C. UNE COOPÉRATION AFFECTÉE PAR DES TENSIONS AUJOURD'HUI DÉPASSÉES

À partir du 26 février 2014 et jusqu'au 31 janvier 2015, le Maroc a cessé unilatéralement de coopérer avec la France en matière judiciaire, mais aussi dans le domaine sécuritaire. Cet épisode, qui a été fortement préjudiciable pour les deux pays, a désormais pris fin.

1. Une suspension de la coopération qui a entraîné de multiples préjudices pour les deux pays

Le 26 février 2014, à la suite d'une série d'incidents, le ministère de la justice marocain a annoncé la suspension de l'exécution de tous les accords de coopération judiciaire avec la France en invoquant notamment « l'apparition de nombreux dysfonctionnements et lacunes dans les conventions » entre Paris et Rabat. Le magistrat de liaison marocain en France a été rappelé « en attendant de convenir de solutions adéquates garantissant le respect mutuel et total des conventions liant les deux pays dans la lettre et l'esprit, de manière à préserver la souveraineté des deux États sur la base du principe de l'égalité qui doit présider dans leurs relations. »

Cette suspension quasi complète de la coopération judiciaire a empêché l'exécution de l'ensemble des actes judiciaires supposant un dialogue avec le Maroc, au détriment de nos deux pays et de leurs ressortissants.

Ainsi, entre le 26 février 2014 et le 31 janvier 2015, la Chancellerie n'a plus reçu aucune demande d'entraide, d'extradition ou de transfèrement du Maroc . Inversement, le total des demandes françaises d'entraide en attente s'élevait avant la reprise effective de la relation bilatérale à 150 . Le ministère des Affaires étrangères et du développement international conservait par ailleurs dix demandes d'entraide non adressées à son homologue marocain.

En outre, 4 personnes dont l'extradition a été sollicitée par les autorités judiciaires françaises étaient toujours en attente de transfèrement en France, le processus extraditionnel demeurant en cours pour 2 d'entre elles. Inversement, 6 dossiers d'extradition passive demeuraient en cours, les autorités marocaines ne venant plus chercher les personnes dont le décret d'extradition était devenu définitif et qui avaient été mises à leur disposition par le service national des transfèrements de la direction de l'administration pénitentiaire. Or, aux termes de l'article 12 de la convention franco-marocaine d'extradition du 18 avril 2008 : « si la personne réclamée n'est pas reçue dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date fixée pour sa remise, elle doit être mise en liberté et la Partie requise peut, par la suite, refuser son extradition pour les mêmes faits ». Les juridictions françaises ont été conduites à faire application de cette disposition à deux reprises pendant la crise.

Enfin, 22 demandes de transfèrement depuis le Maroc était instruites à la Chancellerie, 6 détenus français au Maroc étant en attente de transfèrement pour poursuite de l'exécution de leur peine en France. Les familles des détenus ont alerté à plusieurs reprises le ministère de la justice et le ministère des Affaires étrangères et du développement international des inquiétudes de ces détenus, certains ayant entamé une grève de la faim.

La suspension de nos échanges en matière sécuritaire a également été un vif motif d'inquiétude, car elle aurait pu avoir des conséquences tragiques en matière de lutte contre le terrorisme ou encore les trafics de stupéfiants. Alors même que la menace terroriste grandissait au Sahel, en Syrie et en Irak, et que le phénomène des combattants étrangers touchait chaque jour davantage aussi bien la France que le Maroc, le gel des échanges d'informations portait un grave préjudice à nos deux pays.

2. Des relations aujourd'hui relancées

La coopération franco-marocaine en matière judiciaire a repris dès le lendemain de la signature, le 6 février 2015, du protocole additionnel à la convention du 18 avril 2008 . Les discussions se poursuivaient au plus haut niveau depuis février 2014 pour aboutir à la signature de cet accord, qui a été paraphé le 31 janvier 2015 par les ministres français et marocains de la Justice puis signé le 6 février 2015 par l'Ambassadeur de France à Rabat et le ministre marocain de la Justice.

Les autorités marocaines ont autorisé le retour à l'Ambassade du Maroc à Paris du magistrat de liaison le 2 février 2015. De même, le nouveau magistrat de liaison français a pris ses fonctions début juin au sein de l'ambassade à Rabat.

Les rencontres à haut niveau ont repris dès après la signature du protocole : le 9 février 2015, le Président de la République et le Roi du Maroc se sont entretenus à Paris ; M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, s'est rendu au Maroc les 9 et 10 mars et a rencontré son homologue ainsi que le Premier ministre et le Roi ; le Premier ministre français s'est rendu à Rabat le 9 avril pour une audience royale et un entretien avec le chef du gouvernement marocain. En outre, une « rencontre de haut niveau » a eu lieu le 28 mai à Paris. Le deuxième Forum parlementaire franco-marocain du 16 avril 2015 à Paris a également permis d'évoquer les problèmes sécuritaires rencontrés par les deux pays.

Il faut également souligner le rôle positif de la « diplomatie parlementaire » qui n'a jamais cessé pendant les tensions, avec notamment les efforts des groupes d'amitié du Sénat, que votre rapporteur préside, et de l'Assemblée nationale.

En outre, les relations franco-marocaines vont revêtir une nouvelle dimension au cours des mois et des années à venir grâce à la montée en puissance de certains dossiers.

En premier lieu, le dialogue 5 + 5 2 ( * ) , dont Paris et Rabat partagent la présidence de mai 2015 à mai 2016, permettra de lancer des projets d'intérêt commun dans les domaines de l'investissement, de la jeunesse, de l'emploi et du tourisme. Récemment ont eu lieu une réunion ministérielle « environnement », qui s'est tenue le 3 mars 2015 à Lisbonne, une réunion enseignement supérieur et recherche les 23 et 24 mars à Madrid, une réunion sur l'eau le 31 mars à Alger ; enfin a eu lieu la 16 ème réunion des ministres de l'Intérieur de la Méditerranée occidentale (CIMO) à Lisbonne les 18 et 19 mai avec adoption d'une déclaration portant sur la lutte contre le terrorisme, la lutte contre le crime organisé, la lutte contre la migration irrégulière, la coopération dans le domaine de la protection civile, de la sécurité routière et des collectivités locales. La co-présidence franco-marocaine du dialogue 5+5 sera effective à partir de la réunion des ministres des Affaires étrangères qui se tiendra en octobre à Tanger et sera centrée sur les thèmes de la préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région méditerranéenne et euro-africaine ainsi que sur la dynamisation de la coopération économique en Méditerranée occidentale.

En second lieu, l'enjeu environnemental va prendre une nouvelle ampleur dans la coopération franco-marocaine avec la tenue de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris en décembre 2015 (COP 21), le Maroc étant chargé de l'organisation de la COP 22.


* 2 Le Dialogue en Méditerranée Occidentale, dit Dialogue 5+5, est une initiative d'origine française, lancée officiellement à Rome en 1990 avec l'objectif de favoriser la concertation intermaghrébine et de renforcer la concertation entre les deux rives de la Méditerranée occidentale. Le Dialogue regroupe cinq pays de la rive nord de la Méditerranée (Espagne, France, Italie, Malte et Portugal) et les cinq pays du Maghreb (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie).

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