N° 429

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 avril 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la régulation des objets connectés et le développement de l' internet des objets en Europe ,

Par M. André GATTOLIN,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(Envoyé à la commission des affaires économiques.)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

Voir le numéro :

Sénat :

361 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Madame, Monsieur,

En application de l'article 73 quinquiès du règlement du Sénat, la commission des affaires européennes a été saisie, le 15 mars dernier, d'une proposition de résolution européenne sur la régulation des objets connectés et le développement de l'internet des objets en Europe. Le rapport et la proposition seront ensuite transmis à la commission des affaires économiques pour examen.

Son auteure, Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, suit depuis plusieurs années les questions numériques et les développements de l'internet. Elle a notamment été la rapporteure de la mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet », à laquelle votre rapporteur a participé.

La proposition de résolution pose la question de la souveraineté de l'Union européenne dans le monde numérique à l'heure où les objets connectés envahissent nos vies et nos sociétés. Elle présente des pistes pour un développement économique des objets connectés en Europe respectueux de la vie privée et sécurisé.

Afin de l'analyser et de favoriser un travail efficace du Sénat, M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, et Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, ont proposé que les rapporteurs des deux commissions mènent ensemble les travaux d'instruction de la proposition. Les auditions conduites par votre rapporteur ont ainsi toutes été faites en coopération avec M. Jean-Marie Janssens, rapporteur de la commission des affaires économiques.

On rappellera également la création, le 25 janvier dernier, du « groupe numérique » rattaché à l'ensemble des commissions permanentes du Sénat.

Les auditions ont permis de recueillir l'avis d'acteurs du monde économique et de la régulation du numérique en France, afin de mesurer les enjeux et les solutions prônées par la proposition de résolution. Le présent rapport expose le fruit de ces échanges et de la réflexion des rapporteurs, et présente les modifications qu'il est proposé d'apporter à la proposition de résolution européenne.

I. L'ESSOR DES OBJETS CONNECTÉS SOULÈVE D'IMPORTANTS ENJEUX AUXQUELS LES EUROPÉENS DOIVENT RÉPONDRE.

A. DES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT IMPRESSIONNANTES

1. Le champ des objets connectés est potentiellement infini

Il convient d'abord de distinguer l'internet des objets et les objets connectés. Selon l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) 1 ( * ) , « l'internet des objets correspond à un ensemble d'objets connectés, de communications et d'internet, qui se conjugue avec les vagues du cloud et du big data :

- les objets physiques possèdent des technologies embarquées de capteurs, d'intelligence et de connectivité, leur permettant de communiquer avec d'autres objets ;

- les réseaux de communications électroniques permettent de transporter les données issues des objets ;

- l'informatique , plus ou moins distribuée, apporte les outils pour le stockage, la corrélation et l'analyse de ces données ».

Les préoccupations en termes de sécurité et de protection des données à caractère personnel exprimées dans la proposition de résolution portent surtout sur le volet Objets physiques de l'internet des objets.

Selon le rapport d'information sur l'internet des objets des députées Corinne Erhel et Laure de La Raudière 2 ( * ) , les objets connectés sont « l'ensemble des objets traditionnels , non technologiques, qui sont augmentés d'au moins un capteur, une puce RFID 3 ( * ) ou un QR-code 4 ( * ) . Le champ des objets connectés est donc potentiellement infini » .

Dès lors, les objets connectés sont d'une très grande diversité . On peut toutefois les distinguer selon le public visé : certains sont destinés à l'usage des consommateurs (tels que les objets connectés portables, qui permettent une quantification de soi comme le poids de forme, le sommeil, la vitesse de course, etc), d'autres, aux entreprises (tels que les réseaux de capteurs sans fils permettant de mettre en place une maintenance prédictive).

2. Un développement rapide porteur d'opportunités économiques
a) Des perspectives économiques impressionnantes

Alors qu'entre 8,4 5 ( * ) à 11,2 6 ( * ) milliards d'objets connectés auraient déjà été utilisés en 2017, ce volume est amené à s'accroître très fortement à l'avenir : 20 milliards d'objets en 2020 selon certains 7 ( * ) , 35 milliards selon d'autres 8 ( * ) ... À ce jour, d'après le cabinet Idate 9 ( * ) , le marché des objets connectés apparaît surtout tiré par les applications industrielles pour répondre à des besoins métiers particuliers ; la valeur de ces objets connectés provenant principalement des logiciels et services informatiques qui leurs sont associés.

Le cabinet AT Kearney estime que l'Union européenne gagnerait 7 points de PIB , soit 1 000 milliards d'euros, d'ici à 2025, grâce à l'essor de l'internet des objets : 80 milliards d'euros proviendraient des ventes d'objets, 210 milliards d'euros seraient économisés par la réduction des risques de santé et le gain de temps dans la vie quotidienne des individus, 300 milliards d'euros proviendraient d'une hausse du pouvoir d'achat des ménages, notamment en raison d'une meilleure maîtrise des dépenses d'énergie, et 430 milliards d'euros seraient dus à l'augmentation de la productivité des entreprises 10 ( * ) .

b) Les acteurs économiques européens doivent se positionner pour participer à cet essor

Le développement des objets connectés soulève un enjeu d'ordre économique : il s'agit de la capacité des acteurs de l'économie européenne à se saisir de l'opportunité économique qu'ils génèrent . Or, comme le remarque l'Idate 11 ( * ) , les grands acteurs américains de l'internet - tels que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (généralement désignés sous l'acronyme « GAFAM ») -, qui tirent une grande partie de leurs revenus de l'utilisation des données à caractère personnel, investissent le secteur des objets connectés de façon significative : via la commercialisation d'objets qu'ils ont conçus (assistants personnels, Google Glass, Apple watch) ou acquis (thermostat Nest acquis par Google), comme à travers le développement de plateformes logicielles (Android Wear, Google Fit chez Google, HelthKit et WatchKit chez Apple).

La production massive de données par les objets connectés 12 ( * ) nécessitera de développer nos capacités de stockage, mais surtout de corrélation et d'analyse de données. Au demeurant, ces fonctions sont au coeur de la bataille économique en cours en matière d'intelligence artificielle. Or, comme le rappelle notre collègue député Cédric Villani 13 ( * ) , ces acteurs américains ainsi que leurs concurrents chinois - rassemblés sous l'acronyme BATX (pour Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) - sont également les plus avancés en la matière, son rapport évoquant même une « asymétrie critique » entre ces acteurs et les autres. Cédric Villani rappelle d'ailleurs, comme notre collègue Catherine Morin-Desailly, que l'enjeu est d'éviter que l'Europe devienne une « colonie numérique » 14 ( * ) .

Aussi, la capacité des organismes de normalisation européens à imposer leurs orientations au niveau international concourra à accroître la capacité des acteurs économiques européens à capter la valeur provenant de l'essor des objets connectés.


* 1 Livre blanc du 7 novembre 2016 : Préparer la révolution de l'Internet des objets.

* 2 Rapport d'information n° 4362 du 10 janvier 2017 de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière pour la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale intitulé L'internet des objets : le numérique à l'ère de la prédiction.

* 3 Pour « radio frequency identification » : en français, il s'agit de radio-étiquettes.

* 4 Pour « quick response » : il s'agit d'un code à barres pouvant être décodé rapidement et permettant de stocker plus d'informations qu'un code à barres classique et reconnues par des applications.

* 5 https://www.gartner.com/newsroom/id/3598917

* 6 Idate, IoT Markets - Dataset and report, décembre 2017.

* 7 Gartner, Leading the IoT, février 2017.

* 8 Idate, IoT Markets - Dataset and report, décembre 2017.

* 9 https://fr.idate.org/marche-internet-des-objets/

* 10 AT Kearney, The Internet of Things : A New Path to European Prosperity, janvier 2016.

* 11 https://fr.idate.org/marche-internet-des-objets/

* 12 Amplifiant, en cela, une tendance déjà bien amorcée : 90 % des données dans le monde ont été créées depuis 2015 (Note d'information scientifique n°1 - mars 2018 - de l'OPECST sur les objets connectés).

* 13 Cédric Villani, Rapport au Gouvernement : Donner un sens à l'intelligence artificielle, pour une stratégie nationale et européenne.

* 14 Catherine Morin-Desailly, L'Union européenne, colonie du monde numérique ?, Rapport d'information n° 443 (2012-2013), fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 mars 2013.

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