B. UN RISQUE SÉRIEUX D'INCONSTITUTIONNALITÉ

En outre, ainsi défini, le dispositif de la proposition de loi présente un risque non négligeable d'inconstitutionnalité, au regard des principes qui fondent le droit pénal.

1. Un risque au regard du principe de légalité des délits et des peines

En droit pénal, le principe de légalité des délits et des peines, qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, impose « la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire » 27 ( * ) .

De ce point de vue, en faisant dépendre le champ des poursuites de l'évolution du psychisme de la victime, qui relève nécessairement de facteurs personnels, intimes et complexes, le dispositif de la proposition de loi introduirait une incertitude sur le point de départ du délai de prescription qui pourrait être valablement contestée devant le Conseil constitutionnel.

Sans doute, comme l'a indiqué à votre rapporteur Mme Violaine Guérin, médecin endocrinologue et gynécologue, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles, l'amnésie traumatique peut être médicalement constatée : un médecin psychiatre formé à cette problématique est en mesure de l'établir scientifiquement.

Toutefois, comme l'a maintes fois rappelé le Conseil constitutionnel, le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire interdit au législateur de subordonner le pouvoir de cette dernière à la décision d'une quelconque autre autorité 28 ( * ) . Si le juge peut s'appuyer sur l'ensemble des éléments nécessaires pour lui permettre de prendre sa décision en pleine connaissance de cause, c'est à lui seul, in fine , qu'il appartient de constater si des poursuites peuvent être engagées et, le cas échéant, quelles suites doivent être données aux faits qui lui sont soumis.

2. Un risque au regard du principe d'égalité

Corrélativement, le dispositif de la proposition de loi présente une difficulté au regard du principe d'égalité des justiciables devant la loi, au respect duquel le Conseil constitutionnel veille rigoureusement s'agissant de la matière pénale.

A cet égard, si ce principe, qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne fait pas obstacle à ce qu'une différenciation soit opérée par la loi pénale entre des agissements de nature différente, il commande en revanche au législateur de traiter les auteurs d'une même infraction dans des conditions similaires.

Or, en faisant reposer le point de départ du délai de prescription sur l'évolution du psychisme de la victime, la proposition de loi aboutirait, dans certains cas limites, à une imprescriptibilité de facto des faits commis , tandis que dans d'autres, une conscientisation précoce par la victime des faits subis interdirait à la justice de poursuivre des faits identiques passé un délai de vingt ans.

On relèvera, à cet égard, qu'en proposant corrélativement de supprimer les dispositions repoussant à la majorité de la victime le point de départ du délai de prescription (articles 1 er et 2 de la proposition de loi), la proposition de loi comporterait une régression pour certaines victimes âgées de moins de 38 ans , en les obligeant à apporter la preuve du jour où elles ont pris conscience des faits, alors qu'elles ont aujourd'hui la possibilité de porter plainte sans avoir à justifier du caractère tardif de leur démarche.

C'est pourquoi, sans méconnaître la nécessité de mieux prendre en compte le traumatisme subi par les victimes, et en particulier les phénomènes d'amnésie traumatique dont certaines d'entre elles sont l'objet, l'ensemble de ces éléments a convaincu votre commission de ne pas retenir la solution proposée par proposition de loi.


* 27 Conseil constitutionnel, décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981.

* 28 Voir notamment la décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 sur la loi relative à la rétention de sûreté.

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