C. DÉPASSER LES MESURES PONCTUELLES ET INTERROGER LES DÉTERMINANTS DE LA DÉPENSE AFIN DE LA RENDRE SOUTENABLE

1. Malgré un coût en progression de 40 % depuis 2012, seules des mesures ponctuelles visant à contenir la progression de la dépense d'AME ont été mises en oeuvre
a) La modification des règles de tarification, qui a temporairement contenu la progression de la dépense à partir de 2012, ne produira plus d'effet à compter de 2017

Dans le cadre de la généralisation progressive de la tarification à l'activité des établissements publics de santé 21 ( * ) , la loi de finances rectificative pour 2011 a procédé à une modification des modalités de tarification des séjours à l'hôpital des bénéficiaires de l'AME , en vue de les rapprocher de celles des assurés sociaux. La facturation sur la base du tarif journalier de prestation (TJP), à savoir un prix de journée propre à chaque hôpital, est plus élevée que la tarification à l'activité. Ainsi, l'évaluation de l'Agence technique de l'information hospitalière (Atih) en 2012 concluait que les montants facturés selon les nouvelles règles de calcul étaient inférieurs de 25 % au montant comptabilisé précédemment.

Cette réforme a contribué à diminuer la dépense d'AME de droit commun par rapport à son évolution tendancielle sur les exercices de 2012 à 2015 inclus :

- la moindre dépense atteint ainsi 92 millions d'euros en 2013 22 ( * ) . Toutefois, comme l'illustre le graphique ci-dessus, les économies liées à la réforme de la tarification ont été compensées par l'augmentation de la dépense imputable à l'augmentation des effectifs : l'effet volume a dépassé l'effet prix ;

- parallèlement, la réduction en 2014 et la suppression totale en 2015 des coefficients de majoration des tarifs hospitaliers prévus de façon transitoire en vue de lisser l'effet pour les hôpitaux de la mise en oeuvre de la tarification à l'activité aux séjours liés à l'AME de droit commun ont également contribué à contenir l'évolution des dépenses d'AME entre 2014 et 2016 .

Présentation de la dépense d'AME de droit commun exécutée et de l'économie temporaire permise au titre de la réforme de la tarification

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016 (p)

Crédits exécutés

587,5

744

760

765

770

Moindre dépense

54

92

26

29

5,5

Cumulé

146

172

201

206,5

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données du questionnaire budgétaire

Or les effets de la réforme de la tarification sont désormais complètement absorbés pour l'exercice 2017 , faisant redouter une accélération de la croissance de la dépense d'AME dans une plus grande proportion que l'augmentation des crédits demandés.

Observation n° 6 : le dynamisme de l'aide médicale d'État de droit commun met sous tension la soutenabilité de la mission « Santé », avec une dépense en croissance de 40 % et un nombre de bénéficiaires en hausse de 32 % depuis 2012 (316 000 bénéficiaires fin 2015). En outre, les mesures ponctuelles prises pour contenir la progression de la dépense ne produiront plus d'effet à partir de 2017.

b) Un renforcement des contrôles trop récent

Plusieurs dispositions introduites participaient d'une volonté d'améliorer la gestion et le suivi de l'AME. Un titre sécurisé, intégrant les données administratives du bénéficiaire ainsi qu'une photographie, a notamment été prévu. De même, le programme 183 « Protection maladie » intègre un indicateur relatif au contrôle des ressources déclarées des bénéficiaires de l'AME, retraçant la proportion des dossiers présentant des ressources nulles faisant l'objet d'un contrôle. La cible d'un contrôle complet de ces dossiers est atteinte depuis plusieurs exercices.

Outre les contrôles prévus lors de l'ouverture des droits, des opérations de contrôle aléatoires, notamment dans le cadre de signalements réalisés par des administrations auprès des caisses primaires d'assurance maladie, ont récemment été accentuées. Ainsi, les consulats français doivent signaler les situations leur paraissant suspectes ; ce partage de l'information a été renforcé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

Selon les informations communiquées, les contrôles diligentés ont permis de détecter un nombre croissant, mais toujours modeste, de fraudes : de 54 cas en 2014 à 115 cas en 2015, pour un préjudice total de 1,4 million d'euros . De fait, les modalités de gestion de l'AME de droit commun par les CPAM sont rigoureuses et les cas de fraude sont relativement rares. Les filières d'arrivées en France pour des raisons médicales, à l'instar de la filière géorgienne pour des cas de tuberculose signalée par la CPAM de Paris en décembre 2013 23 ( * ) , demeurent limitées.

Si le renforcement des contrôle est indispensable afin d'assurer une gestion rigoureuse de l'AME, il ne constitue pas un levier de maîtrise de la dépense . Pour autant, l'analyse des principaux cas de fraude permet de mieux appréhender les caractéristiques du dispositif, préalable indispensable à l'élaboration d'un recentrage du dispositif.

2. Assurer la soutenabilité de la mission « Santé » exigera une réflexion d'ensemble appréhendant les déterminants de la dépense de l'AME
a) Un cadre en vigueur spécifique à la France et inopérant

Le système français d'aide médicale d'État se caractérise par un double encadrement relatif aux ressources et à la durée minimale de résidence , contrebalancé par une absence de restriction des soins auxquels l'assistance ouvre droit . Or plus de la moitié des cas de fraude détectés en 2015, tant en nombre qu'en montants de préjudice porte sur la condition de résidence. En regard, les fraudes à l'identité ou à la condition de ressources restent limitées. Par conséquent, alors même que le critère de durée minimale de résidence constitue l'un des principaux facteurs restrictifs à l'octroi de l'AME, il se révèle en pratique peu opérant . S'il convient d'éviter un opportunisme sanitaire, il peut souvent être difficile de contrôler la durée de résidence de personnes séjournant irrégulièrement sur le territoire national. Parallèlement, une partie du dynamisme de la dépense est expliquée par la croissance des prises en charge de médicaments et dispositifs médicaux , qui représentent 106 millions d'euros en 2015 , en hausse de 11 % sur un an.

La comparaison des systèmes d'aides médicalisées des étrangers en situation irrégulière au sein des autres pays européens étaye cette analyse, dans la mesure où la condition de durée minimale de séjour ne s'applique pas. La restriction encadrant l'aide médicale porte moins sur la population cible que sur les soins éligibles à la prise en charge gratuite au titre de la solidarité nationale . Ces dispositifs ne sont pas similaires à l'AME : ils s'apparentent davantage à la prise en charge des soins urgents, sans limitation de durée de séjour dans le pays . Dans ce cadre, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans le cadre de programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement. Selon les informations transmises par la direction de la sécurité sociale, il en est ainsi :

- en Espagne, au Danemark et en Italie , où l'assistance sanitaire pour les étrangers en situation irrégulière est réduite aux cas d'urgence, de maternité ou de soins aux mineurs . En Espagne et en Italie, toutes les personnes peuvent aussi bénéficier des programmes de santé publique, notamment en matière de vaccination ou de prévention des maladies infectieuses. Le dispositif d'assistance sanitaire espagnol est financé par le budget général de l'État, avec un coût de 233 millions d'euros pour 186 000 bénéficiaires en 2013 , soit un coût moyen par personne de 1 250 euros environ, contre le double la même année en France (2 530 euros) ;

- en Allemagne , où la loi du 1 er novembre 1993 sur les prestations accordées aux demandeurs d'asile reconnaît aux étrangers en situation irrégulière le droit de bénéficier des mêmes prestations que les demandeurs d'asile. Elle garantit l'accès gratuit aux soins urgents , à savoir le traitement de maladie graves et douleurs aigües, ainsi qu'à ceux liés à la grossesse, aux vaccinations règlementaires et aux examens préventifs. Ces prestations sont moins étendues que celles offertes par le régime de sécurité sociale ; elles ne comprennent pas, par exemple, le traitement des maladies chroniques. Lorsque l'urgence n'est pas justifiée, ces personnes ne peuvent consulter directement un médecin mais doivent, au préalable, demander un certificat maladie au centre d'action sociale de la commune dans laquelle ils résident, ce dernier assurant ensuite la prise en charge de la consultation et des médicaments. Le dispositif de l'assistance médicale est entièrement financé par les Länder , et variable d'un Land à l'autre, même si une dotation de l'État fédéral leur est versée . Cette dotation s'élèverait à 1 milliard d'euros au total en 2015 24 ( * ) .

- en Belgique , où les personnes en situation irrégulière considérées comme indigentes ayant besoin de soins médicaux peuvent bénéficier de l' aide médicale urgente auprès du centre public d'action sociale (CPAS) dont elles relèvent. Les soins leur sont alors dispensés gratuitement, mais l'État fédéral ne rembourse aux CPAS que les dépenses de santé déterminées par une nomenclature , au sein de laquelle les soins de confort sont exclus.

b) Recentrer l'AME sur un panier de soins

Alors que le fonds de roulement des opérateurs sanitaires se rapproche du niveau prudentiel, que des doutes existent sur l'impact réel sur les dépenses de fonctionnement de la réforme du système d'agences, et que les pistes d'économies déjà engagées en matière d'AME ne suffisent pas à contenir la hausse tendancielle du nombre de bénéficiaires, votre rapporteur spécial souligne à nouveau la nécessité d'une réforme en profondeur du dispositif d'AME de droit commun. Étant donné à la fois la difficulté à modérer la progression des effectifs de bénéficiaires, quels que soient les critères envisagés, la réforme doit privilégier un recentrage des soins pris en charge sur un panier ciblant en priorité le traitement des maladies graves, des douleurs aiguës, ainsi que les mesures de médecine préventive.

En cohérence avec les prises en charge prévues par nos voisins européens, cette réforme serait de plus fidèle au double objectif président à l'AME de droit commun.


* 21 Introduite progressivement à compter de 2004, elle est pleinement applicable aux établissements publics de santé à compter de 2012.

* 22 Questionnaire budgétaire.

* 23 Cette filière concernait un nombre total de 73 personnes, pour un montant moyen de soins pris en charge estimé à 240 500 euros.

* 24 Questionnaire budgétaire.

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