TITRE II - UNE INDEMNISATION DU CHÔMAGE PLUS UNIVERSELLE ET PLUS JUSTE
CHAPITRE IER - Créer de nouveaux droits à indemnisation et lutter contre la précarité et la permittence
Section 1 - Créer de nouveaux droits pour sécuriser les parcours
et les transitions professionnelles

Article 26 (art. L. 2145-9, L. 5421-1, L. 5421-2, L. 5422-1, L. 5425-9 du code du travail) - Extension de l'assurance chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants

Objet : Cet article étend l'assurance chômage aux démissionnaires, s'ils remplissent des conditions d'activité antérieures spécifiques et disposent d'un projet professionnel réel et sérieux, et aux travailleurs indépendants.

I - Le dispositif proposé

A. Un engagement du Président de la République pendant la campagne électorale : l'extension de l'assurance chômage aux démissionnaires...

Lors de la campagne électorale pour l'élection présidentielle de 2017, le candidat Emmanuel Macron avait pris l'engagement d'ouvrir l'assurance chômage aux salariés qui démissionnent. Ce droit ne devait être « utilisable qu'une fois tous les cinq ans », mais « en contrepartie, l'insuffisance des efforts de recherche d'emploi ou le refus d'offres raisonnables entraîneront la suspension des allocations ».

Dans le document d'orientation transmis aux partenaires sociaux le 14 décembre 2017, le Gouvernement a indiqué vouloir créer « un nouveau droit à l'assurance chômage, qui sera ouvert, sous certaines conditions, à toutes les personnes qui démissionnent de leur entreprise en vue d'une évolution professionnelle ». De fait, « corrélé au projet professionnel, il suppose une durée plus courte d'indemnisation que celle ouverte par les autres motifs de rupture ». Enfin, ce droit nécessitera « une durée d'affiliation minimum, qui elle-même conditionne la fréquence quinquennale d'exercice du droit » et ouvrira doit à une « allocation dont le montant est plafonné » 175 ( * ) .

Les partenaires sociaux, à l'article 1 er de l' accord national interprofessionnel du 22 février 2018 relatif à la réforme de l'assurance chômage, avaient retenu :

- une durée d'affiliation minimale à l'assurance chômage de 7 ans , et non 5 ans ;

- l'obligation pour le salarié qui souhaite démissionner de solliciter un accompagnement au titre du conseil en évolution professionnelle ;

- l' attestation par une instance paritaire spécifique, le comité paritaire interprofessionnel régional (Coparef), que le projet professionnel du salarié est réel et sérieux ;

- la création d'une aide spécifique , dénommée « allocation d'aide au retour à l'emploi projet » pour les allocataires démissionnaires, dont les règles sont identiques à celles régissant l'allocation de retour à l'emploi (ARE) ;

- le caractère subsidiaire de cette aide par rapport aux dispositifs existants.

B. ... ainsi qu'aux travailleurs indépendants

Le Président de la République, lors de la campagne électorale de 2017, avait également souhaité étendre l'assurance chômage à tous les travailleurs indépendants : « les artisans, les commerçants indépendants, les entrepreneurs, les professions libérales et les agriculteurs disposeront, comme les salariés, de cette protection ».

Les travailleurs indépendants : état des lieux

On compte aujourd'hui environ 3,3 millions de travailleurs indépendants . La majorité (1,7 million) regroupe les travailleurs indépendants classiques comme les médecins, les notaires, ou les commerçants, loi devant les micro-entrepreneurs ayant un chiffre d'affaires positif (700 000), les exploitants agricoles (460 000), les dirigeants assimilés salariés (180 000) et les autres catégories (250 000).

Selon le Gouvernement 176 ( * ) , les travailleurs indépendants ont un revenu annuel moyen de 30 000 euros . Toutefois, 80 % des artisans et commerçants, et plus de la moitié des professions libérales, ont un revenu supérieur à 40 000 euros. Les micro-entrepreneurs ont des revenus sensiblement plus faibles (5 000 euros).

Si la société à responsabilité limitée (SARL) reste prépondérante (70 % des sociétés en 2016), la société par actions simplifiée (SAS) connaît un fort engouement.

De nombreuses personnes bénéficient alternativement du statut d'indépendant et de celui de salarié. Ainsi, chaque année, 400 000 nouveaux travailleurs indépendants étaient affiliés au régime social indépendant (RSI), dont 80 % venaient du régime général. Inversement, 400 000 travailleurs indépendants étaient radiés chaque année et s'inscrivaient au régime général.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 177 ( * ) a prévu la suppression du régime social des indépendants , compte tenu de ses difficultés de fonctionnement récurrentes, et a intégré la protection des indépendants au régime général.

Le document d'orientation précité du 14 décembre 2017, constatant que diverses options étaient envisageables, comme la « protection accessible aux indépendants ayant une activité et une ancienneté de celle-ci minimale en cas de liquidation judiciaire, la protection volontaire plus largement accessible, la protection spécifique dans certains cas », avait laissé le champ libre aux partenaires sociaux pour faire des propositions sur ce thème, notamment sur « les conditions et le montant de cette indemnisation ».

Toutefois, les partenaires sociaux et le Gouvernement ont suivi les principales recommandations du rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection des finances (IGF) rendu public deux mois plus tôt, en octobre 2017 178 ( * ) . En effet, à la suite de la saisine du Gouvernement du 13 juillet 2017, ces inspections ont élaboré un rapport qui dresse plusieurs scénarios en matière d'extension de l'assurance chômage aux travailleurs indépendants. Schématiquement, trois objectifs principaux ont été identifiés comme le montre le tableau ci-après.

Présentation des trois scénarios envisageables de l'extension
de l'assurance chômage aux indépendants

Objectif poursuivi

Définition du risque

Population concernée

Protection contre le risque de défaillance de l'entreprise

Cessation d'activité involontaire, comme la liquidation judiciaire = fait générateur strict

En pratique, entre 50 000 et 70 000 personnes par an

Protection contre la dépendance économique

Privation ou perte importante d'activité = fait générateur ciblé

Non déterminée aujourd'hui

Rapprocher les règles relatives aux indépendants de celles applicables aux salariés

Toute cessation d'activité = fait générateur ouvert

En droit, 3,3 millions de travailleurs indépendants.

En pratique, surtout les travailleurs dans les secteurs non réglementés.

Source : Rapport IGAS/IGF précité, synthèse

Même si la mission affirme se limiter à fournir au Gouvernement une « boîte à outils », sa préférence semble aller au premier scénario, relatif à la « protection contre le risque de défaillance de l'entreprise » . En effet, « la mission estime que, compte tenu de la large population potentiellement couverte, des risques élevés d'aléa moral qui la caractérisent ainsi que de la méconnaissance des comportements de la population à assurer et des taux de sinistralité, il est nécessaire, lors de la mise en place du dispositif, de définir le risque à couvrir, et les faits générateurs associés, avec prudence - quitte à faire évoluer le dispositif au cours du temps, une fois qu'un régime aura été créé et que davantage de données auront été collectées » 179 ( * ) .

C'est pourquoi les partenaires sociaux, à l'article 2 de l'ANI du 22 février 2018, ont indiqué qu'un « régime public financé par l'impôt , ouvert à tous les indépendants et distinct de l'assurance chômage des salariés, pourrait prévoir le versement d'une prestation spécifique selon un fait générateur strict (liquidation judiciaire) ». Ils ont également invité les assureurs privés à proposer des « prestations complémentaires mieux adaptées aux spécificités des situations individuelles ». Enfin, face à la diversité des travailleurs indépendants, ils étaient convenus de créer un groupe de travail pour poursuivre leur réflexion.

C. Le présent article pose le principe de l'extension de l'assurance chômage aux démissionnaires et aux indépendants

L'article L. 5421-1 fixe actuellement la liste des personnes aptes au travail et recherchant un emploi qui ont droit à un revenu de remplacement versé par Pôle emploi, en complément des mesures tendant à faciliter leur reclassement ou leur conversion.

Sont ainsi concernés :

- les travailleurs involontairement privés d'emploi ;

- les salariés qui ont conclu une rupture conventionnelle individuelle 180 ( * ) ;

- le directeur général d'un office public de l'habitat qui a conclu avec ce dernier une convention pour rompre son contrat de travail 181 ( * ) ;

- les salariés qui ont bénéficié d'une rupture conventionnelle collective 182 ( * ) .

Le projet de loi simplifie substantiellement la rédaction de cet article, en remplaçant l'énumération des personnes bénéficiant du revenu de remplacement par un renvoi général aux dispositions du titre II « indemnisation des travailleurs privés d'emploi » du livre IV « demandeur d'emploi » de la cinquième partie « emploi » du code du travail.

L'article L. 5421-2 présente actuellement les trois formes que peut prendre un revenu de remplacement : une allocation d'assurance , une allocation de solidarité , ou une allocation spécifique pour certains régimes, comme les agents publics ou les intermittents du spectacle.

Le projet de loi maintient la rédaction de cet article, en ajoutant toutefois la référence à l'allocation des travailleurs indépendants parmi les allocations spécifiques.

L'article L. 5422-1 énumère les bénéficiaires actuels de l'allocation d'assurance en reprenant quasiment à l'identique la rédaction actuelle de l'article L. 5421-1.

Le projet de loi réécrit intégralement cet article, désormais divisé en trois paragraphes.

Son I reprend la liste actuelle des bénéficiaires actuels de l'allocation d'assurance sans modification, tandis que le II étend le bénéfice de l'allocation d'assurance aux démissionnaires , si trois conditions sont remplies.

Tout d'abord, la personne doit être apte au travail et rechercher un emploi .

En outre, elle doit satisfaire à des conditions d'activité antérieure spécifiques, qui seront fixées par les textes d'application : par décret en Conseil d'État du 1 er janvier 2019 au 30 septembre 2020, puis par la convention d'assurance chômage .

Enfin, elles doivent poursuivre un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d'une formation ou élaborer un projet de création ou de reprise d'une entreprise . Les partenaires sociaux représentatifs au niveau régional, rassemblés au sein d'une commission du comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop) 183 ( * ) , devront attester auprès de Pôle emploi du caractère réel et sérieux du projet du démissionnaire. L'article 16 du projet de loi prévoit par coordination juridique que le Crefop devra remplir cette nouvelle mission (voir supra) .

Par coordination juridique, le III supprime la notion de privation « involontaire » d'emploi :

- dans l'intitulé du titre rassemblant les articles L. 5421-1 à L. 5429-2 ;

- à l'article L. 2145-9 ( les travailleurs privés d'emploi continuent de bénéficier du revenu de remplacement auquel ils ont droit pendant la durée des stages de formation économique et sociale et de formation syndicale dans la limite respectivement de douze et dix-huit jours par an).

- à l'article L. 5425-9 (les travailleurs privés d'emploi, bénéficiaires d'un revenu de remplacement, peuvent accomplir pendant une durée limitée des tâches d'intérêt général agréées par l'autorité administrative).

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

Outre trois amendements de précision juridique présentés par le rapporteur, un amendement de coordination juridique du même auteur a été adopté en commission , afin de confier à la nouvelle commission paritaire interprofessionnelle régionale introduite à l'article 1 er du projet de loi, et non plus au Crefop, le soin de vérifier le caractère réel et sérieux du projet professionnel du salarié qui envisage de démissionner.

Aucun amendement n'a été adopté en séance publique sur cet article.

III - La position de votre commission

Vos rapporteurs rappellent que l'extension de l'assurance chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants ne repose pas sur une justification économique et sociale incontestable . Compte tenu des contraintes très fortes pesant sur les finances de l'assurance chômage et de l'État, cette mesure pourra avoir un coût d'opportunité non négligeable.

En outre, un grand nombre de personnes entendues par vos rapporteurs ont exprimé leur déception face aux paramètres retenus dans le présent projet de loi pour mettre en oeuvre cet engagement.

Sur proposition de vos rapporteurs, votre commission a adopté, outre l'amendement rédactionnel COM-299, l'amendement COM-300 pour indiquer que les démissionnaires ne pourront bénéficier d'une allocation chômage que s'ils justifient d'au moins sept années de contributions versées au régime . Ce faisant, vos rapporteurs reprennent le souhait des partenaires sociaux exprimé dans l'accord national interprofessionnel du 22 février 2018. Si le projet de loi est muet sur ce sujet, le Gouvernement a annoncé vouloir retenir une durée d'affiliation de cinq ans.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 175 Programme de travail portant orientation pour la réforme de l'assurance chômage, 14 décembre 2017, p. 2.

* 176 Fiches d'évaluation préalable des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, p. 74.

* 177 Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, article 15.

* 178 « Ouverture de l'assurance chômage aux travailleurs indépendants », rapport de Jean-Michel Charpin, Pierre-Marie Carraud, Claire Durrieu et Camille Freppel de l'inspection générale des finances, et Laurent Caussat, Eve Robert, Clément Cadoret et Solène Baubry de l'inspection générale des affaires sociales, octobre 2017.

* 179 Op. cit., synthèse.

* 180 Art. L. 1237-11 à L. 1237-15

* 181 Art. L. 421 12 1 du code de la construction et de l'habitat.

* 182 Ce dispositif a été institué par l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail (articles L. 1237-17 à L. 1237-19-14).

* 183 Art. L. 6123-3. Présidé conjointement par le président du conseil régional et le représentant de l'État dans la région, le Crefop, institué par l'article de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, a pour mission d'assurer la coordination entre les acteurs des politiques d'orientation, de formation professionnelle et d'emploi dans la région.

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