TITRE II - MODERNISATION DU CADASTRE DES DEPARTEMENTS
DE LA MOSELLE, DU BAS-RHIN ET DU HAUT-RHIN
CHAPITRE IER - EXTENSION DES COMPÉTENCES DE L'ÉTABLISSEMENT PUBLIC D'EXPLOITATION DU LIVRE FONCIER INFORMATISÉ À L'INFORMATISATION DU CADASTRE DES DÉPARTEMENTS DE LA MOSELLE, DU BAS-RHIN ET DU HAUT-RHIN

Article 4 - (article 2 de la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002 portant réforme de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle) - Extension des missions de l'EPELFI

Le présent article vise à étendre les missions de l'établissement public d'exploitation du livre foncier informatisé (EPELFI) à la numérisation du cadastre d'Alsace-Lorraine.

I. Le droit local de la publicité foncière en Alsace-Moselle

A. Le livre foncier d'Alsace-Moselle

En Alsace et en Moselle, le livre foncier a remplacé la Conservation des hypothèques pendant la période d'annexion de ces départements par l'Empire allemand. Après la Première Guerre Mondiale, il a été conservé et adapté à la législation française par les deux lois précitées du 1 er juin 1924.

L'article 36-2 de la loi du 1 er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, introduit par la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002 35 ( * ) , donne une définition matérielle du livre foncier, en précisant qu'il s'agit de l'ensemble des registres destinés à la publicité des droits sur les immeubles, et a introduit la tenue informatique du livre foncier 36 ( * ) .

Au même titre que la Conservation des hypothèques, le livre foncier assure l'opposabilité des droits fonciers réels. Il présente toutefois des spécificités significatives :

- il est tenu par le juge du livre foncier, magistrat du tribunal d'instance, ce qui assure une présomption simple d'exactitude aux droits inscrits ;

- il fait l'objet d'une large publicité, malgré des modifications législatives en la matière qui en ont précisé la portée.

Jusqu'en 2002, le régime juridique du livre foncier a connu plusieurs modifications législatives tendant à une harmonisation avec le droit général sans toutefois remettre en cause l'esprit des textes fondateurs.

Les grandes étapes du droit local de la publicité foncière (de 1871 à 1990)

À la suite de l'annexion de l'Alsace et de la Moselle par le Reich allemand, la publicité foncière dans ces départements a continué à être régie par la loi du 23 mars 1855 relative à la transcription en matière hypothécaire et le Code civil de 1804.

En raison des inexactitudes du cadastre napoléonien qui était source d'insécurité juridique engendrée par l'existence de sûretés réelles immobilières produisant leurs effets sans faire l'objet d'inscription, est promulguée, le 31 mars 1884, une loi de rénovation du cadastre d'Alsace-Moselle, texte qui est toujours en vigueur aujourd'hui. Est également adoptée la loi du 24 juillet 1889 sur la propriété immobilière dont l'objectif est de moderniser le droit de la transcription immobilière en renforçant la sécurité et l'information des tiers.

Enfin, la loi du 22 juin 1891 relative à l'institution des livres fonciers abroge la loi du 23 mars 1855 : cette loi institue le livre foncier, sur le modèle allemand, dans les communes dotées d'un cadastre rénové, afin de simplifier la forme de la publicité et d'assurer une véritable information aux tiers.

Ainsi, compte tenu de ces évolutions législatives successives, coexistaient deux régimes de publicité foncière, le premier organisé par des livres fonciers dans les communes disposant d'un cadastre rénové, le second par des registres hypothécaires réglementés par les lois des 23 mars 1855 et 24 juillet 1889 pour les communes dotées d'un ancien cadastre.

Ce paysage juridique a été profondément modifié par une loi locale du 29 novembre 1899 qui abroge expressément le Code civil français, la loi du 23 mars 1855 et celle du 21 juin 1891. La loi locale du 17 avril 1899 sur l'exécution du code civil local généralise la mise en place du livre foncier en Alsace-Moselle en imposant son établissement dans toutes les communes non dotées d'un livre foncier institué conformément à la loi du 22 juin 1891.

Le livre foncier établi par la loi du 22 juin 1891 est conservé sous l'appellation de livre foncier provisoire. À partir du 1 er janvier 1900, ces deux registres de publicité constituent des livres fonciers de départ devant être remplacés au fur et à mesure de leur achèvement par le livre foncier définitif.

Le livre foncier définitif forme un véritable état civil de la propriété immobilière dans la mesure où les droits réels immobiliers, ainsi que l'ensemble des charges les affectant, y sont publiés, à l'exception cependant des servitudes conventionnelles constituées antérieurement au 1 er janvier 1900.

Lors du recouvrement de la souveraineté française dans ces départements, le Gouvernement français poursuit la politique de généralisation du livre foncier en vertu des dispositions légales allemandes. La loi du 1 er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle conserve le livre foncier en tant qu'instrument de publicité des opérations juridiques portant sur les immeubles situés en Alsace-Moselle, tout en adaptant sa règlementation aux traditions juridiques françaises.

Le livre foncier est tenu par les bureaux fonciers relevant des tribunaux d'instance des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Relevant du ministère de la justice, le service de la publicité foncière est assuré par les juges du livre foncier et les greffiers et agents administratifs qui tiennent le livre foncier sous leur responsabilité.

En tant qu'institution civile, le livre foncier a pour finalité de rendre opposable aux tiers les opérations juridiques immobilières.

Jusqu'en 1990, le livre foncier est uniquement conçu comme une institution civile dont la fonction consiste à prévenir et à régler les conflits de droit par le jeu de l'inopposabilité. Il se différence ainsi du droit général de la publicité foncière qui prévoit, en plus d'une publicité à fin d'opposabilité, une publicité informative dont le défaut est sanctionné autrement que par l'inopposabilité. La loi d'harmonisation n° 90-1248 du 29 décembre 1990 portant diverses mesures d'harmonisation entre le droit applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et le droit applicable dans les autres départements, institue en droit local une publicité informative, ce qui oriente le livre foncier vers l'institution de police tout en lui conservant sa fonction traditionnelle d'institution civile.

B. La création de l'EPELFI

Afin de garantir la pérennité du livre foncier et d'en moderniser la gestion, la loi du 29 avril 1994 37 ( * ) a créé un groupement d'intérêt public pour l'informatisation du livre foncier d'Alsace-Moselle (GILFAM) afin de mener à bien sa numérisation. Ce groupement réunissait l'État (ministère de la justice), les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la région Alsace, l'Institut du droit local alsacien-mosellan et le Conseil interrégional des notaires du ressort des cours d'appel de Colmar et de Metz.

Afin d'assurer et de contrôler l'exploitation du livre foncier informatisé, l'article 2 de la loi du 4 mars 2002 38 ( * ) a créé un établissement public de l'État - l'Établissement public d'exploitation du livre foncier informatisé (EPELFI) - en substitution du GILFAM, qui s'est vu confier l'exercice des missions suivantes :

- assurer ou faire assurer l'exploitation et la maintenance des systèmes et du réseau du livre foncier informatisé ;

- assurer le contrôle de la sécurité des systèmes et du réseau du livre foncier informatisé ;

- gérer les habilitations et contrôler les accès aux données du livre foncier informatisé ;

- délivrer les copies du livre foncier.

Cet établissement public est administré par un conseil d'administration qui comprend, outre son président, pour moitié des représentants de l'État et pour moitié des représentants des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, de la région Alsace, de l'Institut du droit local et du conseil interrégional des notaires 39 ( * ) .

Le financement de l'EPELFI 40 ( * ) est assuré par, d'une part, le produit des redevances perçues pour services rendus (consultation et délivrance de copies à titre de simple renseignement, enregistrement électronique des requêtes) et, d'autre part, les subventions de l'État (notamment du ministère de la justice pour les frais de fonctionnement) ou de toute autre personne publique (principalement une subvention des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin pour les frais d'investissement, intégrant une provision pour le renouvellement du système). Il a été indiqué à votre rapporteur qu'une convention pluriannuelle de financement précise les engagements des différents financeurs jusqu'en 2018. Les ressources dont bénéficient actuellement l'EPELFI semblent suffisantes pour lui permettre d'exercer ses missions actuelles.

Enfin, l'article 102 de la loi du 25 mars 2009 41 ( * ) a apporté de nombreuses modifications aux lois précitées du 1 er juin 1924 et du 4 mars 2002 en facilitant l'emploi de la signature électronique dans le livre foncier et surtout en précisant explicitement la fonction du livre foncier qui est de permettre l'identification des droits fonciers . Ce même article confie conjointement au tribunal d'instance et à l'EPELFI le service du livre foncier : le juge est chargé seul du pouvoir d'inscription au livre foncier tandis que l'EPELFI est chargé de le faire fonctionner. Il élargit par ailleurs les missions de ce dernier à l'enregistrement électronique des requêtes.

C. Les spécificités du cadastre en alsace-lorraine

Le plan cadastral d'Alsace-Moselle présente plusieurs particularités par rapport à celui applicable dans le reste du territoire national.

Issu des opérations de rénovation 42 ( * ) ou de remaniement 43 ( * ) , sa confection se caractérise par :

- des croquis cotés : le plan graphique est réalisé à partir du croquis de levé coté, qui reprend dans ses détails le levé effectué sur le terrain ; ces croquis « d'arpentage » comportent tous les éléments nécessaires au report sur le plan, au calcul semi-graphique, voire numérique, des contenances, au récolement des points levés et au rétablissement des limites et des bornes. Ces croquis constituent un complément indissociable du plan coté, base de la documentation cadastrale et revêtent une importance majeure pour la justification de droits de propriété ;

- un abornement : les limites de propriété sont matérialisées de manière durable par des bornes ou par d'autres repères.

Les éléments recueillis par votre rapporteur ont mis en exergue la nécessité de préservation des croquis de levés et du maintien des modalités de leur constitution . En effet, les croquis cotés ne sont pas dématérialisés. Ils sont aujourd'hui conservés par les services fiscaux, dans le respect du droit local, sous des formats et des présentations divers dans les bureaux du cadastre. Leur support est donc fragile, ils s'altèrent avec le temps et leur état se dégrade fortement malgré les précautions prises pour leur archivage et leur manipulation. Par ailleurs, leur nombre - évalué à un million de pièces - augmentant en permanence, leur stockage représente des volumes et des surfaces croissants. Enfin, leur accessibilité par les professionnels - collectivités et géomètres-experts notamment - suppose des déplacements fréquents dans les centres des finances publiques en charge du cadastre.

IV. L'élargissement des missions de l'EPELFI à la numérisation du cadastre

L' article 4 propose d'élargir les missions de l'EPELFI à la modernisation du cadastre, via sa numérisation.

D'après l'exposé des motifs de la proposition de loi, l'extension des compétences de l'EPELFI à la modernisation du cadastre se situe dans le prolongement de sa mission actuelle sur le livre foncier, puisque « cadastre et livre foncier sont indissociables et complémentaires. Le cadastre d'Alsace-Moselle a été conçu pour être en parfaite concordance avec les exigences particulières du livre foncier . »

Les personnes entendues par votre rapporteur ont relevé la nécessité de mettre en oeuvre, dans un délai rapide, la numérisation du cadastre et, en particulier, des croquis cadastraux qui, en raison de leur libre communicabilité, subissent une détérioration très rapide. En raison de son expérience en matière de numérisation du livre foncier, l'EPELFI dispose des compétences techniques pour assurer cette nouvelle mission. En effet, la numérisation du cadastre, notamment celle des croquis de levés, ne réclame pas de compétences particulières en comparaison de celles nécessaires à la numérisation du livre foncier.

Tout en partageant le souci des acteurs locaux de numériser les croquis cadastraux qui, en raison de leur importance en matière de droits immobiliers, souffrent actuellement d'une détérioration rapide, votre rapporteur constate, à titre personnel, que deux questions ne sont pas abordées par l'article 4 de la proposition de loi.

D'une part, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont estimé que l'EPELFI ne disposerait pas des ressources financières suffisantes, tant en investissement qu'en fonctionnement, pour assumer la numérisation du cadastre. Par ailleurs, le ministère de la justice a indiqué à votre rapporteur qu'aucune expertise n'avait été conduite sur ce projet pour en évaluer les coûts. La question de l'extension des missions de l'EPELFI doit nécessairement s'accompagner, selon votre rapporteur, d'une réflexion sur ses moyens financiers pour mener à bien la numérisation.

D'autre part, si l'EPELFI relève de la tutelle du ministère de la justice, l'extension de ses missions à la modernisation du cadastre conduirait à un partage de la tutelle de l'établissement public avec le ministère des finances, le cadastre étant une compétence de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Cette évolution de la gouvernance, au niveau de l'État, de l'EPELFI ne serait pas sans conséquence sur les ressources dont disposerait cet établissement pour assurer ses missions.

Les auteurs de la proposition de loi ont indiqué que l'extension des compétences de l'EPELFI à la numérisation du cadastre serait financée par une contribution des conseils généraux qui avaient donné leur accord. Ils ont insisté sur l'urgence de confier à l'EPELFI, dans des délais rapides, cette nouvelle compétence eu égard à la fragilité des documents concernés.

Votre commission a adopté l'article 4 sans modification .


* 35 Loi n° 2002-306 du 4 mars 2002 portant réforme de la loi du 1 er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans ses dispositions relatives à la publicité foncière.

* 36 Alinéa 2 : « Le livre foncier peut être tenu sous forme électronique dans les conditions définies par l'article 1316-1 du code civil. »

* 37 Loi n° 94-342 du 29 avril 1994 relative à l'informatisation du livre foncier dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

* 38 Loi n° 2002-306 du 4 mars 2002 portant réforme de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans ses dispositions relatives à la publicité foncière.

* 39 Article 3 de la loi n° 2002-306.

* 40 Article 4 de la loi n° 2002-306.

* 41 Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.

* 42 Loi précitée du 31 mars 1884.

* 43 Loi n° 74-645 du 18 juillet 1974 sur la mise à jour périodique de valeurs locatives servant de base aux impositions directes locales.

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