N° 96

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne de Mme Nathalie GOULET, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à la création d'un Tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daesh ,

Par MM. Jacques BIGOT et André REICHARDT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Christine Herzog, Sophie Joissains, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

Voir le numéro :

Sénat :

29 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, notre collègue Nathalie Goulet, dont l'implication dans la lutte contre le terrorisme est ancienne, a présenté, le 17 octobre dernier, une proposition de résolution européenne tendant à la création d'un Tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daech 1 ( * ) .

Votre commission des affaires européennes dispose d'un délai d'un mois pour l'examiner, avant son envoi à la commission des lois.

Le Tribunal pénal international dont la création est visée par cette proposition de résolution aurait pour objectif , selon son exposé des motifs, de répondre à un double impératif :

- celui de la sécurité : il s'agit de prendre en compte la problématique du retour sur le territoire national des ressortissants européens partis par milliers rejoindre Daech en Syrie et en Irak pour faire le djihad , que l'on qualifie de combattants terroristes étrangers . Ces djihadistes radicalisés et aguerris, à leur retour, représentent une menace certaine pour les sociétés européennes ;

- mais aussi celui de l' État de droit : si les crimes d'une gravité particulière éventuellement commis par ces ressortissants européens sur les territoires syrien et irakien ne doivent pas demeurer impunis, il convient néanmoins que la juridiction qui les jugera respecte pleinement les droits fondamentaux car l'Union européenne est aussi une communauté de valeurs partagées par ses États membres.

Selon l'auteure de la proposition de résolution européenne, les insuffisances des programmes de déradicalisation, la longueur des procédures judiciaires, l'engorgement des tribunaux, les questions de compétence juridictionnelle ou encore les risques connus de radicalisation accélérée en prison justifient la création d'un Tribunal pénal international ad hoc .

LE PHÉNOMÈNE DES COMBATTANTS TERRORISTES ÉTRANGERS, UNE MENACE POUR LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE ET INTERNATONALE

Si le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau, il connaît depuis quelques années une mutation illustrée par la conjonction de trois éléments :

- la radicalisation d'individus ;

- la place croissante que prennent internet et les réseaux sociaux dans la propagation des discours terroristes et l'accélération de cette radicalisation qui favorise le passage à l'acte ;

- le contexte géopolitique marqué par le conflit en Syrie et en Irak et la recrudescence du djihadisme avec l'émergence puis l'affirmation progressive de l'organisation État islamique (Daech en arabe), qui semble toutefois aujourd'hui en fort recul militaire.

Le départ de combattants étrangers pour le djihad n'est certes pas nouveau - des ressortissants étrangers ont pu, par le passé, combattre aux côtés de terroristes locaux sur les théâtres afghan, bosniaque, tchétchène ou malien -, mais l'importance numérique inédite des aspirants djihadistes rejoignant la Syrie ou l'Irak illustre cette mutation du terrorisme .

« Le phénomène des combattants étrangers est devenu une priorité pour la police, les procureurs, les experts de la déradicalisation, les chercheurs, les décideurs, les municipalités, les gouvernements, les organisations internationales et les groupes de réflexion », note justement un rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), intitulé Les combattants étrangers en Syrie et en Irak 2 ( * ) , qui présente ce phénomène, qualifié de « complexe, multidimensionnel et en rapide évolution ». Aux termes de la résolution de l'APCE 3 ( * ) , adoptée sur la base de ce rapport, ce phénomène « constitue une menace majeure et croissante pour la sécurité nationale et internationale » : « Outre les menaces directes à la sécurité que représentent notamment les attentats terroristes perpétrés par les combattants de retour dans leur pays, il y a le risque que ces combattants cherchent, à la fois lorsqu'ils sont à l'étranger et après leur retour, à élargir le soutien à leur cause et à étendre les réseaux de terroristes radicaux en recrutant de nouveaux adeptes, en glorifiant les actes terroristes ainsi qu'en partageant leur expérience avec de nouvelles recrues, et en leur assurant une formation aux méthodes terroristes ».

Le rapport de l'APCE rappelle également que ce phénomène a dès lors conduit à l'adoption, à l'unanimité, le 24 septembre 2014, de la résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité de l'ONU . Celle-ci se place dans une perspective de lutte contre le terrorisme. En effet, elle se réfère aux combattants terroristes étrangers qu'elle définit - avec toutes les limites et réserves que comporte cet exercice en l'absence d'une définition unanimement acceptée du terrorisme - comme « des individus qui se rendent dans un État autre que leur État de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d'organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d'y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l'occasion d'un conflit armé ».

De son côté, le Sénat a constitué une commission d'enquête pour étudier ces filières djihadistes 4 ( * ) , à l'initiative de Nathalie Goulet qui, dès le 4 juin 2014, soit plus de six mois avant les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher de janvier 2015, avait déposé, avec ses collègues du groupe UDI-UC, une proposition de résolution à l'origine de cette commission d'enquête 5 ( * ) .

Selon un récent rapport d'Europol 6 ( * ) , environ 5 000 personnes sont recensées dans l'Union européenne comme étant impliquées dans le djihad . Plusieurs États membres sont particulièrement touchés par ce phénomène, tels que la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, l'Espagne, la Belgique ou encore l'Allemagne, mais, comme le relevait le rapport de la commission d'enquête précitée, « la France a le triste privilège d'alimenter le contingent européen le plus nombreux ».

Selon des chiffres fournis à vos rapporteurs par le ministère de l'intérieur, les ressortissants français seraient encore aujourd'hui plus de 1 000 sur place , dont 500 mineurs de moins de 15 ans, sur les 1 700 partis rejoindre les zones djihadistes irako-syriennes depuis 2014. Le ministère de la justice, reprenant des informations de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) au 28 septembre dernier, avance un chiffre, quelque peu inférieur, de 1 225 ressortissants français ayant séjourné en zone irako-syrienne depuis 2012. Selon la même source, cependant, « le tarissement des arrivées sur zone se confirme depuis la fin de l'année 2015 : 35 arrivées ont été constatées en 2016 et seulement 2 en 2017 ». À ce jour , les services spécialisés dénombrent 689 individus de nationalité française ou résidant en France présents en zone irako-syrienne . Parmi eux, 295 femmes et 28 mineurs de plus de 15 ans sont recensés. Enfin, 278 ressortissants français sont présumés morts sur zone et 244 étaient revenus sur le territoire national après avoir séjourné en zone irako-syrienne . Ce chiffre a été repris par M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, le 26 octobre dernier, en réponse à une question d'actualité sur le retour des djihadistes de notre collègue Nathalie Goulet.

Le ministère de l'intérieur a également précisé à vos rapporteurs que 18 500 personnes seraient par ailleurs inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), dont environ 11 300 seraient prises en compte par le ministère.

Toujours selon le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, « les Français présents sur place sont très déterminés et participent activement aux combats comme aux exactions. Les nouvelles recrues recevraient une formation au maniement des armes et des explosifs ou à la prise d'otages. Daech redoutant les infiltrations, les ressortissants occidentaux devraient par ailleurs satisfaire à une sorte d'examen de passage, qui peut prendre la forme d'une participation à une mise à mort. De véritables filières ont été organisées, aboutissant à la constitution de katibas francophones, dont les combattants prennent part aux exactions perpétrées contre la population syrienne ainsi qu'aux décapitations mises en scène par Daech ».

Comme le note également ce rapport, « les djihadistes étrangers de retour dans leur pays d'origine, radicalisés et entraînés par les forces de Daech, présentent une dangerosité élevée et constituent une menace réelle pour les États concernés ».


* 1 Texte n° 29 (2017-2018).

* 2 Rapport du 8 janvier 2016 établi par M. Dirk Van der Maelen (Belgique - SOC), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie de l'APCE (document 13937).

* 3 Résolution 2091 (2016) du 27 janvier 2016.

* 4 Rapport intitulé Filières « djihadistes » : pour une réponse globale et sans faiblesse (n° 388 ; 2014-2015) du 1 er avril 2015, établi au nom de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, par M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur, Mme Nathalie Goulet et M. André Reichardt étant co-présidents.

* 5 Proposition de résolution n° 578 (2013-2014).

* 6 Terrorism situation and trend report 2017, Europol.

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