II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. L'apurement de la dette de l'agence de santé de Wallis et Futuna explique un montant d'AE supérieur aux CP

L'exécution de l'année 2015 est marquée par un écart entre autorisations d'engagement et crédits de paiement. Ce décalage résulte de la mise en oeuvre d'une solution d'apurement de la dette de l'agence de santé de Wallis et Futuna. En raison des évacuations sanitaires effectuées vers Nouméa, l'agence a accumulé depuis une dizaine d'années une dette de 21,7 millions d'euros auprès du centre hospitalier de Nouméa et de la caisse d'assurance maladie de Nouvelle Calédonie (CAFAT). Afin d'apurer sa dette, l'agence a bénéficié d'un prêt sur vingt ans de l'Agence française de développement (AFD), retracé par des autorisations d'engagement pour un montant de 26,7 millions d'euros consommés en 2015, et dont le ministère de la santé couvre le remboursement mensuel par l'allocation à l'agence de crédits supplémentaires en provenance du programme 204. Les conventions mettant en place cet emprunt ont été signées en novembre 2015. Le remboursement du prêt à hauteur de 1,3 million d'euros par an sera également porté par le programme 204. C'est pourquoi un écart de 24 millions d'euros apparaît entre AE et CP au titre de l'exécution 2015.

2. La sous budgétisation structurelle de l'AME aboutit à la constitution d'une nouvelle dette

Comme les exercices précédents, l'exécution du programme 183 reste marquée par la dérive des dépenses de l'AME de droit commun . Les crédits de paiement ont ainsi été augmentés de 87,6 millions d'euros par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015 181 ( * ) . Surtout, les crédits finalement supportés au titre de l'AME de droit commun sur le programme 183 ne reflètent pas l'intégralité du coût du dispositif. La caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) en assure la gestion, et la dette de l'État à son égard sert de variable d'ajustement. Si la dette de 57,3 millions d'euros, contractée au titre des exercices précédents, a été apurée par la loi de finances rectificative pour 2015 du 29 décembre 2015 par affectation de produits de TVA, l'exercice 2015 a conduit à la constitution d'une nouvelle dette de 12,5 millions d'euros .

L'augmentation des crédits consommés entre 2014 et 2015 est de 1,8 %. Certes, l'écart entre la prévision et l'exécution en 2015 est moindre que celui constaté en 2014, puisqu'il a diminué de plus de moitié entre les deux exercices. Pour autant, le programme demeure marqué par une sous-budgétisation structurelle . Les hypothèses retenues dans la programmation budgétaire initiale se basaient sur l'effet conjugué d'une évolution tendancielle des effectifs égale à la moyenne observée entre 2008 et 2013, soit + 3,9 %, et des économies attendues de la mise en oeuvre de réformes structurelles, concernant la tarification hospitalière et le droit d'asile. Cependant, les économies attendues, pour un montant de 85 millions d'euros, n'ont pas été réalisées, alors que la hausse des effectifs a dépassé la prévision (+ 5,5 %).

Comparaison des crédits de paiement votés en loi de finances
et des crédits de paiement exécutés pour l'aide médicale d'État

(en millions d'euros)

Source : rapports annuels de performances successifs

3. Une exécution qui contrevient aux principes d'annualité, d'unité et de sincérité budgétaire

Comme la Cour des comptes le souligne dans son rapport « Le budget de l'État en 2015 (résultats et gestion) », l'exécution 2015 de la mission « Santé » met en évidence trois types d'irrégularités relatives aux principes d'annualité, d'unité et de sincérité budgétaire , sur lesquelles votre rapporteur spécial s'interrogeait dès la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2015.

Premièrement, deux opérations contreviennent au principe d'annualité . D'une part, la constitution d'une nouvelle dette vis-à-vis de la CNAMTS au titre du dispositif d'AME de droit commun pour montant de 12,5 millions d'euros souligne l'insuffisance des crédits prévus et ouverts sur le programme 183. Ce montant s'ajoute aux 3,5 milliards d'euros de dette comptable nette de l'État à l'égard des organismes de sécurité sociale à la fin de l'année 2015. Si l'analyse en comptabilité générale permet de retracer la constitution de cette dette et d'appréhender le coût global de l'AME de droit commun, les 12,5 millions d'euros acquittés par la CNAMTS devraient, en comptabilité budgétaire, être rattachés à l'exécution de la mission « Santé » pour l'année 2015. De plus, la constitution de cette nouvelle dette, après l'apurement de la dette de 57,3 millions d'euros opéré en loi de finances rectificative pour 2015, réduit les efforts conduits pour assainir les relations financières entre l'État et les organismes de sécurité sociale en 2015, avec une réduction du volume des actifs de 33 % et des passifs de 13 %. D'autre part, si l'apurement de la dette contractée par l'agence de santé de Wallis et Futuna est bienvenu, votre rapporteur spécial en regrette les modalités . D'une part, le recours à un prêt étalé sur vingt ans entraine une charge annuelle de 1,3 million d'euros pour financer des dépenses de fonctionnement courant de l'agence de santé . D'autre part, le choix d'un prêt bonifié de l'AFD, nécessairement contracté à des conditions financières moins avantageuses que les conditions de financement de l'État, apparait préjudiciable à la maîtrise des dépenses publiques.

Deuxièmement, les modifications intervenues dans le périmètre du programme 204 compromettent le principe d'unité budgétaire , selon lequel le budget de l'État doit être retracé dans un document unique. En raison du champ couvert, la mission « Santé » se caractérise par une certaine perméabilité avec le budget de l'assurance maladie. Dès son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2015, votre rapporteur spécial s'inquiétait de changements de périmètre, faiblement justifiés et entraînant des transferts de compétences parfois non compensés , à l'instar du transfert à l'assurance maladie du financement de la Haute Autorité de santé, de l'Agence technique de l'information sur hospitalisation et du Centre national de gestion.

Troisièmement, la sous-budgétisation récurrente des dépenses d'AME de droit commun portées par le programme 183 contrevient au principe de sincérité budgétaire. Les hypothèses retenues dans le projet annuel de performance se fondaient sur l'effet conjugué d'une évolution tendancielle des effectifs de bénéficiaires de l'AME identique à celle observée entre 2008 et 2013, d'une stabilité des coûts moyens des dépenses de santé prises en charge et des économies attendues au titre de la fin de la prise en charge des médicaments à faible service médical rendu et de la réduction des effectifs résultant de la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile. Dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2015, votre rapporteur spécial mettait déjà en doute la fiabilité de cette prévision, en particulier s'agissant des économies attendues de la réforme du droit d'asile, particulièrement irréalistes, et de l'hypothèse d'une stabilité des coûts moyens des dépenses de santé, en décalage avec le taux d'évolution de l'ONDAM pour 2015 (+ 2,1 %).

4. Des programmes aux dynamiques différentes, mais une mission budgétairement insoutenable

La modification de périmètre opérée sur le champ du programme 204 accentue la rigidité de la mission , dans la mesure où l'essentiel des crédits est concentré sur les subventions pour charges de service public aux opérateurs sanitaires et les dépenses de guichet de l'AME, caractérisées par un pilotage contraint pour les premières, et difficile pour les secondes. Il s'ensuit une réduction des marges de manoeuvre du Parlement . Elle entraine de surcroit un affaiblissement de la capacité de pilotage de l'État vis-à-vis de ces opérateurs, au profit de l'assurance maladie.

Au-delà de la rigidité accrue de la mission, sa soutenabilité même peut être mise en doute . Malgré le recours à la dette et aux débudgétisations pour limiter la dérive des dépenses, ainsi que l'ouverture répétée de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative, la mission s'écarte de sa trajectoire pluriannuelle . Les dynamiques des deux programmes distinguent l'augmentation peu contrôlée des dépenses de l'AME de droit commun et les efforts menés sur le programme 204. Alors que le fonds de roulement des opérateurs sanitaires se rapproche du niveau prudentiel, que des doutes existent sur l'impact réel sur les dépenses de fonctionnement de la réforme du système d'agences, et que les économies structurelles engagées en matière d'AME ne suffisent pas à contenir la hausse tendancielle du nombre de bénéficiaires, votre rapporteur spécial souligne à nouveau la nécessité d'une réforme en profondeur du dispositif d'AME de droit commun.

5. Le sujet des dépenses fiscales portées par la mission reste à traiter

La mission « Santé » porte dix dépenses fiscales, sept sur le programme 204 et trois sur le programme 183, pour un coût de 3,3 milliards d'euros , stable par rapport à 2014. Aucune n'a connu d'évolution significative entre les deux exercices. Dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2015, votre rapporteur spécial soulignait que cinq de ces dépenses fiscales avaient été jugées inefficaces par le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales en 2011 182 ( * ) ou n'avaient fait l'objet d'aucune évaluation et rappelait à cet effet les règles de gouvernances introduites par l'article 18 de la loi de programmation des finances publiques 2012-2017, qui prévoyait l'évaluation de leur efficience et de leur efficacité 183 ( * ) . Même, deux dépenses fiscales ne faisaient l'objet d'aucun chiffrage en projet de loi de finances initiale .

Liste des dépenses fiscales rattachées à la mission « Santé » en 2015

(en millions d'euros)

Dépense fiscale sur impôt d'État

Exécution 2014

Chiffrage pour 2015

Exécution

2015

Évaluation (1)

Taux de 2,1 % sur les médicaments remboursables ou soumis à autorisation temporaire d'utilisation

2 465

2 455

2 475

3

Exonération des indemnités journalières servies au titre des maladies « longues et coûteuses »

375

380

390

0

Taux de 10 % sur les prestations de soins dispensées en établissements thermaux

27

26

27

3

Exonération d'IR de la rémunération perçue au titre de la permanence des soins par les médecins dans certaines zones rurales ou urbaines

18

16

18

1

Déduction forfaitaire au titre du groupe III déclarée par les médecins conventionnés

10

9

10

3

Exonération des plus-values à l'occasion de la reconversion des débits de boissons

3

2

3

-

Exonération de taxe sur la publicité télévisée sur les messages passés pour le compte d'oeuvres d'utilité publique

nc

nc

nc

-

Total dépenses rattachées au programme 204

2 898

2 888

2 923

Exonération totale puis à hauteur de 50 % des indemnités aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles

370

370

380

0

Exonération des indemnités versées aux victimes de l'amiante

11

9

10

3

Déduction de l'actif successoral des rentes ou indemnités versées en réparation de dommages corporels liés à un accident ou une maladie

nc

nc

nc

-

Total dépenses rattachées au programme 183

511

379

390

Total dépenses rattachées à la mission

3 409

3 267

3 313

nc : chiffrage non connu

(1) Des scores allant de 0 à 3 sont attribués à chaque dépense fiscale. 0 désigne une dépense inefficace, puis les niches efficaces sont notées de 1 à 3 selon leur efficience, 3 constituant le score maximum. Un tiret (-) indique qu'aucune évaluation n'a été réalisée.

Source : rapport annuel de performance de la mission « Santé » pour 2015

De fait, votre rapporteur spécial regrette que l'évaluation des dépenses fiscales n'ait pas progressé au cours de l'exercice 2015, alors même qu'elles représentent près de trois fois le montant des crédits portés par la mission « Santé ». De ce point de vue, les nouvelles mesures de gouvernance portant sur les dépenses fiscales issues de la nouvelle loi de programmation des finances publiques 184 ( * ) ne garantissent pas leur évaluation, dans la mesure où elles portent uniquement sur les nouvelles dépenses fiscales. Toutefois, la revue de dépenses, intégrant les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales, prévues à son article 22 pourrait constituer un cadre propice de réexamen de ces dépenses fiscales. Pour les dépenses fiscales existantes, seule une présentation de leur coût est prévue.


* 181 Loi de finances rectificative n° 2015-1786 du 29 décembre 2015.

* 182 Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, 2011.

* 183 Loi n° 2012-1558 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, dont l'article 19 fixe une obligation d'évaluation des dépenses fiscales et niches sociales existantes chaque année, devant conduire à l'évaluation de l'ensemble durant la période considérée.

* 184 Loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

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