EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UNE POLITIQUE AMBITIEUSE À L'HEURE D'UNE NÉCESSAIRE REFONDATION

A. TRENTE ANS DE POLITIQUE DE LA VILLE

La politique de la ville n'apparaît dans notre pays qu'à la fin des années 1970, souvent en réponse à des crises ponctuelles, avant de se pérenniser et de s'institutionnaliser du fait de la permanence, voire de l'accroissement des inégalités. Si les moyens qui lui ont été consacrés sont substantiels à ce jour, son bilan, quoique positif dans l'ensemble, reste toutefois en deçà des attentes qu'elle avait suscitées.

1. Une politique mise en place depuis le début des années 70

C'est alors que le « problème des banlieues » émergeait en France, au début des années 70, que la politique de la ville a été initiée à l'intention des « grands ensembles » d'habitat social. Dans un contexte de crise affectant le pays, l'accumulation des difficultés économiques et sociales pesant tout particulièrement sur les « quartiers sensibles » semblait en effet remettre en cause leur cohésion et appeler des mesures ciblées de la part des pouvoirs publics. Ainsi, en 1973, la « circulaire Guichard » limite la construction d'immeubles d'habitations de plus de 2 000 logements, tandis qu'Alain Peyreffitte formule en 1977 ses Réponses à la violence .

Cette première prise de conscience du caractère spécifique des banlieues et des réponses à apporter à leurs difficultés, relève toutefois d'une approche relativement empirique . Elle apporte au coup par coup des solutions ponctuelles à des évènements dont on pense qu'ils le resteront également. Les violences urbaines survenant à Vénissieux, en 1981, sont ainsi à l'origine de la Commission nationale pour le développement social des quartiers, dite « commission Dubebout », qui remettra deux ans plus tard un rapport fondateur intitulé « Refaire la ville ».

Les administrations déconcentrées et les élus locaux sont alors perçus comme étant les mieux à même, de par leur proximité des quartiers défavorisés, pour conduire des actions préventives ou correctrices. De plus, celles-ci sont pensées comme devant être temporaires, le temps que les quartiers concernés se « remettent à niveau ». Le cadre juridique retenu pour définir et mettre en oeuvre la politique de la ville est donc très souple au début, se limitant à quelques circulaires.

À la fin des années 80, la politique de la ville se dote d' institutions dédiées . C'est, en 1988, la création de la Délégation interministérielle à la ville, ainsi que celle du Conseil national des villes instance consultative placée auprès du Premier ministre pour conseiller le Gouvernement sur l'élaboration de la politique de la ville, le développement social urbain et les nouvelles formes de démocratie de proximité et de participation des habitants.

Ce n'est qu'au vu de la persistance des problématiques propres aux banlieues, et même de leur aggravation au début de la décennie suivante, que va émerger progressivement l'idée d'une action pérenne et institutionnalisée en leur faveur. La loi n° 91-662 du 13 juillet 1991 d'orientation pour la ville est la première à se consacrer spécifiquement à cette problématique. La politique de la ville y est définie comme visant à rétablir la « cohésion sociale » , à lutter contre les « phénomènes de ségrégation » et à permettre la « coexistence de diverses catégories sociales » . S'inscrivant dans une politique plus large d'aménagement du territoire, elle voit déjà posé l'un de ses principes fondateurs, celui d'un partenariat entre l'État et les collectivités territoriales dans sa mise en oeuvre.

Du fait de la montée des inégalités et des violences dans les années 90, illustrée notamment par les troubles de Vaulx-en-Velin, l'action de cette politique vers la lutte contre les « phénomènes d'exclusion » est délibérément accentuée, et ce en vue de « favoriser l'insertion » des habitants de ces quartiers. C'est l'objectif de la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville . Un deuxième principe fondateur de cette politique transversale est alors affirmé, celui de la mobilisation de mesures spécifiques, en sus des dispositifs de droit commun devant être prioritairement sollicités.

Bien que centrée sur les questions d'urbanisme, la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains , dite « loi SRU », établit cependant des interactions avec les thématiques propres à la politique de la ville. Élaborée autour des exigences de solidarité, de développement durable, et de renforcement de la démocratie et de la décentralisation, elle reste surtout connue pour son article 55 qui impose aux villes de plus de 3 500 habitants de disposer d'au moins 20 % de logements sociaux.

Le dernier grand texte concernant la politique de la ville remonte à une dizaine d'années, avec la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine , dite « loi Borloo ». Ses objectifs sont concentrés sur deux grandes thématiques : la réduction des écarts de développement et la résorption des inégalités sociales entre les territoires. L'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) est instituée et placée sous la tutelle du ministre en charge de la politique de la ville, afin d'assurer la mise en oeuvre et le financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU). Un organisme de suivi, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), est par ailleurs créé afin de renseigner l'évolution des zonages prioritaires.

La vague d'émeutes urbaines qui agite la France au milieu des années 2000, notamment à partir de Clichy-sous-Bois, vient souligner les limites des mesures prises depuis plusieurs décennies en faveur des territoires d'exclusion. Elle seconde ou suscite l'adoption de différents textes qui, s'ils ne relèvent pas à proprement parler de la politique de la ville, traitent certaines de ses problématiques : loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, dite « loi ENL » ...

Intitulé « Une nouvelle politique en faveur des banlieues », le dernier « plan banlieue » est présenté par le précédent président de la République, M. Nicolas Sarkozy, en 2008. Cherchant à mettre en relation l'ensemble des acteurs concernés par la politique de la ville, il est annoncé après la présentation, en début d'année, du plan « Espoir Banlieues - Une dynamique pour la France » par la ministre alors chargée de la politique de la ville, Mme Fadela Amara.

2. Des résultats contrastés

Les deux derniers rapports de la Cour des comptes sur la politique de la ville - l'un en 2002 1 ( * ) , l'autre en 2012 2 ( * ) - permettent, à une décennie d'intervalle, de mesurer l'effort accompli en la matière et, surtout, l'importance des problèmes subsistants.

Dès 2002, la Haute juridiction financière souligne combien la crise des zones urbaines défavorisées « a tendance à s'étendre à de nouveaux sites et à s'aggraver, malgré les efforts déployés par les multiples acteurs - élus, responsables administratifs et associatifs - concernés par cette question ». Elle pointe ainsi une politique de la ville marquée par « l'imprécision de ses objectifs comme de sa stratégie » et par « une volonté d'affichage qui conduit à la mise en oeuvre périodique de nouveaux dispositifs » .

Est notamment stigmatisé « un empilement de procédures et un enchevêtrement des zones d'intervention, difficilement lisibles tant pour les acteurs que pour la population et d'autant plus dommageables que la dimension nécessairement interministérielle de cette politique n'était pas suffisamment prise en compte ». Quant aux résultats concrets de cette politique, la Cour peine à les décrypter du fait d'une « évaluation difficile » , car « partielle » au niveau local et « rudimentaire » au niveau national.

Le dernier rapport en date de la Cour des comptes, datant d'un an et demi à peine, constituait donc un document d'importance pour faire un nouveau point sur l'évolution de la politique de la ville au cours des années 2000, en vue éventuellement de lui donner une nouvelle inflexion. Or, le constat porté par la Haute juridiction est à nouveau ambivalent.

Après avoir rappelé le caractère très ambitieux des objectifs assignés à l'État et aux collectivités territoriales, de par la priorité accordée à la réduction des écarts de développement, le rapport met tout d'abord l'accent sur l'importance des moyens mobilisés pour la rénovation des quartiers et de l'habitat, composante majeure de la politique de la ville. 42 milliards d'investissement ont ainsi été programmés dans le cadre du PNRU.

Au final cependant, et malgré les nombreuses réformes intervenues depuis dix ans, quasiment chaque année, la Cour des comptes relève que les inégalités demeurent et que « la réduction des écarts entre les quartiers prioritaires et les villes environnantes, affichée comme la priorité de la loi du 1 er août 2003, n'a pas eu lieu » .

Ce constat général est étayé par un tableau retraçant l'évolution d'un certain nombre d'indicateurs au cours de la décennie 2000 :

ÉVOLUTION DES ÉCARTS ENTRE LES HABITANTS DES ZONES URBAINES SENSIBLES (ZUS) ET HORS ZUS

Indicateur

Période

ZUS

Hors ZUS

Taux de chômage des 15-59 ans

2003

17,2 %

8,7 %

2010

20,9 %

10,3 %

Revenu fiscal moyen des ménages

2002

10 769

Nd

2008

12 615

22 532

Part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté (954 € mensuels)

2006

30,5 %

11,9 %

2009

32,4 %

12,2 %

Taux de réussite au brevet

2004-2005

68,3 %

80,9 %

2009-2010

74,1 %

85,1 %

Source : Cour des comptes, d'après les rapports de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) de 2004 à 2011.

Ce tableau montre bien à la fois la progression de l'inactivité dans les ZUS, dans un contexte général d'aggravation du chômage, mais aussi l'augmentation de la pauvreté, les deux indicateurs étant d'ailleurs étroitement liés.

Les chiffres les plus récents, communiqués par l'Onzus dans son rapport de 2012, confirment ces évolutions inquiétantes. S'il y est fait état de progrès dans certains domaines particuliers (en matière d'éducation ou d'atteinte aux biens, notamment), d'autres connaissent au contraire une aggravation. « Les évolutions récentes révèlent en outre une dégradation de la situation de ces quartiers par rapport au reste du territoire » est-il indiqué dans le rapport. C'est le cas notamment pour ce qui est de l'emploi, qui continue de reculer entre 2010 et 2011, de façon « sensible » chez les actifs de 25 à 49 ans et « de plus en plus importante » chez les seniors, tandis que le chômage est « nettement à la hausse » chez les femmes.


* 1 La politique de la ville : rapport au président de la République suivi des réponses des administrations et des organismes intéressés, rapport de la Cour des comptes, février 2002.

* 2 La politique de la ville : une décennie de réformes, rapport de la Cour des comptes, juillet 2012.

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