EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 novembre 2016 sous la présidence de Mme Michèle André, la commission a examiné le rapport de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Enseignement scolaire » (et articles 55 octies et 55 nonies ).

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - La mission « Enseignement scolaire » sera dotée en 2017 de 70 milliards d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, soit une augmentation de plus de 4 % de ses crédits, correspondant à 3 milliards d'euros, par rapport à 2016. Formidable !, direz-vous. Mon jugement est plus nuancé.

Parmi les points positifs, l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (ISAE) versée aux enseignants du premier degré est revalorisée. Actuellement, les instituteurs ne perçoivent que 400 euros, les enseignants du secondaire, 1 200 euros. Le budget propose un alignement, qui bénéficiera à 300 000 enseignants. Cette mesure a un effet symbolique et matériel considérable ; j'y suis favorable.

Les moyens en faveur de l'enseignement technique agricole continuent de croître. Le programme 143 verra ses crédits augmenter de 2,5 % par rapport à 2016. Le coût unitaire de formation par élève devrait être contenu ; on optimise les heures d'enseignement, notamment en réduisant le nombre d'enseignements en très petits groupes qui coûtent cher.

Je salue l'effort entrepris en matière de scolarisation des élèves handicapés. En 2015-2016, ils étaient près de 280 000 à être scolarisés.

Enfin, le niveau de crédits alloués au fonds de soutien aux activités périscolaires, fixé à 373 millions d'euros, apparaît plus sincère que l'an dernier - il était alors de 319 millions d'euros.

Mais ce budget ne s'attaque pas au vrai problème, à savoir la diminution constante de la performance de l'enseignement français, selon les enquêtes nationales et internationales. Ainsi, seuls 82 % des élèves entrant en sixième maîtrisent la compétence 1 du socle commun (la maîtrise de la langue française) et 72 % la compétence 3 (principaux éléments de mathématiques et culture scientifique et technologique).

L'enquête PISA de 2012 montre que le fossé se creuse entre une élite scolaire dont le niveau continue de progresser et une part croissante d'élèves rencontrant des difficultés. Ces écarts s'expliquent notamment par le poids des déterminismes sociaux en France, pays de l'OCDE où le milieu d'origine a le plus d'influence sur les résultats scolaires.

Face à ce diagnostic, et conformément à ses engagements électoraux, le Gouvernement n'offre d'autre réponse que le dogme des effectifs.

M. Didier Guillaume . - C'est une des réponses...

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - En 2017, 11 802 postes seront créés. Si les schémas d'emplois pour 2016 et pour 2017 étaient respectés, l'objectif de 55 000 créations de postes sur le quinquennat serait atteint. Mais la statistique est la forme suprême du mensonge ! En réalité, ces créations de postes mélangent différentes catégories de personnels : les assistants d'éducation pour 2 150 postes, les accompagnants aux élèves en situation de handicap pour 4 251 postes, les assistants de vie scolaire individuels pour 195 postes. En outre, près de la moitié de ces créations de postes concerne des stagiaires, qui n'enseignent qu'à mi-temps. Par ailleurs, les postes ouverts ne sont pas nécessairement pourvus. Entre 2012 et 2015, 4 075 postes sont ainsi restés vacants, qui plus est dans les matières les plus fondamentales - français, mathématiques et langues vivantes étrangères. C'est inquiétant et souligne le déficit d'attractivité de la profession.

Le Gouvernement a choisi une politique du chiffre dangereuse.

D'une part, les niveaux attendus aux concours de recrutement risquent de diminuer. Certains jurys de CAPES indiquent avoir pris en compte le nombre de postes ouverts dans la fixation des seuils d'admission et d'admissibilité plutôt que les capacités des impétrants. D'autre part, pour combler les vacances, le ministère a recours, dans l'urgence, à un nombre important de contractuels, recrutés parfois par simple appel téléphonique.

Le rééquilibrage en faveur du premier degré demeure insuffisant. L'augmentation de 3 milliards d'euros des dépenses de personnel résulte dans une large mesure de la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), général à la fonction publique. L'effort n'est donc pas ciblé sur le primaire.

Il n'y a pas non plus d'effort de maîtrise des dépenses non salariales. Ainsi, le coût du système d'information de gestion des ressources humaines Sirhen a explosé, passant d'une prévision de 80 millions d'euros à 323 millions d'euros. À l'heure actuelle, seuls 18 000 agents sont gérés par ce système d'information.

Le plan numérique à l'école se traduira par une dépense de 190 millions d'euros alors que les professionnels doutent de l'efficacité pédagogique de cette mesure. Les opérateurs de l'éducation nationale ne participent en rien à l'effort d'économie globale de fonctionnement. La subvention pour charges de service public des opérateurs augmentera de plus de 3 millions d'euros en 2017.

L'article 55 octies, introduit à l'Assemblée nationale, tire les conséquences de la pérennisation de la dérogation pour les communes qui organisent la semaine scolaire sur huit demi-journées, et concentrent toutes les activités périscolaires sur la neuvième demi-journée : elles pourront continuer à percevoir les aides du fonds de soutien aux activités périscolaires.

L'article 55 nonies prend en compte la suppression de l'échelonnement indiciaire spécifique dont bénéficiaient les enseignants bi-admissibles à l'agrégation, et qui leur rappelait le souvenir de leur double échec. Cette mesure adoptée par l'Assemblée nationale est bienvenue.

Parce que les 3 milliards d'euros mobilisés pour l'enseignement scolaire ne servent pas à opérer un rééquilibrage en faveur du primaire et, plus généralement, ne permettront pas de répondre aux vrais défis de l'éducation nationale, je vous propose de rejeter les crédits de la mission « Enseignement scolaire », même si je reconnais que sur certains points, il y a eu des gestes responsables.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Avec 70 milliards d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement en 2017, la mission « Enseignement scolaire » constitue, de loin, le principal poste du budget de l'État. Cet effort, qui traduit le choix de notre pays de consacrer une part importante de ses dépenses publiques à la formation de sa jeunesse, constitue globalement un motif de satisfaction.

Le budget 2017 de la mission, en augmentation de près de 3 milliards d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, apporte certaines réponses. À la différence de Gérard Longuet, j'estime qu'il poursuit le chantier de reconstruction d'un vivier de personnels plus nombreux et mieux formés, après les coupes drastiques opérées sous le précédent Gouvernement : 80 000 postes avaient été supprimés en raison du non remplacement d'un départ sur deux à la retraite. Les effets de cette politique se font encore sentir, alors que les créations de postes annoncées concernent pour la moitié des enseignants stagiaires qui ne passent que la moitié de leur temps à enseigner, le reste étant consacré à la formation.

Il fallait augmenter les effectifs pour répondre à la hausse de la démographie scolaire - entre 2011 et 2015, le nombre d'élèves a augmenté de 7,7 % - mais aussi pour renforcer certains dispositifs en faveur des élèves rencontrant des difficultés particulières. Je pense aux réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté.

Les 11 802 créations de postes prévues étaient nécessaires mais seront insuffisantes pour répondre aux besoins de notre système éducatif.

Nous constatons tous, sur le terrain, la faiblesse du taux de remplacement des courtes absences, les difficultés des chefs d'établissement à mettre un enseignant devant chaque classe.

Le nombre élevé de postes vacants ou pourvus par des enseignants stagiaires contraint de nombreux établissements, souvent situés dans les académies les moins favorisées, à recourir à des enseignants contractuels qui ne sont généralement pas formés. Ce n'est pas acceptable, sachant que notre système scolaire figure parmi les plus inégalitaires de l'OCDE.

Cette situation doit s'analyser au regard de la faible attractivité du métier d'enseignant, liée à la dégradation des conditions de travail et de la condition matérielle des enseignants.

Un effort significatif en matière de rémunération a certes été entrepris ces dernières années avec la création de l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves versée aux enseignants du premier degré depuis 2013 ou encore la revalorisation des indemnités pour les enseignants de l'éducation prioritaire. Cet effort sera amplifié en 2017.

Le premier degré demeure cependant le parent pauvre de notre système, alors que les difficultés scolaires se cristallisent à cette période. Les études nationales et internationales montrent que la proportion d'élèves ne maîtrisant pas les compétences fondamentales en fin de CE1, de l'ordre de 20 %, est à peu près la même en fin de troisième. L'effort de rééquilibrage en faveur du primaire mérite d'être poursuivi.

Plus généralement, la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnel, carrières et rémunérations » (PPCR), dont le coût pour 2017 est estimé, contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » comprise, à plus de 780 millions d'euros, se traduira par des hausses de revenu significatives pour les enseignants. Ce geste, bien que trop tardif, était attendu.

Néanmoins, comme Gérard Longuet, je pense qu'un effort plus soutenu aurait pu être fait en faveur des enseignants les plus jeunes, alors que le protocole « Parcours professionnel, carrières et rémunérations » se concentre sur la fin de carrière.

Le plan en faveur de la jeunesse annoncé en avril 2016 par le Premier ministre, dont le coût est estimé à 72 millions d'euros en 2017, comporte différentes mesures qui vont dans le bon sens.

L'aide à la recherche du premier emploi (ARPE) destinée aux jeunes de moins de vingt-huit ans permettra d'assurer la transition entre l'école et la vie professionnelle. Je regrette cependant que l'Assemblée nationale ait voté un amendement du Gouvernement visant à diminuer de 47,5 millions d'euros les crédits consacrés à ces dispositifs.

L'an dernier, je m'étais inquiété de la réforme annoncée des bourses de lycée. Le dispositif qui nous est proposé devrait se traduire par une simplification des conditions d'attribution et par une augmentation de l'ordre de 10 % des montants, soit 25 millions d'euros supplémentaires. Attention toutefois à ce que les nouvelles modalités d'attribution ne se traduisent pas par une diminution du nombre de bénéficiaires.

Si le budget 2017 de la mission « Enseignement scolaire » présente certains points de satisfaction, il me semble manquer d'ambition face, par exemple, au déficit d'attractivité du métier d'enseignant, lié notamment à la faiblesse des salaires en début de carrière.

Par ailleurs, l'effort de 100 millions d'euros consacré à la formation continue en 2017 est un minimum compte tenu de la mise en oeuvre de la réforme du collège et de la volonté de développer l'usage du numérique dans les établissements. Aussi je vous proposerai de vous abstenir sur ce budget.

Je considère que les dérogations prévues par le décret « Hamon », puis le décret du 1 er août 2016, tendent purement et simplement à revenir sur la réforme des rythmes scolaires. Néanmoins, la suppression de l'article 55 octies aurait pour conséquence de pénaliser financièrement les communes ayant mis en oeuvre ces dérogations. Aussi, je m'abstiendrai sur cet article.

S'agissant de l'article 55 nonies , il me semble relever du domaine règlementaire. Le ministère m'a cependant indiqué que l'inscription au niveau législatif permettrait d'en asseoir le fondement juridique. Je m'abstiendrai donc également sur cet article.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Merci à nos rapporteurs, dont le constat ressemble étrangement à celui de l'année dernière. Les choses n'ont pas beaucoup changé. Malheureusement, dans le classement PISA, la France recule. Plus inquiétant, la France est, en matière d'éducation, de plus en plus inégalitaire, avec d'un côté un enseignement élitiste et, de l'autre, une frange de la population scolaire écartée des savoirs fondamentaux. Je regrette que le Gouvernement ait mis fin à des expériences utiles, comme les internats d'excellence devenus « internats de la réussite » ou d'autres solutions à destination des élèves en très grande difficulté, en décrochage ou exclus du système scolaire.

Nous consacrons beaucoup de moyens à l'enseignement, mais notre système scolaire laisse de côté beaucoup d'élèves. La France consacre plutôt moins de moyens au primaire que les autres pays, au profit du secondaire, qui se disperse, propose beaucoup trop d'options. Pour ma part, dans mon lycée du centre de Paris, j'avais choisi l'option menuiserie...

Concentrons les moyens sur les savoirs fondamentaux, sur le primaire, où la France est en retrait, et essayons d'offrir des solutions adaptées aux élèves les plus en difficulté. L'augmentation des effectifs n'est pas la réponse et ne se traduit pas par une réduction des inégalités ; le classement PISA est à cet égard très inquiétant.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur pour avis de la commission de la culture . - Ce budget connaît il est vrai une hausse importante : 3 milliards d'euros, c'est trois fois le budget de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Mais les deux tiers de cette augmentation sont dus aux augmentations de salaires et de pensions : seulement 1,2 milliard d'euros sont consacrés aux politiques éducatives, ce qui n'est pas négligeable, je l'admets.

Comme l'a dit Gérard Longuet, ce budget ne s'attaque pas à la vraie cause de l'échec scolaire, à savoir l'échec dans le premier segment du primaire - dernière année de maternelle, CP et CE1, ce « premier cycle » prévu par la loi « Jospin » mais jamais appliqué. L'avenir scolaire d'un jeune est quasiment scellé le jour de son septième anniversaire. Sur les 140 000 jeunes qui sortent sans diplôme ni qualification du système scolaire, un sur deux avait soit redoublé le CP, soit connu des difficultés au cours de ce premier cycle, dans un pays où le déterminisme social est total. Il faut donc faire porter les efforts sur ce cycle. Des crédits ont été redéployés mais ils demeurent largement insuffisants et l'on accorde trop peu de moyens aux pédagogies qui permettraient aux enseignants, pour peu qu'ils y soient formés, de tenter d'améliorer les choses.

En outre, le métier de professeur des écoles n'est pas assez attractif ; leur rémunération est inférieure de 20 % à celle des professeurs du secondaire ; sur une carrière, elle est inférieure de 30 % à celle de leurs homologues allemands. L'inflation budgétaire n'est manifestement pas la réponse, puisque le budget de l'enseignement scolaire a doublé ces vingt dernières années.

À son arrivée au ministère de l'éducation nationale, Jack Lang lancé un plan de création de 185 000 postes d'enseignant sur cinq ans. Or selon l'enquête PISA de 2010, qui portait sur les enfants qui avaient bénéficié de ces moyens supplémentaires, les résultats ne se sont pas améliorés. Il faut donc redéployer les moyens vers le primaire, former les enseignants à des pédagogies adaptées pour rattraper les jeunes décrocheurs.

C'est pourquoi je proposerai à la commission de la culture de proposer au Sénat de rejeter les crédits de la mission, sans nier les efforts qui ont été faits dans certains domaines, mais qui restent insuffisants.

M. Maurice Vincent . - La majorité sénatoriale a décidé qu'il n'était pas souhaitable de débattre du budget. Je le regrette d'autant plus que nos rapporteurs spéciaux ont bien travaillé - en particulier pour parler d'autre chose que du budget ! Le Gouvernement a encore mieux travaillé en présentant un budget que nous aurions eu plaisir à défendre. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, que vous avez décidé de ne pas en discuter. Nous ne sommes pas d'accord avec la proposition de notre rapporteur Gérard Longuet de rejeter les crédits. C'est un budget à mettre sous verre, quand on entend ce qui, peut-être, nous arrivera l'année prochaine.

M. Vincent Delahaye . - Année après année, les moyens par élève sont plus élevés que la moyenne tandis que les résultats et le niveau sont inférieurs à la moyenne, de même que la rémunération des enseignants, et l'on ne consacre pas suffisamment de moyens au premier degré.

Le diagnostic est clair, mais rien ne change. Ce projet de budget ne marque aucune inflexion, et ne propose que de poursuivre les créations de postes.

J'aimerais disposer d'un tableau synthétique retraçant l'évolution du nombre d'élèves, du nombre de classes et du nombre d'enseignants.

La réforme des rythmes scolaires reste contestée et contestable. J'aimerais qu'on en dresse le bilan. L'État y consacre 373 millions d'euros, somme jugée plus sincère par nos rapporteurs. Mais si l'on ajoute le coût pour les collectivités locales, quel est son coût global en année pleine ? Il faudra qu'un prochain gouvernement revienne sur cette réforme.

Le groupe de l'UDI-UC s'associera à la proposition de Gérard Longuet de rejeter ce projet de budget.

M. Éric Bocquet . - Je suis toujours réservé sur l'emploi du terme de « performance » à propos du système éducatif.

Le déterminisme social est malheureusement une réalité ; la catégorie sociale de l'élève détermine son bagage culturel et lexical à l'entrée en CP, et même en maternelle. Un élève qui réussit en CP dispose de deux fois plus de mots qu'un élève en difficulté. La situation se dégrade. Si notre pays est encore capable de former l'élite dont il a besoin, il laisse malheureusement de côté beaucoup trop d'élèves.

Les inégalités sociales croissent dans notre pays. Comment vit un enfant dont la famille fréquente les Restaurants du coeur ? Quelle est son appétence pour l'éducation, pour l'école, quel est son projet, sa motivation, son avenir ? Sans tomber dans le misérabilisme, il faut avoir cela en tête.

Les écarts s'accroissent au fil de la scolarité, jusqu'à doubler. Les moyens humains ne régleront certes pas tout et l'école ne pourra pas résorber seule ces inégalités - il faut en parallèle poser la question du chômage, des inégalités de revenus, etc. -, mais ils sont quand même essentiels : une classe de vingt-quatre élèves autonomes ou une classe de quinze élèves en difficulté, ce n'est pas la même chose et la réussite n'est pas la même au bout.

M. Dominique de Legge . - On note une progression importante des effectifs d'élèves en situation de handicap : plus 53 415 élèves, soit 23 %. Faut-il y voir un meilleur accueil et une meilleure intégration des enfants en situation de handicap en milieu ordinaire ou bien une augmentation du nombre de personnes en situation de handicap ? Dans ce cas, quelle est la nature du handicap ?

M. Marc Laménie . - Il s'agit là du premier budget de la nation - plus de 70 milliards d'euros. Les moyens humains sont indispensables, mais, en dépit du dévouement des enseignants, les difficultés rencontrées sont nombreuses et cruelles.

Entre 1980 et 2015, les dépenses engagées par l'État, les collectivités territoriales et les ménages sont passées de 66 milliards d'euros à 130 milliards d'euros. Comment se répartissent les personnels entre l'administration centrale et les classes d'enseignement ? Les programmes sont de plus en plus denses alors que les fondamentaux - l'écriture, la lecture, le calcul - sont trop souvent laissés de côté. C'est réellement sur le premier degré que devraient porter les efforts.

Mme Marie-France Beaufils . - N'en déplaise à Gérard Longuet, l'éducation prioritaire a démontré que le travail en petits groupes, particulièrement dans le primaire, avait bien souvent permis à des enfants d'entrer au collège mieux armés. C'est un point sur lequel il ne faut pas céder.

L'enseignement agricole a également su, avec des petits groupes, aider des élèves à rattraper leurs difficultés et obtenir de très bons résultats. Malheureusement, ces classes spécifiques n'ont pas été maintenues.

Par ailleurs, je sais que le ministère de l'éducation a engagé un travail d'audit et d'analyse des nouveaux rythmes scolaires. Ma ville a été partie prenante à ce travail d'appréciation. A-t-on eu quelques échos ?

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Je partage l'analyse du rapporteur général : le qualitatif et l'orientation vers des procédures de succès sont absentes de ce projet de budget. C'est pourquoi nous considérons que les moyens ne sont pas mobilisés en faveur de ce qui est le plus important : l'enseignement primaire et le soutien aux pédagogies qui marchent.

Pour répondre à Marie-France Beaufils, le travail en petits groupes permet incontestablement de remettre dans le « droit chemin » des élèves qui s'en éloigneraient. Ce que nous reprochons au système, c'est l'absence de détection en amont : on ne prête pas assez d'attention aux difficultés constatées ab initio chez les très jeunes enfants dont le vocabulaire est trop limité - on en revient au déterminisme social - parce qu'ils sont issus d'un milieu où le vocabulaire est insuffisamment étendu, différencié, adapté. Si nous portions un regard plus attentif sur le tout début du primaire, nous éviterions les sessions de rattrapage.

Le coût budgétaire des petits groupes pose essentiellement problème dans l'enseignement secondaire et dans l'enseignement professionnel. En tant qu'élus locaux, nous sommes comptables : nous voulons toujours maintenir les établissements et récusons des regroupements qui seraient pertinents. Je parle d'expérience, élu d'une région de tradition industrielle où les lycées professionnels ont repris les formations d'organismes créés grâce à des initiatives privées patronales, consulaires ou paternalistes. Chaque établissement cultive sa singularité ; il s'ensuit une grande dispersion des moyens avec un ratio enseignant par élève très faibles. Cela coûte très cher et n'a guère d'utilité.

Quand il s'agit de rattraper un retard en lecture, le travail en petits groupes peut être pertinent, mais on évitera d'en arriver là si l'on décèle les difficultés en amont.

La commission a demandé à votre rapporteur spécial de travailler sur les heures supplémentaires dans le second degré. Ce travail, qui sera restitué début décembre, sera l'occasion d'aborder la question de la durée du travail de l'enseignant, problème à peu près sans solution statistique car nous ne sommes pas dans une logique comptable comparable aux minutes de production dans la confection ou dans l'emboutissage.

Je ne réponds pas à Jean-Claude Carle, dont je partage entièrement le point de vue.

À Maurice Vincent, je répondrai que nous aurons un débat non pas sur le budget, mais sur les heures supplémentaires, lors de la restitution du travail que j'ai mené le 7 décembre. Quand un budget est consacré essentiellement aux salaires, on peut demander si le temps de travail est utilisé pertinemment. Vous avez raison de souligner la nécessité d'un effort quantitatif et nous avons raison de dire que cet effort, s'il n'est pas doublé une réflexion qualitative sur l'utilisation de cette masse d'heures considérable, risque de nous faire perdre un peu d'argent.

Pour répondre à la remarque de Vincent Delahaye, une synthèse des statistiques sur les élèves, les classes et les enseignants manque en effet, il s'agit de l'une des recommandations que je formule dans mon rapport sur les heures supplémentaires.

L'association des maires de France évalue le coût global du périscolaire à un montant compris entre un milliard d'euros et 1,2 milliard d'euros ; la contribution de l'État représente donc un petit tiers du coût total. Le problème, c'est le secondaire, notamment son deuxième cycle : les moyens sont trop importants par rapport aux performances.

Éric Bocquet a malheureusement raison d'évoquer le déterminisme social et la reproduction des inégalités sociales. L'action des collectivités locales pour essayer d'impliquer les élus, les associations et les parents devrait constituer une réponse. Si l'on considère l'éducation nationale comme un producteur et les parents comme de simples consommateurs, on va l'échec. Je constate, y compris dans des quartiers difficiles, le développement de l'enseignement privé sous contrat. Cela résulte de l'engagement des parents. Toute action d'enseignement qui ne mobilise pas les parents, qui ne les oblige pas à s'intéresser à l'éducation de leurs enfants est condamnée à perpétuer le déterminisme social. C'est aussi l'occasion de mettre les parents à niveau.

Les chiffres évoqués par Dominique de Legge traduisent une meilleure compréhension des élèves en situation de handicap. Le handicap est-il, comme l'horizon, une ligne qui recule à mesure qu'on avance ? Je pense en effet que le handicap « traditionnel » s'efface au profit d'un handicap psychologique plus subtil mais réel. Où situer la frontière entre le handicap structurel et le handicap déterminé par l'environnement ? On s'aperçoit que les inadaptations traditionnelles diminuent en nombre grâce aux progrès de la médecine, mais qu'en revanche les inadaptations à la vie collective s'accroissent, pour des raisons plus sociales que somatiques.

Pour répondre à Marc Laménie, l'enseignement est supporté par l'État mais aussi par les collectivités locales et par les familles. Les défaillances de l'un sont-elles compensées par les autres ? Non. Il faudrait un partage des responsabilités et des engagements. Je constate que les ménages dépensent plus et n'hésitent pas, quitte à « se saigner », à s'adresser à l'enseignement hors contrat, dans le secondaire comme dans le supérieur : c'est une réponse, pas toujours pertinente, à une inquiétude. Pour nous tous qui avons la passion du service public et de la réussite publique, c'est un peu décevant. Bien que libéral, je n'ai pas envie pour autant de « marchandiser » complètement l'enseignement. Il suffit d'ailleurs d'observer les publicités dans les transports en commun pour les services de soutien scolaire.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Je vais me situer peut-être un peu plus dans l'idéologie...

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Dans la conviction !

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Il me semble que les difficultés rencontrées par notre système scolaire résultent de choix politiques.

Nous avons rencontré à la fois les organisations enseignantes, les parents d'élèves, qui ont évoqué ces problèmes et proposé des solutions. Peut-être faudrait-il faire une synthèse de toutes ces propositions pour introduire de l'efficacité dans notre système scolaire.

On croit détenir la vérité ; or je crois plutôt que c'est la vérité qui nous tient.

S'agissant des rythmes scolaires, peut-être faut-il aborder les choses autrement pour satisfaire les aspirations des Françaises et des Français. Parents d'élèves, organisations d'enseignants ou personnels de l'éducation nationale, le premier reproche qu'ils peuvent nous faire, c'est de ne pas les écouter.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des articles 55 octies et 55 nonies .

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Réunie à nouveau le jeudi 24 novembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable au projet de loi de finances pour 2017 .

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