III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : RATIFIER L'ORDONNANCE EN VIGUEUR, EN PRÉCISANT L'INTENTION DU LÉGISLATEUR ET EN CORRIGEANT SES MALFAÇONS

Sur la proposition de son rapporteur, pour répondre aux difficultés d'interprétation ainsi qu'aux critiques encourues par certaines dispositions, votre commission a procédé de deux manières complémentaires, de façon à limiter les modifications au droit en vigueur depuis le 1 er octobre 2016 et à ne pas contribuer à l'instabilité législative et à la coexistence de trois régimes juridiques différents, dans un esprit de responsabilité et dans le respect de la logique et de la cohérence de la réforme.

Pour autant, elle ne pouvait pas se borner à ratifier l'ordonnance sans aucune modification, tant certaines dispositions suscitent de légitimes critiques, tandis que d'autres comportent des malfaçons ou des imprécisions objectives. Votre rapporteur n'a pas proposé d'aller au-delà de la correction de ces dispositions.

Ainsi, d'une part, au titre des travaux préparatoires de la ratification de l'ordonnance, votre commission a voulu donner une interprétation claire à certaines dispositions , de nature à lever les ambiguïtés et à dissiper les inquiétudes.

D'autre part, par voie d'amendements au projet de loi de ratification afin de modifier des articles du code civil issus de l'ordonnance, elle a tenu à apporter les corrections minimales qui s'avéraient indispensables . Elle a ainsi adopté au total 14 amendements , sur la proposition de son rapporteur.

Dans son analyse, votre commission a également été attentive au développement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de liberté contractuelle et de droit au maintien des contrats légalement conclus, en particulier sur la difficile question de l'application de la loi nouvelle aux contrats conclus sous l'empire de la loi ancienne.

Trois questions générales demeurent discutées, un an après l'entrée en vigueur de l'ordonnance et plus d'un an et demi après sa publication, comme l'ont montré les auditions de votre rapporteur : la distinction entre règles impératives et règles supplétives, l'articulation entre droit commun et droit spécial et l'application de la loi dans le temps. Sur ces trois questions, votre commission a souhaité clarifier l'intention du législateur, dans le cadre des travaux de ratification de l'ordonnance. En effet, en dépit d'un rapport au Président de la République plus détaillé et pédagogique qu'à l'habitude, il n'existe pas à proprement parler de travaux préparatoires à l'ordonnance, accessibles à qui voudrait connaître l'intention du législateur délégué qu'a été le Gouvernement. Il appartient aux travaux parlementaires de procéder par conséquent à cette clarification, attendue des praticiens.

À titre d'information complémentaire au rapport au Président de la République, votre rapporteur renvoie également aux observations formulées par le ministère de la justice en réponse aux propositions d'interprétation ou de modification émises par le Haut comité juridique de la place financière de Paris, dans un rapport publié en mai 2017 23 ( * ) .

A. EXPLICITER L'INTENTION DU LÉGISLATEUR POUR SURMONTER DES DIFFICULTÉS D'INTERPRÉTATION ET DISSIPER DES AMBIGUÏTÉS DE RÉDACTION

Sauf en cas de trop forte indétermination de la solution à appliquer, votre commission n'a pas souhaité modifier les dispositions du code civil issues de l'ordonnance qui soulevaient des doutes au regard du caractère impératif ou supplétif ou au regard de l'articulation entre droit commun et droit spécial. Elle a préféré apporter une règle générale d'interprétation, ci-après, destinée à résoudre les éventuelles difficultés, pour faire connaître l'intention du législateur à cet égard au stade de la ratification.

En outre, lorsque des dispositions plus ponctuelles de l'ordonnance ont soulevé des difficultés particulières d'interprétation, votre commission s'est aussi attachée à préciser ou expliciter l'interprétation la plus pertinente. Ces clarifications prennent place, pour la plupart, dans le cadre de l'examen des articles additionnels introduits par votre commission au sein du projet de loi de ratification, dans la suite du présent rapport.

Certes, il restera dans le code civil des « standards » juridiques flous, souvent critiqués lors des auditions de votre rapporteur. Votre commission n'ayant pas souhaité apporter un trop grand nombre de modifications à un texte déjà entré en vigueur, il appartiendra au juge d'en préciser les contours - et votre commission n'ignore pas que l'intervention du juge est aussi un facteur d'aléa et d'incertitude en matière contractuelle.

1. La distinction entre règles impératives et règles supplétives

En premier lieu, nombre de praticiens s'interrogent sur le caractère impératif ou supplétif de certaines dispositions issues de l'ordonnance.

Le rapport au Président de la République indique que l'ordonnance, conformément à la « tradition du code civil » 24 ( * ) , « n'affirme pas expressément dans un article spécifique le caractère supplétif de volonté de ses dispositions », mais est bien « supplétive de volonté sauf disposition contraire », « sauf mention contraire explicite de la nature impérative du texte concerné ». Votre commission fait sienne cette interprétation, de sorte que doivent seules être considérées comme impératives les dispositions expressément mentionnées comme telles dans le texte de l'ordonnance ou celles dont la rédaction indique sans ambiguïté le caractère impératif . Les autres dispositions peuvent être écartées par les parties et, en cas d'incertitude, votre commission considère que le caractère impératif ne saurait prévaloir.

Dès lors, entrent dans la catégorie des dispositions impératives celles qui comportent une mention expresse de leur valeur d'ordre public, celles qui, sauf à être dépourvues d'effet réel, exigent le respect des règles d'ordre public ou réputent non écrites certaines clauses, ainsi que celles dont il se déduit clairement, au vu de leur rédaction, qu'elles ne peuvent être écartées ou pour lesquelles il n'est pas possible de concevoir une clause d'exemption.

Parmi ces dispositions que votre commission qualifie d'impératives, on peut citer notamment :

- article 1102 du code civil, dont le deuxième alinéa précise que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public », complété par l'article 1162, selon lequel « le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but » ;

- article 1104, qui affirme le principe selon lequel « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » ;

- article 1112, qui affirme que les négociations précontractuelles « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi » et prévoit l'engagement de la responsabilité pour « faute commise dans les négociations » ;

- article 1112-1, qui crée un devoir d'information précontractuel que « les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure » ;

- article 1128, sur les conditions nécessaires à la validité du contrat, et plus globalement l'ensemble des articles relatifs à la validité (articles 1128 à 1171), car ils ne sauraient être écartés en raison de leur nature même ;

- article 1170, qui répute non écrite « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur » ;

- article 1171, dont le premier alinéa répute non écrite, « dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » ;

- article 1231-5, dont l'avant-alinéa répute non écrite toute stipulation qui exclurait, en cas de défaut d'exécution du contrat, la faculté pour le juge de modifier le montant de la pénalité contractuellement prévue « si elle est manifestement excessive ou dérisoire » ou pour tenir compte du cas où « l'engagement a été exécuté en partie » ;

- article 1245-14, dont le premier alinéa répute non écrites « les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux », sauf dans certains cas entre professionnels 25 ( * ) ;

- article 1343-5, dont l'avant-dernier alinéa répute non écrite toute stipulation qui exclurait la possibilité pour le juge de décider le report ou l'échelonnement du paiement de dettes, en tenant compte « de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier ».

2. L'articulation entre droit commun et droit spécial

En deuxième lieu, si l'article 1105 du code civil prévoit que les règles générales du droit commun des contrats « s'appliquent sous réserve » des règles particulières à certains contrats, établies par des droits spéciaux, en vertu de la règle specialia generalibus derogant , la question de l'articulation entre droit commun et droit spécial soulève des incertitudes pratiques , s'agissant en particulier du droit des sociétés. Ainsi, lorsque le droit spécial est muet sur un sujet, le droit commun doit-il nécessairement trouver à s'appliquer ?

Sur ce point, le rapport au Président de la République précise que « les règles générales posées par l'ordonnance seront notamment écartées lorsqu'il sera impossible de les appliquer simultanément avec certaines règles prévues par le code civil pour régir les contrats spéciaux, ou celles résultant d'autres codes tels que le code de commerce ou le code de la consommation », sans résoudre la difficulté de façon complète.

Votre commission estime que le silence du droit spécial, de même que sa simple compatibilité avec le droit commun ne peuvent pas conduire automatiquement à l'application du droit commun : une appréciation au cas par cas devra être assurée, en prenant en compte la cohérence interne du droit spécial, car une application simultanée du droit commun et du droit spécial, même si elle est formellement possible, n'est pas toujours pertinente et justifiée. En particulier, l'application du droit commun ne peut conduire à dénaturer la cohérence ou méconnaître l'esprit du droit spécial .

Dans la suite du présent rapport, votre commission a cherché, autant que possible, à clarifier l'articulation entre droit commun et droit spécial lorsque la question se posait, le cas échéant en modifiant le droit issu de l'ordonnance. Néanmoins, il appartiendra au juge de clarifier les situations incertaines qui demeureraient, dans lesquelles le cumul du droit général et du droit spécial ne peut pas être aisément exclu au titre de l'impossibilité d'une application simultanée des deux corps de règles.

Une préoccupation particulière s'est exprimée dans ce domaine lors des auditions de votre rapporteur, s'agissant de l'application du droit des contrats à la convention de divorce par consentement mutuel, telle qu'elle résulte de la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel effectuée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle. Dans sa circulaire d'application de cette réforme, le ministère de la justice a indiqué que le caractère purement conventionnel de ce divorce lui rendait applicables les dispositions du code civil relatives au droit des contrats, tout en ajoutant que, « s'il emprunte au droit des contrats, il s'en détache en raison de son caractère familial », avant d'évoquer à titre d'exemples quelques dispositions applicables. Cette relative indétermination suscite une certaine inquiétude, que là encore le juge devra dissiper. Ce divorce résultant non de la décision d'un juge, mais d'un acte d'avocat, il ne saurait bénéficier de la mise à l'abri de toute contestation, à l'instar de n'importe quelle autre convention, de façon à ce que puissent être contestés ses vices éventuels. Pour insatisfaisante que soit cette situation quant aux dispositions qui sont effectivement applicables à la convention de divorce, écarter l'application du droit des contrats purement et simplement créerait un vide juridique. Votre rapporteur considère qu'on ne saurait s'étonner de ce qu'un acte d'avocat, même enregistré par un notaire, ait moins de force juridique que la décision d'un juge, la réforme du divorce ayant délibérément remplacé la seconde par le premier - ce à quoi le Sénat s'était opposé. La difficulté semble finalement moins résider dans l'application du droit des contrats à la convention de divorce que dans la force juridique de l'acte d'avocat - sujet qui pourra être abordé dans le cadre des débats sur la réforme de la justice préparée par la chancellerie et dont les deux propositions de loi pour le redressement de la justice 26 ( * ) , déposées par notre collègue Philippe Bas, président de votre commission, et prochainement à l'ordre du jour du Sénat, constituent un préambule.


* 23 Propositions d'amélioration de la rédaction des dispositions régissant le droit commun des contrats , rapport du 10 mai 2017. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

https://ibfi.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/HCJP/Rapport_08_F.pdf

* 24 L'article 6 du code civil, jamais modifié, dispose qu'« on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ».

* 25 Cette disposition issue de l'ordonnance reprend à l'identique l'ancien article 1386-15 du code civil.

* 26 Proposition de loi (n° 641, 2016-2017) d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice et proposition de loi organique (n° 640, 2016-2017) pour le redressement de la justice.

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