UNE ANALYSE INSUFFISANTE DE LA FRAGMENTATION DES MARCHÉS DE CAPITAUX

La publication du livre vert a été accompagnée d'un document des services de la Commission européenne sur les obstacles à l'intégration des marchés de capitaux en Europe 6 ( * ) .

Il est ainsi clairement démontré que les marchés de capitaux sont sous-développés dans l'Union européenne par rapport à d'autres zones économiques, notamment aux États-Unis et au Japon, même si leur part dans le financement de l'économie a significativement augmenté depuis près de vingt ans 7 ( * ) .

Le livre vert estime d'ailleurs que « nos marchés des actions, de la dette et autres jouent un rôle plus restreint dans le financement de la croissance, les entreprises européennes restant très dépendantes des banques, ce qui rend nos économies vulnérables en cas de resserrement du crédit bancaire ». La Commission européenne reproche au financement bancaire d'être pro-cyclique. Or, un graphique accompagnant le livre vert 8 ( * ) , montre que les marchés de capitaux ont également connu une tendance au repli depuis la crise, ce qui tend à démontrer qu'ils sont également susceptibles d'être affectés par les mêmes chocs que le financement bancaire.

Plus globalement, l'analyse de la fragmentation des marchés de capitaux au sein de l'Union européenne demeure très insatisfaisante, alors même que la Commission européenne dispose d'une connaissance approfondie, en termes quantitatifs, des marchés de capitaux en Europe 9 ( * ) .

Il y a fragmentation des marchés lorsque l'offre et la demande de capitaux, au sein de l'Union européenne, se rencontre sur une base essentiellement nationale. À cet égard, les documents de la Commission européenne indiquent par exemple que « les actionnaires et les acheteurs de dettes d'entreprises investissent rarement au-delà de leurs frontières nationales », mais n'apportent aucune donnée qui pousse corroborer cette affirmation .

Une analyse plus approfondie de la détention des capitaux au sein de l'Union européenne aurait été souhaitable pour mesurer l'intensité des barrières de chaque marché de capitaux au niveau national.

Au demeurant, la Commission européenne semble être consciente des limites de son étude puisque le document de réflexion accompagnant le livre vert indique qu'une analyse économique sera réalisée ultérieurement.

Il est néanmoins frappant que les documents de la Commission européenne identifient ensuite les nombreux obstacles à l'intégration des marchés de capitaux existants entre les États membres : manque de données financières disponibles ; différence dans la supervision ; régimes légaux spécifiques pour certaines catégories de titres financiers ; différences dans le droit des sociétés ou des faillites ; barrières fiscales, etc.

Or, faute de connaître les raisons mêmes de la fragmentation des marchés, comment identifier les priorités auxquelles l'Union européenne doit s'attaquer ?

Ce manque d'analyse économique se traduit également par le fait que la zone euro ne soit pas traitée différemment du reste des États membres, la Banque centrale européenne étant pourtant très attentive à cette question 10 ( * ) . Des analystes font d'ailleurs valoir que la construction de l'union des marchés de capitaux ne revêt pas la même importance pour l'Union européenne dans son ensemble et pour la zone euro 11 ( * ) : « si l'union des marchés de capitaux peut être utile à l'Union européenne, elle est surtout absolument cruciale dans une union monétaire : conduire une seule politique monétaire dans une zone qui comprend des structures et des pratiques financières très variables est dangereux, comme l'a montré d'une manière saisissante les quinze premières années de la zone euro. Le processus d'intégration financière des pays de l'union économique et monétaire doit être considérée comme une priorité absolue, auquel, par la suite, pourront se joindre les autres pays de l'Union européenne » 12 ( * ) .

Les mêmes auteurs soulignent également que le « problème dans la zone euro n'est pas seulement une question de supprimer des obstacles ou d'éliminer des barrières pour permettre une plus grande liberté de circulation du capital. Le défi est plutôt de savoir comment construire de nouveaux canaux de financement qui permettent aux économies de mobiliser plus complétement et plus efficacement le potentiel d'épargne qui existe dans la zone euro ».

Au total, plutôt qu'un projet cohérent d'intégration, l'union des marchés de capitaux semble pour l'instant n'être qu'une vitrine politique pour quelques mesures déjà annoncées par la Commission européenne .


* 6 Commission européenne, Commission staff working document : initial reflections on the obstacles to the development of deep and integrated EU capital markets , SWD (2015) 13 .

* 7 La capitalisation boursière totale au sein de l'Union européenne représentait 21,7 % du PIB en 1992 et 64,5 % du PIB en 2013.

* 8 http://ec.europa.eu/finance/capital-markets-union/docs/capital-markets-in-eu_fr.pdf

* 9 Commission européenne, European Financial Stability and Integration , mai 2015.

* 10 Banque centrale européenne, Financial Integration in Europe , avril 2015.

* 11 Anton Brender, Florence Pisani, Daniel Gros, Building a Capital Markets Union... or designing financial system for the euro area ?, in CEPS Commentary, 2 juin 2015 .

* 12 Traduction de la commission des finances du Sénat.

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