EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

L'action extérieure des collectivités territoriales, ce que l'on appelait autrefois la « coopération décentralisée », a pris une importance croissante au fil des ans, au point que certains n'hésitent plus à employer l'expression de « diplomatie des territoires ».

Ainsi, la réunion de la commission nationale de la coopération décentralisée du 4 juillet dernier a été l'occasion de mettre en valeur le rôle de plus en plus incontournable des collectivités territoriales en matière d'action extérieure. Le 31 août suivant, la semaine des ambassadeurs, sous l'égide du ministre des affaires étrangères, M. Jean-Marc Ayrault, a consacré une de ses séances à la « diplomatie des territoires ». Un Livre blanc devrait prochainement être publié afin de renforcer la mise en cohérence entre l'action diplomatique de l'État français et celle de ses territoires.

Plus de 4 800 collectivités territoriales françaises conduisent actuellement des actions extérieures dans environ 146 pays impliquant 9 000 collectivités étrangères, ce qui représente un total de 12 700 projets pour un budget d'un milliard d'euros.

Nos territoires ultramarins représentent une « richesse diplomatique » en raison de leur situation géographique et de leur connaissance stratégique de leur environnement. Comme le souligne M. André Laignel, « les collectivités des outre-mer sont bien placées pour être de véritables promoteurs de l'image et des intérêts de la France dans leur zone géographique de coopération » 1 ( * ) . Elles occupent une place fondamentale qu'il convient de mettre en valeur et de renforcer.

La République reconnaît d'ailleurs à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie des pouvoirs autonomes étendus en matière de négociation, qui en font de « véritables sujets de la diplomatie » 2 ( * ) .

Quant aux départements et régions d'outre-mer, ils se sont vus notamment reconnaître, depuis 2000, la faculté de conclure, dans le cadre d'une procédure formalisée d'approbation, des accords avec des États étrangers au nom de l'État.

La présente proposition de loi de MM. Bruno Le Roux, Serge Letchimy et l'ensemble du groupe Socialiste, Républicain et Citoyen de l'Assemblée nationale, tend à conforter les collectivités ultramarines relevant de l'article 73 de la Constitution - les départements et régions d'outre-mer ainsi que les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique - dans cette mission de diplomatie territoriale. Pour les collectivités ultramarines relevant de l'article 74 de la Constitution, toute évolution nécessite une loi organique, qui pourrait s'avérer nécessaire à l'avenir.

Cette proposition de loi traduit un engagement du Président de la République lors de son déplacement aux Antilles, en mai 2015, proposition pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. Dès lors, on peut s'étonner - et regretter - qu'adoptée le 24 mars dernier par l'Assemblée nationale, elle ne soit inscrite à l'ordre du jour du Sénat que sept mois plus tard.

Votre commission approuve en effet le dispositif proposé qui représente une reconnaissance du succès de l'action extérieure de nos territoires ultramarins et leur donne les outils nécessaires pour son développement.

I. LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION RÉGIONALE DES COLLECTIVITÉS RELEVANT DE L'ARTICLE 73 DE LA CONSTITUTION

Pays unitaire, la France s'est longtemps montrée réticente à confier un pouvoir en matière de négociation et de conclusion d'accords internationaux à des collectivités territoriales, ou encore à permettre à ces dernières d'adhérer à des organisations internationales. En effet, le droit français s'est aligné sur les règles de droit international selon lesquelles la souveraineté des États constitue un principe essentiel qui s'oppose à ce que des collectivités infra-étatiques se voient reconnaître de telles prérogatives. Le développement de la coopération internationale par des entités infra-étatiques, en particulier dans les États fédérés, a toutefois permis une évolution du droit international, prise progressivement en compte par notre droit national.

La loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer représente à cet égard un tournant majeur. S'inspirant de ce qui existait déjà en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, elle a renforcé les compétences des départements et des régions d'outre-mer en matière de coopération régionale, en leur confiant des prérogatives destinées à favoriser leur insertion dans leur environnement régional.

Les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution disposent ainsi actuellement de plusieurs outils en matière de coopération régionale : la conclusion d'accords bilatéraux ou multilatéraux, le concours des ambassadeurs délégués à la coopération régionale ainsi que divers instruments financiers.

A. LA CONCLUSION D'ACCORDS BILATÉRAUX ET MULTILATÉRAUX

Chaque conseil départemental et régional d'outre-mer peut adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion 3 ( * ) :

- d'engagements internationaux en matière de coopération régionale entre la République française et, selon la collectivité concernée, les États de la Caraïbe, les États voisins de la Guyane et les États de l'océan Indien ;

- d'accords avec des organismes régionaux des aires correspondantes, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations unies.

Ces mêmes collectivités peuvent également saisir le Gouvernement de toute proposition tendant à l'adhésion de la France à des organismes régionaux 4 ( * ) . De même, dans leurs domaines de compétences, elles peuvent, par délibération, demander aux autorités de la République d'autoriser leur président à négocier, dans le respect des engagements internationaux de la France, des accords avec un ou plusieurs des États situés dans les zones précédemment citées, territoires ou organismes régionaux 5 ( * ) . Dans ce cas, à l'issue de la négociation, à laquelle les autorités de la République sont représentées si elles le demandent, le projet d'accord est soumis à la délibération du conseil départemental ou régional pour acceptation. Les autorités de la République peuvent ensuite donner pouvoir au président de la collectivité concernée, aux fins de signature de l'accord.

Par ailleurs, les autorités de la République peuvent, dans les domaines de compétences de l'État, délivrer pouvoir au président d'un conseil départemental ou régional d'outre-mer pour négocier et signer des accords avec un ou plusieurs États ou territoires situés, selon le cas, dans la Caraïbe, au voisinage de la Guyane ou dans la zone de l'océan Indien, ou avec des organismes régionaux des aires correspondantes, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations unies 6 ( * ) . Si cette faculté n'est pas mise en oeuvre, le président du conseil départemental ou régional, ou leur représentant, peut être associé ou participer au sein de la délégation française aux négociations sur ces accords. Le président peut également être chargé par les autorités de la République de les représenter au sein d'organismes régionaux, muni des instructions et pouvoirs nécessaires.

Dans le cas de la négociation et de la signature d'accords internationaux portant à la fois sur des domaines de compétences de l'État et d'un département ou d'une région d'outre-mer, le président de la collectivité ultramarine concernée ou son représentant peut participer, au sein de la délégation française, à la négociation de ces accords 7 ( * ) .

Enfin, ont été mises en place deux instances de concertation des politiques de coopération régionale - l'une dans la zone Antilles-Guyane, l'autre dans la zone de l'océan Indien - composées de représentants de l'État, des conseils régionaux et départementaux concernés 8 ( * ) .

Les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, issues de la fusion des conseils régionaux et départementaux de ces deux territoires 9 ( * ) , bénéficient de ces mêmes facultés.

Enfin, les collectivités départementales, régionales et territoriales d'outre-mer envoient certains de leurs agents dans des ambassades françaises afin que soient représentés les intérêts spécifiques de leur territoire. Ces agents côtoient ainsi ceux du réseau diplomatique sans pour autant bénéficier des mêmes droits et protections.


* 1 « L'action extérieure des collectivités territoriales françaises : Nouvelles approches... nouvelles ambitions » de M. André Laignel, 2013. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Rapport_Action_exterieure_Collectivites_Laignel_2013_cle0d11c5.pdf

* 2 Ibid.

* 3 Articles L. 3441-2 et L.4433-4-1 du code général des collectivités territoriales.

* 4 Article L. 3441-6 du code général des collectivités territoriales.

* 5 Articles L. 3441-4 et L. 4433-4-3 du code général des collectivités territoriales.

* 6 Articles L. 3441-3 et L. 4433-4-2 du code général des collectivités territoriales.

* 7 Articles L. 3441-5 et L. 4433-4-4 du code général des collectivités territoriales.

* 8 Article L. 4433-4-7 du code général des collectivités territoriales.

* 9 Loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.

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