EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 17 juin 2015 sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Gilbert Roger et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 356 (2014-2015) autorisant la ratification de la convention internationale de Nairobi sur l'enlèvement des épaves.

M. Gilbert Roger, rapporteur . - Les épaves occasionnées par des accidents de mer, dont on peut raisonnablement penser, en l'absence de statistiques, qu'elles sont fort nombreuses dans toutes les mers du globe, constituent des dangers pour la navigation et l'environnement. A titre indicatif, le rapport de l'Agence européenne pour la sécurité maritime de 2014 annonce 91 bateaux coulés entre 2011 et 2013, dont 80 définitivement perdus. Il s'agit de bateaux battant pavillon d'un Etat de l'Union ou accidentés dans les eaux internes ou territoriales des Etats membres. 57 % sont des bateaux de pêche.

Dans les eaux territoriales, c'est-à-dire dans la limite des 12 milles marins (environ 22 km), chaque Etat côtier est pleinement souverain pour intervenir sur les épaves. Au-delà, en revanche, aucune règle de droit international ne traite de la question de l'enlèvement des épaves dangereuses, à l'exception du cas où celles-ci peuvent causer une pollution. Tirant les leçons de la catastrophe du Torrey Canyon , en mars 1967, la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 autorise, en effet, les Etats côtiers à intervenir en haute mer en cas d'accident pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures. Le protocole adopté en novembre 1973 étend cette possibilité aux cas de pollution par des produits autres que les hydrocarbures. Animés par des considérations environnementales, certains Etats comme la France, les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont également adopté, dès le début des années 70, des règles de droit interne pour intervenir sur des épaves situées en dehors de leurs eaux territoriales. Enfin, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite également convention de Montego Bay, du 10 décembre 1982, qui a défini la zone économique exclusive des 200 milles marins (environ 370 km), reprend des stipulations analogues en permettant aux Etats côtiers de prendre, au-delà de la mer territoriale, des mesures afin de « protéger leur littoral ou leurs intérêts connexes (...) contre la pollution ou une menace de pollution résultant d'un accident de mer ».

Ces dispositions restent donc partielles puisqu'elles ne traitent que les cas de pollution. Partant du constat qu'aucune règle de droit international ne permettait l'enlèvement des épaves au-delà des eaux territoriales, en vue d'assurer tout simplement la sécurité de la navigation, les Etats membres de l'Organisation maritime internationale (OMI) ont entamé, en 1993, des négociations pour combler cette lacune qui ont abouti à la signature, le 18 mai 2007, de la Convention de Nairobi, que nous examinons aujourd'hui.

Cette Convention fixe un cadre juridique international permettant l'enlèvement, par les Etats côtiers, des épaves dangereuses situées dans leur zone économique exclusive. Les stipulations de l'article 3 alinéa 2 permettent aux Etats Parties de choisir d'appliquer la Convention, c'est la clause dite de « opt in », aux épaves situées sur leur territoire y compris leur mer territoriale, à l'exclusion des dispositions énumérées à l'article 4 alinéa 4, notamment celles relatives aux mécanismes de règlement des différends. La France, qui était favorable à l'inclusion expresse et systématique de la mer territoriale dans le champ de la Convention, fera une déclaration en ce sens au moment de la ratification pour que ses eaux territoriales relèvent du même régime que sa zone économique exclusive.

La Convention précise tout d'abord les mesures qui peuvent être prises par les Etats affectés pour « prévenir, atténuer ou éliminer le danger créé par une épave .

Les mesures que peut prendre l'Etat affecté sont soumises à un principe général de proportionnalité et doivent ainsi être proportionnées au danger, raisonnablement nécessaires et prendre fin dès que l'épave a été enlevée.

La Convention donne une définition large de l'épave, qui comprend les navires naufragés ou échoués, les objets perdus en mer par un navire et qui sont échoués, submergés ou à la dérive ainsi que les navires « sur le point de couler ou de s'échouer, ou dont le naufrage ou l'échouement peut être raisonnablement attendu si aucune mesure efficace destinée à prêter assistance au navire ou à un bien en danger n'est déjà en train d'être prise ». Bien qu'excluant les navires de guerre et les navires appartenant à l'Etat ou exploités par l'Etat à des fins non commerciales, la définition du navire est également très extensive puisqu'elle désigne « un bâtiment de mer de quelque type que ce soit » y compris les engins flottants et les plates-formes flottantes, sauf lorsque ces dernières « se livrent sur place à des activités d'exploration, d'exploitation ou de production des ressources minérales des fonds marins ». Dans ce dernier cas, en effet, elles relèvent de la juridiction exclusive de l'Etat côtier aux termes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

La convention prévoit l'enlèvement de l'épave en cas de danger avéré. Une liste non exhaustive de quinze critères permet de déterminer la dangerosité d'une épave, tels que la hauteur de l'épave au-dessus et au-dessous de la surface de l'eau, la proximité des routes maritimes, la densité et la fréquence du trafic, la nature et la quantité de la cargaison ou d'hydrocarbures.

La Convention décrit la procédure d'enlèvement d'une épave dangereuse en précisant les obligations des différents acteurs. Ainsi, lorsqu'une épave résulte d'un accident de mer, le capitaine et l'exploitant du navire impliqué ont l'obligation d'alerter sans tarder l'Etat affecté, par l'envoi d'un rapport permettant d'évaluer la dangerosité de celle-ci. L'Etat affecté doit localiser, signaler l'épave dangereuse et avertir immédiatement l'Etat d'immatriculation du navire et le propriétaire. Ce dernier a l'obligation d'enlever l'épave dangereuse dans un « délai raisonnable », éventuellement sous certaines conditions fixées par l'Etat affecté, qui peut également intervenir pour s'assurer du bon déroulement des opérations. En cas d'urgence ou si le propriétaire ne peut être joint ou n'intervient pas dans le délai prescrit, l'Etat affecté « peut enlever l'épave par les moyens les plus pratiques et les plus rapides disponibles dans le respect des aspects liés à la sécurité et à la protection du milieu marin ».

La Convention instaure un régime de responsabilité sans faute des propriétaires des navires, qui ont l'obligation de payer les frais de localisation, de signalisation et d'enlèvement de l'épave. Des cas d'exonération limitativement énumérés sont prévus : actes de guerre, hostilité, guerre civile, insurrection, phénomène naturel de caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible ; fait délibéré d'un tiers, négligence d'un gouvernement ou d'une autre autorité responsable de l'entretien des feux ou autres aides à la navigation. Des exceptions à la responsabilité civile des propriétaires sont également mentionnées qui les dispensent du règlement des frais si cette obligation de paiement est incompatible avec d'autres instruments internationaux limitativement énumérés et ce, afin de prévenir les conflits juridiques.

Pour couvrir leur responsabilité, les propriétaires de navires d'une jauge brute égale ou supérieure à 300 tonneaux (navires de dimension réduite affectés à des opérations de petit cabotage national) (vedettes de passagers, bacs de petite taille). sont tenus de souscrire une assurance ou une garantie financière suffisante pour un montant équivalent aux limites de responsabilités de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes modifiée, dite convention LLMC. On rappelle que lors de la ratification de cette convention, la France a opté pour l'exclusion de cette limitation pour les créances liées à l'enlèvement des épaves et qu'en conséquence, cette limitation ne lui est pas opposable. La France a prévu de rappeler ce point dans une déclaration lors du dépôt de l'instrument de ratification.

L'Etat d'immatriculation doit délivrer un certificat d'assurance ou de garantie financière conforme au modèle figurant en annexe de la Convention. Les navires inscrits et battant pavillon d'un Etat Partie ne peuvent pas être exploités s'ils ne sont pas munis de ce certificat, certificat qui doit se trouver à bord du navire et dont une copie doit être déposée auprès de l'autorité qui tient le registre d'immatriculation.

La Convention reconnaît à l'Etat affecté une action directe contre les assureurs ou la personne ayant fourni la garantie financière, en vue d'obtenir le remboursement des frais de localisation, signalisation et enlèvement de l'épave. Cette action est prescrite dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle l'existence d'un danger a été établie. De manière plus générale, aucune action en justice ne peut être intentée après un délai de six ans à compter de la date de l'accident de mer qui a causé l'épave.

Ces délais sont conformes à ceux mentionnés dans les conventions sur la responsabilité civile pour les pollutions par hydrocarbures de cargaison de 1992 et sur les pollutions par hydrocarbures de soute de 2001, les obligations financières des assureurs ne pouvant courir pendant une durée illimitée.

Avant de conclure, je vous indique que des adaptations du droit interne sont à prévoir, principalement une modification du code des transports, en vue notamment d'adopter une définition moins restrictive de l'épave et des dispositions relatives aux obligations du propriétaire de navire en matière d'assurance, au certificat délivré par l'administration des affaires maritimes et aux sanctions en cas de non-respect de ces obligations. Ces points seront examinés le moment venu par notre assemblée et feront, au préalable, l'objet d'une consultation du Conseil supérieur de la marine marchande. Je peux déjà vous dire que les armateurs français sont tout à fait favorables à la ratification de la Convention de Nairobi, notamment en vue d'obtenir de la part de l'administration française le certificat d'assurance que les Etats déjà parties exigent d'eux, ce qui facilitera la circulation de leurs navires.

Sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption de ce projet de loi de ratification du premier instrument international traitant spécifiquement de l'enlèvement des épaves, d'autant que la Convention de Nairobi, déjà ratifiée par vingt Etats (Allemagne, Antigua et Barbuda, Bulgarie, Congo, Danemark, Iles Cook, Kenya, Liberia, Malte, Iles Marshall, Inde, Iran, Malaisie, Maroc, Nigeria, Niue, Palau, Royaume-Uni (y compris Ile de Man et Gibraltar), Tuvalu, Tonga). dont l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark, l'Inde, la Malaisie, le Maroc, représentant environ 33 % du tonnage mondial, est entrée en vigueur le 14 avril 2015. La protection de l'environnement et la sécurité de la navigation se trouvent renforcées par cette convention qui allègera les conséquences financières, pour l'Etat français et les collectivités publiques, de l'enlèvement d'une épave dangereuse, en instaurant un régime de responsabilité sans faute des propriétaires des navires et en prévoyant une action directe contre les assureurs pour obtenir le remboursement des frais engagés.

Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour dire tout le mal que je pense des navires qui déposent n'importe quoi, je les appelle des « navires venins », en Méditerranée ou le long de la corne de l'Afrique, avec la complicité de certains Etats. C'est un sujet sur lequel je tire la sonnette d'alarme depuis plusieurs années.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 25 juin 2015. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée.

Je vous propose, quant à moi, un rapport publié en forme synthétique.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, sans modification, le rapport ainsi que le projet de loi précité.

Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.

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