B. UN CORPUS COMMUN DE RÈGLES DÉONTOLOGIQUES RENFORCÉES

Consolider les règles communes de déontologie pour les membres des autorités administratives indépendantes (généralisation du devoir de réserve, de l'interdiction de détention d'intérêts avec le secteur contrôlé, contrôle des reconversions après la fin des fonctions, etc.) avait été recommandé par la commission d'enquête (recommandation n° 5), particulièrement après avoir constaté, au moyen de ses pouvoirs d'enquête, des manquements graves aux règles déontologiques existantes.

1. Les obligations déontologiques générales (dignité, probité, intégrité, déport, secret et discrétion professionnels) des membres

Dès la première lecture, un accord a été trouvé sur l'affirmation de règles déontologiques évidentes pour les membres des autorités administratives et publiques indépendantes (article 10 de la proposition de loi) :

- ils seraient tenus d'exercer leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité , tout en veillant à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts 12 ( * ) ;

- dans l'exercice de leurs attributions, ils ne pourraient recevoir ou solliciter d'instruction d'aucune autorité ;

- ils seraient astreints à une obligation de réserve , les empêchant de prendre, à titre personnel, toute position publique préjudiciable au bon fonctionnement de l'autorité à laquelle ils appartiennent ;

- ils seraient tenus au secret des délibérations , y compris au terme de leur mandat, au secret professionnel 13 ( * ) ainsi qu'à la discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont ou ont eu connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.

De même, l'Assemblée nationale a approuvé l'idée du Sénat de préciser l' obligation d'abstention qui s'impose, en application de l'article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, aux membres de ces autorités indépendantes (article 13 de la proposition de loi).

Aucun membre d'une de ces autorités ne pourrait siéger ou, le cas échéant, participer à une délibération, une vérification ou un contrôle si :

- il y a un intérêt ou il y a eu un tel intérêt au cours des trois années précédant la délibération, la vérification ou le contrôle ;

- il exerce des fonctions ou détient des mandats ou, si au cours de la même période, il a exercé des fonctions ou détenu des mandats au sein d'une personne morale concernée par la délibération, la vérification ou le contrôle ;

- il représente ou, au cours de la même période, a représenté une des parties intéressées.

2. Le contrôle renforcé des obligations déclaratives des membres

En application de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 précitée relative à la transparence de la vie publique 14 ( * ) , les membres des collèges et des commissions investis de pouvoirs de sanctions des autorités administratives et publiques indépendantes doivent déposer auprès du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration d'intérêts et une déclaration de situation patrimoniale.

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a accepté la proposition du Sénat d'une mise à disposition permanente des déclarations d'intérêts de chaque membre d'une autorité indépendante aux autres membres de l'autorité au sein de laquelle il siège (article 12 de la proposition de loi). Cette règle généralise le contrôle entre pairs institué par le IV de l'article 19 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique au sein de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Les membres des autorités administratives et publiques indépendantes, appelées à assurer une régulation économique, astreints à justifier des mesures prises pour confier à un tiers, sans droit de regard, la gestion de leurs instruments financiers devront apporter cette justification directement auprès du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et non plus auprès du président de l'autorité à laquelle ils appartiennent 15 ( * ) . Ce changement devrait permettre de rendre effective une obligation qui s'est révélée, à l'expérience, appliquée de manière aléatoire et incomplète.

Enfin, contrairement à la première lecture, l'Assemblée nationale a maintenu en deuxième lecture la publicité intégrale des déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale auxquelles les membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sont astreints, à l'instar des membres du Gouvernement. Cette disposition ne méconnaît pas la jurisprudence constitutionnelle qui s'est opposée à la publication indifférenciée de ces déclarations « pour des personnes exerçant des responsabilités de nature administrative et n'étant pas élues par les citoyens » compte tenu de l'atteinte disproportionnée au respect de la vie privée protégée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 16 ( * ) . Toutefois, le Conseil constitutionnel a admis par la suite la publicité d'informations comparables pour un nombre plus restreint de personnes au regard des « exigences particulières » qui pèsent sur ces personnes 17 ( * ) . Tel est le cas des neuf membres de la Haute Autorité qui sont chargés du contrôle de leurs propres déclarations ainsi que de celles transmises au président de la Haute Autorité par plusieurs milliers de personnes (membres du Gouvernement, parlementaires, élus locaux, membres de cabinet, hauts-fonctionnaires, etc.).

3. Les incompatibilités électorales et avec les fonctions au sein d'organes constitutionnels

Le Sénat et l'Assemblée nationale ont progressivement parfait le régime d'incompatibilités électorales applicables aux membres des collèges et des organes de règlement des différends des autorités administratives et publiques indépendantes.

Au terme de la deuxième lecture devant l'Assemblée nationale, une distinction a été opérée entre les fonctions de président et celles des autres membres, pour lesquels l'incompatibilité est plus restreinte (article 11 de la proposition de loi) :

- le président d'une autorité administrative ou publique indépendante ne pourrait pas exercer concomitamment des fonctions exécutives locales ou au sein d'une instance représentative des Français établis hors de France (article 11 de la proposition de loi) ou, dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, la présidence de l'autorité exécutive ou de l'assemblée délibérante (article 2 de la proposition de loi organique) ;

- un autre membre d'une autorité administrative ou publique indépendante ne pourrait pas exercer concomitamment la seule présidence de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, d'un groupement de collectivités territoriales ou d'une instance représentative des Français établis hors de France (article 11 de la proposition de loi).

Ces incompatibilités électorales générales ont été adoptées, tout en maintenant, au sein des statuts particuliers de certaines autorités, les incompatibilités électorales plus étendues et donc contraignantes, empêchant l'exercice de tout mandat électif.

En outre, l'article L.O. 145 du code électoral interdit à un parlementaire de présider une autorité administrative ou publique indépendante ou d'en être membre, sauf si, dans ce second cas, la loi prévoit sa présence 18 ( * ) .

Ces dispositifs complètent les incompatibilités décidées en première lecture afin d'interdire le cumul du mandat de membre d'une autorité administrative ou publique indépendante avec les fonctions de membre du Conseil économique, sociale et environnemental (CESE) ou du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) (article 3 de la proposition de loi organique).

4. Les limitations apportées aux activités professionnelles des membres

En première lecture, pour prévenir tout risque de conflit d'intérêts, le Sénat avait prévu d'interdire à un membre d'une autorité administrative ou publique indépendante d'exercer parallèlement une activité dans le secteur régulé par l'autorité au sein de laquelle il siège.

L'Assemblée nationale avait supprimé ces nouvelles règles au motif qu'elles étaient inutilement contraignantes et privaient les autorités administratives et publiques indépendantes de la possibilité de bénéficier de l'expertise de membres ayant une fine connaissance des secteurs régulés.

Cette différence d'approche, sans doute la plus délicate à surmonter au cours de la navette, a été aplanie lors de la deuxième lecture.

En deuxième lecture, le Sénat a ainsi proposé une restriction uniquement pour l'avenir en proscrivant à un membre d'une autorité administrative ou publique indépendante d'accepter de nouvelles fonctions de chef d'entreprise, de gérant de société, de président ou membre d'un organe de gestion, d'administration, de direction ou de surveillance au sein d'une entreprise distincte ou une nouvelle activité professionnelle en lien direct avec le secteur dont l'autorité dont il est membre assure le contrôle. En deuxième lecture, cette proposition a toutefois été écartée par l'Assemblée nationale au profit d'autres règles.

a) L'interdiction pour un membre d'être recruté par une entreprise sur laquelle il s'est prononcée

Finalement, l'Assemblée nationale a fixé une règle selon laquelle un membre d'une de ces autorités indépendantes ne peut pas accéder à des fonctions au sein d'une entreprise ou une société qu'elle contrôle si ce membre a été appelé à la contrôler ou prendre part à une délibération relative à cette entreprise (article 11 de la proposition de loi). Ce délai de carence, envisagé à trois ans, a été réduit à deux ans, à l'initiative du Gouvernement.

Motivée par la prévention des conflits d'intérêts, cette règle est de nature à éviter de jeter la suspicion sur les décisions rendues si un membre d'une autorité indépendante venait à être employé ou à intégrer une entreprise en cause dans un dossier qu'il a traité durant ce délai.

b) Le contrôle généralisé de la reconversion professionnelle des membres et anciens membres

L'interdiction précédente complète le dispositif sénatorial, agréé par l'Assemblée nationale en première lecture, confiant à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique le contrôle du « pantouflage » des membres et anciens membres des autorités administratives et publiques indépendantes (article 46 de la proposition de loi). Le contrôle de la reconversion professionnelle des membres des autorités administratives et publiques indépendantes vise à prévenir la commission du délit de prise illégale d'intérêts réprimé par l'article 432-12 du code pénal. Saisie par le membre concerné ou par son président, la Haute Autorité devrait statuer, jusqu'à trois ans après la cessation du mandat du membre, sur la compatibilité de ce mandat « avec l'exercice d'une activité libérale ou d'une activité rémunérée au sein d'une entreprise ou au sein d'un établissement public ou d'un groupement d'intérêt public dont l'activité a un caractère industriel et commercial ».

c) L'interdiction ponctuelle d'exercer un emploi public ou une activité professionnelle parallèle

En deuxième lecture, le Sénat avait proposé d'imposer systématiquement au président des autorités administratives et publiques indépendantes d' exercer leurs fonctions à temps plein . Cette règle avait été maintenue pour les autres membres dans les autorités indépendantes qui connaissaient déjà cette règle.

L'Assemblée nationale a maintenu, en deuxième lecture, le principe de cette incompatibilité avec une activité professionnelle ou un emploi public, en permettant néanmoins à un membre, y compris le président, de se livrer à l'exercice de travaux scientifiques, littéraires, artistiques ou d'enseignement (article 11 de la proposition de loi).

Cependant, nos collègues députés ont réduit la portée de cette incompatibilité en la réservant à un nombre limité de membres : les membres qui sont actuellement astreints à cette règle le demeureraient (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes [ARCEP], Autorité de sûreté nucléaire [ASN], Conseil supérieur de l'audiovisuel [CSA], Contrôleur général des lieux de privation de liberté [CGLPL] et Défenseur des droits). En outre, seraient désormais soumis à cette incompatibilité le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) (article 38 de la proposition de loi) et le président du Haut Conseil de l'enseignement supérieur et de la recherche (HCERES) (article 41 de la proposition de loi).


* 12 Cette règle reprend le principe formulé à l'article 1 er de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

* 13 Cette exigence s'applique dans les conditions fixées dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

* 14 Cette disposition a été clarifiée par l'article 29 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 15 Insérée en première lecture par l'Assemblée nationale à l'article 46 de la proposition de loi, cette disposition a été retirée en deuxième lecture par les députés dès lors que dans l'intervalle, elle a été adoptée à l'article 29 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 16 Conseil constitutionnel, 9 octobre 2013, Loi relative à la transparence de la vie publique, n° 2013-676 DC.

* 17 Conseil constitutionnel, 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, n° 2015-727 DC.

* 18 Cette incompatibilité est rendue applicable aux sénateurs par l'article L.O. 297 du code électoral.

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