TRAVAUX DE LA COMMISSION

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Réunie le mercredi 16 avril 2014, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission examine le rapport de M. Jean-Pierre Godefroy sur la proposition de loi n° 396 (2013-2014) tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - En février 2007, je rapportais devant notre commission la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages, que j'avais déposée en mai 2006 avec mes collègues du groupe socialiste. Elle fut rejetée, mais après un long débat qui avait soulevé bien des interrogations. La problématique de l'encadrement des stages était alors nouvelle et liée à la prise de conscience de la nécessité de définir un statut du stagiaire pour mettre un terme aux abus dont les médias se faisaient alors l'écho.

Le collectif « Génération précaire », qui s'est fait connaître par ses actions coup de poing contre les structures ayant un recours manifestement abusif aux stagiaires et par son engagement contre leur précarité, est ainsi né en septembre 2005, suivi d'autres structures associatives. C'est ensuite en mars 2006, dans la loi pour l'égalité des chances, que les premières règles furent posées, avec en particulier l'obligation de gratification des stages de plus de trois mois.

La reconnaissance de ce phénomène donna lieu à une succession de mesures législatives et réglementaires dont la sédimentation, au fil des années, a conféré des droits nouveaux aux stagiaires mais créé de la confusion parmi les acteurs concernés. Comme un stage est toujours inscrit dans un cursus scolaire ou universitaire, il est construit autour d'une relation tripartite entre le stagiaire, l'établissement d'enseignement et la structure d'accueil, qui est formalisée par la convention de stage. Au moins dix textes ayant apporté des modifications au régime juridique des stages entre 2006 et 2013, il n'est pas étonnant que le droit en vigueur soit parfois difficile à appréhender.

L'un des objets de cette proposition de loi, déposée à l'assemblée nationale le 14 janvier dernier par la députée Chaynesse Khirouni, est de rassembler ces dispositions dans une partie dédiée du code de l'éducation pour améliorer leur intelligibilité. Elle ne remet aucunement en cause l'avancée majeure qu'a constitué l'accord national interprofessionnel (ANI) du 7 juin 2011 sur l'accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise, signé par les partenaires sociaux à l'unanimité. La loi dite « Cherpion » du 28 juillet 2011 en a réalisé la transposition législative, confirmant notamment le principe d'une durée maximale de six mois par stage.

La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR) a pour la première fois défini le stage comme une « période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en oeuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification ». Elle a également étendu l'obligation de gratification, abaissée en 2009 aux stages de plus de deux mois, à tous les employeurs publics, collectivités territoriales comprises.

Cette proposition de loi poursuit le travail engagé l'an dernier par la loi ESR et concrétise l'engagement de campagne n° 39 du Président de la République. Elle est le reflet de l'évolution des stages depuis le milieu des années 2000, conséquence de la réforme de l'enseignement supérieur et de la professionnalisation croissante des enseignements.

En 2007, lorsque j'ai présenté ma proposition de loi, le nombre de stagiaires était évalué à 600 000. En 2012, le Conseil économique, social et environnemental donnait le chiffre de 1,6 million. La précision de ces estimations n'est pas absolue, car la multiplicité des situations dans lesquelles les stages peuvent être réalisés rend leur recensement très complexe. Elles mettent néanmoins en lumière un phénomène indéniable : la très forte croissance du nombre de stagiaires. Celle-ci appelle une réponse législative globale, qui mette en place un cadre juridique stable pour encadrer les stages et permettre que leur développement se poursuive au bénéfice des jeunes comme des entreprises et sans se faire au détriment de l'emploi salarié.

Ce texte comporte sept articles. L'article 1 er établit un régime juridique unique pour les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) des élèves de la voie professionnelle de l'enseignement secondaire et les stages de l'enseignement supérieur. Il évite tout amalgame entre le stagiaire, dont les missions sont définies en fonction d'un projet pédagogique, et le salarié.

Pour la première fois, les missions de l'établissement d'enseignement envers le stagiaire sont clairement énoncées, avec un rôle d'appui et d'accompagnement du jeune dans la recherche du stage puis de définition, dans la convention, de ses objectifs et des compétences à acquérir. Cette responsabilisation des établissements est indispensable et constitue le corollaire de la réaffirmation du caractère pédagogique du stage. Actuellement, sauf exception, l'implication des établissements d'enseignement supérieur dans ce processus se limite bien souvent à la signature d'une convention-type, sans autre forme de suivi. Ce n'est pas le cas dans le secondaire, où les lycées professionnels travaillent en parfaite collaboration avec les entreprises de leur bassin économique et leurs élèves pour garantir la cohérence des périodes en milieu professionnel.

En complément, il est proposé de rendre obligatoire la désignation, pour chaque stage, d'un enseignant référent pour en assurer l'encadrement pédagogique et être à même de jouer le rôle de médiateur en cas de difficultés entre le stagiaire et son organisme d'accueil. Sur ce point, plusieurs questions se posent, comme le nombre d'élèves qu'un enseignant pourra suivre et le contenu précis de cette tâche nouvelle. Il appartient au pouvoir réglementaire de répondre à ces questions, mais il semble nécessaire de faire des distinctions selon les niveaux d'étude et de mettre à profit tous les moyens de communication électroniques.

Le texte confirme par ailleurs l'obligation, pour un stage, d'être accompagné d'un volume pédagogique minimal de formation en établissement durant l'année scolaire, avant ou après sa réalisation. Il s'agit de lutter contre les officines qui disposent à peine d'une boîte aux lettres mais vendent des conventions de stage à des étudiants sans fournir la moindre formation.

Cette proposition de loi marque également l'extinction des dérogations à la durée maximale de six mois pour un stage. Pendant une durée de deux ans, certaines formations conduisant à des diplômes d'Etat dans le domaine médico-social continueront à en bénéficier, afin de leur laisser le temps de faire évoluer leur maquette pédagogique. Les exceptions à cette règle devaient être limitées, en application de la loi « Cherpion », par un décret. Elles ont finalement été très nombreuses, le décret en question n'ayant jamais été pris. Aujourd'hui, la loi reprend le dessus car il est difficile de concevoir les apports pédagogiques d'un stage de huit mois par rapport à un stage de six mois. En revanche, il est très facile d'imaginer comment un stage d'un an peut permettre d'éviter d'embaucher un salarié.

Les règles en matière de gratification restent les mêmes, c'est-à-dire qu'elle est obligatoire pour tout stage de plus de deux mois, et ce dès le premier jour du premier mois et non à compter du troisième mois. De même, les cas d'interdiction de conclure une convention de stage ne sont pas modifiés. Un stagiaire ne peut donc être recruté pour exécuter des tâches correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise, pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, pour un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié absent.

Un nombre maximal de stagiaires par entreprise va être institué par décret. C'est un signal fort envoyé à la jeunesse ainsi qu'aux secteurs d'activité qui ont abusivement recours aux stagiaires. Certains regretteront ce renvoi au pouvoir réglementaire, requis par la souplesse nécessaire à l'application de cette mesure. La ministre précisera sans doute les intentions du Gouvernement en séance, mais il semble évident qu'il faudra traiter les plus petites entreprises différemment des grands groupes, et prendre en compte la situation spécifique des start-up. Cela n'enlève rien à la pertinence de cette mesure : est-il vraiment acceptable qu'une entreprise puisse avoir autant de stagiaires que de salariés ou que certaines entreprises du Cac 40 comptent près de 30 % de stagiaires ?

Sur le modèle de ce qui se pratique déjà couramment pour les périodes de formation en milieu professionnel des élèves des lycées professionnels, la désignation d'un tuteur au sein de l'entreprise est rendue obligatoire. Avec la généralisation de cette fonction, qui pourra être précisée et valorisée par accord d'entreprise, il s'agit de responsabiliser l'entreprise et de garantir la transmission des savoirs et des compétences et le respect de la convention de stage. Il n'est pas question qu'un même salarié puisse être le tuteur d'un nombre trop important de stagiaires : un décret fixera un nombre maximal qui s'inspirera sans doute du droit en vigueur pour l'apprentissage.

La seconde partie de ce long article 1 er porte sur les droits du stagiaire dans son organisme d'accueil. Il est tout d'abord rappelé qu'il est, dans les mêmes conditions que le salarié, protégé contre les discriminations et le harcèlement sexuel ou moral. La proposition de loi lui accorde le droit à un congé de maternité, de paternité ou d'adoption, permettant de reporter le cas échéant le terme du stage. Surtout, ce texte reconnaît pour la première fois aux stagiaires de plus de deux mois un droit à congés, qui devra figurer dans la convention de stage. Il leur fait également bénéficier, sur un pied d'égalité avec les salariés, de titres-restaurant et de la prise en charge des frais de transport.

Des règles claires relatives aux conditions de travail des stagiaires, et en particulier à la durée de travail qui leur est applicable, sont pour la première fois inscrites dans la loi. Elles suivent, en matière de présence de nuit, de repos et de temps de travail, celles applicables aux salariés de l'organisme d'accueil et, ce qui peut sembler évident, ne pourront pas les dépasser.

Il est vain de fixer un cadre juridique construit autour de plusieurs obligations s'il ne s'accompagne d'aucun mécanisme de contrôle. C'est pourquoi ce texte confie à l'inspection du travail la mission de lutter contre les abus et de s'assurer du respect des dispositions relatives au nombre maximal de stagiaires par entreprise et aux conditions de travail. En cas de manquement, les entreprises en infraction seront passibles d'une amende administrative qui pourra atteindre 2 000 euros par stagiaire concerné ou 4 000 en cas de récidive. L'Assemblée nationale a utilement complété cet article en reprenant une mesure, qui figurait dans la proposition de loi que je vous avais présentée en 2007, concernant le contentieux de la requalification d'un stage en contrat de travail. Saisi d'une telle demande, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes devra statuer au fond dans un délai d'un mois. Le passage préalable devant le bureau de conciliation est supprimé, comme c'est le cas pour la requalification d'un CDD en CDI.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit que les stagiaires seront désormais mentionnés dans une partie spécifique du registre unique du personnel, alors qu'ils figuraient jusqu'à présent dans un registre distinct. Sans que cela n'ait d'influence sur la comptabilisation des effectifs de l'entreprise, cette mesure a une portée symbolique forte aux yeux des organisations étudiantes. Elle permettra aussi aux institutions représentatives du personnel (IRP) de disposer d'informations supplémentaires sur l'accueil de stagiaires par l'entreprise. L'article 5 prévoit l'information de l'établissement d'enseignement, du stagiaire et des IRP par l'inspection du travail lorsqu'elle constate un manquement à la réglementation. L'article 6 exonère de l'impôt sur le revenu la gratification versée aux stagiaires, dans la limite du Smic, comme c'est déjà le cas pour la rémunération perçue par les apprentis.

Aujourd'hui, la moindre recherche sur Internet donne accès à des sites vendant des conventions de stage. Face à de telles escroqueries, nous ne pouvons rester inactifs. De même, dans certains secteurs, le recours abusif aux stages, outre qu'il les détourne de leur finalité pédagogique, dessert les entreprises vertueuses en les soumettant à une concurrence par les coûts faussée. Il n'en reste pas moins que l'expérience pédagogique et professionnelle que constitue un stage est un atout pour pénétrer sur le marché du travail.

Cette proposition de loi recentre les stages sur leur principe fondamental, celui d'un outil de formation ancré dans un cursus dont il est une composante à part entière. Je ne crois pas que l'adoption de ce texte aboutira à un tarissement de l'offre de stages. Au contraire, c'est bien le phénomène inverse qui a été observé depuis 2006 et a accompagné la construction progressive du statut de stagiaire. A l'heure où certains se demandent s'il n'y a pas trop de stages, il faut surtout se donner les moyens de garantir des stages de qualité. Cette proposition de loi constitue un réel progrès en la matière en impliquant les établissements d'enseignement dès la définition du projet de stage.

Le Président de la République déclarait récemment que le pacte de responsabilité allait être accompagné d'un pacte de solidarité. Cette initiative parlementaire correspond parfaitement à l'esprit de cette annonce. La précarité est le lot commun de la très grande majorité des stagiaires. Le témoignage récent d'une jeune femme, qui a eu une large couverture médiatique, sur cette génération d'« affamés » qui n'a connu que la crise économique et enchaîne les stages faute de perspectives d'embauche confirme ce diagnostic.

Sept ans après vous avoir présenté ma proposition de loi, je regrette que les termes du débat aient si peu évolué mais je suis heureux que, par ce texte, notre société prenne enfin ses responsabilités envers tous ces jeunes en garantissant l'effectivité de leurs droits. A d'autres, entreprises ou établissements d'enseignement, de prendre les leurs !

M. Ronan Kerdraon . - Je salue le travail de Jean-Pierre Godefroy, qui a joué un rôle précurseur, puisqu'il travaille sur les stages depuis 2007. Il a fait preuve de persévérance sur un dossier dont l'importance est évidente lorsqu'on entend les propos de M. Gattaz, qui s'apprête à nous refaire le coup du CPE ou du Smic jeune pour permettre aux jeunes de rentrer sur le marché du travail ce qui me semble scandaleux.

Ce texte prend acte d'un certain nombre de constats : l'explosion du nombre de stagiaires, la très grande diversité des stages qui génèrent souvent une forte précarité, voire même une forte dépendance vis-à-vis de l'organisme d'accueil.

Je retiendrai un certain nombre d'éléments. Tout d'abord le fait que, pour la première fois, on détermine précisément ce qu'est un stage dans le cadre d'un cursus universitaire ou professionnel.

Je suis satisfait de voir aussi que, grâce à une définition rigoureuse de la gratification, on évite la confusion entre ce qu'est un stagiaire et ce qu'est un salarié, confusion qui transparaît dans certaines pratiques. Notre rapporteur a très bien mis en évidence le rôle parfois douteux d'organismes de formation qui profitent du système, ce qui appelle les sanctions prévues par le texte.

Je suis heureux que l'on puisse déterminer la durée maximale d'un stage, afin qu'il n'y ait pas de confusion avec le CDD ou avec les emplois saisonniers.

Il reste encore du travail à faire en matière de législation européenne : l'insatisfaction de nombre de jeunes Français qui vont faire des stages à l'étranger est réelle. Ce sera un sujet de travail pour les années qui viennent.

M. Gilbert Barbier . - Le rapporteur a clarifié la situation en nous présentant les lois qui se sont succédé depuis 2006. Mais il n'a pas présenté la face cachée de cette proposition de loi, qui pose problème dans une période où nous savons, en tant qu'élus, que les jeunes ont de réelles difficultés à trouver des stages. A force d'accumuler les contraintes pesant sur les employeurs, on a dissuadé les entreprises d'avoir recours à des stagiaires. Je pense en particulier aux petites entreprises et aux entreprises agricoles, qui jouent pourtant un rôle très important dans la formation professionnelle.

Ce texte concerne conjointement les élèves et les étudiants, alors qu'il conviendrait de les distinguer. Pour certains élèves, les mesures proposées poseront de véritables difficultés. Ainsi pour les formations agricoles, la limitation de la durée des stages à six mois, assortie d'une période de carence, constitue un vrai problème. Les établissements scolaires qui placent ces stagiaires auront beaucoup de difficultés à trouver des employeurs. Il en va de même pour la question de la gratification. Un stage effectué par un élève avant l'âge du bac constitue plus une contrainte qu'un bénéfice pour l'employeur. On ne peut nier qu'il existe des abus, mais on s'apprête à sanctionner tout le monde. Le résultat sera qu'il y aura moins de stages.

Le rôle nouveau confié à l'inspecteur du travail, ainsi que les dispositions relatives aux prud'hommes inspirent beaucoup de craintes aux employeurs, qui risquent de renoncer à prendre des stagiaires. Bien sûr, il y a des entreprises qui commettent des abus, mais pour la plupart d'entre elles, ces mesures sont autant d'épées de Damoclès !

Il y a aussi, comme vous le savez, des cas particuliers parmi les étudiants. La limitation des stages à six mois posera des problèmes pour certaines formations, les études de psychologie, par exemple. Votre volonté de supprimer les possibilités actuelles de dérogation aggravera leurs difficultés à trouver un stage.

Dans cette période difficile où les entreprises ont d'autres soucis que de prendre des stagiaires, même s'il fallait toiletter la législation, on aurait pu le faire à moindre frais et sans alourdir les contraintes qui pèsent sur les entreprises.

M. Alain Milon . - Je tiens tout d'abord à faire une remarque sur la forme : les délais impartis pour examiner et amender ce texte sont insuffisants : la date limite de dépôt des amendements est fixée au lundi 28 avril à 11 heures, alors que la semaine prochaine les travaux parlementaires sont suspendus ! Quant au fond, il y a dans cette proposition de loi beaucoup de points positifs, dont certains avaient d'ailleurs déjà été actés sous la législature précédente. D'autres sont contestables : il en va ainsi du quota maximum de stagiaires par entreprise qui va être fixé par décret, et de la suppression de la possibilité de dérogation à la durée maximale de six mois par stage. Ce dernier point posera particulièrement problème pour l'année de césure, que les étudiants des écoles de commerce utilisent souvent pour faire un long stage à l'étranger.

Ce texte tend en outre à aligner le droit des stagiaires sur celui des salariés. On peut être d'accord avec l'octroi de ces droits, mais on ne peut, sur le plan symbolique, accepter l'assimilation avec les salariés. Une amende de 2 000 euros est prévue pour les entreprises en cas d'infraction : c'est un nouveau signe de défiance à l'égard des entreprises. Le groupe UMP, en séance, pourra approuver certains points de ce texte, mais il ne le votera pas. Nous ne le voterons pas non plus en commission.

Mme Laurence Cohen . - Cette proposition de loi va dans le bon sens. L'exposé de Jean-Pierre Godefroy nous a donné des éléments très riches, et les amendements qu'il défend sont de nature à renforcer le dispositif. Nous avons tous été témoins, en tant qu'élus, tant des abus commis que de l'explosion du nombre des stagiaires : ils sont aujourd'hui 1 600 000, contre 600 000 en 2006. L'encadrement de la durée des stages est un point positif, de même que les droits nouveaux accordés aux stagiaires. Mais on peut encore améliorer ce texte, comme nous nous efforcerons de le faire en séance : il nous semble par exemple important de porter le seuil minimum de gratification à 50 % du Smic, ou encore de prévoir la validation automatique d'un trimestre de retraite pour 50 jours de stage. Quoi qu'il en soit, nous voterons ce texte.

M. René-Paul Savary . - Je note une incohérence : vous nous dites que le stagiaire ne doit pas être considéré comme un salarié, parce que ce serait une exploitation du stage au bénéfice de l'entreprise, mais que d'un autre côté il doit avoir les droits du salarié. Il faudrait savoir...

Vous augmentez les obligations des employeurs, puisqu'un stagiaire doit désormais avoir non seulement un tuteur, mais aussi un référent, bénéficier d'un volume pédagogique minimal, être inscrit au registre unique du personnel... Autant de contraintes supplémentaires, assorties de pénalités, qui risquent de dissuader les entreprises et les collectivités de prendre des stagiaires.

J'ai l'occasion, en tant que président de conseil général, d'en recruter dans mes services ; mais en cette période de raréfaction de l'argent public, je ne suis plus sûr de pouvoir le faire, surtout si leur encadrement vient s'ajouter aux tâches de mon personnel déjà sous tension.

Deuxièmement, qu'en est-il de l'adaptation de ces dispositions aux études de médecine générale ? La désertification médicale des milieux ruraux ouvre aujourd'hui de belles possibilités d'y faire des stages, qui peuvent conduire à l'implantation de ces futurs médecins. Si vous allez vers des contraintes supplémentaires, les médecins généralistes seront-ils toujours disposés à accueillir des stagiaires ? Là encore, on voit bien les limites des dispositifs trop contraignants.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je rejoins plusieurs des interventions précédentes. Au point de vue du droit du travail, il paraît logique d'encadrer le stagiaire. On rassemble d'ailleurs ici des textes qui étaient empilés dans le droit du travail, plutôt que l'on ne crée des droits nouveaux. Il n'y aurait rien à y redire, si ce n'était que nous sommes dans un système économique où l'on trouve des petites comme des grandes entreprises et des secteurs qui offrent plus ou moins de stages. Il serait donc intéressant de connaître précisément la répartition des stagiaires. Je suis à peu près persuadé que beaucoup des grandes entreprises, qui en prennent souvent, respectent parfaitement le droit. Restent les petites entreprises, qui sont majoritaires en France et sont fréquemment sollicitées par les jeunes en quête d'un stage.

Il conviendrait donc d'en avoir une meilleure connaissance, et d'être plus souple dans l'application du droit relatif aux conditions de travail. Que penser, par exemple, de l'obligation faite aux entreprises agricoles accueillant des stagiaires d'avoir deux vestiaires, dont l'un destiné aux jeunes femmes ?

Mais, sur le fond, la proposition de loi recentre bien les stages sur leur principe fondamental. Il s'agit d'un outil de formation, encadré par les droits des différentes parties concernées qui conditionnent sa réussite. Nous nous abstiendrons donc aujourd'hui, mais nous nous prononcerons lors de l'examen du texte en séance.

M. Gérard Roche . - Tout médicament a des effets bénéfiques et des effets indésirables. Nous travaillons ici sur le droit des stagiaires, certainement bénéfique, mais nous allons nuire au droit aux stages ; or c'est bien celui-ci qui constitue le problème principal auquel nous sommes quotidiennement confrontés. En confortant le droit des stagiaires, l'effet indésirable sera qu'il y aura moins de stages, et de plus en plus de jeunes viendront nous solliciter en disant qu'ils n'en ont pas trouvé.

M. Yves Daudigny, rapporteur général . - Je félicite Jean-Pierre Godefroy pour l'ensemble de ses travaux dans ce domaine, pour sa persévérance et pour la clarté du texte qu'il nous a présenté. Ce n'est pas un texte de sanction, mais un élément de cohérence et de réaffirmation de principes qui ne doivent pas être oubliés dans ce difficile sujet des stages.

Personne ne nie les difficultés des entreprises, ni le poids parfois excessif de l'administration, pas plus que la réticence de beaucoup d'entreprises à accepter des stagiaires. Mais, dans le même temps, ces mêmes entreprises nous font part à juste titre de difficultés de recrutement. Or le stage consiste justement à mettre des jeunes en situation de travail dans une entreprise et à faciliter à terme leur embauche.

Il y a trop de cas où le stage est en réalité un CDD. J'ai l'exemple tout récent encore d'une jeune femme d'origine étrangère, de très haut niveau de qualification, engagée dans le cadre d'un stage dans une entreprise du CAC 40. Elle était susceptible dès les premiers jours de fournir un apport réel au travail de l'entreprise. On lui a laissé espérer un recrutement, mais au terme de son stage on lui a proposé un poste à... Moscou. Cette jeune personne est d'origine russe, cette proposition n'était donc pas absurde ; mais elle est mariée en France. Il faut lutter contre ces faux stages, trop souvent utilisés pour contourner le droit du travail et le Smic. Ou alors il faut modifier la législation, comme M. Gattaz le demande. Pour toutes ces raisons, je suis très favorable à ce texte.

Mme Catherine Génisson . - Un stagiaire n'est pas toujours une charge, il apporte du sang neuf à l'entreprise. Cela méritait d'être dit.

Mme Aline Archimbaud . - Nous soutenons entièrement cette proposition de loi, et nous la voterons. Dans ce contexte de crise sociale extrêmement grave, il faut maintenir une démarche équilibrée et mettre fin aux abus, qui sont nombreux. Je connais des jeunes diplômés d'écoles d'ingénieurs, mais qui vivent en Seine-Saint-Denis et ont parfois des noms à consonance étrangère : tout ce qu'on leur propose est d'enchaîner les stages, en leur faisant miroiter une embauche.

Former les jeunes, les aider en leur mettant le pied à l'étrier, c'est une mission qui nous incombe à tous. Je rejoins ce que vient de dire Catherine Génisson : ces stagiaires ne doivent pas être présentés comme une charge. En les aidant, nous contribuerons à ce qu'il y ait en France des jeunes en situation de répondre aux demandes des entreprises, qui cherchent justement des personnels et des cadres qualifiés. Cette loi va donc dans le sens de l'intérêt de tout le monde.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - Ronan Kerdraon m'interrogeait sur les stages à l'étranger. Une disposition de ce texte oblige à informer les jeunes Français qui sont dans cette situation du droit de leur pays d'accueil : c'est un progrès.

Gilbert Barbier a évoqué la difficulté à trouver des stages ; nous avons pourtant un million de stagiaires de plus qu'il y a sept ans. On peut se demander s'il s'agit bien de stages s'inscrivant dans un cursus. En tout cas, les dispositions de cette proposition de loi n'accroîtront pas les difficultés pour trouver des stages. Je rappelle que pour l'instant les stages de moins de deux mois ne font pas l'objet d'une gratification.

Vous avez fait allusion au cas de l'enseignement agricole, ce qui renvoie aux maisons familiales rurales. Une réponse à leur situation a été apportée à l'Assemblée nationale, par un amendement de Gérard Cherpion, qui siège dans l'opposition et est l'auteur d'un texte antérieur sur ces questions. La durée des stages sera mesurée au prorata de la présence des stagiaires dans l'organisme d'accueil. Dans les maisons familiales rurales, où les élèves alternent les périodes de formation et celles en entreprise, le temps de présence réelle du stagiaire n'est pas incompatible avec les dispositions de la proposition de loi.

L'inspecteur de travail n'est redouté que par les employeurs qui ne se conforment pas à la réglementation. Quant au passage direct devant le bureau de jugement, il est déjà prévu pour la requalification des CDD en CDI en cas d'abus. Il faut bien qu'il y ait un gendarme quelque part.

Le problème des cursus de psychologie semble tenir à leurs maquettes pédagogiques, et à l'absence de numerus clausus. Beaucoup trop de jeunes s'y inscrivent par rapport aux débouchés professionnels.

Alain Milon s'inquiétait des délais impartis pour l'élaboration du texte, mais je lui rappelle que notre rythme de travail est fixé par la conférence des présidents.

Le quota de stagiaires dans une entreprise est un sujet très important. On ne peut accepter qu'une entreprise prenne quinze ou vingt stagiaires pour un seul tuteur. Il s'agit alors en réalité de stages parking, sans aide à l'acquisition des connaissances. L'idée de fixer par décret un quota de stagiaires par entreprise me semble bonne. Le seuil de 10 % envisagé initialement est inadapté aux petites comme aux très grandes entreprises. La question fondamentale demeure de savoir si l'entreprise a bien les tuteurs nécessaires à l'encadrement des stagiaires. Le ratio en vigueur dans l'apprentissage pourrait être repris ici : on demanderait alors environ un tuteur pour trois stagiaires. De même, peut-on s'attendre à ce qu'un enseignant qui signe trente ou quarante conventions suive vraiment ses stagiaires ?

Quant à l'année de césure, qui est un usage courant dans les écoles de commerce, elle ne constitue pas véritablement un problème : on peut faire deux stages de six mois, dès lors que ce n'est pas dans la même entreprise. Il n'y a de toute façon pas de limite pour les stages à l'étranger, puisque c'est la réglementation du pays d'accueil qui s'y applique.

Les deux questions posées par Laurence Cohen sont très importantes. Dans ma proposition de loi de 2006, j'avais défendu l'idée d'une gratification des stagiaires à 50 % du Smic. Il est vrai que l'on a souvent plus d'ardeur lorsque l'on est dans l'opposition que dans la majorité. Le problème du niveau de la gratification doit en tout cas être posé ; il est aujourd'hui fixé à 12,5 % du plafond de la sécurité sociale, soit 436 euros. Est-ce bien suffisant ? Mais la proposition de loi ouvre des droits, notamment aux chèques restaurant et au remboursement des frais de transports, et c'est une avancée.

Quant au problème de la retraite, la dernière réforme des retraites permet aux étudiants de racheter jusqu'à deux trimestres dans un délai de deux ans après leur stage. Mais cela représente une ponction importante sur leur rémunération en début de carrière, à supposer qu'ils aient trouvé du travail à l'issue de leur stage. Il y a là une piste de réflexion à poursuivre. On pourrait imaginer qu'au moins un trimestre soit validé de fait, comme c'était le cas pour le service militaire.

René-Paul Savary m'interrogeait sur les référents et les tuteurs. Pour qu'un stage soit vraiment productif, il faut qu'il y ait dans l'entreprise un tuteur bien défini et qualifié, et un référent pédagogique dans son établissement d'enseignement en contact avec lui. Seul leur travail commun avec le stagiaire peut garantir que le cheminement du stage soit conforme à sa convention. Quant aux professions de santé, elles ne sont pas concernées par l'obligation de gratification.

Je rappelle, en réponse à la question de Jean-Marie Vanlerenberghe, que c'est l'ANI du 7 juin 2011 qui est repris en grande partie dans ce texte. J'espère donc qu'il puisse faire l'objet d'un consensus.

Yves Daudigny a soulevé un point très intéressant : les difficultés des entreprises à recruter. Encore faudrait-il pour cela qu'elles acceptent de prendre des stagiaires afin de leur donner envie d'exercer leurs métiers. Certaines grandes entreprises organisent des stages très largement gratifiés, qui constituent une pré-embauche. Cela leur permet de juger les postulants, avant de puiser dans le vivier des stagiaires pour répondre à leurs besoins.

Je pense, comme Catherine Génisson, que le stagiaire n'est pas une charge pour l'entreprise, au contraire. Lorsque j'étais maire, malgré la réticence du rectorat, j'avais recruté des apprentis. Cela avait l'avantage de nous obliger à former des tuteurs, qui eux-mêmes devaient mettre à jour leurs connaissances. Le même raisonnement s'applique pour les stages : c'est un avantage supplémentaire pour l'entreprise.

Mme Annie David, présidente . - Merci, monsieur le rapporteur, pour l'ensemble de ces réponses. Nous passons à l'examen de vos amendements.

Article premier

L'amendement rédactionnel n° 1 est adopté.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - La fixation du nombre maximal de stagiaires par enseignant référent doit être confiée au conseil d'administration de l'établissement d'enseignement, dans un cadre fixé par décret, pour qu'il puisse tenir compte de ses spécificités et de ses moyens.

L'amendement n° 2 est adopté, ainsi que l'amendement de cohérence juridique n° 3.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - L'amendement n° 4 vise à garantir l'application dans la fonction publique de l'interdiction de remplacer un employé absent par un stagiaire.

L'amendement n° 4 est adopté ainsi que l'amendement rédactionnel n° 5.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - L'amendement n° 6 est important : il tend à fixer la durée de travail des stagiaires à la durée légale hebdomadaire, soit 35 heures. Ceux-ci participent à l'activité de l'organisme d'accueil mais la vocation première du stage est la formation. Dans certaines conditions, le temps de travail peut atteindre jusqu'à 60 heures par semaine sur douze semaines. Les stagiaires ne sauraient être concernés, eux qui n'ont droit ni au repos compensateur, ni aux RTT, ni aux heures supplémentaires rémunérées. Protégeons-les contre les risques d'exploitation. Déjà, 31 % des salariés mais 37 % des stagiaires travaillent de nuit...

Mme Annie David, présidente . - Certains étudiants qui ont un emploi pourraient même être contraints d'y renoncer pour suivre leur stage !

L'amendement n° 6 est adopté ainsi que l'amendement rédactionnel n° 7.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - L'amendement n° 8 étend le champ du contrôle de l'inspection du travail au nombre de stagiaires suivis par un même tuteur.

L'amendement n° 8 est adopté, ainsi que les amendements de coordination n os 9, 10 et 11, l'amendement rédactionnel n° 12 et l'amendement de coordination n° 13.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - L'amendement n° 14 concerne l'information de l'établissement d'enseignement, des IRP et du stagiaire en cas de manquement aux règles d'accueil des stagiaires.

L'amendement n° 14 est adopté, ainsi que l'amendement de coordination n° 15.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Encadrement du recours aux stages et définition du statut du stagiaire

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. GODEFROY, rapporteur

1

Amendement rédactionnel

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

2

Fixation par l'établissement d'enseignement du nombre maximal de stagiaires suivis par un enseignant référent

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

3

Amendement de cohérence juridique

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

4

Amendement de précision

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

5

Amendement rédactionnel

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

6

Application aux stagiaires de la durée légale hebdomadaire de travail

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

7

Amendement rédactionnel

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

8

Contrôle par l'inspection du travail du respect par l'entreprise du nombre maximal de stagiaires suivis par un tuteur

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

9

Amendement de cohérence juridique

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

10

Amendement de coordination

Adopté

M. GODEFROY, rapporteur

11

Amendement de coordination

Adopté

Article 2
Inscription des stagiaires dans le registre unique du personnel

M. GODEFROY, rapporteur

12

Amendement rédactionnel

Adopté

Article 4
Extension de la compétence de l'inspection du travail
au contrôle des manquements à la législation sur les stages

M. GODEFROY, rapporteur

13

Amendement de coordination

Adopté

Article 5
Information du stagiaire, de l'établissement d'enseignement
et des institutions représentatives du personnel sur les infractions à la législation
sur les stages constatées par l'inspection du travail

M. GODEFROY, rapporteur

14

Extension de la procédure d'information aux cas où le nombre maximal de stagiaires dans l'entreprise est dépassé

Adopté

Article 7
Responsabilité de l'organisme d'accueil
en cas d'accident ou de maladie lié à un stage

M. GODEFROY, rapporteur

15

Amendement de coordination

Adopté

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