PREMIÈRE PARTIE : DES MÉCANISMES DE COOPÉRATION POUR LUTTER CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE

I. UNE ENTRAIDE NÉCESSAIRE EN MATIÈRE DE RÉADMISSION DES PERSONNES EN SÉJOUR IRRÉGULIER

A. UNE PRESSION MIGRATOIRE ANCIENNE

La France constitue un pays de destination, non seulement pour les migrants kosovars 5 ( * ) et serbes 6 ( * ) , mais également pour les ressortissants de pays tiers.

1. Le Kosovo et la Serbie, des pays de transit

Il apparaît qu'en dépit d'une certaine stabilisation de la situation depuis quelques années, une partie de la population kosovare continue à fuir, vers la France, un contexte politico-social difficile .

En effet, la proclamation de l'indépendance du Kosovo a conduit à réanimer les anciennes tensions envers les minorités, notamment rom et ashkalie. C'est pourquoi l'Union européenne est particulièrement attentive aux efforts menés par le Kosovo dans le cadre de l'intégration de ses minorités 7 ( * ) .

Par ailleurs, en 2011 et 2012, la nationalité kosovare a constitué la cinquième et quatrième nationalité en termes de demandes d'asile avec respectivement 4.5 % et 5.1 % des demandes. Depuis le 2 janvier 2014, le Kosovo figure sur la liste des pays d'origine sûre, établie par l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), après en avoir été retiré en 2012. L'examen de ces demandes d'asile depuis 2012 a permis un examen individualisé des demandes des ressortissants kosovars.

En réponse à vos rapporteurs sur l'origine des demandeurs d'asile kosovars, il a été précisé que « 80 % sont d'origine albanaise, les autres appartenant à des minorités, essentiellement de Roms 8 ( * ) puis, dans une moindre mesure, de Goranis.

Les Kosovars d'origine albanaise invoquent la crainte de persécutions de la part d'extrémistes qui les accusent de collaboration avec les Serbes à l'époque de la guerre de 1999. Un certain nombre de demandes se réfèrent aussi à des motifs familiaux, tels que les violences conjugales et les mariages forcés ou de droit coutumier, comme la vendetta . » 9 ( * ) .

Par ailleurs, situé au carrefour des routes migratoires Est-Ouest et Sud-Nord, le Kosovo représente également une destination de transit pour les migrants, qu'ils soient originaires du Proche et du Moyen Orient, de l'Asie centrale (Afghans, Pakistanais, Iraniens, Irakiens, Syriens, Turcs, Palestiniens...), du continent asiatique (Bangladais) mais aussi d'Afrique subsaharienne et occidentale (Nigérians, Congolais ou Ivoiriens).

Quant à la Serbie, elle constitue principalement un pays de transit pour les migrants clandestins originaires d'Asie centrale (Pakistan, Afghanistan) qui circulent par ce pays. Il a été constaté aussi des mouvements migratoires en provenance de Libye, de Somalie et de Palestine, notamment via la Grèce. En effet, ces personnes pénètrent sur le continent européen en passant la frontière gréco-turque afin de rejoindre les pays de l'Union européenne dont la France.

2. Une politique de libéralisation des visas « à géométrie variable »

On ne saurait examiner les accords de réadmission dans le cadre de la lutte contre l'immigration irrégulière, sans la mettre en perspective avec la politique de libéralisation des visas . Ce point est généralement évoqué lors de la négociation de ces accords.

Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) institue une politique commune des visas 10 ( * ) . A ce titre, des décisions portant sur la libéralisation du régime des visas de court séjour peuvent être prises par l'Union à l'égard de pays tiers. La libéralisation consiste en la levée de l'obligation de visa de court séjour en faveur des ressortissants des pays tiers concernés. Ces ressortissants peuvent entrer dans l'espace Schengen, y séjourner jusqu'à quatre-vingt-dix jours sur toute période de cent quatre-vingt jours, et en sortir librement sans visa.

C'est ainsi le cas des ressortissants serbes , détenteurs d'un passeport biométrique. Ceux-ci sont exemptés de visa lors de leur entrée dans l'espace Schengen , depuis le 19 décembre 2009.

En réponse à vos rapporteurs sur les conséquences de cette politique de libéralisation des visas , en termes migratoires, il a été fait observer qu'elle « a été suivie d'un afflux massif de ressortissants serbes , appartenant souvent à des populations non sédentaires, à destination, notamment, de l'Europe du Nord. Pour ceux-ci, le séjour irrégulier consiste essentiellement en un maintien sur le territoire de l'Union Européenne au-delà de la période autorisée . »

En revanche, les kosovars sont , à ce jour, soumis à obligation de visa, afin d'entrer dans l'espace Schengen. Le processus de libéralisation en cours d'élaboration 11 ( * ) a atteint le stade des premières évaluations sur le bien-fondé d'une telle politique.

Ces observations portent sur la nécessité pour le Kosovo de poursuivre ses efforts afin d'aligner sa législation sur l'acquis communautaire 12 ( * ) . L'évaluation des impacts possibles en matière de migration et de sécurité d'une future libéralisation est contrastée. Des progrès ont été réalisés en matière de gestion intégrée des frontières 13 ( * ) . La capacité actuelle du Kosovo à lutter contre la criminalité organisée et la corruption s'avère, toutefois, limitée, ce qui pourrait avoir de graves répercussions sur la sécurité intérieure de l'Union Européenne.

3. Des indicateurs en retrait sur l'immigration irrégulière kosovare et serbe

La lutte contre l'immigration irrégulière est menée par la DCPAF 14 ( * ) et l'OCRIEST 15 ( * ) . Le nombre des filières ne cesse d'augmenter. En 2013, 203 filières oeuvrant dans le domaine de la migration irrégulière ont été démantelées au niveau européen, contre 178 en 2012. Les filières ont désormais intégré le concept d'espace Schengen comme « zone globale » et non plus comme une juxtaposition d'Etats membres.

Les migrants en situation irrégulière transitent le plus souvent par les pays européens, grâce à la falsification de documents . Ce constat est notamment illustré par le dépôt de nombreux permis de conduire bulgares, dans les préfectures, par des ressortissants serbes pour échange contre des permis de conduire français.

Figure n° 1 : Rappel de la politique menée en matière d'immigration illégale en France

Le fondement juridique du droit des étrangers est le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) .

La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, renforce les conditions d'entrée et d'accueil des étrangers (la durée maximale de la rétention administrative est allongée, les sanctions contre les passeurs sont durcies, un fichier d'empreintes digitales est mis en place pour les demandeurs de visa...).

La loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration vise la promotion d'une immigration choisie , et dans cette perspective, tend à lutter contre les abus et les détournements de procédures (regroupement familial plus difficile, contrôle plus strict des mariages mixtes, délivrance des titres de séjour plus encadrée...).

Enfin, la directive dite « retour » a été transposée en France par la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

Conformément à ces dispositifs , l'administration peut prendre une décision contre un étranger qui se trouve en situation irrégulière sur le territoire français : il peut s'agir d'une obligation de quitter le territoire français ou d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière . Le ressortissant a toujours le choix de partir volontairement et pourra alors bénéficier d'une aide au retour 16 ( * ) , accordée par l'OFII.

Dans le cas contraire, s'il ne se conforme pas à cette décision, il peut faire l'objet d'un retour forcé et, s'il y a un risque de fuite et qu'aucune mesure moins coercitive n'est envisageable, il pourra être placé en rétention administrative , pour une durée de cinq jours qui peut être prolongée par le juge des libertés et de la détention.

Source : Ministère des affaires étrangères

Pour autant, s'agissant du Kosovo et de la Serbie , les données de 2012, communiquées à vos rapporteurs, révèlent que les indicateurs de la lutte contre l'immigration irrégulière sont en retrait.

En effet, à la frontière comme sur le territoire national, la pression migratoire kosovare a décru cette année-là. D'une part, le nombre de mesures de non admission visant des ressortissants kosovars a diminué de 15,4 %, d'autre part, le nombre des interpellations de Kosovars en situation irrégulière régresse de 3 %. En outre, les réadmissions accélérées enregistrent une baisse plus nette de près de 22 %.

Ces données doivent être examinées avec toute la réserve nécessaire quant à la tendance qu'elles peuvent dessiner. Rappelons que le nombre d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées a considérablement augmenté depuis 2008 17 ( * ) alors que le nombre de celles effectivement exécutées n'ont que peu crû sur cette même période : 294  obligations de quitter le territoire ont été exécutées sur les 2 154 prononcées, en 2013. Rappelons qu'en 2008, 128 obligations de quitter le territoire avaient été prononcées. 128 d'entre elles avaient été effectivement exécutées.

S'agissant de l'immigration serbe , le nombre d'interpellations de ressortissants en situation irrégulière a diminué depuis 2008 18 ( * ) de manière significative, malgré une légère augmentation en 2011.

L'année 2012 a de nouveau enregistré une baisse de ces interpellations par rapport à 2011 de 13,6 %. Le nombre de mesures d'éloignement prononcées a également diminué. Les demandes de réadmission accélérée se sont contractées de 18,4 % en 2012. Néanmoins, la pression migratoire à la frontière tend à s'accroître modérément . Le nombre de mesures de non admission visant des ressortissants serbes a progressé de 16,4 %.


* 5 En 2012, la communauté légale kosovare était estimée à presque 11 000 personnes, en majorité recensées en Rhône-Alpes, Alsace et Bourgogne.

* 6 La communauté légale serbe, forte de quelque 35 000 individus, est plus particulièrement implantée dans les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes et Alsace.

* 7 Le Parlement européen dans sa résolution le 28 avril 2013 sur le processus d'intégration européenne du Kosovo a souligné le lancement de la révision à mi-parcours de la stratégie et du plan d'action d'intégration des communautés rom, ashkalie et égyptienne. ( Cf. 2012/2867(RSP))

* 8 Vos rapporteurs soulignent qu'il n'existe pas, dans la législation française, de référence à la « communauté Rom », ni de statistiques effectuées selon les origines. Il n'est donc pas possible d'identifier l'immigration issue de cette communauté. Toutefois, selon le ministère de l'intérieur, « les Roms sont pour l'essentiel d'origine bulgare ou roumaine mais également kosovare, serbe, slovaque. Les Roms d'origine bulgare, roumaine ou slovaque sont des ressortissants de l'UE . ». Le 5 avril 2011, l'Union européenne a adopté un cadre incitant les Etats membres à mettre en oeuvre des mesures pour mieux intégrer cette minorité. « Cadre de l'UE pour les stratégies nationales d'intégration des Roms pour la période allant jusqu'à 2020 » ( Cf. COM (2011) 0173 final). Un rapport de la Commission du 4 avril 2014 a permis d'évaluer les progrès des Etats membres dans ce domaine : même si des problèmes subsistent, ces progrès sont visibles (le nombre d'enfants roms suivant un enseignement préscolaire a augmenté, les programmes d'accompagnement visant à aider les Roms à trouver du travail sont de plus en plus nombreux, ainsi que les programmes de médiation pour combler l'écart qui sépare les Roms et les non-Roms en matière de logement et d'accès aux soins de santé).

* 9 In. Réponses aux questionnaires.

* 10 Cf. article 77, paragraphe 2, point a du traité

* 11 Après avoir engagé un dialogue sur la libéralisation du régime des visas, le 19 janvier 2012, une feuille de route a été remise aux autorités kosovares le 14 juin 2012. Un premier rapport sur les progrès réalisés par le Kosovo quant à l'application de sa feuille de route a été publié le 8 février 2013 par la Commission européenne. Il contient soixante-dix recommandations.

* 12 Cf. rapport précité.

* 13 Cf . constat de la mission de mars 2014.

* 14 Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

* 15 Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST).

* 16 A la suite de la forte réduction des aides au retour accordées depuis le 1 er février 2013, le nombre de demandeurs roumains et bulgares, qui représentaient près de 80 % des demandeurs, a chuté. En effet, depuis cette date, l'aide au retour pour les ressortissants d'un Etat membre de l'UE est passée de 300 euros à 50 euros par adulte et de 100 euros à 30 euros par enfant, et elle ne peut être accordée qu'une fois.

* 17 132 OQTF prononcées en 2008 et 2154 en 2013.

* 18 L'accord de réadmission entre la Communauté européenne et la Serbie est entré en vigueur le 1 er janvier 2008. On a enregistré 1116 interpellations en 2008 contre 534 en 2012.

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