N° 487

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne de Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Gaëtan GORCE, présentée en application de l'article 73 quinquiès du Règlement, pour une stratégie européenne du numérique globale , offensive et ambitieuse ,

Par M. André GATTOLIN,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mmes Nicole Duranton, Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard .

Voir le numéro :

Sénat :

423 (2014-2015)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du règlement du Sénat, votre commission des affaires européennes est chargée d'examiner la proposition de résolution européenne n° 423 (2014-2015) présentée le 4 mai 2015 par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Gaëtan Gorce pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse.

Cette proposition s'inscrit dans la continuité des travaux menés au Sénat sur le numérique ces dernières années. Parmi ceux-ci, on peut notamment citer le rapport de la commission des affaires européennes sur l'Union européenne, colonie du monde numérique ? 1 ( * ) et le rapport de la mission d'information consacrée au nouveau rôle et à la nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet 2 ( * ) , présidée par Gaëtan Gorce, dont le rapporteur était Catherine Morin-Desailly et à laquelle votre rapporteur a pris part.

Cette proposition de résolution nous est transmise à un moment doublement important. Tout d'abord, tandis que son Président, Jean-Claude Juncker, avait fait de la stratégie numérique une des priorités de son mandat, la Commission européenne a publié le 6 mai 2015 une communication 3 ( * ) présentant ses propres propositions pour la stratégie numérique de l'Union européenne. Et c'est à l'aune de celles-ci que nous devons analyser le texte qui nous est soumis.

En outre, on assiste à une prise de conscience générale en France et en Europe du retard de notre continent dans l'innovation et la régulation numériques, mais également de notre faiblesse jusque-là vis-à-vis des grands acteurs privés de l'Internet. Face à des comportements contestables comme l'optimisation fiscale ou l'abus de position dominante, les pouvoirs publics paraissent moins enclins à la tolérance que par le passé.

Signe de ces changements, la Commission européenne semble déterminée à voir les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) respecter le droit Européen. L'activité de la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, a permis que l'enquête pour abus de position dominante ouverte contre Google en 2010 avance enfin, alors que des négociations bloquaient le processus. Apple est suspecté d'accords fiscaux avantageux avec l'Irlande et de pratiques anti-concurrentielles à l'égard de certaines maisons de disques. L'Union européenne n'est pas seule à agir, la France l'Italie et l'Espagne ont annoncé au début du mois d'avril l'ouverture d'enquêtes sur la police de confidentialité de Facebook. À cela, il convient d'ajouter la décision d'Amazon de modifier son optimisation fiscale et de payer des taxes sur les sociétés dans les pays où il dispose d'une filiale, décision qui a marqué les esprits et qui confirme qu'un changement d'approche est en cours en Europe.

Dans ce contexte, la Commission européenne a le mérite de proposer une approche globale et ambitieuse. Mais cette approche ne marque que le début du processus de réforme nécessaire à l'élaboration d'une politique industrielle pour le numérique en Europe et la proposition de résolution qui nous est soumise est l'occasion de rappeler les priorités du Sénat en ce domaine.

I. SOUTENIR LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR UNE STRATÉGIE DU MARCHÉ UNIQUE DU NUMÉRIQUE EN EUROPE

A. LES ORIENTATIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LA STRATÉGIE NUMÉRIQUE DE L'UNION : LA COMMUNICATION DU 6 MAI 2015

« Nous jetons aujourd'hui les bases de l'avenir numérique de l'Europe » a déclaré le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lors de la présentation de la stratégie de la Commission pour un marché unique numérique en Europe.

Cette stratégie comprend 16 initiatives réunies en trois piliers :

- améliorer l'accès aux biens et services numériques dans toute l'Europe pour les consommateurs et les entreprises ;

- créer un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques innovants ;

- maximiser le potentiel de croissance de l'économie numérique.

Le premier pilier vise tout particulièrement à renforcer le marché unique européen. Cela comprend des initiatives comme faciliter le commerce électronique transfrontière, l'abaissement des frais de livraison des colis ainsi qu'à trouver une solution concernant le blocage géographique. Il envisage également de s'attaquer aux pratiques anticoncurrentielles. Il est également proposé de moderniser le droit d'auteur, la fiscalité et notamment la TVA, ainsi que la directive « satellite et câbles » pour améliorer la radiodiffusion.

La Commission européenne apparaît ici pleinement dans son rôle. Néanmoins, on peut légitimement se demander si certaines mesures ne sont pas l'illustration d'une certaine orientation idéologique plus qu'empreinte de réel. Comment imaginer, en effet, que la livraison d'un colis à Rambouillet coûtera le même prix selon qu'il est commandé en Lettonie ou dans la Manche ?

Le second pilier présente deux faces. La première consiste à un renforcement du bouclier législatif pour la protection des utilisateurs de l'Internet, que ce soit en ce qui concerne la sécurisation des données ou la cybersécurité, ainsi que dans l'analyse du rôle des plateformes en ligne dans le marché. Le second volet prévoit de moderniser deux législations importantes : la réglementation des télécommunications et l'encadrement des médias audiovisuels.

Moderniser deux législations antérieures à l'internet mobile est une nécessité. Sécurisation des données et cybersécurité sont indispensables pour assurer la confiance des citoyens et des entreprises dans le monde numérique. Enfin, la volonté de la Commission européenne de s'attaquer à la place des plateformes dans l'écosystème numérique marque une étape nouvelle dans la régulation de l'Internet qui mérite d'être encouragée.

Le troisième pilier, enfin, est le signe que le projet de la Commission européenne ne s'arrête pas à renforcer la législation existante et le marché intérieur, mais qu'elle a pris la mesure de l'importance de développer une industrie numérique européenne en ciblant notamment l'informatique en nuages et la libre circulation des données. En outre, la volonté de développer les compétences des citoyens dans le domaine numérique peut être analysée comme le signe d'une prise de conscience que l'ensemble de la société est affecté par la révolution numérique.

Enfin, lors de sa venue au Sénat et de sa rencontre avec Catherine Morin-Desailly et Jean Bizet, Robert Madelin, directeur général en charge de la DG Connect à la Commission européenne a insisté sur la volonté de la Commission d'agir rapidement. Il prévoit notamment que les 16 initiatives auront été prises avant la fin de 2016. Cet objectif est louable tant le retard de l'Europe et important et la rapidité avec laquelle le numérique transforme nos vies est grande.

Ainsi, la proposition de la Commission européenne donne une consistance à la priorité accordée au numérique. Toutefois, il convient de noter qu'elle marque simplement le début d'un processus et qu'il n'y a pour l'instant aucune avancée concrète. De plus, elle ne tranche pas entre les différentes approches du sujet en Europe: l'une libérale et l'autre plus volontariste.

Les 16 initiatives prévues par la Commission

Premier pilier: améliorer l'accès aux biens et services numériques dans toute l'Europe pour les consommateurs et les entreprises

1. établir des règles visant à faciliter le commerce électronique transfrontière. Il s'agit notamment de règles harmonisées de l'UE concernant les contrats et la protection des consommateurs lorsque l'on achète en ligne, qu'il s'agisse de biens physiques comme des chaussures ou du mobilier, ou de contenus numériques tels que des livres électroniques ou des applications. Les consommateurs devraient bénéficier d'un éventail plus large de droits et d'offres, tandis que les entreprises pourront vendre plus facilement dans d'autres pays de l'UE. La confiance en sera renforcée pour acheter et vendre à l'étranger (voir les faits & chiffres dans la fiche d'information) ;

2. assurer le respect des règles de protection des consommateurs de manière accélérée et homogène, en réexaminant le règlement relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs ;

3. veiller à des services de livraison des colis plus efficaces et moins onéreux. À l'heure actuelle, 62 % des sociétés essayant de vendre en ligne indiquent que le niveau trop élevé des frais de livraison des colis constitue un obstacle (voir la nouvelle édition de l'Eurobaromètre sur le commerce électronique) ;

4. en finir avec le blocage géographique -- une pratique discriminatoire injustifiée utilisée pour des raisons commerciales, qui permet à des vendeurs en ligne d'empêcher les consommateurs d'accéder à un site internet sur la base de leur localisation, ou de les rediriger vers un site de vente en ligne de leur pays qui affiche des prix différents. En raison de ce blocage, il peut arriver, par exemple, qu'une location de voiture depuis un État membre donné soit plus chère qu'une location effectuée depuis un autre État membre pour un véhicule identique au même endroit ;

5. identifier les problèmes de concurrence potentiels affectant les marchés du commerce électronique ;

6. donner un caractère moderne et plus européen à la législation sur le droit d'auteur: des propositions législatives suivront avant la fin de 2015 en vue de réduire les disparités entre les régimes de droits d'auteur et d'élargir l'accès en ligne aux oeuvres dans l'ensemble de l'UE, notamment par des mesures d'harmonisation supplémentaires. L'objectif est de faciliter l'accès au contenu culturel en ligne, favorisant ainsi la diversité culturelle, tout en offrant de nouvelles perspectives aux créateurs et à l'industrie du contenu. La Commission s'efforce en particulier de garantir que les utilisateurs qui achètent des films, de la musique ou des articles chez eux puissent également en profiter lorsqu'ils voyagent à travers l'Europe. La Commission examinera également le rôle des intermédiaires en ligne en ce qui concerne les oeuvres protégées par le droit d'auteur. Elle renforcera l'application des mesures prises contre les infractions aux droits de propriété intellectuelle commises à une échelle commerciale ;

7. examiner la directive «satellite & câble» afin de déterminer si son champ d'application doit être étendu aux transmissions en ligne des organismes de radiodiffusion et d'étudier les moyens d'améliorer l'accès transfrontière aux services de radiodiffusion en Europe ;

8. réduire la charge administrative imposée aux entreprises par les différents régimes de TVA, afin que les vendeurs de biens physiques dans d'autres pays bénéficient également du système électronique d'enregistrement et de paiement unique; avec un seuil de TVA commun pour aider les jeunes entreprises de plus petite taille qui vendent en ligne.

Deuxième pilier: créer un environnement propice au développement des réseaux et services numériques innovants et des conditions de concurrence équitables

9. présenter une révision ambitieuse de la réglementation européenne en matière de télécommunications. Il s'agit notamment d'assurer une coordination plus efficace du spectre radioélectrique et de prévoir des critères communs à l'échelle de l'UE pour l'assignation des fréquences à l'échelon national; de créer des incitations à l'investissement dans le haut débit ultra-rapide; d'assurer des conditions de concurrence équitables pour tous les acteurs du marché, les anciens comme les nouveaux; et d'instaurer un cadre institutionnel efficace ;

10. réexaminer le cadre des médias audiovisuels pour l'adapter au 21 e siècle, en mettant l'accent sur le rôle des différents acteurs du marché dans la promotion des oeuvres européennes (chaînes de télévision, fournisseurs de services audiovisuels à la demande, etc.). La Commission réfléchira aussi aux moyens d'adapter les règles existantes (la directive «Services de médias audiovisuels») aux nouveaux modèles économiques pour la distribution de contenu ;

11. effectuer une analyse détaillée du rôle des plateformes en ligne (moteurs de recherche, réseaux sociaux, boutiques d'applications, etc.) dans le marché. Cet examen portera sur des questions telles que l'absence de transparence des résultats de recherche et des politiques tarifaires, la manière dont ces plateformes utilisent les informations qu'elles obtiennent, les relations entre plateformes et fournisseurs et la promotion leurs propres services au détriment des concurrents - pour autant que ces questions ne soient pas déjà couvertes par le droit de la concurrence. Il examinera également la manière de lutter au mieux contre les contenus illicites sur l'internet ;

12. renforcer la confiance et la sécurité dans les services numériques, notamment en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel. En s'appuyant sur les nouvelles règles de l'UE en matière de protection des données, dont l'adoption est prévue d'ici fin 2015, la Commission procédera à la révision de la directive « Vie privée et communications électroniques » ;

13. proposer un partenariat avec l'industrie sur la cybersécurité dans le domaine des technologies et des solutions pour la sécurité des réseaux en ligne.

Troisième pilier: maximiser le potentiel de croissance de l'économie numérique

14. proposer une initiative européenne en faveur de la libre circulation des données dans l'Union européenne. Il arrive parfois que de nouveaux services soient entravés par des restrictions liées à l'endroit où sont situées les données ou liées à l'accès aux données, restrictions qui sont souvent sans rapport avec la protection des données à caractère personnel. Cette nouvelle initiative abordera le problème de ces restrictions et encouragera ainsi l'innovation. La Commission lancera également une initiative européenne en faveur de l'informatique en nuage portant sur la certification des services en nuage, sur le changement de fournisseur de services d'informatique en nuage et sur un « nuage pour la recherche » ;

15. définir les priorités en matière de normes et d'interopérabilité dans des domaines cruciaux pour le marché unique numérique, tels que la santé en ligne, la planification des transports ou l'énergie (compteurs intelligents) ;

16. favoriser une société numérique inclusive dans laquelle les citoyens possèdent les compétences nécessaires pour profiter des possibilités qu'offre l'internet et augmenter leurs chances de trouver un emploi. Grâce également à un nouveau plan d'action pour l'administration en ligne, les registres du commerce dans toute l'Europe seront connectés, les différents systèmes nationaux pourront travailler les uns avec les autres, et les entreprises et les particuliers auront la possibilité de communiquer leurs données une fois pour toutes aux administrations publiques, qui pourront ainsi réutiliser les informations qu'elles possèdent déjà et ne devront plus les redemander à de multiples reprises. Cette initiative «une fois pour toutes» permettra de réduire les formalités administratives et pourrait permettre d'économiser environ 5 milliards d'euros par an d'ici à 2017. La passation électronique des marchés publics et l'interopérabilité des signatures électroniques connaîtront un déploiement plus rapide.

Source : Commission européenne


* 1 Rapport du Sénat n° 443 (2012-2013), L'Union européenne, colonie du monde numérique ? par Mme Catherine Morin-Desailly.

* 2 Rapport du Sénat n° 696 (2013-2014), L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne , par M. Gaëtan Gorce, président, et Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur de la mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne de la gouvernance mondiale de l'Internet.

* 3 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions du 6 mai 2015, « Stratégie pour un marché unique du numérique en Europe » , COM(2015) 192 final.

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