B. UN INSTRUMENT MULTILATÉRAL ÉLABORÉ POUR FACILITER L'INTÉGRATION DES RECOMMANDATIONS DE BEPS DANS LES CONVENTIONS FISCALES BILATÉRALES

1. L'instrument multilatéral : un outil inédit dans le domaine fiscal, négocié par un groupe ad hoc...

Le rapport intermédiaire sur l'action 15, publié en octobre 2014 par l'OCDE 12 ( * ) , conclut à la faisabilité juridique d'un instrument multilatéral et souligne trois arguments en faveur de son élaboration :

- premièrement, « surmonter l'obstacle que représenteraient des négociations bilatérales fastidieuses » ;

- deuxièmement, « donner aux pays en développement la possibilité de bénéficier pleinement du projet BEPS » ;

- troisièmement, « améliorer la cohérence et contribuer à pérenniser la fiabilité du réseau international de conventions fiscales ».

Le rapport préconisait l'organisation d'une conférence internationale en vue d'élaborer cet instrument. Les pays du G20 ont approuvé la constitution et le mandat d'un groupe ad hoc mis en place par l'OCDE lors du sommet d'Istanbul en février 2015, afin d'aboutir d'ici la fin de l'année 2016.

Ouvert à tous les pays intéressés, membres ou non de l'OCDE ou du G20, le groupe ad hoc a rassemblé 99 États en tant que membres participant sur un pied d'égalité. Alors que le contenu des mesures du projet BEPS avait fait l'objet d'un accord dans le cadre du paquet final endossé par le G20 en novembre 2015, « l'objectif du groupe ad hoc [n'était] pas de renégocier les résultats du projet BEPS, à savoir travailler sur les problématiques de fond, mais plutôt d'élaborer un instrument destiné à mettre en oeuvre les règles conventionnelles issues du projet BEPS » 13 ( * ) .

Les dispositions relatives à l'arbitrage obligatoire ont toutefois fait l'objet de négociations spécifiques, portant également sur le fond . En effet, les recommandations de l'action 14 du « paquet final BEPS » annonçaient la définition d'une procédure d'arbitrage obligatoire, sans préciser les règles applicables. C'est pourquoi un sous-groupe dédié à l'incorporation de ces dispositions a été mis en place, réunissant vingt-sept pays.

Contrairement aux négociations des actions du projet BEPS, l'élaboration de l'instrument multilatéral s'est opérée dans le cadre de négociations intergouvernementales non soumises à consultations publiques.

Elles ont abouti le 24 novembre 2016 avec l'adoption du texte de la convention multilatérale et de la note explicative précisant ses dispositions par les membres du groupe ad hoc .

2. ... s'étant conclu par la signature de la convention multilatérale le 7 juin 2017

Le 7 juin 2017 à Paris, 67 États couvrant 68 territoires 14 ( * ) , dont la France, ont signé la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. La convention reste par ailleurs ouverte à la signature .

Selon les déclarations à cette occasion du secrétaire général de l'OCDE Angel Gurria, « l'adoption de cet instrument multilatéral marque un nouveau tournant dans l'histoire des traités fiscaux. Nous avançons vers la mise en oeuvre rapide des réformes profondes convenues dans le cadre du projet BEPS dans plus de 1 100 conventions fiscales à travers le monde. Outre le fait de libérer les signataires du fardeau de la renégociation bilatérale de ces conventions, l'instrument multilatéral donnera plus de certitude et de prévisibilité aux entreprises et rendra le système fiscal international plus efficace, au bénéfice de nos citoyens » 15 ( * ) .

Au 22 mars 2018, 78 États et territoires l'ont signée 16 ( * ) (voir carte ci-après), et cinq d'entre eux ont déposé leur instrument de ratification auprès du secrétariat général de l'OCDE 17 ( * ) , permettant une entrée en vigueur de l'instrument multilatéral à partir du 1 er juillet 2018 . En effet, conformément à son article 4, l'entrée en vigueur de la convention intervient le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date de dépôt du cinquième instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation.

Carte des États et territoires ayant signé la convention multilatérale

du 7 juin 2017 au 22 mars 2018

NB : Sont représentées en gris foncé les juridictions ayant signé la convention multilatérale.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'OCDE

La liste des signataires reflète la forte implication de l'Union européenne , puisqu'à l'exception de l'Estonie 18 ( * ) , l'ensemble des États membres y figurent. De même, sauf le Brésil, les principaux émergents sont parties à la convention multilatérale.

En revanche, les États-Unis ont fait le choix de ne pas signer l'instrument multilatéral. Robert Stack, ancien membre du Trésor américain, justifie ce choix par « le fait que sa ratification aurait nécessité une mobilisation de ressources trop importante eu égard aux résultats potentiels, dans la mesure où selon le Trésor américain les conventions fiscales bilatérales des États-Unis comprennent déjà les normes minimales et présentent un faible degré d'exposition aux effets BEPS » 19 ( * ) .

Pascal Saint-Amans partage ces considérations, en indiquant que l'absence des États-Unis ne remet pas en cause la portée de l'accord : « les États-Unis, à la différence de la France, ont un réseau conventionnel robuste et par construction protégé du treaty shopping [et] les États-Unis n'ont pas conclu de convention [fiscale] avec des juridictions très attractives n'ayant pas de fiscalité » 20 ( * ) .


* 12 L'élaboration d'un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales, OCDE, octobre 2014.

* 13 « OCDE : la mise en oeuvre des mesures conventionnelles issues du projet BEPS par la création d'un instrument multilatéral », Caroline Silberztein et Jean-Baptiste Tritram, Droit fiscal n° 42-43, octobre 2016.

* 14 La distinction tient à ce que la signature est ouverte aux seuls États, mais la République populaire de Chine en a étendu l'application à Hong-Kong, avec l'accord de toutes les autres parties.

* 15 Voir le communiqué de presse de l'OCDE à l'occasion de la cérémonie de signature de la convention multilatérale le 7 juin 2017.

* 16 À savoir l'Afrique du Sud, l'Allemagne, Andorre, l'Argentine, l'Arménie, l'Australie, l'Autriche, la Barbade, la Belgique, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Cameroun, le Canada, le Chili, la République populaire de Chine, Chypre, la Colombie, la Corée du Sud, le Costa Rica, la Côte d'Ivoire, la Croatie, le Curaçao, le Danemark, l'Égypte, l'Espagne, les Fidji, la Finlande, la France, le Gabon, la Géorgie, la Grèce, Guernesey, Hong-Kong, la Hongrie, l'Île de Man, l'Inde, l'Indonésie, l'Irlande, l'Islande, Israël, l'Italie, la Jamaïque, le Japon, Jersey, le Koweït, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la Malaisie, Malte, Maurice, le Mexique, Monaco, le Nigeria, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, Panama, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République slovaque, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, Saint-Marin, le Sénégal, la Serbie, les Seychelles, Singapour, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Tunisie, la Turquie et l'Uruguay.

* 17 À savoir l'Autriche, l'Île de Man, Jersey, la Pologne et la Slovénie.

* 18 L'Estonie a toutefois fait part de son intention de signer la convention multilatérale.

* 19 « La convention multilatérale de l'OCDE : vous ne lirez plus les conventions fiscales comme avant ! », Carole Silberztein, Benoît Granel et Jean-Baptiste Tristram, Droit fiscal n° 39, septembre 2017.

* 20 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2018.

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