avec l'objectif que celle-ci soit opérationnelle dès 2014. Les travaux de ce comité ont, entre autres sujets, pour objectif d'établir le budget de la juridiction pour sa première année de fonctionnement.

2. Les coûts liés à l'installation du siège central et de la division locale de la juridiction à Paris

Les coûts de financement des divisions centrale et locale de la juridiction unifiée des brevets à Paris sont estimés, par le ministère du Budget et le ministère de la Justice, à 5,29 millions d'euros en 2014, 4,19 millions d'euros en 2015 et 4,29 millions d'euros en 2016.

Les coûts de fonctionnement se décomposent en 3 millions d'euros par an de coûts immobiliers (hypothèse de la prise d'un bail avec option d'achat), dus à partir de 2014, et de coûts de fonctionnement hors immobilier, qui s'élèvent à 2,2 millions d'euros en 2014 au moment de l'acquisition des équipements nécessaires, puis à 0,8 millions d'euros en 2015 et 0,9 million d'euros en 2016.

Les dépenses de personnel à financer s'élèveront à 100 000 euros en 2014 et à 400 000 euros en 2015 et 2016. Les dépenses de personnel restant à financer par l'Etat-hôte seront limitées par le fait que les juges seront rémunérés sur le budget de la Juridiction.

Par ailleurs, le coût marginal lié à la création d'une division locale à Paris est faible. Ce coût est estimé à 30 000 euros en 2015 et à 90 000 euros en 2016, compte tenu de la mutualisation des fonctions support et de l'amortissement des coûts fixes.

ESTIMATION DU COÛT DE LA LOCATION DE LA DIVISION CENTRALE ET D'UNE

DIVISION LOCALE À PARIS (EN MILLIONS D'EUROS)

2014

2015

2016

Dépenses hors titre 2

2,17

3,81

3,91

Dépenses immobilières

0,4

3

3

Dépenses de fonctionnement

2,17

0,81

0,91

dont fonctionnement

2,17

0

0

dont activités et structures

0

0,66

0,66

dont interprétariat

0

0,15

0,25

Dépenses de personnel (titre 2)

0,38

0,38

Total :

2,57

4,19

4,29

CONCLUSION

L'entrée en vigueur du présent accord nécessite la ratification par 13 Etats participants, dont les trois Etats qui disposent du plus grand nombre de brevets européens produisant des effets sur leurs territoires (France, Royaume-Uni, Allemagne).

L'accord entrera en vigueur le 1er janvier 2014 ou le premier jour du quatrième mois suivant celui du dépôt du treizième instrument de ratification ou d'adhésion visé précédemment.

A la date du 1er octobre 2013, seule l'Autriche avait ratifié cet accord.

Une ratification rapide de cet accord par la France serait de nature à envoyer un signal positif aux autres Etats membres et à manifester le soutien constant de la France à la création du brevet européen à effet unitaire et d'un système juridictionnel unifié.

En outre, une responsabilité particulière incombe à la France en raison du choix de Paris comme siège de la division centrale du tribunal de première instance de la juridiction.

La France entend ainsi contribuer activement aux travaux du comité préparatoire et sera attentive à ce que la juridiction unifiée en matière de brevets puisse travailler le plus efficacement possible, rende des décisions de la plus haute qualité et, dès le départ, gagne la confiance des utilisateurs du système des brevets.

Votre rapporteur souhaite donc une ratification rapide de cet accord.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 13 novembre 2013 sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du présent projet de loi.

Sur proposition de son rapporteur, la commission a adopté le projet de loi et a proposé de procéder à son examen sous forme simplifiée en séance publique.

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Emmanuel PUISAIS-JAUVIN - Ministère des Affaires étrangères

- M. Adelin ROYER - Ministère des Affaires étrangères

- M. Fabrice CLAIREAU - Institut national de la propriété industrielle (INPI)

- Mme Julie SAINT-PAUL - Ministère de la Justice

- M. Ronan GUERLOT - Ministère de la Justice

- Mme Latifa BENTIRI - Ministère des Affaires étrangères


* 1 Règlement UE n°1257/2012 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2012 mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine d'une protection unitaire conférée par un brevet

* 2 La Convention a été ratifiée par la France par la loi n° 2007-1475 du 17 octobre 2007

* 3 L'article L. 615-19 redondant avec l'article L. 615-17 du CPI prévoit également que : « les actions en contrefaçon de brevet sont de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. Toutes les actions mettant en jeu une contrefaçon de brevet et une question de concurrence déloyale connexe sont portées exclusivement devant le tribunal de grande instance ».

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