Rapport n° 76 (2015-2016) de M. François PILLET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 14 octobre 2015

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N° 76

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 octobre 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , MODIFIÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé ,

Par M. François PILLET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Mme Marie Mercier, MM. Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir le(s) numéro(s) :

Première lecture : 531 (2013-2014), 313 , 314 et T.A. 73 (2014-2015)

Deuxième lecture : 517 (2014-2015) et 77 (2015-2016)

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

Première lecture : 2623 , 2835 et T.A. 530

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le 14 octobre 2015, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente, la commission des lois a examiné le rapport de M. François Pillet , rapporteur, et établi son texte sur la proposition de loi n° 517 (2014-2015), modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé.

En première lecture, à l'initiative de votre commission, le Sénat s'était attaché à renforcer cette procédure de signalement de maltraitance en l'étendant, au-delà des médecins, à tout membre d'une profession médicale ou à tout auxiliaire médical, et en affirmant clairement le principe d'irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire de ces professionnels lorsqu'ils effectuent un tel signalement.

Pour prendre en considération les réticences actuelles des médecins à saisir directement le procureur de la République lorsqu'ils n'ont que de simples doutes, le Sénat avait précisé que les signalements pouvaient également être adressés à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP).

Enfin, le Sénat avait complété l'obligation de formation des professionnels intervenant au contact des victimes potentielles de violences, prévue à l'article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, par une formation aux modalités de signalement des situations de violences aux autorités administratives et judiciaires.

La proposition de loi, dans sa rédaction issue des travaux de votre commission, avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat le 10 mars 2015.

Lors de son examen à l'Assemblée nationale, ce texte a fait l'objet d'un vote conforme en commission des lois. En séance publique ensuite, un amendement a été adopté pour apporter une précision concernant les professionnels concernés par ce dispositif. Alors que le Sénat visait les membres des professions médicales et les auxiliaires médicaux, l'Assemblée nationale a préféré faire référence aux médecins ainsi qu'à tout autre professionnel de santé, couvrant ainsi l'ensemble des professionnels visés par la quatrième partie du code de la santé publique. L'Assemblée a adopté le texte ainsi modifié à l'unanimité.

Votre commission s'est réjouie de l'accord des deux chambres sur le fond de ce texte et n'a pas entendu remettre en cause cette modification.

Elle a donc adopté la proposition de loi sans modification.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture la proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé 1 ( * ) .

Déposé par Mme Colette Giudicelli et plusieurs de nos collègues, ce texte tend à renforcer le rôle des professionnels de santé dans la détection et la prise en charge des situations de maltraitance, tout en les protégeant contre l'engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire.

Ce texte, dans sa rédaction issue des travaux de votre commission, a fait l'objet d'une adoption à l'unanimité par le Sénat le 10 mars 2015. Après avoir apporté une précision concernant les professionnels concernés par l'application de ce dispositif, l'Assemblée nationale l'a également voté à l'unanimité le 11 juin dernier.

I. LA PROPOSITION DE LOI INITIALE : UNE VÉRITABLE OBLIGATION DE SIGNALER CONTREBALANCÉE PAR UNE IRRESPONSABILITÉ CIVILE, PÉNALE ET DISCIPLINAIRE DES MÉDECINS

Dans sa rédaction initiale, l'article unique de la proposition de loi modifiait le 2° de l'article 226-14 du code pénal pour préciser que le médecin est « tenu » de porter « sans délai à la connaissance du procureur de la République les constatations personnellement effectuées dans l'exercice de sa profession, quand elles lui ont permis de présumer, sans avoir à caractériser une infraction » des violences « physiques, sexuelles ou psychologiques ».

Les médecins auraient désormais été soumis à une véritable obligation de signaler au procureur de la République, toute présomption de violences commises sur un mineur ou sur une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.

En contrepartie de cette obligation, pour protéger les médecins, le texte disposait que « le signalement effectué dans [les conditions de l'article 226-14 du code pénal] ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire du praticien , à moins que sa mauvaise foi n'ait été judiciairement établie ».

II. LA POSITION DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : PRIVILÉGIER LE RENFORCEMENT DE LA PROCÉDURE DE SIGNALEMENT À TRAVERS SON EXTENSION, UNE MEILLEURE FORMATION DES PROFESSIONNELS ET UNE AFFIRMATION CLAIRE DE LEUR IRRESPONSABILITÉ

1. Une obligation pour le médecin de saisir sans délai le procureur de la République écartée par le Sénat

À l'initiative de votre commission, le Sénat a écarté l'obligation pour le médecin de signaler sans délai au procureur de la République toute présomption de violences commises sur un mineur, prévue par le texte initial.

Comme le soulignait votre rapporteur dans son rapport de première lecture 2 ( * ) , dans 90 % des cas, les situations de maltraitance sont difficiles à caractériser.

Pour satisfaire à cette obligation de signalement, les médecins auraient été contraints de signaler le moindre fait. Dès lors, il serait devenu très difficile pour le procureur d'identifier les signalements de situations particulièrement dangereuses .

Une telle obligation est également apparue incompatible avec les principes de déontologie médicale qui imposent au médecin de faire preuve de prudence, de circonspection et d'apprécier chaque situation en toute conscience.

Enfin, cette nouvelle obligation aurait présenté un danger pour les victimes elles-mêmes , qui auraient pu se voir privées de soins, les auteurs des sévices hésitant à présenter leur enfant ou la personne protégée à un médecin par crainte d'être dénoncés.

2. L'affirmation claire de l'irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire du médecin

Après avoir relevé que le droit en vigueur protégeait déjà les praticiens qui effectuent des signalements au procureur de la République dans le respect de l'article 226-14 du code pénal 3 ( * ) , votre commission, suivie par le Sénat, a cependant souhaité renforcer la lisibilité du dispositif, dont la compréhension nécessitait une lecture combinée de plusieurs textes et une connaissance approfondie de l'articulation qui existe entre les différents types de responsabilité.

À l'invitation de votre commission, le Sénat a approuvé la disposition de la proposition de loi initiale qui, sans modifier au fond le droit en vigueur, affirmait sans ambiguïté et de manière parfaitement explicite que le médecin qui signale régulièrement une présomption de maltraitance ne peut voir sa responsabilité, quelle qu'elle soit, engagée .

3. L'extension de l'immunité prévue à l'article 226-14 du code pénal à l'ensemble des membres des professions médicales et aux auxiliaires médicaux

En première lecture, le Sénat a considéré que le dispositif prévu à l'article 226-14 du code pénal méritait d'être étendu à d'autres professionnels intervenant auprès des personnes potentiellement victimes de maltraitances, les enfants en particulier.

À l'initiative de votre commission, il l'a ainsi étendu à l'ensemble des membres des professions médicales, ainsi qu'aux auxiliaires médicaux . Seraient désormais concernés les médecins, mais également les sages-femmes ou les infirmières, ainsi que les gardes malades, les aides-soignants ou les aides médicaux.

4. La possibilité pour les auteurs de signalements de s'adresser directement à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP)

Constatant une certaine réticence des médecins à s'adresser directement à l'autorité judiciaire, votre commission a proposé au Sénat, qui l'a suivie, de préciser , à l'article 226-14 du code pénal, que les médecins pourraient adresser leurs signalements directement à la CRIP .

Outre la saisine de l'autorité judiciaire, celle-ci pourrait proposer une solution adaptée, allant d'une proposition d'accompagnement de la famille en difficulté au placement de l'enfant dans un service d'assistance éducative par exemple.

5. L'instauration d'une obligation de formation aux procédures de signalement de maltraitances dans la loi du 9 juillet 2010

Enfin, après avoir relevé que le principal défaut du dispositif était l'absence de formation des médecins à l'identification des situations de maltraitance et à la procédure de signalement mise à leur disposition par l'article 226-14 du code pénal, le Sénat a introduit une obligation de formation des médecins à la détection et au signalement des situations de maltraitance à l'article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Tirant les conséquences des différentes modifications apportées à la proposition de loi initiale, le Sénat a également modifié le titre de la proposition de loi pour le rendre plus conforme à son objet.

III. UNE MODIFICATION DU CHAMP D'APPLICATION DE L'IMMUNITÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE NON REMISE EN CAUSE PAR VOTRE COMMISSION

Lors de son examen par l'Assemblée nationale, la proposition de loi a été adoptée sans modification, à l'unanimité, par la commission des lois, sur le rapport de M. Olivier Marleix. Elle a estimé que « l'économie générale [du texte], telle qu'elle est issue des travaux du Sénat, assure à la fois la sécurité juridique et l'application immédiate » 4 ( * ) .

En séance publique, le 11 juin 2015, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de Mme Colette Capdevielle et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, qui modifie, à l'article 1 er du texte, le champ d'application du régime d'irresponsabilité mis en place en cas de signalement de maltraitance.

La rédaction issue des travaux du Sénat concernait les membres des professions médicales et les auxiliaires médicaux. L'Assemblée nationale a, quant à elle, choisi de viser les médecins et tout autre professionnel de santé .

La notion de professionnel de santé fait référence à la quatrième partie du code de la santé publique et permettrait de couvrir sans ambiguïté, en plus des professions médicales et des auxiliaires médicaux, les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens.

Votre commission s'est réjouie de l'accord des deux assemblées sur le fond de ce texte et n'a pas entendu remettre en cause cette modification.

* *

*

Votre commission a adopté la proposition de loi sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

_______

MERCREDI 14 OCTOBRE 2015

M. François Pillet , rapporteur . - Ce texte, que nous examinons en deuxième lecture, émane d'une proposition de loi déposée par notre collègue Colette Giudicelli. Cette proposition vise à protéger les enfants en renforçant le dispositif de signalement des situations de maltraitance. Elle se fonde sur un constat selon lequel il existe des situations de maltraitance que les médecins ne signalent pas, car ils craignent un engagement de leur responsabilité, lorsque le signalement n'aboutit pas à un constat effectif de maltraitance. En première lecture, le Sénat a étendu le champ d'application du dispositif de signalement aux professions médicales et aux auxiliaires médicaux et a affirmé de manière explicite l'irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire de ces professionnels pour faciliter le signalement d'éventuels cas de maltraitance.

Nos débats avaient également illustré un problème de formation des médecins. Le Sénat a donc ajouté au texte une obligation de formation des médecins à la détection de situations de maltraitance.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a suggéré un vote conforme du texte transmis par le Sénat. Ce vote conforme n'a finalement pas eu lieu car l'Assemblée a adopté, en séance publique, un amendement précisant encore le champ d'application du dispositif de signalement en visant, non plus les membres des professions médicales et les auxiliaires médicaux, mais « les médecins et tout autre professionnel de santé », ce qui ne modifie guère le sens du texte. La notion de « professionnels de santé », qui fait référence à la quatrième partie du code de la santé publique, permettrait de couvrir, en plus, les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens. C'est la seule modification apportée par l'Assemblée. Je vous propose donc une adoption conforme du texte.

Mme Catherine Troendlé , présidente . - Aucun amendement n'ayant été déposé, je mets aux voix l'ensemble du texte.

La commission adopte la proposition de loi sans modification.

Mme Catherine Troendlé , présidente . - Je constate que le texte est adopté à l'unanimité.


* 1 P roposition de loi visant à modifier l'article 11 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance n° 531 (2013-2014). L'intitulé de ce texte a été modifié par le Sénat, à l'initiative de votre commission, en première lecture.

* 2 Rapport n° 313 (2014-2015) de M. François PILLET, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi visant à modifier l'article 11 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance, p. 12. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l14-313/l14-3131.pdf

* 3 En écartant dans ce cas l'application de l'article 226-13 du code pénal qui dispose que « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

* 4 Rapport n° 2835 (3 juin 2015), fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé, p. 15. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r2835.pdf

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