C. UNE LARGE APPROBATION ASSORTIE DE RÉSERVES PONCTUELLES CHEZ LES ACTEURS DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

Au vu des auditions, les réformes et modifications introduites par les ordonnances du 12 mars 2014 et du 26 septembre 2014 précitées semblent avoir été globalement bien reçues dans les tribunaux de commerce , en dépit de leur ampleur et d'une entrée en vigueur relativement rapide, au 1 er juillet 2014 pour l'ordonnance du 12 mars 2014, la plus importante, ainsi que par l'ensemble des praticiens, experts et acteurs du droit des entreprises en difficulté, en dehors de certaines critiques ponctuelles et limitées.

Sans doute en raison de leur manque de notoriété, les deux procédures nouvelles de la sauvegarde accélérée et du rétablissement professionnel n'ont pas encore rencontré les résultats escomptés, même si la sauvegarde accélérée n'a pas vocation à être massivement utilisée, comme la sauvegarde financière accélérée jusqu'à présent. Ainsi, selon les chiffres fournis à votre rapporteur par le Gouvernement, on recense deux sauvegardes accélérées en 2014, ainsi que 61 demandes de rétablissement professionnel au second trimestre 2014 et 84 au premier trimestre 2015. S'agissant des seuls tribunaux de commerce, les chiffres fournis à votre rapporteur par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce indiquent une seule sauvegarde accélérée en 2014, 8 sauvegardes financières accélérées depuis sa création en 2010, ainsi que 29 rétablissements professionnels au second trimestre 2014 et 78 à la date du 15 septembre 2015.

En outre, s'agissant du rétablissement professionnel, votre rapporteur constate un certain scepticisme, en ce que cette procédure permet au débiteur d'opérer lui-même un tri parmi les dettes qu'il souhaite voir effacées et n'écarte pas complètement les risques d'abus par des entrepreneurs mal intentionnés.

Les critiques les plus importantes et les plus communément entendues lors des auditions ont porté sur les deux dispositions suivantes.

D'une part, la préparation d'une cession de l'entreprise en conciliation (« prepack cession ») 29 ( * ) suscite des inquiétudes quant à l'opacité de la négociation de la cession et du choix du repreneur. Le tribunal serait mis devant le fait accompli, à l'ouverture de la sauvegarde ou du redressement judiciaire pour faire la cession, sans être mesure de réellement contrôler le bien fondé du choix du repreneur au regard de l'intérêt de l'entreprise et de sa continuité. Sont invoqués des risques d'abus, dans la mesure où la qualité des démarches effectuées dépend uniquement du conciliateur, sans réel contrôle en amont du tribunal ou du parquet.

D'autre part, dans le cadre des procédures collectives, le mécanisme de déclaration des créances par le débiteur lui-même suscite de larges réserves 30 ( * ) . Selon ce mécanisme, « lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance ». Des risques d'abus sont ici aussi invoqués, du fait de défaillance du débiteur ou en cas de débiteur malveillant. Il résulterait aussi de ce mécanisme que les créanciers ne savent plus s'ils doivent ou non déclarer leurs créances, dans la mesure où ils ne sont pas pleinement informés par le mandataire judiciaire des caractéristiques des créances ainsi déclarées. Cette confusion et ce manque de sécurité juridique feraient de cette disposition une fausse simplification.

Plus globalement, les auditions ont relevé la complexité croissante du droit des entreprises en difficulté , qui semble parfois évoluer davantage en fonction des grandes entreprises que de la situation générale des entreprises. La complexité du droit des procédures collectives résulte aussi de la création de nouvelles procédures. Cette situation soulève le problème de l'accessibilité de ce droit pour les petites et moyennes entreprises, problème qui ne se pose pas pour les grandes entreprises, lesquelles peuvent se faire assister de conseils compétents. En outre, même si toutes les dispositions issues des ordonnances précitées n'ont pas vocation à être appliquées aux petites entreprises, elles accentuent néanmoins l'image de complexité de ce droit, au rebours de la nécessité d'inciter les entreprises à anticiper les difficultés et à s'adresser au tribunal le plus tôt possible.

À cet égard, compte tenu de ce degré de complexité, de nombreuses personnes entendues en audition ont jugé nécessaire de faire désormais une pause dans les réformes du livre VI du code de commerce. Votre rapporteur partage largement ce constat, de sorte que les praticiens puissent s'approprier les dernières réformes.

Votre rapporteur constate indéniablement une multiplication - et donc une complexification - des procédures à la disposition des entreprises. Dans ces conditions, la mission de prévention du président du tribunal n'en apparaît que plus essentielle, dans le conseil à donner aux chefs d'entreprise confrontés à de premières difficultés.

La détection des difficultés la plus en amont possible doit demeurer la priorité, en favorisant tous les dispositifs pratiques permettant d'y contribuer - ce qui ne relève pas nécessairement de la mission du législateur -, que ce soit en développant la prévention par les pairs (cellules de prévention composées de chefs d'entreprise) ou dans les réseaux consulaires, compte tenu de la réticence persistante des chefs d'entreprise à s'adresser au tribunal, ou en impliquant davantage les différents professionnels partenaires du chef d'entreprise, en particulier les experts-comptables, les plus à même, au quotidien, de détecter les difficultés et d'en faire prendre conscience au chef d'entreprise. Dans ces domaines, de nombreuses initiatives de terrain sont prises, ainsi que l'ont montré les auditions de votre rapporteur.


* 29 Articles L. 611-7 et L. 642-2 du code de commerce.

* 30 Article L. 622-24 du code de commerce.

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