C. LES GRANDES ORIENTATIONS DE LA RÉFORME

Le projet de loi ne rompt pas brutalement avec le dispositif encadrant actuellement la politique de la ville. Il en reprend la philosophie générale, tout en adaptant ses instruments aux évolutions rencontrées dans les espaces urbains de façon à les rendre plus efficients, ainsi qu'en clarifiant ses dispositifs.

1. La simplification de la géographie prioritaire autour d'un critère unique

À un zonage complexe et difficilement lisible, auxquels sont attachés des régimes différents, le projet de loi entend substituer une géographie prioritaire resserrée sur un cadre d'intervention unique permettant de concentrer les financements de façon optimale.

Le texte abroge donc, passée une période transitoire, les différents types de zonage existants (ZUS, ZRU 12 ( * ) ) pour les remplacer par des « quartiers prioritaires » dont la définition a donné lieu à une longue concertation. La référence à une pluralité d'indicateurs synthétiques laisse place désormais à un unique indicateur - en sus du nombre d'habitants pris en compte : l'écart de développement économique et social par rapport à une double référence, nationale et locale.

C'est le niveau de revenu qui permettra de préciser cet écart de développement. Il s'agit en effet d'un élément simple, accessible, objectif, précisément quantifiable et surtout présentant une étroite corrélation avec l'ensemble des critères jusqu'alors utilisés.

Sur cette base, le territoire métropolitain sera découpé en carrés de 200 mètres de côté, qui feront apparaître le degré de difficultés auxquels sont confrontés leurs habitants. Par construction, un millier de quartiers prioritaires, selon l'étude d'impact, seront identifiés (contre près de 2 500 quartiers actuellement en CUCS) et serviront de support au déploiement des actions menées au titre de la politique de la ville.

Ce nouveau zonage permettra de redéployer les crédits spécifiques de la politique de la ville, relevant du programme 147, pour les concentrer sur des territoires réduits et ainsi améliorer leur efficacité. L'utilisation de ces financements se fera dans le cadre des contrats de ville, qui prendront le relai des CUCS à partir de 2015.

2. Des contrats de ville englobant, au niveau géographique pertinent, l'ensemble des aspects de la politique de la ville

Ces contrats de ville « nouvelle formule » vont recevoir, via le texte, une base légale qui devrait renforcer leur statut et garantir leur portée. Ils constitueront l'ossature centrale de la politique de la ville dans sa déclinaison à l'échelle locale, en fédérant l'ensemble des acteurs concernés autour de projets communs menés dans l'intérêt des quartiers prioritaires et de leurs habitants.

Cette contractualisation refondée devrait permettre de mieux coordonner les volets « cohésion sociale » et « rénovation urbaine » de la politique de la ville, afin de maximiser leur effet sur les territoires ciblés. Elle sera articulée avec l'ensemble des plans, schémas et programmes visant ces derniers au titre d'autres politiques. Et les contrats entreront en vigueur au 1 er janvier 2015 pour une période de six ans, ce qui en aligne la durée sur celle du mandat municipal et met les élus en mesure de mieux en porter les engagements.

Dans cette même logique de transversalité, leur pilotage sera assuré à l' échelle intercommunale , dans une démarche de concertation la plus large. À cet effet, les communautés de commune se voient ouvrir la possibilité de détenir une compétence en matière de politique de la ville, dans des termes identiques à ceux prévus pour les communautés urbaines et les communautés d'agglomération.

Outre l'EPCI, l'État et ses établissements publics, les collectivités (communes et leurs groupements, départements et régions), mais aussi tous les acteurs institutionnels (Caisse des dépôts et consignations, organismes d'habitation à loyer modéré, sociétés d'économie mixte de logement social, organismes de protection sociale et autorités organisatrices de transports), ainsi que la société civile à travers des conseils citoyens, seront partie à la mise en oeuvre des contrats de ville.

3. La réaffirmation de l'utilisation prioritaire des moyens de droit commun

Si le principe du recours prioritaire aux politiques de droit commun existe bien dans le dispositif actuel, il n'a pas été systématiquement respecté, les crédits spécifiques de la politique de la ville étant mobilisés sans rechercher si des financements ordinaires pouvaient être sollicités.

Le projet de loi réaffirme ce principe en l' inscrivant dans la loi , dans la définition même de la politique de la ville. Elle est ainsi présentée comme recourant « en premier lieu (aux) actions relevant des politiques publiques de droit commun ». Ce n'est que « lorsque la nature des difficultés le nécessite » qu'elle est peut légitimement mobiliser « les instruments qui lui sont propres ».

Cette réorientation est initiée et soutenue de façon affirmée par le Gouvernement . Ainsi, le ministre délégué à la ville a-t-il signé, au cours de l'année 2013, plusieurs conventions interministérielles tendant à territorialiser les politiques sectorielles pour concentrer les moyens de droit commun dans les quartiers prioritaires.

Les contrats de ville seront construits en respectant ce mécanisme de « double ressort ». Alors que les CUCS n'ont contenu que très peu, voire aucun engagement portant sur le droit commun, ces contrats de nouvelle génération seront tenus de les privilégier. L'expérimentation initiée en 2011 sur 33 sites à cet effet, qui doit s'étendre jusque fin 2014, sera à cet égard une source d'enseignements pour favoriser les bonnes pratiques en la matière.

4. Une participation plus effective des habitants et des acteurs installés localement pour davantage de résultats

Le projet de loi propose une nouvelle approche en matière de participation des habitants.

Votre rapporteur souligne à cet égard l'intérêt des propositions faites à cet égard par le rapport rédigé, à la demande du ministre délégué chargé de la ville, par Mme Marie-Hélène Bacqué et M. Mohamed Mechmache , qui pose les conditions du développement d'un véritable « pouvoir d'agir » pour les habitants des quartiers concernés par la politique de la ville.

Ce rapport met en évidence la nécessité non seulement de reconnaître les structures à travers lesquelles les habitants peuvent faire porter leur voix, mais aussi de leur donner des moyens (locaux, formation, soutien...) qui rendront plus effective leur participation, par exemple en leur permettant de faire appel, de leur propre initiative, à des experts extérieurs.

Si toutes les propositions de ce rapport, qui pour certaines dépassent le cadre de la politique de la ville, ne peuvent être mises en oeuvre dans le cadre du présent projet de loi, votre rapporteur note que ses orientations ont inspiré les dispositions relatives à la participation des habitants et en particulier à la « coconstruction », qui s'appuie sur l'instauration de conseils citoyens dans les quartiers prioritaires. Ces conseils se distinguent des conseils de quartier en ce qu'ils émanent des habitants et autres acteurs locaux : les élus n'y seront pas présents. Ils contribueront à donner à tous les habitants non seulement un cadre, mais aussi des moyens pour s'exprimer et faire valoir leurs besoins de manière autonome et constructive.

Votre rapporteur fait observer que la coconstruction n'est pas la codécision : il reviendra aux autorités issues du suffrage universel de prendre les décisions de puissance publique. À son sens, cette coconstruction devrait d'ailleurs s'appuyer sur une véritable « co-formation » permettant de faire remonter vers les professionnels et les décideurs les connaissances et solutions élaborées par les habitants 13 ( * ) .

5. Une démarche évaluative rationalisée

Afin de redonner aux responsables politiques et administratifs des instruments de pilotage fin, le projet de loi rationalise les structures et procédures d'évaluation. Il substitue à cet effet aux deux institutions actuelles - l'Onzus et le CES de l'ANRU - une instance d'évaluation nationale unique , qu'il place auprès du ministre de la ville. Le socle en est ainsi gravé dans la loi, ce qui assied sa légitimité et garantit sa pérennité.

De ce rapprochement est attendu une meilleure articulation des volets urbain et social de la politique de la ville, jusqu'à aujourd'hui trop compartimentés. D'un point de vue financier, des économies de fonctionnement sont également à prévoir.

Cet observatoire aura pour tâche de suivre les moyens déployés par l'ensemble des politiques publiques concourant à la politique de la ville, et non pas seulement à ceux dédiés à cette dernière. Son travail permettra de vérifier si l'objectif de mobilisation prioritaire des mesures et financements de droit commun, ressortant d'autres ministères que celui de la ville, aura bien été atteint.

Cette nouvelle instance d'évaluation voit en outre ses missions élargies par rapport à la somme de celles exercées jusqu'ici par les deux structures précitées. Son champ d'analyse devra dépasser l'observation de la situation des zones urbaines à un instant t, pour s'intéresser également aux « trajectoires » de leurs résidents, dans une approche plus dynamique. Cela devrait permettre notamment de pallier le défaut de suivi des populations les plus démunies, qui avait été pointé dans le cadre du précédent dispositif.

Dans le même esprit, il lui reviendra de faire porter ses mesures sur les « unités urbaines », et non plus seulement sur les quartiers. Cela lui permettra d'assurer un suivi dans la durée des territoires qui sortiront de la géographie prioritaire, dans la logique du dispositif de veille par ailleurs mis en place.

6. Un financement demeurant problématique

Les crédits concourant à la politique de la ville, qui financeront un champ resserré de territoires à travers le contrat de ville, continueront à provenir de différentes sources. La question de leur évolution et de leur pérennisation reste ouverte, le projet de loi n'apportant pas de précisions sur ce point et renvoyant aux textes financiers ou aux négociations sociales.

Ils continueront tout d'abord de résulter du programme 147 « Politique de la ville » en loi de finances. Cette enveloppe spécifiquement dédiée à la politique de la ville est en baisse structurelle. Les crédits consommés ont ainsi été réduits de 852,9 millions d'euros en 2008 à 503,7 millions en 2013. Gels et régulations budgétaires récurrents en cours d'exercice n'ont pas contribué à stabiliser ces moyens spécifiques, qui devraient continuer à diminuer, à 492,7 millions d'euros en loi de finances pour 2014, si le projet de loi de finances était adopté en l'état.

Les crédits de la rénovation urbaine , et bientôt du nouveau PNRU, interviendront également pour une part importante. Sur les 20 milliards d'euros d'investissement que représentera le PNRU II, 5 milliards d'euros de concours financiers proviendront de l'ANRU, selon les prévisions du texte. Une négociation devra s'engager entre l'État et les partenaires sociaux pour déterminer leur contribution respective à cet effort financier. Il résulte des discussions déjà menées que la participation de la PEEC, à travers Action logement, diminuera progressivement jusqu'à devenir nulle à partir de 2016.

Par ailleurs, une nouvelle dotation « politique de la ville » est appelée à remplacer l'actuelle dotation de développement urbain (DDU), dont le montant annuel est de 75 millions d'euros. Afin de renforcer l'implication des EPCI dans la politique de la ville, elle sera directement allouée aux EPCI signataires de contrats de ville, et le cas échéant aux communes. Instrument à part entière de cette politique intervenant au bénéfice des territoires prioritaires, elle fera l'objet d'un rapport remis au Parlement dans le cadre du débat budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2015.

Enfin, les fonds européens structurels et d'investissement devront être sollicités autant que possible, à tout le moins davantage que lors de la précédente programmation. Sur la période 2007-2013, le Fonds social européen (FSE) a contribué à hauteur de 90 millions d'euros au financement national de la politique de la ville, soit 2 % de l'ensemble des crédits mobilisés dans cette action, contre respectivement 535 millions d'euros et 7 % pour le Fonds européen de développement régional (FEDER).


* 12 Le dispositif actuel relatif aux ZFU arrive à expiration fin 2014. Le gouvernement a indiqué être en réflexion pour la définition d'un régime de soutien au développement des activités économiques, qu'il s'agisse de la poursuite du dispositif ou de la mise en place d'un dispositif nouveau.

* 13 La notion de co-formation et de croisement des savoirs et des pratiques est notamment proposée en France par l'association ATD Quart Monde.

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