AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en second lieu du présent accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse modifiant le protocole additionnel à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales.

L'actualité rappelle régulièrement les enjeux considérables qui s'attachent à une bonne coopération fiscale entre la France et la Suisse . En février 2015, l'affaire « Swiss Leaks » révélait un vaste système de fraude fiscale organisée par la filiale helvétique de la banque HSBC. En janvier 2016, les médias faisaient état de près de 38 000 comptes non déclarés, soit près de 12 milliards d'euros, détenus par des citoyens français auprès de la banque UBS, par ailleurs mise en examen depuis 2013 pour démarchage illicite et blanchiment de fraude fiscale. Il est par ailleurs établi que 80 % des régularisations effectuées depuis 2013 auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) proviennent de Suisse.

Pourtant, les échanges de renseignements fiscaux entre la France et la Suisse sont, depuis 2009, régis par un dispositif juridique conforme aux derniers standards de l'OCDE . La convention fiscale bilatérale de 1966 sur l'élimination des doubles impositions, modifiée par l'avenant du 27 août 2009, prévoit un mécanisme d'échange d'informations à la demande , c'est-à-dire au cas par cas, grâce auquel l'État requérant peut obtenir des éléments - données bancaires, éléments comptables, titres de propriété etc. - de nature à prouver que certaines bases fiscales ont été illégalement soustraites à l'impôt.

Toutefois, la ratification de cet avenant avait été conditionnée par la Suisse à la signature d'un échange de lettres, daté du 11 février 2010, qui paraphrase l'avenant par des formulations ambiguës . Alors qu'il aurait pu être utilisé par la France pour appuyer ses demandes, cet échange de lettres est en pratique invoqué par la Suisse pour écarter de nombreuses requêtes , jugées « non vraisemblablement pertinentes » ou contraires au « principe de proportionnalité ». Le problème porte sur deux points précis :

- d'une part, la Suisse se fonde sur l'échange de lettres pour interpréter strictement l'obligation de fournir le nom et l'adresse du contribuable concerné, ce qui a notamment pour conséquence d' interdire à la France d'effectuer des « demandes groupées » sur plusieurs personnes à la fois, pourtant très utiles dans le cas d'entités liées entre elles ;

- d'autre part, la Suisse se fonde sur l'échange de lettres pour imposer l'identification préalable de la banque ou l'établissement qui détient les informations , ce que par définition l'administration française ignore fréquemment. À défaut de ces éléments, la Suisse ne s'estime pas liée par les demandes, auxquelles elle oppose une fin de non-recevoir.

C'est précisément à ces insuffisances que s'est heurtée la demande effectuée par la France le 24 janvier 2013 dans le cadre de l'affaire du compte dissimulé qu'aurait détenu l'ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac. D'une manière générale, l'attitude vétilleuse des autorités suisses aboutit fréquemment à ce que les réponses, si elles sont transmises, soient inutilisables. Sur les 426 demandes effectuées entre le 1 er janvier 2011 et le 15 avril 2013, seules 29 réponses ont été reçues par la France (soit 6,5 % du total), dont seulement 6 ont été jugées satisfaisantes.

La modification des commentaires de l'OCDE sur le dispositif d'échanges d'informations à la demande, qui ont invalidé l'interprétation issue de l'échange de lettres, et plus généralement la pression internationale qui s'exerce depuis plusieurs années sur la Suisse, ont rendu nécessaire la mise en conformité du dispositif existant . La négociation a toutefois pris du retard, en raison du rejet en 2014 par le Parlement suisse de la nouvelle convention bilatérale sur les successions, dans laquelle avait été inclus le nouveau dispositif. Il a donc été décidé d'élaborer un texte spécifique, qui a abouti au présent accord du 25 juin 2014 .

Celui-ci prévoit trois avancées notables.

Premièrement, il assouplit les conditions d'identification de la personne visée par la demande , en mentionnant seulement son « identité » et non plus son nom et son adresse. Cette modification constitue une réponse à la dissimulation parfois grossière du bénéficiaire effectif des avoirs derrière un prête-nom ou une structure intermédiaire. Par ailleurs, elle ouvre la possibilité de procéder à des « demandes groupées », conformément à une demande récurrente de la France et aux recommandations de l'OCDE.

Deuxièmement, cet accord met fin à l'obligation d'identifier au préalable l'établissement financier qui détient les informations recherchées. Le nom et l'adresse de la banque ne seront fournis par l'autorité requérante que dans la mesure où ils sont connus.

Troisièmement, l'accord prévoit une clause de portée générale , qui stipule que les éléments de la convention et du protocole « doivent être interprétés de manière à ne pas faire obstacle à un échange effectif de renseignements ». Il s'agit d'une sorte de précaution supplémentaire, qui devrait prévenir d'éventuelles interprétations restrictives à l'avenir.

Cet accord s'applique aux faits survenus à compter du 1 er février 2013 : cette portée rétroactive, qui correspond opportunément au délai de prescription fiscale, permet d'effacer les effets de l'échange de lettres.

Bien sûr, le présent accord se limite à améliorer l'échange à la demande entre les deux pays , qui conserve sa faiblesse fondamentale : il suppose de savoir au préalable ce que l'on cherche, ce qui est par définition rarement le cas, et repose in fine sur la bonne volonté des autorités interrogées.

Toutefois, il est raisonnable d'espérer que la Suisse mette en oeuvre l'échange automatique d'informations d'ici à 2018 , comme elle s'y est engagée, avec 94 autres pays, le 29 octobre 2014 à Berlin, et comme elle le pratique déjà avec les États-Unis dans le cadre de la loi « FATCA » ( Foreign Account Tax Compliance Act ). La loi fédérale a été récemment modifiée afin de permettre la mise en oeuvre de ce dispositif, qui signe véritablement la fin du secret bancaire. Celui-ci oblige en effet les États à transmettre de leur propre initiative et de façon exhaustive les informations concernant les comptes détenus par des non-résidents, conformément à une « norme commune de déclaration » particulièrement exigeante élaborée par l'OCDE.

La réalité de l'amélioration de la coopération fiscale avec la Suisse devra bien sûr être confirmée dans les prochaines années, mais il est indéniable que celle-ci produit déjà ses premiers effets . La perspective de la levée du secret bancaire a d'ores et déjà conduit près de 45 000 « repentis » à se manifester auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) depuis 2013, produisant 1,9 milliard d'euros de recettes en 2014, 2,7 milliards d'euros en 2015, et probablement 2,1 milliards d'euros en 2016 d'après les estimations du projet de loi de finances. La place de Genève, qui ne cache pas le bouleversement qu'elle connaît, incite désormais ses clients à régulariser leur situation.

Si le renforcement simultané de l'échange à la demande et de l'échange automatique ne mettra pas fin à la fraude fiscale internationale, il constitue néanmoins un progrès très important, qui aurait été difficilement concevable il y a seulement deux ou trois ans . C'est pourquoi toutes les initiatives politiques qui vont en ce sens doivent être soutenues avec constance et détermination.

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