III. UN STATUT DES MEMBRES COMMUN AUX AUTORITÉS ADMINISTRATIVES ET PUBLIQUES INDÉPENDANTES ET EXIGEANT EN MATIÈRE DÉONTOLOGIQUE

À l'initiative du Sénat, le statut général des autorités administratives et publiques indépendantes fixerait les règles essentielles applicables à leurs membres afin d'assurer leur indépendance dans l'exercice de leurs missions.

A. DES RÈGLES COMMUNES RELATIVES AU MANDAT DE MEMBRE

1. Une harmonisation des règles de nomination et de révocation
a) Une durée des mandats sinon uniformisée du moins harmonisée

En deuxième lecture, dans un esprit de compromis avec l'Assemblée nationale, le Sénat a renoncé à prévoir une durée uniforme, initialement fixée à six ans, pour l'ensemble des membres des autorités administratives et publiques indépendantes, au profit d'un écart compris entre trois et six ans qui permet d'éviter une remise en cause de certaines situations actuelles. Pour autant, dans la quasi-totalité des cas, cette durée est de cinq ou six ans, ce qui témoigne de facto d'une harmonisation.

De même, le Sénat n'a pas persévéré dans sa volonté de faire désigner les parlementaires siégeant au sein des collèges de ces autorités par une élection en séance publique, comme l'avait envisagé initialement la commission d'enquête (proposition n° 4). En revanche, députés et sénateurs seraient désignés 7 ( * ) pour la durée de leur mandat parlementaire, par exception à la durée statutaire du mandat des autres membres des autorités administratives et publiques indépendante. Ainsi, sauf désignation exceptionnelle en cours de mandat, un député serait désigné pour la durée de la législature, soit cinq ans, tandis qu'un sénateur serait désigné jusqu'au renouvellement de sa série, soit pour six ans.

Le II de l'article L.O. 145 du code électoral interdit à un parlementaire siégeant au sein d'une autorité administrative ou publique indépendante de percevoir une rémunération, gratification ou indemnité 8 ( * ) .

b) Un dispositif de remplacement anticipé des membres

Le Parlement a souhaité également éviter que des vacances se prolongent pour des durées excessives, comme des exemples récents en témoignent malheureusement. En première lecture, l'Assemblée nationale a précisé et complété la rédaction sénatoriale :

- par principe, l'autorité de nomination devrait pourvoir au remplacement des membres huit jours au moins avant l'expiration de leur mandat ;

- en cas de décès ou de démission volontaire ou d'office d'un membre - hypothèses pour lesquelles il n'est pas possible d'envisager à l'avance la date du remplacement -, il serait pourvu à son remplacement dans les trente jours suivant la vacance.

À l'initiative de l'Assemblée nationale, un mécanisme subsidiaire prévoirait qu'en cas de méconnaissance des délais précités, le collège de l'autorité, convoqué à l'initiative de son président, pourrait proposer, par délibération, un candidat à l'autorité de nomination, dans un délai de soixante jours.

c) Un principe d'irrévocabilité du mandat des membres

Les membres des autorités administratives et publiques indépendantes seraient protégés par un principe d'irrévocabilité de leur mandat pendant la durée de ce dernier (article 7 de la proposition de loi). Par exception, dans les cas prévus par la loi et dans le respect d'une procédure garantissant la possibilité de faire valoir sa défense , un membre pourrait être forcé à quitter ses fonctions :

- temporairement, pour une durée déterminée, en raison de la suspension prononcée pour cause d'empêchement ;

- définitivement, en cas de manquement grave à ses obligations légales empêchant la poursuite de son mandat.

Ainsi, le collège serait appelé à statuer à la majorité qualifiée des trois quarts de ses membres du collège moins, le cas échéant, le membre intéressé. Le vote aurait lieu à bulletin secret hors la présence de l'intéressé. En cas de cessation définitive du mandat, l'intéressé devrait avoir été mis en mesure de produire ses observations en disposant d'un délai minimal d'une semaine.

Une procédure spéciale a été prévue pour les cas d'incompatibilité qui, à la différence des autres hypothèses susceptibles de conduire à la cessation du mandat, résultent d'une situation objective qui se constate sans porter d'appréciation sur les circonstances de fait. Le membre en situation d'incompatibilité disposerait d'un délai de trente jours pour mettre fin à cette situation, en démissionnant d'une des fonctions ou mandats visés par cette incompatibilité. Au terme de ce délai et à défaut d'option, le président de l'autorité administrative ou publique indépendante, ou un tiers au moins des membres du collège lorsque l'incompatibilité concerne le président, le déclarerait démissionnaire.

2. Des règles limitant le cumul des mandats de membres des autorités administratives et publiques indépendantes

La deuxième lecture de la proposition de loi a permis d'aboutir à une rédaction commune aux deux assemblées parlementaires sur la question de la possibilité pour un membre d'une autorité administrative ou publique indépendante de siéger concomitamment au sein de plusieurs de ces autorités et de voir son mandat renouvelé.

Initialement, le Sénat avait suivi les conclusions de la commission d'enquête qui préconisait de rendre le mandat de membre d'une autorité administrative ou publique indépendante non renouvelable au sein d'une même autorité (proposition n° 6) et d'interdire l'exercice concomitant de mandats au sein de plusieurs de ces autorités (proposition n° 7).

L'Assemblée nationale s'y était opposée en première lecture en privilégiant :

- la possibilité de renouvellement du mandat au sein d'une même autorité, dans la limite d'une fois, afin de ne pas priver ces autorités de l'expérience acquise par un membre au cours de son premier mandat ;

- la faculté pour une même personne d'exercer, au maximum, deux mandats concomitants au sein des autorités administratives et publiques indépendantes afin de ne pas faire obstacle à ce qu'un membre d'une de ces autorités puisse siéger, comme le prévoit ponctuellement la loi, au sein d'une autre autorité.

La deuxième lecture a permis de parvenir à un compromis satisfaisant.

a) La détention simultanée d'un seul mandat de membre

Conformément au souhait du Sénat, la proposition de loi pose le principe de l' interdiction de siéger en même temps au sein de plusieurs autorités administratives ou publiques indépendantes (article 9 de la proposition de loi).

Ce principe a toutefois été assorti d'une exception, prévue par l'Assemblée nationale, permettant à un membre d'une autorité administrative ou publique indépendante d'exercer concomitamment un mandat au sein d'une autre de ces autorités, seulement si la loi :

- prévoit la présence ès qualité dans cette autorité d'un membre de la première autorité ;

- impose que cette autorité compte un représentant de la première autorité, sans qu'il soit précisé si ce représentant doit être ou non membre de l'autorité représentée.

b) Un renouvellement du mandat exclu ou limité à une seule fois

L'Assemblée nationale a maintenu la possibilité de renouveler une seule fois le mandat de membre d'une autorité administrative ou publique indépendante (article 8 de la proposition de loi).

Si elle n'est pas aussi stricte que celle proposée par le Sénat, cette règle constitue néanmoins un progrès par rapport à la situation actuelle puisqu'elle met fin à la possibilité de renouvellements indéfinis actuellement en vigueur pour certains membres d'autorités, comme l'Autorité de la concurrence ou la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

En outre, conformément au souhait du Sénat, l'Assemblée nationale a maintenu, en deuxième lecture, au sein des statuts particuliers de quinze des autorités les règles actuellement en vigueur empêchant tout renouvellement des mandats.

En résumé, les mandats des membres des autorités administratives et publiques indépendantes ne seraient désormais renouvelables qu'une fois, sous réserve d'une règle plus contraignante faisant obstacle à tout renouvellement.

Votre commission a approuvé ces solutions, précisées par l'Assemblée nationale, qui parachèvent celles que le Sénat avait, sur sa proposition, esquissées lors de la deuxième lecture, dans la perspective d'aboutir justement à une rédaction de compromis.

Autorité concernée

Qualité de l'autorité 9 ( * )

Collège ou titulaire de la fonction

Nombre de membres

Durée du
mandat

Conditions de renouvellement

AFLD

API

9

6 ans

Non renouvelable

ACNUSA

AAI

10

6 ans

Non renouvelable

Autorité
de la concurrence

AAI

17

5 ans

Renouvelable une fois

ARAFER

API

7

6 ans

Non renouvelable

ARCEP

AAI

7

6 ans

Non renouvelable

ARDP

AAI

4

4 ans

Renouvelable une fois

ARJEL

AAI

7

6 ans

Non renouvelable

ASN

AAI

5

6 ans

Non renouvelable

AMF

AAI

16

5 ans

Renouvelable une fois 10 ( * )

CADA

AAI

11

3 ans

Renouvelable une fois

CCDN

AAI

5

6 ans

Non renouvelable

CIVEN

AAI

9

3 ans

Renouvelable une fois

CRE

AAI

5

6 ans

Non renouvelable

CNCTR

AAI

9

6 ans

Non renouvelable

CNDP

AAI

25

5 ans

Renouvelable une fois

CNIL

AAI

17

5 ans

Renouvelable une fois

CNCCFP

AAI

9

6 ans

Renouvelable une fois

CSA

API

9

6 ans

Non renouvelable

CGLPL

AAI

-

6 ans

Non renouvelable

Défenseur des droits

AAI

-

6 ans

Non renouvelable

HADOPI

API

9

6 ans

Non renouvelable

HCERES

AAI

30

4 ans

Renouvelable une fois

H3C

API

12

6 ans

Renouvelable une fois

HAS

API

8

6 ans

Renouvelable une fois

HATVP

AAI

9

6 ans

Non renouvelable

Médiateur
de l'énergie

API

-

6 ans

Non renouvelable

Autorité concernée

Commission des sanctions 11 ( * )

Nombre de membres

Durée du mandat

Conditions de renouvellement

ARAFER

3

6 ans

Non renouvelable

ARJEL

6

6 ans

Renouvelable une fois

AMF

12

5 ans

Renouvelable une fois

CRE

4

6 ans

Non renouvelable

3. Une diversification accrue des collèges des autorités administratives et publiques indépendantes

Au terme de ses travaux, la commission d'enquête sénatoriale avait appelé à revoir et diversifier la composition des collèges des autorités administratives indépendantes en limitant les nominations de membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes (proposition n° 3).

Dans cet esprit, en première lecture, le Sénat avait prévu une incompatibilité entre l'exercice de fonctions juridictionnelles par des « magistrats » professionnels (magistrats de l'ordre judiciaire, membres du Conseil d'État, membres de la Cour des comptes, magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et magistrats des chambres régionales des comptes) et la qualité de membre d'une autorité administrative ou publique indépendante. L'Assemblée nationale l'avait refusée.

En deuxième lecture, un accord s'est dessiné entre les deux assemblées pour prévoir cette incompatibilité, voulue par le Sénat pour assurer la diversification des profils des membres des autorités administratives et publiques indépendantes, mais dans des cas limités afin d'éviter, selon le souhait de l'Assemblée nationale, de priver ces autorités de compétences qui leur seraient utiles :

- l'incompatibilité ne s'appliquerait qu'aux collèges et non aux commissions des sanctions dans lesquelles il est apparu souhaitable de faire siéger des personnes ayant des qualifications juridictionnelles ;

- elle ne s'appliquerait que dans le cas où la loi prévoit déjà la présence de membres des corps concernés ;elle ne viserait donc qu'à éviter de nommer des « magistrats » supplémentaires quand le législateur a déjà expressément prévu leur présence en faisant justement le choix d'envisager, à leurs côtés, la présence d'autres profils issus de viviers différents ;

- elle ne ferait pas obstacle à la nomination de « magistrats » judiciaires, administratifs ou financiers lorsque la loi exige des qualifications juridiques sans préciser le corps dont le membre doit émaner ; elle resterait donc l'exception et la liberté de recrutement le principe ;

- elle ne vaudrait que pour les « magistrats » en activité ;

- l'autorité de nomination resterait libre de choisir le président parmi les magistrats judiciaires, administratifs et financiers.

Cette solution permet de placer les autorités indépendantes à égale distance entre les pouvoirs constitutionnels, qu'ils soient législatif ou juridictionnel. Votre rapporteur relève d'ailleurs qu'une incompatibilité professionnelle, inspirée par les mêmes motivations, est applicable aux parlementaires qui ne peuvent plus siéger dans ces autorités sauf lorsque la loi le prévoit (article L.O. 145 du code électoral issu de la loi organique du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique).

Au sein des statuts particuliers des autorités administratives et publiques indépendantes, l'Assemblée nationale a également favorisé ponctuellement la diversification dans le recrutement de leurs collèges. Elle a ainsi prévu la nomination du président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) par le Président de la République parmi les membres du collège, en supprimant par voie de conséquence la règle imposant qu'il soit un conseiller d'État nommé par le vice-président du Conseil d'État (article 26 de la proposition de loi).


* 7 Cinq autorités administratives indépendantes comptent actuellement des parlementaires au sein de leurs collèges : la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), la Commission du secret de la défense nationale (CSDN), la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), la Commission nationale du débat public (CNDP) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

* 8 Applicable aux sénateurs élus en septembre 2014, cette règle sera applicable aux députés lors du prochain renouvellement général de l'Assemblée nationale en juin 2017 et à l'ensemble des sénateurs à compter du renouvellement de septembre 2017.

* 9 Les autorités sont distinguées selon qu'elles sont des autorités administratives indépendantes (AAI) ou des autorités publiques indépendantes (API).

* 10 Le mandat du président de l'Autorité des marchés financiers n'est pas renouvelable.

* 11 Au sein de la Commission de régulation de l'énergie, il s'agit du comité de règlement des différends et des sanctions.

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