B. UNE ADAPTATION PROGRESSIVE DE CERTAINES MATIERES DU DROIT LOCAL

1. La reconnaissance française du droit local d'Alsace-Moselle

La signature du Traité de Versailles, le 28 juin 1919, a permis la réintégration, de jure , de ces territoires dans la République française. S'est alors posé le problème de l'application des lois françaises dans ces départements, en particulier celle du code civil de 1804 alors que, sur plusieurs points, ce dernier était moins favorable que le code civil de l'Empire allemand. Les habitants de ces départements ne souhaitaient pas que le retour de leur territoire au sein de la République s'accompagnât d'une régression de certains de leurs droits avec la perte de dispositions plus avantageuses que celles prévues par le droit français.

C'est pourquoi les autorités françaises ont préféré, à une introduction brutale de la législation française, une adaptation progressive de certaines matières du droit local dans les trois départements.

L'article 3 de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l'Alsace et de la Lorraine confirme le principe du maintien des textes antérieurs et prévoit celui de l'introduction expresse du droit général. En d'autres termes, le droit local doit être considéré comme maintenu s'il n'a pas été explicitement abrogé, le droit général ne s'y appliquant qu'après avoir été expressément introduit .

Article 3 de la loi du 17 octobre 1919

relative au régime transitoire de l'Alsace et de la Lorraine

« Les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises à être régis par les dispositions législatives et règlementaires qui y sont en vigueur. »

Deux lois du 1 er juin 1924 , l'une portant sur la législation civile 2 ( * ) , l'autre sur la législation commerciale 3 ( * ) , ont permis l'introduction d'une grande partie de notre législation nationale dans les trois départements tout en maintenant certaines dispositions de droit local. Ces lois ont ainsi permis une reconnaissance législative du droit local.

L'ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a annulé, de manière rétroactive, tous les textes édictés par la puissance occupante tout en considérant que le droit local faisait partie du bloc de la « légalité républicaine ».

Ainsi, en pratique, l'application du droit général est la règle, le maintien du droit local étant l'exception . On estime aujourd'hui que le droit local représente environ un vingtième du droit applicable en Alsace-Moselle.

L'Institut de droit local alsacien-mosellan

Afin de promouvoir la connaissance du droit local et d'apporter une expertise aux problèmes juridiques soulevés par sa combinaison avec le droit général national, a été créé en 1985, sous la forme d'une association inscrite de droit local, l'Institut de droit local alsacien-mosellan . Sa mission a été reconnue d'utilité publique en 1995.

Il s'agit d'un organe technique et scientifique, investi d'une mission de synthèse et d'impulsion, à la disposition des administrations, des élus, des praticiens du droit et des citoyens confrontés à l'application d'une disposition de droit local. Une circulaire du Premier ministre du 30 mai 1996 4 ( * ) invite les différents ministères à consulter l'Institut lors de la codification de dispositions intéressant le droit local.

L'Institut est à la fois un centre de documentation , avec une bibliothèque de 3 000 ouvrages et un fichier documentaire de 85 000 références, et un centre de formation et d'information , à l'origine d'études et de recherches diverses relatives au droit local. Il est également chargé de suivre les réformes législatives et réglementaires relatives au droit local et à la codification des textes.

2. L'application du droit local d'Alsace-Moselle : un principe fondamental reconnu par les lois de la République clairement circonscrit

La loi du 17 octobre 1919, les lois du 1 er juin 1924 et l'ordonnance du 15 septembre 1944 ont consacré la spécificité du droit local dans les trois départements d'Alsace et de la Moselle. Ni le constituant de 1946, ni celui de 1958, n'ont souhaité le remettre en cause. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a reconnu, en 2011, que l'existence d'un droit local dans ces trois départements représentait bien un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) 5 ( * ) .

Ainsi, la différence de traitement résultant du particularisme du droit local avec le droit applicable sur le reste du territoire national ne peut être remise en cause sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

Toutefois, ce principe est circonscrit .

Les lois de 1919 et 1924 revêtaient un caractère transitoire devant conduire à la résorption progressive des particularismes juridiques applicables dans ces départements. Jusque dans les années 1950, ces dispositions transitoires ont été prorogées et ont acquis de ce fait un caractère pérenne. Toutefois, au cours des années 1960 et 1970, des pans entiers du droit local d'Alsace-Moselle ont disparu, souvent en raison de l'adoption de lois générales qui s'inspiraient directement des particularismes juridiques applicables dans ces départements.

Il n'existe aucune garantie constitutionnelle du maintien des dispositions législatives ou règlementaires constituant le droit local. Le pouvoir législatif ou réglementaire peut en effet modifier ou abroger toute disposition de droit local afin de les remplacer par des dispositions de droit commun.

En outre, le caractère transitoire du maintien du droit alsacien-mosellan ne fait pas obstacle à ce que le législateur puisse adapter les règles de droit local. Ainsi, le Conseil constitutionnel a-t-il jugé, dans sa décision précitée du 5 août 2011, qu' il ne peut en résulter ni un accroissement du champ d'application des différences, ni une augmentation de celles-ci .

Par ailleurs, des dispositions particulières à l'Alsace et à la Moselle ne peuvent être prises que pour les matières où il existe encore un droit local, ce qui constitue un effet cliquet : selon le Conseil constitutionnel, des matières n'ayant jamais relevé du droit local ne peuvent le devenir .

Enfin, si tout grief selon lequel le droit local conduit à des différences de traitement dans les trois départements est écarté par le Conseil constitutionnel, l'existence d'un droit local ne fait pas obstacle au respect des autres exigences constitutionnelles qui doivent être conciliées avec ce principe.


* 2 Loi du 1 er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

* 3 Loi du 1 er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

* 4 Circulaire du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et réglementaires, NOR : PRMX9601534C.

* 5 Décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA.

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