EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 avril 2016, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 498 (2015-2016) présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement.

M. Roland Courteau, rapporteur . - Le 24 mars dernier, la commission des affaires européennes a adopté, à l'initiative de nos collègues Jean Bizet et Michel Delebarre, une proposition de résolution européenne pour contester la conformité au principe de subsidiarité d'une proposition de décision, présentée par la Commission européenne, qui introduit un nouveau mécanisme de contrôle des accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie.

Avant d'en venir au fond, je dirai quelques mots de la procédure dans laquelle s'inscrit le présent rapport.

L'énergie relevant des compétences partagées entre l'Union et les États membres, la Commission européenne n'est fondée à agir en la matière que dans le respect du principe de subsidiarité, en vertu duquel l'Union n'intervient que lorsque l'échelon communautaire est le mieux approprié pour atteindre l'objectif poursuivi. Depuis le traité de Lisbonne, il appartient aux parlements nationaux de contrôler le respect de ce principe en adoptant des « avis motivés », dont la Commission doit ensuite tenir compte dans la suite de la procédure.

Au Sénat, les propositions de résolution portant avis motivé sont d'abord examinées par la commission des affaires européennes, ou proposées par elle lorsqu'elles n'émanent pas d'un sénateur, puis transmises à la commission compétente au fond. Cette dernière conclut alors soit au rejet, soit à l'adoption de la proposition mais la résolution peut aussi être considérée comme adoptée si la commission au fond ne se prononce pas.

Dans le cas présent, notre commission a jugé nécessaire de statuer expressément pour marquer l'importance qu'elle attache au sujet et approuver avec force la position défendue par la commission des affaires européennes.

De quoi s'agit-il en l'espèce ? La proposition de décision de la Commission, présentée le 16 février dernier, fait partie d'une série de mesures destinées à mettre en oeuvre le volet « sécurité d'approvisionnement » de l'Union de l'énergie, dont la création figure parmi les dix priorités politiques de la présidence Juncker. Le sujet est, il est vrai, essentiel tant la crise ukrainienne a rappelé la vulnérabilité et la dépendance européennes à l'égard du gaz russe qui représentait, en 2012, 32 % des importations de gaz de l'Union ; au total, la dépendance énergétique de l'Union à l'égard de pays tiers atteignait, toutes énergies confondues, 53 %, pour un coût annuel de l'ordre de 400 milliards d'euros.

Un an après les annonces de la Commission, les progrès accomplis sont réels, même si beaucoup reste à faire. Je signalerai simplement, pour s'en tenir au volet « sécurité énergétique », la médiation réussie de la Commission pour garantir l'approvisionnement hivernal de l'Ukraine en gaz russe et, s'agissant des autres volets de l'Union de l'énergie, entre autres, l'adoption d'objectifs climatiques communs, la réforme du système européen d'échanges de quotas d'émissions, le soutien aux énergies renouvelables ou encore le renforcement, essentiel, des interconnexions électriques et gazières du continent.

Parmi les mesures annoncées par la Commission en matière de sécurité énergétique, nos collègues de la commission des affaires européennes ont souhaité examiner, de façon approfondie, la conformité au principe de subsidiarité de deux textes : une proposition de règlement créant des plans régionaux et instaurant un principe de solidarité entre les États membres pour garantir la sécurité d'approvisionnement gazier en cas de crise, et cette proposition de décision renforçant le contrôle des accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie.

Bien que le premier de ces deux textes soulève certaines difficultés, la commission des affaires européennes n'a visé, dans son avis motivé, que le second, afin de marquer son adhésion à l'objectif général. Cette position me semble équilibrée, car il ne s'agit pas de remettre en cause l'Union de l'énergie que nous sommes nombreux à appeler de nos voeux ; et du reste, on sait déjà que la Commission devra revoir sa proposition de règlement puisque plusieurs États membres, réservés sur la rédaction actuelle, disposent d'une minorité de blocage au Conseil.

Les difficultés posées par la proposition de décision sont, en revanche, plus manifestes et justifient pleinement l'adoption d'un avis motivé.

Les objectifs poursuivis par la Commission ne sont pas contestables dans leur principe : il s'agit à la fois d'assurer la parfaite compatibilité des accords intergouvernementaux avec la législation européenne - par exemple pour éviter toute clause de destination qui empêcherait la revente de l'énergie fournie à un autre État membre - et d'améliorer la transparence de ces accords, notamment pour éviter les doublons éventuels en termes d'infrastructures.

En la matière, une réglementation existe déjà : dans le cadre d'une précédente décision, adoptée en 2012, les États membres doivent notifier à la Commission tous les accords conclus avec des pays tiers après leur conclusion. Sont cependant exclus du dispositif les accords relatifs aux questions nucléaires, qui sont couverts par le traité Euratom, et les accords commerciaux conclus entre entreprises, qui n'entrent pas dans le champ de la décision.

Depuis 2012, ce sont ainsi 124 accords qui ont été notifiés après leur signature. Après analyse, la Commission a émis des doutes sur la conformité au droit de l'Union de dix-sept d'entre eux, et invité neuf États membres à dénoncer ou modifier lesdits accords. Parmi les accords incriminés figuraient en particulier les six accords bilatéraux signés avec la Russie pour le projet de gazoduc South Stream visant à contourner l'Ukraine, et abandonné depuis.

Or, aucun des accords visés n'a, à ce jour, été renégocié ou dénoncé. Considérant qu'il s'avère très difficile, politiquement, de renégocier les termes d'un accord après qu'il a été signé par les parties, la Commission propose donc d'instaurer un contrôle obligatoire, par ses soins, dès avant la signature des accords, les États membres devant ensuite « tenir le plus grand compte » de l'avis de la Commission en cas d'incompatibilité. En outre, le périmètre de la décision serait étendu à tous les instruments juridiquement non contraignants, tels que des déclarations politiques communes ou des protocoles d'accord, qui pourraient quant à eux faire l'objet d'une évaluation ex post .

Pour légitimes que soient les objectifs poursuivis, il reste que les modalités ainsi proposées par la Commission posent un double problème, de pertinence d'abord, de respect des compétences des États membres ensuite. À cet égard, je ne puis que partager les griefs exprimés tant par la commission des affaires européennes que par les autorités françaises et allemandes en réponse à la consultation publique lancée par la Commission.

En premier lieu, la Commission n'a, à mon sens, pas suffisamment démontré la plus-value de sa proposition au regard de la législation actuelle. D'abord, la décision de 2012 a déjà constitué une avancée importante en garantissant la transparence des accords ; elle prévoit du reste déjà la possibilité de solliciter, sur une base volontaire, l'assistance de la Commission au cours des négociations, puis de lui soumettre le projet d'accord pour un contrôle ex ante. En outre, la Commission pourrait dès à présent, si elle le juge nécessaire, engager une procédure d'infraction à l'égard de l'État membre concerné. Enfin, d'un simple point de vue pratique, depuis l'entrée en vigueur de la décision actuelle, un seul accord signé après 2012 a été notifié à la Commission, et aucune négociation en cours n'a été signalée. De fait, les accords intergouvernementaux sont aujourd'hui très largement supplantés par des accords conclus entre entités commerciales auxquels la proposition de décision, comme la décision actuelle, ne s'applique pas ; l'efficacité recherchée serait donc quasi-nulle.

En second lieu, et c'est là ce qui justifie plus encore l'adoption d'un avis motivé, la mise en place d'un mécanisme de contrôle ex ante obligatoire viendrait remettre en cause la souveraineté des États membres en méconnaissant le caractère bilatéral des négociations d'État à État. Du reste, la Commission elle-même admet que l'introduction d'un tel contrôle « modifierait la teneur » de la précédente décision « et supposerait un transfert vers l'UE de tâches assumées jusqu'ici par les États membres ». De la même façon serait contesté le droit des États membres, pourtant garanti par les traités, à « déterminer la structure générale de [leur] approvisionnement énergétique ».

En alertant la Commission sur ces difficultés, il ne s'agit pas de marquer notre opposition à la démarche initiée pour créer une véritable Union de l'énergie, bien au contraire tant nous croyons en la nécessité d'un approfondissement de la coopération en ce domaine - j'ai eu l'occasion d'en souligner les premiers acquis. Je rappellerai d'ailleurs que notre commission avait oeuvré, lors de l'examen de la loi relative à la transition énergétique, à renforcer la dimension européenne de notre politique énergétique. À cet égard, le texte présenté par la commission des affaires européennes souligne fort bien, en préambule, le soutien du Sénat à la mise en place de cette Union de l'énergie.

Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de résolution dans le texte proposé par la commission des affaires européennes. Une fois devenue résolution du Sénat, celle-ci viendra utilement conforter la position du Gouvernement, qui pourra se prévaloir de l'appui de son Parlement dans les négociations à venir au plan européen.

La proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité.

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