B. UNE CESSION DE BANDE DE FRÉQUENCES EN 2015 TRÈS IMPROBABLE

L'équilibre financier de la loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 reposait sur l'hypothèse selon laquelle la vente de fréquences hertzienne permettrait de compléter les crédits budgétaire de la mission « Défense », via compte d'affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien, des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l'État », dit CAS « Fréquences », à hauteur de 1,45 milliard d'euros entre 2009 et 2011, soit :

- 450 millions d'euros pour la vente de la bande des 2,6 GHz (réseau « Rubis ») jusqu'alors affectée aux communications de la gendarmerie ;

- 600 millions d'euros pour la vente de la bande des 800 MHz du système de communication « Félin » de l'armée de terre ;

- 400 millions d'euros pour la vente de l'usufruit des satellites Syracuse (projet « Nectar »).

La mission « Défense » a bénéficié du produit de ces ventes avec retard : en 2011 pour les bandes « Rubis » et au début de l'année 2012 pour les bandes « Félin ».

Le montant des recettes s'est en revanche établi à un niveau bien supérieur aux prévisions, soit 936 millions d'euros pour les fréquences « Rubis » et 1,32 milliard d'euros pour les bandes « Félin » 7 ( * ) , ce qui a permis de plus que compenser l'abandon du projet « Nectar ».

Au total, les recettes du compte d'affectation spéciale « Fréquences » attribuées à la défense avant 2014 se sont donc élevées à 2,256 milliards d'euros.

La loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 adosse également une part importante des ressources du ministère de la défense à des recettes exceptionnelles, en particulier, s'agissant de l'exercice 2015, le produit de la cession de la bande des fréquences comprises entre 694 MHz et 790 MHz (dite « bande des 700 MHz ») libérée par les évolutions de format de la télévision terrestre numérique (TNT), dont le montant a été estimé à 1,57 milliard d'euros.

Le projet de loi de finances pour 2015 8 ( * ) relève cette prévision de 600 millions d'euros, portant les crédits inscrits sur le compte d'affectation spéciale « Fréquences » à 2,17 milliards d'euros, quand, dans le même temps les crédits de la mission « Défense » sont réduits de 600 millions d'euros par rapport à la loi de programmation militaire.

Ressources et consommation
en crédits de paiement du CAS « Fréquences »

(en millions d'euros)

2011

2012

2013

2014

2015

LPM 2009-2014 et LPM 2014-2019

250

0

0

11

1 567

LFI et PLF 2015

850

900

1067

11

2 167

Exécution

Encaissement (exécution et prévision )

936

1320

0

11

2 167

Consommation (exécution et prévision )

89

1100

1066

11

2 167

Solde cumulé

847

1067

1

1

101

Source : ministère de la défense

Le montant des recettes de la mise aux enchères de la bande des 700 MHz, qualifié de « fréquences en or » 9 ( * ) , ne semble pas irréaliste, même si les opérateurs télécoms font face à un fort accroissement de la concurrence et une réduction de leurs marges.

Comme l'a montré la période précédente, il est en revanche difficile d'avoir des certitudes quant au calendrier. Or ce produit paraît être indispensable au bouclage du budget 2015. À défaut de cession de fréquence en 2015, les seules recettes du CAS proviendraient des redevances d'utilisation versées par les opérateurs titulaires d'une autorisation d'utilisation de fréquence, pour un montant attendu en 2015 s'élevant à 23 millions d'euros.

Les redevances d'utilisation de fréquences radioélectriques

Aux termes du décret n° 2007-1531 du 24 octobre 2007, les titulaires d'autorisations d'utilisation de fréquences radioélectriques 10 ( * ) sont assujettis à une redevance annuelle destinée à couvrir les coûts exposés par l'État pour la gestion du spectre hertzien et des autorisations d'utilisation de fréquences. Le décret n° 2007-1532 du 24 octobre 2007 prévoit que cette redevance se compose d'une part fixe, qui dépend notamment de la bande de fréquence utilisée, et d'une part variable versée annuellement, égale à 1 % du montant total du chiffre d'affaires constaté au 31 décembre de l'année au titre de laquelle les fréquences sont utilisées.

Il faut malheureusement bien constater que de sérieux doutes , soulevés dès l'examen de la loi de programmation militaire 2014-2019, pèsent sur le calendrier de cession de la bande des 700 MHz :

- les opérateurs télécoms sont réticents à l'idée de payer dès 2015 des fréquences qui ne seront sans doute mises à leur disposition que plusieurs années plus tard ;

- la recomposition en cours du secteur des télécoms est peu favorable à une procédure de cession accélérée ;

- la réaffectation de la bande des 700 MHz s'inscrit dans le cadre de discussions internationales et européennes, dont on ne devrait avoir le résultat qu'à la fin de l'année 2015 ;

- au plan national, le principe même de la cession a été contesté par les chaînes de télévision, qui y voient une limite forte au développement de la télévision numérique terrestre, notamment pour le passage à la haute définition.

Si le Premier ministre a bien lancé le processus d'attribution en septembre dernier, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ne devrait lancer l'appel d'offre qu'au milieu de l'année prochaine, compte tenu des délais de consultation et de rédaction du cahier des charges, et l'attribution des fréquences ne sera pas possible, selon toute vraisemblance, avant la fin de cette même année .

Ces doutes semblent partagés par le Président de la République et par le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui a ainsi expliqué devant l'Assemblée nationale, lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2015, que compte tenu de la « complexité » de la procédure de cession de fréquences et « pour se prémunir contre tout glissement de calendrier, le Président de la République a demandé au Gouvernement de mettre en oeuvre en parallèle, dès 2015, des solutions innovantes d'acquisition de matériels militaires utilisant les cessions de participations de l'État dans des entreprises publiques et garantissant que les ressources attendues seront disponibles à temps. C'est le cas notamment de la société de projet [...]. Avec mon collègue Emmanuel Macron, nous mettons en oeuvre la volonté du Président de la République de respecter ainsi la trajectoire financière de la LPM. ».

On peut à ce sujet regretter que le Gouvernement ait souhaité faire reposer l'équilibre de la loi de programmation militaire 2014-2019 sur la mécanique des recettes exceptionnelles. Son caractère aléatoire conduit en effet à d'incessants débats et à une forte mobilisation du ministère de la défense, au moment où celui-ci subit de difficiles restructurations, et amène à imaginer des solutions complexes, plus artificielles que réellement « innovantes » ( cf. infra ), aux seules fins de bouclage d'une équation financière irréaliste.

Il faut enfin relever que même si elles étaient au rendez-vous les recettes tirées de la cession de la bande des 700 MHz ne répondrait qu'imparfaitement aux besoins du ministère de la défense. L'article 21 de la LOLF exige en effet qu'il y ait, par nature, une relation directe entre les recettes particulières enregistrées sur un CAS et les dépenses qu'elles financent.

Ces recettes exceptionnelles sont « fléchées » et ne peuvent servir à financer n'importe quel type de dépense du ministère de la défense. Le CAS « Fréquences » n'admet ainsi en dépenses que :

- les dépenses d'investissement et de fonctionnement liées aux services de télécommunications utilisant le spectre hertzien ou visant à en améliorer l'utilisation, y compris le transfert de services vers des supports non hertziens ;

- les dépenses d'investissement et de fonctionnement liées à l'interception ou au traitement des émissions électromagnétiques, à des fins de surveillance ou de renseignement.

Or le ministère de la défense a bien d'autres besoins à financer que ceux-là.


* 7 Le produit de la cession de la bande des 800 MHz s'est élevé au total à 2,6 milliards d'euros. Le ministère de la défense n'en a perçu que la moitié, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) étant attributaire de 50 % des fréquences.

* 8 On rappellera que l'article 22 du projet de loi de finances pour 2015 vise, d'une part, à affecter au compte d'affectation spéciale « Fréquences » le produit des redevances acquittées par les opérateurs privés pour l'utilisation des bandes de fréquences comprises entre 694 MHz et 790 MHz et, d'autre part, à proroger le régime de retour intégral du produit des redevances acquittées par les opérateurs privés pour l'utilisation des bandes de fréquences libérées par le ministère de la défense jusqu'au 31 décembre 2019.

* 9 En effet, ces fréquences basses ont des caractéristiques physiques de propagation plus robustes que celles des fréquences plus hautes, ce qui offre de nombreux avantages, notamment une bonne pénétration dans les édifices et une grande couverture. Les réseaux nécessitent ainsi un nombre plus faible d'émetteurs, d'où l'intérêt marqué des opérateurs télécoms.

* 10 Délivrées par arrêté du ministre chargé des communications électroniques pris avant le 1 er janvier 1997 ou accordées par décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page