II. SÉCURISER JURIDIQUEMENT LE PACTE INTERGÉNÉRATIONNEL DES MONITEURS DE SKI TOUT EN GARANTISSANT L'ABSENCE DE TOUTE DISCRIMINATION DES SENIORS

A. LES DEUX DERNIÈRES VERSIONS DU PACTE INTERGÉNÉRATIONNEL ONT ÉTÉ FRAGILISÉES PAR DES DÉCISIONS DE JUSTICE

A partir de 2009, plusieurs moniteurs de ski seniors appartenant au syndicat local des moniteurs de ski de l'Ecole du ski français des Arcs 1800 (ESF Arcs 1800), regroupés au sein de l'Association de défense des droits des moniteurs et entraîneurs de ski (Addmes), ont demandé à la justice l'annulation des dispositions relatives à la réduction d'activité des moniteurs de ski seniors adoptées par le SNMSF en 2007 puis du Pacte intergénérationnel adopté en 2012 au titre de la discrimination par l'âge.

1. Des demandes d'annulation des dispositions adoptées en 2007 par le SNMSF puis du Pacte intergénérationnel de 2012 pour discrimination fondées sur l'âge basées sur la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 et sur la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 qui en assure la transposition

Les moniteurs de ski regroupés au sein de l'Addmes estimaient que les dispositions de 2007 et le Pacte intergénérationnel de 2012 créaient une discrimination fondée sur l'âge à leur détriment et étaient de ce fait contraires aux dispositions de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations qui transpose la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

L'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 définit ainsi la discrimination :

« Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge , son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

« Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

« La discrimination inclut :

« 1° tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ;

« 2° le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2. »

Le 2° de son article 2 interdit toute discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi et d'accès à l'emploi tout en rendant possible des différences de traitement répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante , si l'objectif poursuivi est légitime et l'exigence proportionnée :

« Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion ou les convictions, le handicap, l'âge , l'orientation ou identité sexuelle ou le lieu de résidence est interdite en matière d'affiliation et d'engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d'avantages procurés par elle, d'accès à l'emploi, d'emploi, de formation professionnelle et de travail, y compris de travail indépendant ou non salarié , ainsi que de conditions de travail et de promotion professionnelle.

« Ce principe ne fait pas obstacle aux différences de traitement fondées sur les motifs visés à l'alinéa précédent lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée . »

De fait, l'article 6§1 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 accorde une marge d'appréciation aux Etats puisqu'il dispose que :

« Les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées , dans le cadre du droit national, par un objectif légitime , notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires .

« Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre la mise en place de conditions spéciales d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle, d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d'assurer leur protection ».

Dans son arrêt Age Concem England du 5 mars 2009, la CJUE (ex-CJCE) a précisé que « ledit article 6§1 n'ouvre la possibilité de déroger à ce principe [d'interdiction des différences de traitement fondées sur l'âge] que pour les seules mesures justifiées par des objectifs légitimes de politique sociale tels que ceux liés à la politique de l'emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle ». Elle souligne également qu'« en choisissant les moyens susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale, les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation ».

2. Les dispositions de réduction d'activité des moniteurs seniors adoptées en 2007 par le SNMSF ont été considérées comme discriminatoires par la Halde et par la justice
a) La délibération de la Halde considérant comme discriminatoire le dispositif adopté en 2007 par le SNMSF

Au mois de janvier 2010, six moniteurs appartenant au syndicat local des moniteurs de ski de l'Ecole du ski français des Arcs 1800 (ESF Arcs 1800) ont saisi la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) d'une réclamation relative à la restriction imposée dans l'exercice de leur activité professionnelle par la motion « retraites » adoptée par leur syndicat local et transcrivant les dispositions relatives à la réduction d'activité des moniteurs seniors adoptées par le SNMSF en 2007.

La Halde a estimé dans sa délibération n° 2010-265 du 29 novembre 2010 que la motion « retraites » adoptée par le syndicat ESF Arcs 1800 caractérisait une discrimination en matière de conditions de travail indépendant ou non salarié fondée sur l'âge au regard de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 pour trois raisons :

- en vertu de la directive 2000/78/CE, c'est aux Etats et à eux seuls qu'il appartient de déterminer les différences de traitement fondées sur l'âge qui ne constituent pas une discrimination car objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, réalisé par des moyens appropriés et nécessaires. Or, l'objectif poursuivi par le syndicat ESF Arcs 1800 n'avait pas été défini et encadré par l'Etat mais résultait seulement d'une décision de l'assemblée générale dudit syndicat. La Halde estime donc que « si l'objectif officiellement poursuivi de favoriser l'insertion des jeunes moniteurs pourrait être légitime, c'est à l'Etat qu'il appartient d'intervenir pour le définir et l'encadrer » ;

- la réduction d'activité imposée aux moniteurs de plus de 61 ans ne bénéficiait pas spécifiquement aux jeunes moniteurs diplômés , dans la mesure où les heures dégagées par le débrayage des plus de 61 ans étaient réparties entre tous les moniteurs de moins de 61 ans, et pas seulement entre les plus jeunes ;

- le dispositif du SNMSF incitait fortement les moniteurs seniors à prendre leur retraite et s'apparentait à une mise à la retraite d'office, la mise à la retraite d'office constituant une discrimination prohibée si la personne concernée n'a pas acquis le droit à une pension à taux plein.

b) La décision du TGI d'Albertville déclarant illicite le dispositif adopté en 2007 par le SNMSF

Le 1 er mars 2010, des moniteurs de ski seniors de l'ESF d'Arc 1800, regroupés au sein de l'Association de défense des droits des moniteurs et entraîneurs de ski (Addmes), ont fait assigner leur syndicat local devant le tribunal de grande instance (TGI) d'Albertville afin de voir reconnue la discrimination par l'âge qu'ils estimaient subir en raison de l'adoption par leur syndicat de la motion « retraites » susmentionnée et obtenir la suppression des dispositions relatives au débrayage des moniteurs de plus de 61 ans.

Le 21 février 2012, le TGI d'Albertville, qui avait reçu les observations de la Halde par écritures signifiées le 21 janvier 2011, a considéré que les dispositions relatives au débrayage des moniteurs de plus de 61 ans constituaient une discrimination illicite fondée sur l'âge et devaient être retirées des statuts du syndicat en retenant deux arguments avancés par la Halde :

- seul l'Etat a compétence pour déterminer les possibilités de déroger au principe de non-discrimination par l'âge , et non un syndicat ;

- les places libérées par les moniteurs de plus de 61 ans en débrayage ne profitant pas exclusivement aux jeunes moniteurs, mais à tous ceux qui sont maintenus en exercice, l'effet sur l'accès à l'emploi des jeunes moniteurs de la restriction d'activité imposée aux moniteurs seniors apparaissait tout à fait marginal et ne pouvait justifier une discrimination par l'âge des plus de 61 ans, car elle n'était ni nécessaire ni proportionnée à l'objectif visé et ne répondait pas à une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

3. Le Pacte intergénérationnel de 2012, rédigé en collaboration avec le Défenseur des droits, a fait l'objet d'une décision de justice défavorable en première instance mais a été validé en appel

Suite à la décision du TGI d'Albertville, et après que le syndicat local des moniteurs de l'ESF d'Arc 1800 s'est désisté de son appel devant la cour d'appel de Chambéry, le comité de direction du SNMSF a convoqué en session extraordinaire le 24 novembre 2012 un congrès national au cours duquel a été adopté le Pacte intergénérationnel de 2012 (voir supra ).

a) L'avis du Défenseur des droits sur le nouveau Pacte intergénérationnel de 2012

Afin de prendre pleinement en compte la délibération de la Halde et la décision du TGI d'Albertville, le SNMSF a soumis le projet de Pacte intergénérationnel de 2012 au Défenseur des droits.

Celui-ci a une nouvelle fois considéré que l'intégration des jeunes moniteurs était en soit un objectif légitime .

Il a estimé que le principe d'un encadrement de la réduction d'activité des plus âgés leur garantissant la possibilité de valider deux trimestres par saison au minimum permettait d'assurer que le dispositif ne crée pas de disproportion excessive à leur dépens .

Au total, il concluait que « le cadre général ainsi défini n'apparaît pas comme caractérisant une discrimination prohibée au regard notamment de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ».

Néanmoins, il soulignait que « la question des modalités concrètes de mise en oeuvre de ce dispositif au niveau local reste déterminante , le risque d'une application s'avérant ici ou là discriminatoire ne pouvant être exclu ».

b) La décision du TGI de Grenoble déclarant illicite le Pacte de 2012

Par assignation du 12 décembre 2012, les moniteurs membres de l'Association de défense des droits des moniteurs et entraîneurs de ski (Addmes) ont fait citer le SNMSF devant le TGI de Grenoble en demandant l'annulation du nouveau Pacte intergénérationnel pour discrimination illicite liée à l'âge.

Dans son jugement du 18 mars 2013, le TGI de Grenoble a estimé que la réduction d'activité des moniteurs de plus de 62 ans instaurée par le Pacte n'apparaissait « ni justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, ni nécessaire ni proportionnée à l'objectif visé » dans la mesure où :

- le SNMSF - qui produisait à l'appui de son argumentation l'étude réalisée en mai 2012 par la SARL Towers Watson - ne parvenait ni à établir de lien probant entre la réduction progressive d'activité des moniteurs seniors et l'intégration des nouveaux diplômés ni, par conséquent, à démontrer qu'en l'absence d'un tel dispositif, les jeunes diplômés rencontreraient des difficultés d'insertion professionnelle. Le TGI reconnaissait toutefois que l'insertion des jeunes diplômés pouvait constituer un objectif légitime ;

- les cours non attribués aux moniteurs seniors n'étaient pas uniquement attribués aux nouveaux moniteurs, et ce d'autant plus que l'un des principaux critères d'attribution des cours est notamment l'ancienneté. Le fait que les jeunes moniteurs diplômés bénéficient d'une distribution d'activité leur permettant de valider au minimum deux trimestres d'assurance vieillesse ne pouvait, selon le TGI de Grenoble, s'analyser comme un réel avantage en rapport avec les efforts supportés par les plus anciens ;

- une distribution d'activité permettant de valider au minimum deux trimestres d'assurance-vieillesse paraissait insuffisante pour compenser les efforts consentis par les moniteurs seniors et ne permettait pas de répondre à l'exigence de proportionnalité prévue par la loi .

Le TGI de Grenoble a donc déclaré le Pacte intergénérationnel de 2012 illicite comme constituant une discrimination fondée sur l'âge et a ordonné son retrait des statuts du SNMSF.

c) La décision de la cour d'appel de Grenoble invalidant le jugement du TGI de Grenoble

Le SNMSF a relevé appel du jugement du TGI de Grenoble le 10 mai 2013. Par sa décision du 30 septembre 2013, la cour d'appel de Grenoble a pris le contre-pied du TGI en estimant que la différence de traitement retenue par le Pacte intergénérationnel répondait à une exigence professionnelle essentielle et déterminante car :

- l'étude de la SARL Towers Watson démontrait qu'une très grande partie des nouveaux diplômés de l'Ensa avait été intégrée dans les ESF grâce à la cessation progressive d'activité des seniors mise en oeuvre par les ESF en conformité avec les décisions du SNMSF ;

- l'invalidation du Pacte intergénérationnel empêcherait, selon 54 directeurs d'ESF, l'intégration de tous les nouveaux diplômés lors des prochaines saisons, risquerait d'entraîner une désaffection de jeunes déjà confrontés à la précarité qu'implique l'activité de moniteur de ski, dont le caractère est saisonnier et soumis aux aléas climatiques et conduirait in fine à un vieillissement des effectifs de moniteurs des écoles de ski, alors que toutes les classes d'âge doivent pouvoir être représentées au sein des ESF ;

- l'insuffisance du nombre de jeunes serait défavorable « à la qualité de l'enseignement qui se doit d'être diversifié, pour répondre à la demande d'une clientèle à la recherche de nouvelles techniques de glisse mais également pour assurer l'enseignement à de petits enfants, toutes contraintes qui nécessitent de nouveaux apprentissages et une forme physique adaptée ».

Il considérait en outre que l'exigence de proportionnalité était respectée dans la mesure où les désavantages causés par la diminution d'activité imposée aux moniteurs âgés de 62 ans à 67 ans étaient atténués par la validation a minima de deux trimestres d'assurance vieillesse au titre de chaque saison.

Suite à cette décision, les moniteurs membres de l'Association de défense des droits des moniteurs et entraîneurs de ski (Addmes) ont décidé de se pourvoir en cassation.

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